CEDH : les termes de la condamnation pénale et la présomption d’innocence

Publié le 15/07/2024

CEDH : les termes de la condamnation pénale et la présomption d’innocence

Le requérant est un ressortissant français, associé de deux sociétés d’audit et signataire au nom de l’une d’elles. Ces sociétés furent mandatées en qualité de commissaire aux comptes pour un groupe de sociétés commerciales.

Dans le cadre d’une affaire pénale relative aux fraudes affectant les comptes du groupe, le requérant fut mis en examen du chef de confirmation d’informations mensongères par commissaire aux comptes. Parallèlement, il déposa plainte avec constitution de partie civile en tant que victime de délits de faux et usage de faux et d’obstacle aux vérifications ou contrôles de commissaire aux comptes par dirigeant de personne morale.

Le juge d’instruction déclara irrecevable sa constitution de partie civile. La chambre de l’instruction de la cour d’appel, puis la Cour de cassation confirmèrent la décision d’irrecevabilité.

Le requérant se plaint de ce que le raisonnement et les termes de l’arrêt de la cour d’appel et de la Cour de cassation ont méconnu son droit à la présomption d’innocence.

La Cour relève que le requérant a été mis en examen du chef de confirmation d’informations mensongères par commissaire au compte et placé sous le statut de témoin assisté du chef de non-révélation de faits délictueux par commissaire aux comptes. Sa constitution de partie civile, en tant que victime de faits distincts mais connexes (faux et usage de faux, obstacle aux vérifications du commissaire aux comptes), a été déclarée irrecevable.

À cet égard, la Cour précise d’emblée que, dans le cadre de la présente affaire, elle est amenée à se prononcer, au regard de l’article 6 § 2, sur les termes employés par les juridictions, mais non pas sur le bien-fondé de la décision relative à l’irrecevabilité de constitution de partie civile, pas plus que sur la règle procédurale relative à l’accès au dossier d’une personne dont la constitution de partie civile est contestée. Elle considère ainsi que la décision du juge d’instruction relative à l’irrecevabilité de la constitution de partie civile du requérant n’a pas été de nature à méconnaître, en soi, le droit de celui-ci d’être présumé innocent. Elle constate par ailleurs que requérant ne critique pas les termes de l’ordonnance du juge d’instruction.

Pour ce qui est de la chambre de l’instruction, elle a, dans un premier temps, considéré dans son arrêt que le requérant, n’étant pas personnellement engagé par le groupe, n’avait pas la qualité pour agir à titre personnel. Dans un deuxième temps, elle a validé le raisonnement du juge d’instruction, en estimant que celui-ci n’avait pas méconnu le droit à la présomption d’innocence, dès lors qu’il s’était « borné à relever l’existence d’indices à l’encontre des plaignants d’avoir manqué à leurs obligations professionnelles de sorte qu’ils étaient susceptibles de se voir reprocher toute ou partie des faits », et que la plainte apparaissait destinée à tenter de s’exonérer de la responsabilité pénale. De l’avis de la Cour, ces termes, employés à l’égard des sociétés et non pas du requérant et décrivant un état de suspicion, n’ont pas enfreint le droit de ce dernier à la présomption d’innocence.

La Cour de cassation, quant à elle, a confirmé le raisonnement de la chambre de l’instruction, énonçant, en termes généraux et abstraits, que l’irrecevabilité d’une constitution de partie civile pouvait être valablement motivée par « la possible implication » de la personne dans les faits à raison desquels l’information a été ouverte.

Elle a poursuivi qu’il ressortait de la procédure pénale qu’il y avait eu des « manquements graves de la part de ces sociétés, susceptibles de relever de la qualification de non-révélation d’infractions dont elles ne pouvaient ignorer l’existence ». Ce raisonnement consiste à qualifier les agissements des sociétés et non pas du requérant.

En revanche, lorsque la Cour de cassation affirme que le requérant avait « participé à un concert frauduleux visant à masquer une situation financière obérée », de l’avis de la Cour, cette notion est équivoque et s’apparente à la notion de fraude qui ne relève pas de la sphère purement pénale. Cependant, suivie de et aggravée par l’expression « visant à masquer une situation financière obérée », cette phrase acquiert un sens pouvant être raisonnablement interprété comme imputant au requérant la responsabilité pénale pour confirmation d’informations mensongères par commissaire aux comptes, délit pour lequel il était mis en examen.

Compte tenu des termes employés par la Cour de cassation, la Cour conclut donc qu’il y a eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.

Compte tenu des circonstances particulières de l’affaire, la Cour estime approprié de ne pas allouer d’indemnité pour dommage moral. Elle rejette la demande du requérant et dit qu’un constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par celui-ci.

Sources :
Rédaction
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