Sociétés en formation : modification de jurisprudence et office du juge

Publié le 04/12/2023

Sociétés en formation : modification de jurisprudence et office du juge

Il résulte des articles L. 210-6 et R. 210-6 du Code de commerce que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société.

La Cour de cassation juge depuis de nombreuses années que ne sont susceptibles d’être repris par la société après son immatriculation que les engagements expressément souscrits « au nom » (Cass. com., 22 mai 2001, n° 98-19742) ou « pour le compte » (Cass. com., 11 juin 2013, n° 11-27356) de la société en formation, et que sont nuls les actes passés « par » la société, même s’il ressort des mentions de l’acte ou des circonstances que l’intention des parties était que l’acte soit accompli en son nom ou pour son compte (Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, n° 09-72855, Cass. com., 21 févr. 2012, n° 10-27630).

Cette jurisprudence repose sur le caractère dérogatoire du système instauré par la loi, lequel permet de réputer conclus par une société des actes juridiques passés avant son immatriculation. Elle vise à assurer la sécurité juridique, dès lors que la présence d’une mention expresse selon laquelle l’acte est accompli « au nom » ou « pour le compte » d’une société en formation protège, d’un côté, le tiers cocontractant, en appelant son attention sur la possibilité, à l’avenir, d’une substitution de plein droit et rétroactive de débiteur, et, de l’autre, la personne qui accomplit l’acte « au nom » ou « pour le compte » de la société, en lui faisant prendre conscience qu’elle s’engage personnellement et restera tenue si la société ne reprend pas les engagements ainsi souscrits.

Cette solution a pour conséquence que l’acte non expressément souscrit « au nom » ou « pour le compte » d’une société en formation est nul et que ni la société ni la personne ayant entendu agir pour son compte n’auront à répondre de son exécution, à la différence d’un acte valable, mais non repris par la société, qui engage les personnes ayant agi « au nom » ou « pour son compte ». Elle se révèle ainsi produire des effets indésirables en étant parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements, et a paradoxalement pour conséquence de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger, sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants, qui, en cas d’annulation de l’acte, se trouvent dépourvus de tout débiteur.

L’exigence selon laquelle l’acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu’il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résultant pas explicitement des textes régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation, il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits.

Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui, pour annuler le bail commercial, retient que le contrat a été signé par une personne et une société en leur qualité de représentants de la société en formation, et non pas au nom de cette société, alors que celle-ci n’était pas encore constituée, sans rechercher s’il ne résultait pas, non seulement des mentions de l’acte, mais aussi de l’ensemble des circonstances que, nonobstant une rédaction défectueuse, la commune intention de cette personne physique et la société, d’un côté, et des bailleurs, de l’autre, était que l’acte fût passé au nom ou pour le compte de la société en formation.

Sources :
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