Yvelines (78)

Xavier Aubry : « Les entreprises ont une capacité de résilience plus importante que ce qu’on imaginait » !

Publié le 15/02/2023
Entreprise
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L’audience solennelle du tribunal de commerce de Versailles (78) s’est tenue le 23 janvier 2023. Après avoir accueilli les nouveaux juges, le président, Xavier Aubry, a prononcé son traditionnel discours, faisant un « tour d’horizon de l’activité du tribunal », dans un département où le « dynamisme de création des entreprises ne faiblit pas ». Il a rappelé deux faits significatifs : le plan d’action pour la justice et la mise en place du Guichet unique électronique, opéré par l’Institut national de la propriété industrielle.

Pour l’année 2022, « le tribunal retrouve petit à petit le niveau d’activité qu’il avait avant la pandémie », a indiqué le président Xavier Aubry durant l’audience solennelle. « C’est le cas pour le contentieux. Les affaires nouvelles au fond ont connu une légère progression en 2022, encore portées au premier semestre par les litiges de restaurateurs avec leur compagnie d’assurances auprès de laquelle ils avaient souscrit une police pour une perte d’exploitation qui découlerait d’une fermeture administrative de leur établissement causée par une épidémie ». Ces litiges remontent à 2021, année durant laquelle « le tribunal a reçu bon nombre d’assignations au fond relatives à la mise en jeu d’une disposition des contrats d’assurance en matière de perte d’exploitation », nous précise Xavier Aubry. Il explique donc la croissance de 2022 « en partie à cause de ce litige », qu’il qualifie de « litige sériel ».

Si les assignations en référé restent à un « étiage faible », « en revanche, les ordonnances en injonction de payer ont progressé sensiblement par rapport aux deux années précédentes. Les tensions sur la trésorerie des entreprises provoquées par la hausse des prix des matières premières et la disparition progressive des aides de l’État après la période de pandémie les conduisent souvent à retarder le paiement de leurs fournisseurs ».

Alors que les tribunaux de commerce s’attendaient à des vagues de procédures collectives, cette année 2022 a prouvé le contraire dans les Yvelines. « On craignait depuis deux ans un tsunami : ce n’est pas le cas et ce n’est toujours pas le cas, nous dit le président. Fin 2022, nous ne sommes toujours pas au niveau de 2019. Petit à petit, les effets attachés aux aides de l’État disparaissent mais les entreprises ont une capacité de résilience plus importante que ce qu’on imaginait ».

Poursuivre le travail de prévention

Selon les chiffres communiqués, le nombre de procédures amiables de prévention (mandat ad hoc et conciliation sous l’égide d’un administrateur judiciaire désigné par le président du tribunal de commerce) est « en forte progression comparée aux années précédentes » : 17 mandats ad hoc et 29 conciliations ont été ouverts en 2022 soit une augmentation de plus de 50 % par rapport à 2021 « qui s’explique principalement par la demande de renégociation des prêts garantis par l’État accordé par les banques alors que les premiers remboursements ont commencé l’an dernier après en moyenne deux ans de franchise ».

Comme dans la majorité des tribunaux de commerce en France, celui de Versailles poursuit ses efforts de prévention. « Nous essayons de détecter les entreprises en difficulté. Le chef d’entreprise se replie souvent sur lui-même dans ces cas-là. Or, nous savons que plus il attend, plus il y a de chance d’ouvrir une procédure collective ». Le tribunal a donc redoublé de vigilance en 2022, « en coopération avec le parquet » et sur la « motivation du greffe », pour multiplier les entretiens. « C’est une manière aussi – c’est notre rôle de police économique – de faire sortir du registre du commerce les entreprises « zombies ». Il faut les faire sortir du circuit économique » !

Le président a précisé dans son discours qu’en application de l’article L. 611-2 du Code de commerce, le tribunal avait pu obtenir « communication par l’administration fiscale, les organismes de sécurités sociale et la Banque de France des renseignements sur la situation financière des entreprises en sus des informations déjà à la disposition de la juridiction ». Le président du tribunal judiciaire a également accepté de transmettre au greffe les jugements rendus par sa juridiction en matière d’acquisition de la clause résolutoire du bail commercial. « Ce sont ainsi autant d’indices nouveaux de difficultés, non exploités antérieurement, qui ont permis de convoquer, en 2022, 871 chefs d’entreprise à un entretien devant un juge de la prévention, contre 140 en 2021 ».

« La conciliation est fondamentale »

L’audience de rentrée fut l’occasion d’évoquer le plan d’action pour la justice, annoncé en ce début d’année 2023. Le président Xavier Aubry a retenu « deux nouveaux dispositifs procéduraux : le premier, la césure, qui inciterait les parties, une fois que le juge a tranché le fond du litige, par exemple dans un procès en responsabilité, à trouver un accord sur le volet indemnitaire ; le second, l’audience de règlement amiable, permettrait au juge d’aider les parties, avec leurs avocats, à trouver un accord ».

