Doctrine condamné pour concurrence déloyale envers cinq éditeurs juridiques

Publié le 12/05/2025 à 11h09

Le 7 mai 2025, la cour d’appel de Paris a tranché en faveur des éditeurs juridiques traditionnels — Dalloz, Lexbase, LexisNexis, Lextenso et Lamy Liaisons (anciennement Wolters Kluwer France) — dans le litige les opposant depuis sept ans à la société Forseti, éditrice de la plateforme Doctrine.

Ces éditeurs reprochaient à Doctrine d’avoir, entre 2016 et 2019, constitué sa base de données de 10 millions de décisions de justice au moyen de procédés trompeurs, déloyaux et parasitaires. Alors qu’à l’époque, loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique encadrant l’ouverture des données judiciaires n’était pas encore entrée en vigueur, ces méthodes ont permis à la plateforme de s’imposer rapidement sur le marché.

Dans sa décision, la cour d’appel de Paris reconnaît que Forseti a commis des actes de concurrence déloyale à l’égard des éditeurs, résultant de la collecte illicite de décisions de justice. Elle condamne la société à verser 40 000 € à chacune des appelantes, ainsi que 10 000 € supplémentaires aux Éditions Dalloz et à LexisNexis, victimes de publicité comparative.

Elle ordonne en outre à Forseti de publier, pendant 60 jours et sous astreinte, l’extrait suivant sur la page d’accueil de son site internet : « Par arrêt en date du 7 mai 2025, la cour d’appel de Paris a jugé que la société Forseti a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice des sociétés Éditions Dalloz, Lexbase, LexisNexis, Lextenso et Lamy Liaisons, et a condamné la société Forseti à les indemniser en réparation des préjudices subis de ce fait. »

La cour infirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 février 2023, qui avait débouté les éditeurs de l’ensemble de leurs demandes, et rejette les demandes de Forseti fondées sur la procédure abusive. En revanche, elle confirme la décision de première instance en ce qu’elle a débouté les appelantes de leurs demandes fondées sur les pratiques commerciales trompeuses et le parasitisme. Elle condamne également Forseti à verser 30 000 € à chacune des appelantes au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Sur la question de la collecte des décisions de justice, la cour retient qu’il existe des présomptions graves, précises et concordantes permettant de conclure que Forseti s’est procuré de manière illicite des centaines de milliers de décisions émanant des tribunaux judiciaires de première instance, ainsi que des tribunaux administratifs, en violation notamment de la convention de recherche conclue avec le Conseil d’État. Forseti ayant refusé de produire la convention de partenariat avec le GIE Infogreffe — dont il n’est pas contesté qu’elle a été résiliée —, elle ne justifie pas avoir collecté de manière licite et loyale les 3 millions de décisions des tribunaux de commerce diffusées sur le site doctrine.fr. La société s’est ainsi ménagé un avantage concurrentiel indu par rapport à ses concurrents.

En revanche, la cour a rejeté la demande de suppression de l’intégralité des décisions collectées illégalement, estimant que cette mesure soulèverait d’importantes difficultés d’exécution en raison du volume des données concernées, et qu’elle ne serait pas proportionnée aux objectifs poursuivis, au regard des intérêts en présence — notamment les contrôles opérés par la CNIL et l’esprit de la loi pour une République numérique qui établit un principe de diffusion large des décisions de justice.

« Le pillage numérique ne peut tenir lieu de stratégie économique », ont commenté les éditeurs juridiques dans un communiqué commun, ajoutant que « l’innovation, en toute matière, n’exonère pas du respect des règles de droit ». « Depuis toujours, nos maisons investissent dans la qualité, la rigueur et la transmission du droit, au service des professionnels, des institutions et de l’intérêt général. Nos entreprises continueront à défendre une information juridique exigeante, vérifiée et enrichie, qui repose sur des méthodes transparentes et respectueuses des droits de chacun. Nous œuvrons au quotidien pour la transformation numérique de notre secteur au service des professionnels du droit, mais pas à n’importe quel prix ni selon n’importe quelles méthodes. Le droit, rien que le droit ».

En parallèle de cette procédure civile, un ancien salarié de Doctrine a été condamné le 9 mai 2025 par le tribunal correctionnel de Paris à 18 mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 15 000 € pour atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données. En 2018, il s’était fait passer pour un stagiaire auprès du greffe du tribunal judiciaire de Poitiers et, après avoir réussi à mémoriser les identifiants d’une greffière, s’était connecté à la base de données du ministère de la Justice afin d’y extraire plusieurs dizaine de milliers de décisions. Ces documents avaient ensuite été mis à disposition des abonnés de la plateforme Doctrine. À noter cependant que, selon cette dernière, dès qu’ils avaient eu connaissance des faits reprochés à leur ex-employé en 2018, les dirigeants de l’époque l’avaient immédiatement mis à pied à titre conservatoire, avaient retiré l’ensemble des décisions collectées dans ce contexte, puis l’avaient licencié pour faute grave. Une procédure pénale est néanmoins en cours contre la plateforme, l’éditeur Lexbase ayant porté plainte pour recel de données.

Sources :
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