Hauts-de-Seine (92)

Tribunal de commerce de Nanterre : une difficile année 2022

Publié le 13/03/2023
Tribunal de Nanterre
P. Anquetin

Le 23 janvier dernier, le tribunal de commerce de Nanterre, à l’occasion de son audience solennelle de rentrée, présentait son bilan annuel. Plus d’ouvertures de procédures collectives, de redressements et de liquidations judiciaires, l’année 2022 a été difficile pour les entreprises des Hauts-de-Seine. Malgré la tourmente, elles ont pourtant su résister.

L’année 2022 a définitivement été une année difficile pour la juridiction de Nanterre. Le procureur de la République, Dominique Borron, a rappelé, en guise d’introduction lors de l’audience solennelle de rentrée, que les procédures collectives ont été marquées par une forte hausse, avec + 48 %, hausse marquée également pour les redressements judiciaires (+ 183 %) et les liquidations judiciaires (+ 111 %), tempérant le bilan en évoquant les « sociétés qui connaissaient déjà des difficultés » avant la crise, l’inflation et la hausse des matières premières.

Des chiffres historiques

Même constat du côté du président du tribunal de commerce, Jacques Fineschi. Ce dernier a parlé d’un « record historique » pour le nombre d’ouvertures de procédures dites préventives ou amiables (conciliation et le mandat ad hoc) qui a atteint 128 ouvertures (+41 % par rapport à 2021 et + 156 % par rapport à 2019). Ces ouvertures ont porté sur des entreprises totalisant un chiffre d’affaires de plus de 10 milliards d’euros et un effectif de plus de 34 000 salariés. Pour le président, « il faut se féliciter de cette progression qui consacre l’intérêt croissant des entreprises pour ces procédures dont les conditions d’ouverture sont peu contraignantes et qui ont d’abord l’avantage de rester confidentielles contrairement aux procédures collectives ». Dommage cependant qu’elles soient peu usitées pour les PME et surtout les TPE…

770 procédures collectives ont été ouvertes (48 % de plus qu’en 2021 mais 23 % de moins qu’en 2019). Ces ouvertures ont porté sur des entreprises totalisant un chiffre d’affaires de 730 millions d’euros et un effectif de plus de 4 000 salariés. S’il est impossible de prédire si le tsunami de défaillances d’entreprises aura lieu en 2023, le président a cependant noté trois facteurs de préoccupation : la hausse des coûts des matières premières, de l’énergie, les difficultés de recrutement dans certains secteurs ; la décision de l’URSSAF de reprendre ses assignations en redressement ou en liquidation judiciaire interrompues depuis près de trois ans ; les entreprises qui, sauvées temporairement par les mesures étatiques, avaient jusqu’à présent échappé à l’ouverture de procédures collectives. Face à ces inquiétudes, il a partagé quelques facteurs d’optimisme : finalement en 2022, le nombre d’ouvertures de liquidations n’a progressé que de 39 % alors que le nombre d’ouvertures de sauvegardes et de redressements judiciaires a plus que doublé, ce qui signifie « que nombre d’entreprises ont tiré parti des aides d’État pour procéder sereinement à une liquidation amiable ou à une cession d’entreprise et ont ainsi échappé à une procédure collective ». Un deuxième élément d’optimisme est que le nombre de défaillances de remboursement des prêts garantis par l’État (les PGE) reste pour le moment très faible (moins de 3 %). Enfin, même si les pouvoirs publics ont annoncé la fin du « Quoi qu’il en coûte » au profit de mesures ciblées, telles celles pour soutenir les entreprises touchées par la hausse des prix de l’énergie, ils apparaissent déterminés à encadrer tout effondrement. « En conclusion, a-t-il résumé, je pense que le tsunami attendu par certains n’aura pas lieu », même si la tendance à la hausse des procédures collectives devrait se poursuivre.

