Concurrence et compétence civile : la chambre commerciale infléchit sa jurisprudence
Une société conclut avec un prestataire un contrat aux termes duquel celui-ci doit lui fournir des luminaires et en assurer la maintenance, ces matériels faisant parallèlement l’objet d’un contrat de location financière conclu, le même jour, par cette société et une société de location de matériels.
Le prestataire en liquidation judiciaire ne répondant plus aux demandes d’intervention pour les dysfonctionnements des installations, la société cesse de payer les loyers à la société de location qui, en application d’une clause attributive de compétence insérée au contrat, l’assigne en paiement de diverses sommes devant le tribunal de commerce.
Devant ce tribunal, la société demande, d’une part, qu’il lui soit donné acte qu’elle entend invoquer les dispositions de l’article L. 442-6 du Code de commerce, d’autre part, qu’il soit jugé que la clause attributive de compétence prévue au contrat ne lui est pas applicable, peu important qu’elle soit valable par ailleurs, et, enfin, que le tribunal se déclare incompétent au profit de celui de Marseille, juridiction spécialement désignée dans l’annexe visée à l’article D. 442-3 du Code de commerce.
La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation juge depuis 2013 que, la cour d’appel de Paris étant seule investie du pouvoir de statuer sur les recours formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce, la méconnaissance de ce pouvoir juridictionnel exclusif est sanctionnée par une fin de non-recevoir, laquelle doit être relevée d’office. Elle a, par la suite, étendu ce principe aux juridictions du premier degré désignées dans l’annexe de l’article D. 442-3 précité. Cette règle a été appliquée à toutes les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’article L. 442-6 précité, même lorsqu’elles émanaient de juridictions non spécialement désignées.
Elle a ensuite jugé qu’en application des articles L. 442-6, III, et D. 442-3 précités, seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré spécialement désignées étaient portés devant la cour d’appel de Paris, de sorte qu’il appartenait aux autres cours d’appel, conformément à l’article R. 311-3 du Code de l’organisation judiciaire, de connaître de tous les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions situées dans leur ressort qui n’étaient pas désignées par le second texte et qu’il en était ainsi même dans l’hypothèse où celles-ci avaient, à tort, statué sur l’application du premier, auquel cas elles devaient relever, d’office, l’excès de pouvoir commis par ces juridictions en statuant sur des demandes qui, en ce qu’elles ne relevaient pas de leur pouvoir juridictionnel, étaient irrecevables.
La chambre commerciale, financière et économique a, par ailleurs, précisé que si les demandes fondées sur l’article L. 442-6 précité devaient être déclarées irrecevables lorsqu’elles étaient présentées devant une juridiction non spécialisée, celle-ci pouvait néanmoins valablement statuer sur les demandes fondées sur le droit commun, en particulier l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction alors applicable.
Cette construction jurisprudentielle complexe aboutit à des solutions confuses et génératrices, pour les parties, d’une insécurité juridique quant à la détermination de la juridiction ou de la cour d’appel pouvant connaître de leurs actions, de leurs prétentions ou de leur recours. Elle donne lieu, en outre, à des solutions procédurales rigoureuses pour les plaideurs qui, à la suite d’une erreur dans le choix de la juridiction saisie, peuvent se heurter à ce que certaines de leurs demandes ne puissent être examinées, en raison soit de l’intervention de la prescription soit de l’expiration du délai de recours. Au surplus, sa complexité de mise en œuvre ne répond pas aux objectifs de bonne administration de la justice.
Enfin, elle est en contradiction avec l’article 33 du Code de procédure civile dont il résulte que la désignation d’une juridiction en raison de la matière par les règles relatives à l’organisation judiciaire et par des dispositions particulières relève de la compétence d’attribution.
Ce constat conduit la chambre commerciale, financière et économique à modifier sa jurisprudence.
Il convient en conséquence de juger désormais que la règle découlant de l’application combinée des articles L. 442-6, III, devenu L. 442-4, III, et D. 442-3, devenu D. 442-2 du Code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier texte pour connaître de l’application des dispositions de l’article L. 442-1, institue une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.
ll en résulte que, lorsqu’un défendeur à une action fondée sur le droit commun présente une demande reconventionnelle en invoquant les dispositions de l’article L. 442-6 précité, la juridiction saisie, si elle n’est pas une juridiction désignée par l’article D. 442-3 précité, doit, si son incompétence est soulevée, selon les circonstances et l’interdépendance des demandes, soit se déclarer incompétente au profit de la juridiction désignée par ce texte et surseoir à statuer dans l’attente que cette juridiction spécialisée ait statué sur la demande, soit renvoyer l’affaire pour le tout devant cette juridiction spécialisée.
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