Recevabilité de la déclaration d’appel : revirement de jurisprudence
À presque deux mois d’intervalle, un justiciable interjette deux appels déclarés irrecevables par le conseiller de la mise en état.
Selon l’article L. 311-1, alinéa 1, du Code de l’organisation judiciaire, la cour d’appel connaît, sous réserve des compétences attribuées à d’autres juridictions, des décisions judiciaires, civiles et pénales, rendues en premier ressort.
Aux termes de l’article R. 311-3 du même code, sauf disposition particulière, la cour d’appel connaît de l’appel des jugements des juridictions situées dans son ressort.
La Cour de cassation juge depuis 2009 (Cass. 2e civ., 9 juill. 2009, n° 06-46.220) qu’une cour d’appel qui, tenue de vérifier la régularité de sa saisine, constate que l’appel d’un jugement a été formé devant une cour dans le ressort de laquelle n’est pas située la juridiction dont émane la décision attaquée, en déduit exactement que l’appel n’est pas recevable.
Toutefois, en ce qui concerne la compétence exclusive attribuée en matière commerciale à certaines juridictions, la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation, qui jugeait depuis 2013 (Cass. com., 24 sept. 2013, n° 12-21.089) que, la cour d’appel de Paris étant seule investie du pouvoir de statuer sur les recours formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce, la méconnaissance de ce pouvoir juridictionnel exclusif était sanctionnée par une fin de non-recevoir, laquelle devait être relevée d’office a, dans un arrêt du 18 octobre 2023 (Cass. com., 18 oct. 2023, n° 21-15.378), jugé que la règle découlant de l’application combinée des articles L. 442-4, III, et D. 442-2, du Code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier texte pour connaître de l’application des dispositions de l’article L. 442-1, institue une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.
Depuis un arrêt (Cass. com., 29 janv. 2025, n° 23-15.842), elle juge que la règle d’ordre public découlant de l’application combinée des mêmes articles, désignant la cour d’appel de Paris seule compétente pour connaître des décisions rendues par lesdites juridictions, institue une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.
Les évolutions jurisprudentielles opérées par la chambre commerciale concernent la compétence d’attribution exclusive des juridictions spécialisées.
Cependant, la question se pose de savoir si la règle d’ordre public relative à la compétence territoriale d’une cour d’appel, prévue à l’article R. 311-3 du Code de l’organisation judiciaire, relève des exceptions d’incompétence ou des fins de non-recevoir.
La jurisprudence issue de l’arrêt du 9 juillet 2009 précité a fait l’objet d’importantes critiques de la doctrine. Elle a également été source de complexité pour les praticiens, et de restrictions de l’accès au juge d’appel, que les évolutions postérieures n’ont que partiellement atténuées (Cass. 2e civ., 5 oct. 2023, n° 21-21.007).
Il y a donc lieu de revenir sur cette jurisprudence et de considérer désormais que la saisine d’une cour d’appel territorialement incompétente n’est pas sanctionnée par une fin de non-recevoir mais relève des exceptions d’incompétence régies par les articles 75 à 82-1 du Code de procédure civile.
Une telle interprétation est conforme à la lettre de l’article R. 311-3 susvisé, comme à celle de l’article 75 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, lequel se réfère à la notion de compétence des juridictions de première instance et d’appel.
Les articles L. 311-1 et R. 311-3 mentionnés, dispositions d’ordre public de portée générale du Code de l’organisation judiciaire, confèrent plénitude de juridiction aux cours d’appel, sur l’appel des jugements de leurs ressorts sauf disposition particulière et définissent par là-même une compétence exclusive des cours d’appel.
À cet égard, il résulte de l’article 77 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, qu’en matière contentieuse, le juge peut relever d’office son incompétence territoriale dans les cas où la loi attribue compétence exclusive à une autre juridiction.
Il résulte de ce qui précède que la saisine d’une cour d’appel territorialement incompétente relève des exceptions d’incompétence et non des fins de non-recevoir.
Ce revirement de jurisprudence tend à favoriser l’accès au juge d’appel en assouplissant le régime des sanctions tout en poursuivant l’objectif d’une bonne administration de la justice.
Si c’est conformément à une doctrine antérieure que la cour d’appel déclare irrecevable la déclaration d’appel aux motifs que la seconde déclaration d’appel n’a été formée ni dans le délai d’un mois suivant la notification du jugement du conseil des prud’hommes, ni dans le délai d’un mois suivant la déclaration d’appel adressée initialement à la cour d’appel de Paris et qui a été déclarée irrecevable et qu’il résulte des articles 2241, 2242 et 2243 du Code civil que la demande en justice, même portée devant une juridiction incompétente, interrompt le délai de prescription ainsi que de forclusion, que l’interruption en résultant, qui produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance, est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance ou si sa demande est définitivement rejetée, le présent revirement conduit à l’annulation de l’arrêt attaqué.
Sources :