Le nombre de décisions de contentieux au fond (environ 2 300), après une progression de 16 % en 2021 par rapport à 2019, revient progressivement à son niveau de 2019, tandis que le nombre d’ordonnances de référés (environ 1 100) recule légèrement. Au total moins de 3 % des décisions du tribunal de Nanterre sont infirmées. Il a noté une progression « spectaculaire » du nombre d’injonctions de payer (6 500) en progression de 47 % par rapport à 2021 et de 26 % par rapport à 2019. Jacques Fineschi s’est réjoui tant du niveau très satisfaisant des MARD (modes amiables de règlement des différends par la conciliation ou la médiation) que du succès des affaires clôturées (66 %).

Côté registre des bénéficiaires effectifs (instauré le 1er août 2017), le tableau est presque complet puisque 95 % des sociétés sont en règle, même si les difficultés techniques de l’INPI – en charge d’un nouveau registre national dématérialisé, dit Guichet unique – compliquent cette démarche. « Bercy promet que tout rentrera dans l’ordre d’ici fin mars … Nous verrons », glisse prudemment le président.

Pour les chefs d’entreprise en grave souffrance psychologique, l’Apesa 92 est en « ordre de marche », avec 20 psychologues et 196 « sentinelles » dans les Hauts-de-Seine qui ont déjà aidé 23 chefs d’entreprise.

Les priorités pour 2023

Plusieurs priorités semblent essentielles au président Jacques Fineschi. Tout d’abord, favoriser la résolution des litiges par une proposition systématique de conciliation ou de médiation (MARD). Après avoir assisté à une table ronde aux États généraux des MARD organisés par le Conseil national du Barreau, il a été « frappé par la forte adhésion des avocats présents » au dispositif. Un signe d’autant plus encourageant que depuis le 1er janvier 2022 un protocole pour le favoriser a été signé entre le tribunal et le barreau des Hauts-de-Seine. Dans ce contexte « le juge, à tout moment de la procédure, invite fermement les parties et leurs conseils à considérer le choix d’une conciliation-médiation ou à rencontrer un conciliateur ou un médiateur ». Satisfaction, donc, de la position du garde des Sceaux, déterminé à développer « une véritable politique de l’amiable ». Autre priorité : continuer à promouvoir la prévention, seul levier efficace pour sauver les entreprises malades. Ce volet est assuré par le tribunal et le Codefi (restreint à Nanterre) de manière proactive (grâce aux bases de données disponibles), et par une quinzaine d’organismes qui pratiquent une prévention sans détection, comme le CIP 92 ou le tout nouveau GPA Île-de-France. Depuis deux ans et grâce à la base de données de signaux faibles, notamment en matière d’impayés, ce sont plus de 200 dossiers qui ont été traités par le Codefi restreint. De son côté, le tribunal, par des signaux comme le non-dépôt des comptes, le report répété d’assemblées générales, les injonctions de payer ou les inscriptions de privilèges, a identifié près de 2 700 entreprises en difficulté. Le président a rappelé l’importance d’une information qui irrigue tant les chefs d’entreprise que leurs conseils et interlocuteurs professionnels.

La 3e priorité du président, Jacques Fineschi, revient à mieux cibler la prévention-détection des entreprises, y compris celles de moins de 10 salariés. Les chiffres sont éloquents puisque « près de la moitié des dirigeants que nous convoquons pour un entretien de prévention ne se présentent pas » et parmi ceux qui se présentent, une part non négligeable ne rencontre en réalité pas ou plus de problème, soit qu’ils appartiennent à un groupe prospère, soit que leurs difficultés aient déjà été résolues ». D’où la nécessité de mieux cibler les interventions du tribunal en convoquant prioritairement les dirigeants sur alerte du commissaire aux comptes ou encore en recevant les dirigeants qui sollicitent directement un entretien de prévention.

