Modification du bénéficiaire d’une assurance-vie : la Cour de cassation revoit sa jurisprudence
Quelques années après avoir par deux fois modifié la clause bénéficiaire de son assurance-vie, l’assuré décède et l’assureur verse l’intégralité des capitaux des contrats à la première bénéficiaire puis, invoquant son erreur sur l’identité du bénéficiaire des contrats d’assurance sur la vie lors de la libération des fonds, assigne celle-ci en remboursement des sommes indûment perçues.
Selon l’article L. 132-8 du Code des assurances, à défaut d’acceptation par le bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie, le contractant a le droit de substituer un bénéficiaire à un autre, cette substitution pouvant être réalisée soit par voie d’avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du Code civil, soit par voie testamentaire.
Le moyen soulevé par l’assureur pose la question de savoir quelles sont les conditions de validité d’une substitution de bénéficiaire dans un contrat d’assurance sur la vie.
La Cour de cassation juge de manière constante que la liste des formes que peut prendre l’acte de substitution de bénéficiaire, prévue par l’article L. 132-8 précité, n’est pas limitative, que la modification du nom du bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie n’est subordonnée à aucune règle de forme (Cass. 1re civ., 2 déc. 2015, n° 14-27.215) et que l’assuré peut modifier jusqu’à son décès le nom du bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie, dès lors que sa volonté est exprimée d’une manière certaine et non équivoque, ce qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-23.197).
Plusieurs arrêts ont fait référence à la connaissance par l’assureur de la volonté du contractant de substituer un bénéficiaire à un autre, sans pour autant que cette connaissance ait été érigée en condition de la validité de la modification opérée (Cass. 2e civ., 13 sept. 2007, n° 06-18.199).
Toutefois, par deux arrêts rendus les 13 juin 2019 et 10 mars 2022, la deuxième chambre civile a affirmé que, hors le cas d’une substitution de bénéficiaire par voie de testament olographe, la validité d’une telle modification est conditionnée, d’une part, à l’expression d’une volonté certaine et non équivoque du contractant, d’autre part, à la connaissance de cette modification par l’assureur avant le décès de l’assuré (Cass. 2e civ., 13 juin 2019, n° 18-14.954, Cass. 2e civ., 10 mars 2022, n° 20-19.655).
Si cette dernière jurisprudence était justifiée par le souci de s’assurer que la volonté du contractant de modifier le bénéficiaire était résolue et aboutie, elle est néanmoins de nature à se concilier imparfaitement avec les dispositions de l’article L. 132-8 du Code des assurances, qui ne font pas mention de la connaissance de la substitution par l’assureur.
Elle se heurte également aux dispositions de l’article L. 132-25 du même code, duquel il résulte que la connaissance par l’assureur de la substitution de bénéficiaire n’est qu’une condition d’opposabilité de cette modification à l’assureur, et ne conditionne pas sa validité, le paiement fait à celui qui, sans cette modification, y aurait eu droit, étant libératoire pour l’assureur de bonne foi.
En outre, ainsi qu’une majeure partie de la doctrine a pu le relever, la désignation d’un bénéficiaire est un acte unilatéral de volonté et la faculté de substitution n’exige ni le concours du bénéficiaire ni le consentement de l’assureur, lequel ne peut en aucun cas s’opposer à la volonté du contractant.
Enfin, cette solution peut aboutir à ce que soit privée d’effet la volonté d’un contractant de modifier le bénéficiaire du contrat, exprimée selon une forme autre que celles prévues par l’article L. 132-8, alors même que son caractère certain et non équivoque serait établi par des éléments de preuve autres que la connaissance de la substitution par l’assureur avant le décès de l’assuré.
Il se déduit de ce qui précède que la connaissance de cette volonté par l’assureur ne peut pas conditionner la validité de la substitution de bénéficiaire opérée par le contractant.
En conséquence, la jurisprudence rappelée ne peut être maintenue et il convient de juger désormais que la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie, qui n’est subordonnée à aucune règle de forme, suppose seulement, pour sa validité, que la volonté du contractant soit exprimée d’une manière certaine et non équivoque, condition appréciée souverainement par les juges du fond.
Pour rejeter la demande en remboursement formée par l’assureur à l’encontre de la première bénéficiaire, l’arrêt retient que les demandes d’avenant établies par la suite n’ont pas été portées à la connaissance de l’assureur avant le décès de l’assuré et en déduit que ces demandes sont privées d’effet.
Si c’est conformément à l’état du droit issu de la jurisprudence constante que la cour d’appel a conditionné la validité de la substitution de bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie à la connaissance de cette modification par l’assureur avant le décès de l’assuré, il y a lieu à annulation de l’arrêt attaqué en application du présent revirement de jurisprudence.
Sources :