Pouvoirs de l’Autorité de la concurrence dans le domaine des AMM

Publié le 08/06/2022

L’Autorité de la concurrence, considérant qu’une société s’est immiscée indûment dans la procédure nationale d’examen des demandes d’autorisation de mise sur le marché (AMM), par une intervention juridiquement infondée auprès de l’Agence française du médicament afin de la convaincre de refuser l’octroi, au niveau national, du statut de générique à des spécialités concurrentes en dépit de l’obtention de ce statut au niveau européen, et avait, une fois ces autorisations octroyées, diffusé un discours dénigrant sur ces spécialités auprès de professionnels de santé exerçant en milieu hospitalier et en ville, a infligé une sanction pécuniaire à cette société et à la société mère, pour abus de position dominante entrant dans le champ d’application des articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et L. 420-2 du Code de commerce.

La cour d’appel de Paris rappelle que l’Autorité, qui peut être saisie de toute pratique susceptible de constituer une infraction aux règles de concurrence, quel que soit le secteur d’activité concerné, a le devoir, aux fins d’apprécier leur éventuel caractère anticoncurrentiel, de replacer les pratiques incriminées dans leur contexte juridique – qui diffère suivant le marché sur lequel les pratiques se déroulent – et factuel. Elle en déduit que l’Autorité n’a pas outrepassé ses pouvoirs en déterminant, au préalable, le cadre juridique et factuel dans lequel s’inscrivait l’intervention de la société auprès de l’Agence du médicament, sans se considérer liée par l’analyse juridique que celle-ci, ou son directeur général, avaient pu suivre dans le cadre du dossier des spécialités concernées.

Elle relève qu’en considérant que la décision de la Commission européenne avait définitivement tranché la question de la qualité de générique des spécialités, au sens tant du droit de l’Union que du droit français, l’Autorité ne s’est pas immiscée dans le fonctionnement de l’Agence, dès lors que cette appréciation n’a en rien empiété sur le traitement du dossier des spécialités par cette autorité ou son directeur général ni sur les décisions qu’ils ont pu prendre, et que l’Autorité, qui n’était saisie d’aucun recours contre les décisions de l’Agence ou de son directeur général et n’aurait d’ailleurs pas été compétente pour en connaître, ne s’est pas prononcée sur la légalité de ces décisions. Elle estime également que l’Autorité était fondée à rechercher si les comportements de la société, qui commercialisait le médicament depuis plusieurs années, ne tendaient pas à préserver sa position sur le marché des spécialités à base de fentanyl et que le fait que l’Agence fût, sans conteste, compétente pour délivrer des AMM aux spécialités concernées, et son directeur général pour les inscrire dans le répertoire des groupes génériques, n’interdit nullement à l’Autorité d’apprécier si la société s’est efforcée, par des moyens étrangers à une concurrence par les mérites, d’empêcher ou retarder ces délivrance et inscription. Elle relève enfin que l’Autorité ne s’est, à aucun moment, prononcée sur l’éventuel caractère anticoncurrentiel des décisions de l’Agence ou de son directeur général, de sorte que la question de savoir si ces décisions sont détachables de l’exercice de prérogatives de puissance publique excluant la compétence de l’Autorité ne se pose pas.

L’arrêt énonce ensuite que s’il résulte de l’arrêt de la CJUE (CJUE, 23janv. 2018, n° C-179/16, Hoffmann-Laroche) que la vérification de la conformité au droit de l’Union des conditions dans lesquelles un médicament est, du côté de la demande, prescrit par les médecins, et, du côté de l’offre, reconditionné en vue de son utilisation hors AMM, n’incombe pas aux autorités nationales de la concurrence, mais aux autorités ayant compétence pour contrôler le respect de la réglementation pharmaceutique, c’est parce qu’une telle vérification implique des appréciations complexes de nature scientifique. Il déduit qu’il n’en résulte pas l’impossibilité pour une autorité de concurrence d’établir le cadre juridique dans lequel se sont inscrites les pratiques sanctionnées.

Ainsi la cour d’appel, faisant ressortir que des appréciations scientifiques n’étaient pas requises, au cas d’espèce, pour analyser la réglementation juridique en cause et que l’Autorité ne s’était pas livrée à de telles appréciations, ne méconnaît ni les pouvoirs et attributions de l’Agence et de son directeur général, ni la séparation des pouvoirs, ni la jurisprudence de la CJUE sur les compétences respectives des autorités sanitaires et des autorités de concurrence, décide à bon droit que l’Autorité était compétente pour qualifier les comportements reprochés à la seule société, au regard des textes précités dont elle est chargée de vérifier le respect et, le cas échéant, de sanctionner les pratiques qui y sont contraires.

Sources :
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