Le président du tribunal de commerce de Nanterre souhaite également finaliser la refondation de l’action de la chambre des responsabilités et des sanctions, souffrant d’une véritable « distorsion », entre les sanctions personnelles (interdictions de gérer, faillites personnelles) prononcées par notre tribunal qui représente un peu moins de 3 % de toutes les sanctions prononcées par les 134 tribunaux français et les condamnations en responsabilité pour insuffisance d’actif qui représentent selon les années entre 25 et 30 % des condamnations prononcées par les 134 tribunaux. « L’objectif reste clairement d’écarter les voyous économiques ou les dirigeants incompétents ou négligents de la vie des affaires par la sanction personnelle – interdiction de gérer ou faillite personnelle – mais aussi de ne pas nécessairement appliquer une double peine par une condamnation pécuniaire à un dirigeant qui certes aura pu être négligent, qui certes aura pu être incompétent mais qui aura déjà lourdement payé pour cela, parfois jusqu’au prix de sa santé et de son équilibre psychique ». Enfin, le tribunal de commerce de Nanterre entend bien poursuivre sa digitalisation, après l’adoption de la signature électronique en 2021 et soutenir le recours au RPVA-TC, portail de communication entre le greffe et les avocats développé conjointement par le Conseil national des greffiers et le Conseil national du Barreau, abandonné par Conseil national des greffiers au profit du site tribunaldigital.fr.

Vers des tribunaux d’activités économiques

Après une année judiciaire 2021 riche en nouvelles dispositions législatives et réglementaires, l’année judiciaire 2022 a été plus calme, à l’exception de la loi du 14 février 2022 qui a créé un statut unique pour l’entrepreneur individuel entraînant la disparition de l’EIRL, et qui a consacré la séparation du patrimoine de l’entrepreneur individuel en deux patrimoines distincts. Jacques Fineschi a souligné les conséquences pour son tribunal qui doit évaluer l’activité professionnelle (cessation) mais aussi déterminer si personnellement, l’entrepreneur est concerné par un surendettement. Mais le gros de l’actualité est dominé par la traduction des décisions issues des États généraux de la justice. Le président a exprimé son regret qu’en matière de justice économique, « le groupe de travail n’ait pas procédé pour les besoins de son analyse à une segmentation des tribunaux » entre Paris et des juridictions beaucoup plus petites et qu’il n’ait « pas mieux tiré parti des 52 propositions très concrètes de la mission d’information de l’Assemblée nationale présidée par Romain Grau ».

Il a rappelé les trois mesures annoncées par le garde des Sceaux : la transformation, à titre expérimental dans un premier temps, de certains tribunaux de commerce en tribunal des activités économiques (étendu aux commerçants et artisans mais également agriculteurs, certaines professions libérales, sociétés civiles immobilières et associations). Nanterre s’en réjouit et se porte volontaire, a-t-il confirmé.

Deuxième mesure : la mise en place d’une contribution financière des entreprises dans le cas de très gros litiges. Elle servira à abonder notamment le budget de l’aide juridictionnelle, et l’espère Jacques Fineschi, « à doter le tribunal d’un budget de fonctionnement décent », rappelant au passage le caractère bénévole de l’engagement des juges consulaires.

La dernière mesure est celle qui suscite le plus d’interrogations voire de rejets dans les rangs des juges consulaires, a souligné le président du tribunal de commerce de Nanterre : favoriser le détachement de magistrats de l’ordre judiciaire dans les tribunaux de commerce est loin de convaincre tout le monde, au risque « d’encadrer des juges dits « non-professionnels », présentés comme ayant des compétences juridiques limitées » ? Pas question d’échevinage pour Jacques Fineschi, qui se dit néanmoins rassuré dans le cas d’une expérience de la justice économique donnée à de jeunes magistrats.

Quelques mesures devraient s’intensifier en 2023, comme le maintien de la procédure de sortie de crise, de tenir certaines audiences à juge unique (comme celles de mise en état des affaires contentieuses ou les audiences d’examen des requêtes en ouverture de liquidation judiciaire sur déclaration de cessation des paiements).

Après les remerciements de rigueur adressés à ses collègues, pour « le temps et l’énergie » qu’ils consacrent à la justice consulaire, il a conclu sur une note positive. « Notre époque est celle, dit-on, de l’égoïsme, de l’individualisme et du repli sur soi. L’activité bénévole que vous déployez apporte un heureux démenti », convaincu du « paradis des juges », Michel de l’Hospital doit être « fier d’eux » !

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