Protection de l’appellation d’un fromage : office du juge

Publié le 27/04/2021

Reprochant à une société de porter atteinte à l’AOP « Morbier » et de commettre des actes de concurrence déloyale et parasitaire en fabriquant et en commercialisant un fromage reprenant l’apparence visuelle du produit protégé par cette AOP afin de créer la confusion avec celui-ci et de profiter de la notoriété de cette appellation d’origine sans avoir à se plier à son cahier des charges, le syndicat interprofessionnel de défense et de gestion pour la protection du Morbier l’assigne afin qu’elle soit condamnée à cesser toute pratique portant atteinte à l’AOP « Morbier » et à indemniser son préjudice. L’article 13 du règlement (CE) n° 510/2006 puis l’article 13 du règlement (UE) n° 1152/2012 octroyant aux AOP une protection dans les seuls États membres, le moyen qui allègue une atteinte à l’AOP « Morbier » commise hors du territoire de l’Union européenne par le seul renouvellement d’une marque américaine, sans risque d’évocation dans l’esprit du consommateur européen, est sans portée. Mais répondant à une question préjudicielle, la CJUE a dit pour droit que les dispositions européennes relatives à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’interdisent pas uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée mais aussi la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée lorsque cette reproduction est susceptible d’amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par cette dénomination enregistrée. La cour d’appel de Paris rejette les demandes du syndicat aux motifs que la réglementation sur les AOP ne vise pas à protéger l’apparence d’un produit ou ses caractéristiques décrites dans le cahier des charges, mais sa dénomination, de sorte qu’elle n’interdit pas la fabrication d’un produit selon les mêmes techniques que celles définies dans les normes applicables à l’indication géographique et qu’en l’absence de droit privatif, la reprise de l’apparence d’un produit n’est pas fautive mais relève de la liberté du commerce et de la libre concurrence. Elle constate que les caractéristiques invoquées par le syndicat relèvent d’une tradition historique et ont été mises en oeuvre par la société avant même l’obtention de l’AOP « Morbier », et qu’elles ne reposent pas sur des caractéristiques que le syndicat ou ses membres auraient réalisées. Elle relève en outre que le trait bleu horizontal est une technique ancestrale qui se retrouve dans d’autres fromages. Elle retient que les deux fromages ne sauraient être assimilés par la caractéristique du charbon végétal puisque depuis plusieurs années la société mise en cause l’a remplacé par du polyphénol de raisin et qu’il existe d’autres différences notamment en ce que le Morbier utilise du lait cru, caractéristique essentielle dès lors que le public auquel est destiné le fromage incriminé est celui des cantines et des hôpitaux. Elle en déduit que le syndicat tente d’étendre la protection dont bénéficie la dénomination « Morbier » dans un intérêt commercial illégitime et contraire au principe de la libre concurrence. Ce faisant, la cour d’appel prive sa décision de base légale. En effet, elle aurait dû rechercher si le trait bleu horizontal ne constitue pas une caractéristique de référence et particulièrement distinctive du fromage « Morbier » et, dans l’affirmative, si sa reproduction, combinée avec tous les facteurs pertinents de l’espèce, n’est pas susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit litigieux.

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