Agent commercial : indemnité de rupture du contrat. La Cour de cassation modifie sa jurisprudence

Publié le 29/11/2022

La cour d’appel relève d’abord, d’un côté, que le contrat d’agence commerciale stipule que l’agent « ne peut accepter la représentation de produits susceptibles de concurrencer ceux faisant l’objet du présent contrat », de l’autre, qu’il reconnaît avoir exercé, postérieurement, une activité d’agent commercial également pour une entreprise concurrente. Elle retient ensuite que l’agent ne rapporte pas la preuve que, depuis la date de signature du contrat le liant à son mandant, ce dernier était informé de cette activité concurrente et l’avait tolérée, et que la tolérance du mandant ne peut être déduite de l’existence dans le passé de relations d’affaires entre lui et l’entreprise concurrente.

Ayant ainsi fait ressortir que l’insertion dans le contrat de la clause interdisant toute représentation d’une entreprise concurrente remet en cause la tolérance que le mandant a pu antérieurement consentir à l’agent pour entretenir des relations d’agent commercial au profit de l’entreprise concurrente, la cour d’appel peut déduire qu’en poursuivant ses relations avec cette société concurrente, l’agent a commis une faute grave.

Aux termes de l’article L. 134-12, alinéa 1 du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. Selon l’article L. 134-13, ces deux articles transposant la directive européenne relative aux agents commerciaux indépendants, la réparation prévue à l’article L. 134-12 n’est pas due notamment lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent commercial.

La chambre commerciale, financière et économique juge régulièrement que les manquements graves commis par l’agent commercial pendant l’exécution du contrat, y compris ceux découverts par son mandant postérieurement à la rupture des relations contractuelles, sont de nature à priver l’agent commercial de son droit à indemnité (Cass. com., 1er juin 2010, n° 09-14115, Cass. com., 24 nov. 2015, n° 14-17747, Cass. com., 19 juin 2019, n° 18-11727).

Toutefois, la CJUE (CJUE, 28 oct. 2010, n° C-203/09, Volvo Car Germany GmbH), a rappelé, que, « aux termes de l’article 18, sous a), de la directive, l’indemnité qui y est visée n’est pas due lorsque le commettant a mis fin au contrat » pour  « un manquement imputable à l’agent commercial et qui justifierait, en vertu de la législation nationale, une cessation du contrat sans délai », que « en tant qu’exception au droit à indemnité de l’agent, l’article 18, sous a), de la directive est d’interprétation stricte. Partant, cette disposition ne saurait être interprétée dans un sens qui reviendrait à ajouter une cause de déchéance de l’indemnité non expressément prévue par cette disposition » et considéré que « lorsque le commettant ne prend connaissance du manquement de l’agent commercial qu’après la fin du contrat, il n’est plus possible d’appliquer ce mécanisme. Par conséquent, l’agent commercial ne peut pas être privé de son droit à indemnité en vertu de cette disposition lorsque le commettant établit, après lui avoir notifié la résiliation du contrat moyennant préavis, l’existence d’un manquement de cet agent qui était de nature à justifier une résiliation sans délai de ce contrat. »

La CJUE a aussi énoncé, dans un arrêt du 19 avril 2018 (CJUE, 19 avr. 2018, n° C-645/16, CMR c/ Demeures terre et tradition SARL), que toute interprétation de l’article 17 de cette directive qui pourrait se révéler être au détriment de l’agent commercial est exclue.

En considération de l’interprétation qui doit être donnée aux articles précités du Code de commerce, il apparaît nécessaire de modifier la jurisprudence de cette chambre et de retenir désormais que l’agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.

Pour rejeter la demande d’indemnité de rupture formée par l’agent, l’arrêt retient qu’il importe peu que, découvert postérieurement à la rupture, un manquement à l’obligation de loyauté ne soit pas mentionné dans la lettre de résiliation si ce manquement, susceptible de constituer une faute grave, a été commis antérieurement à cette rupture.

Aux termes de l’article L. 134-7 du Code de commerce, pour toute opération commerciale conclue après la cessation du contrat d’agence, l’agent commercial a droit à sa commission, soit lorsque l’opération est principalement due à son activité au cours du contrat d’agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, soit lorsque, dans les conditions prévues à l’article L. 134-6, l’ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l’agent commercial avant la cessation du contrat d’agence. Selon l’article R. 134-3 du même code, l’agent commercial a le droit d’exiger de son mandant qu’il lui fournisse toutes les informations, en particulier, un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues.

Viole ces textes la cour d’appel qui, pour rejeter la demande de communication de documents comptables, retient que l’agent n’apporte aucun élément de nature à justifier une activité particulière de sa part dans les départements visés et auprès des clients concernés avant la date de cessation du contrat ayant généré des opérations conclues principalement grâce à son activité, dans un délai raisonnable après cette date, alors que l’agent commercial était en droit d’exiger de son mandant la communication de tous les documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions susceptibles de lui être dues.

NOTE : Voir aussi Cass. com., 16 nov. 2022, n° 21-10126

Sources :
Rédaction
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