CEDH : la procédure de cassation et le droit d’accès à un tribunal
Invoquant en particulier l’article 6 § 1 de la Conv. EDH, la requérante, ressortissante française, soutient que le rejet de son pourvoi comme étant irrecevable porte une atteinte excessive à son droit d’accès à un tribunal et critique la motivation de l’arrêt rendu par la Cour de cassation.
La Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu ; il se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Cela étant, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable d’une manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, les limitations appliquées ne se concilient avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
il résulte des termes même du premier alinéa de l’article 979 du Code de procédure civile que le demandeur au pourvoi en cassation doit, à peine d’irrecevabilité, produire la décision attaquée ainsi que la décision confirmée ou infirmée par celle-ci dans un délai de quatre mois à compter du pourvoi.
La Cour note que la restriction en cause vise à permettre aux magistrats de la Cour de cassation de disposer rapidement des pièces utiles à l’examen du pourvoi en cassation dont ils sont saisis. Elle convient que cette formalité poursuit un but légitime de bonne administration de la justice et qu’elle vise à garantir la sécurité juridique.
Il reste à la Cour à déterminer si la Cour de cassation, en faisant application en l’espèce de ces règles, a ménagé un juste équilibre entre les intérêts en présence et respecté un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
En l’espèce, la requérante admet que son avocat a commis une erreur en transmettant un jugement du TGI au lieu d’un jugement postérieur du TI, qui correspond à la décision confirmée par l’arrêt attaqué. Elle souligne cependant qu’elle s’est acquittée de l’ensemble de ses autres obligations procédurales avec diligence.
À cet égard, la Cour relève que la requérante a complété ses productions dès que le greffe de la Cour de cassation en a fait la demande expresse et sans délai, avant même qu’un rapporteur soit désigné pour instruire l’affaire. Concrètement, l’erreur commise par la requérante n’a donc pas eu pour effet de retarder l’examen du pourvoi, le rapporteur ayant disposé dès sa désignation d’un dossier complet et ayant pu procéder à un examen approfondi de l’affaire. La Cour considère donc que l’erreur commise par le conseil de la requérante est minime, et correspond à une simple confusion dans la transmission d’une pièce à la place d’une autre et ne traduit donc ni de la désinvolture ni une volonté quelconque de dissimulation, lesquelles doivent évidemment pouvoir être sanctionnées procéduralement. En l’espèce, elle observe que la finalité poursuivie par la règle procédurale litigieuse a pleinement été atteinte. Dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour estime que l’erreur commise par le conseil de la requérante n’a eu aucune incidence sur la bonne administration de la justice et sur la sécurité juridique.
Concernant le formalisme excessif, la Cour rappelle que l’observation des règles formelles de procédure civile, qui permettent aux parties de faire trancher un litige civil, est utile et importante, car elle est susceptible de limiter le pouvoir discrétionnaire, d’assurer l’égalité des armes, de prévenir l’arbitraire, de permettre qu’un litige soit tranché et jugé de manière effective et dans un délai raisonnable, et de garantir la sécurité juridique et le respect envers le tribunal. Elle estime que le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 n’impose pas aux autorités judiciaires d’inviter les parties à régulariser la procédure chaque fois que la méconnaissance d’une formalité est constatée.
Pour autant, la Cour observe en premier lieu que le second alinéa de l’article 979 précité permet de compléter des productions incomplètes ou erronées dans certaines conditions. Ces dispositions ont été introduites par un décret du 6 novembre 2014 dans le but d’éviter de prononcer une sanction procédurale disproportionnée en cas de défaut de remise de certaines pièces.
Or, la Cour de cassation a refusé de considérer la production du jugement du TGI comme une « erreur matérielle » susceptible de régularisation au sens du second alinéa de ce texte.
La Cour constate en second lieu que cette cause d’irrecevabilité a été soulevée d’office et à un stade avancé de la procédure, après qu’un rapport détaillé avait été déposé et à la suite d’un changement de rapporteur, et ce alors même que le dossier avait été complété avec célérité dès la demande du greffe de la Cour de cassation. Or, le droit interne n’imposait pas de relever d’office un tel moyen. La règle procédurale a donc été appliquée comme une barrière empêchant de trancher une affaire pourtant prête à être jugée.
La Cour de cassation a donc effectué une interprétation et une application particulièrement rigoureuse de la règle procédurale en cause. La Cour estime que celles-ci n’étaient pas nécessaires à la bonne administration de la justice et à la sécurité juridique dans les circonstances particulières de l’espèce et en conclut que la requérante a dû supporter une charge excessive.
La Cour conclut que l’irrecevabilité du pourvoi en cassation de la requérante a porté une atteinte disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal. Cette conclusion suffit à constater la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Sources :