Des solutions existent déjà, comme la médiation et la conciliation conventionnelles, la procédure participative de mise en état et les actes contresignés par avocats. Mais, dit le président, « il faut reconnaître que ces dispositions ne se sont pas vraiment enracinées dans les pratiques judiciaires ». Pour le président du TC de Versailles, la conciliation est pourtant « fondamentale » : « Il n’est pas inutile de rappeler combien ces dispositifs de prévention mis en œuvre à temps sont efficaces pour aider les chefs d’entreprise à trouver en toute confidentialité un accord avec leurs principaux créanciers permettant de sécuriser la structure financière de l’entreprise et pérenniser son activité », disait-il dans son discours. Il complète en entretien : « Je le dis depuis plusieurs années. Plutôt que se faire un procès où il y a un gagnant et un perdant, la conciliation peut aboutir à une solution amiable où les parties font chacune un effort. Si une partie est condamnée par un tribunal, celle-ci n’aura sûrement plus envie de continuer à travailler avec l’autre… Ce n’est pas nouveau de promouvoir la conciliation, mais elle a beaucoup de mal à passer. Sans doute parce que les avocats ont peur de perdre une partie de leur activité ».

Xavier Aubry évoque alors le besoin d’un « changement de culture concernant les parties, les conseils et les juges : il faut que les différents acteurs acceptent, proposent et se disent convaincus par la qualité d’une solution amiable » !

« Notre crainte est de devenir des assesseurs »

Si d’autres dispositions du plan d’action ont reçu un accueil favorable, comme l’extension de la compétence d’attribution, « la perspective d’ouvrir davantage les acteurs du monde judiciaire aux dimensions économiques, par exemple, en favorisant des détachements de magistrats de l’ordre judiciaire dans les tribunaux de commerce » paraît moins enthousiaste. Les juges consulaires « voient dès à présent avec beaucoup de circonspection l’instauration de détachements de magistrats de carrière dans leurs juridictions, relève le président. Si de tels détachements devaient intervenir, les juges et la Conférence générale qui les représente seront très vigilants aux modalités de leur mise en œuvre afin que les spécificités essentielles d’organisation et de fonctionnement des tribunaux de commerce auxquelles ils sont très attachés, soient entièrement préservées ».

Dans l’entretien accordé par téléphone, Xavier Aubry précise sa pensée : « Nous sommes chefs d’entreprise, nous connaissons le domaine économique. Les magistrats, qui sont plus formés sur le droit, ne sont pas aussi à l’aise que nous. Nous disons « Attention ! » et nous serons vigilants. Nous ne voulons pas que ce soit une perspective d’échevinage. Nous pensons que nous sommes parfaitement capables de nous débrouiller par nous-même. Notre crainte est de devenir des assesseurs… »

Le « fiasco » du guichet unique

Depuis le 1er janvier 2023, conformément aux articles 1er et 2 de la loi Pacte, un guichet unique électronique, opéré par l’Institut national de la propriété industrielle, doit permettre de centraliser toutes les formalités des entreprises et de les recenser dans un registre unique. Mais pour Xavier Aubry, la mise en œuvre de ce nouvel outil est plutôt « un fiasco ». Voici ce qu’il en disait lors de l’audience : « En effet, malgré une série de tests en 2022, de multiples dysfonctionnements subsistent sur la plateforme : si elle apparaît opérationnelle pour la réalisation des formalités de création d’entreprise, son déploiement pour les formalités de modification, de cessation et de dépôt dématérialisé des comptes annuels comporte encore de nombreux bugs et blocages qui rendent parfois impossible l’accomplissement de certaines formalités et provoquent des retards qui pénalisent les entreprises pour respecter leurs obligations déclaratives. La signature électronique des demandes s’avère extrêmement lourde et contraignante. La plateforme a même fait l’objet d’une attaque informatique au début de ce mois ». Le constat est sévère : « Les services rendus sont dégradés par rapport à ce qui était annoncé : ainsi, par exemple, il est pour le moins paradoxal de constater que les extraits Kbis des entreprises leur soient adressés par l’INPI sur support papier alors que l’objectif initial du projet est une dématérialisation des processus ».

En conséquence, l’activité journalière de formalités au service du registre de commerce et des sociétés du greffe du TC de Versailles « est de 60 % inférieure à ce qu’elle était en moyenne en 2021 et 2022 » ! C’est donc avec regret que le président parle de la fermeture de l’ancien système Infogreffe. « Lors d’une récente audience publique au Sénat, un sénateur a interpellé le ministre de l’Économie et des Finances pour sa réouverture afin, je cite, « qu’il joue les pompiers face au bug de ce lancement raté ». Face à cette situation préoccupante, il est maintenant impératif dans l’intérêt des entreprises et de leurs partenaires que le nouveau Guichet unique soit opérationnel rapidement et réponde aux objectifs annoncés par les pouvoirs publics » !

Pour le président, les répercussions sont importantes pour les entreprises : « Certaines ne peuvent pas faire état de la cessation d’activité. C’est une situation inadmissible. Le problème doit être résolu pour mars 2023, mais pendant trois mois les entreprises sont dans l’incapacité de procéder aux modifications nécessaires. On s’est évertué à casser quelque chose qui fonctionnait… » !

Enfin, parmi les « actions qui devront se poursuivre en 2023, celle relative au déploiement par le greffe de la signature électronique des décisions des juges » est vue comme « déterminante ». Commencée au cours de l’année 2021 par la signature à distance des ordonnances en injonction de payer, la prochaine étape sera « d’étendre la signature électronique aux multiples ordonnances rendues par les juges de procédure collective dans leur rôle de juge-commissaire ».

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