Le refus du contradictoire et les droits de la défense
Une personne, âgée de 17 ans à l’époque des faits qu’elle évoque, dépose plainte contre un justiciable pour agression sexuelle sur personne dont la particulière vulnérabilité, due à une déficience physique ou psychique, était apparente ou connue de son auteur.
Sur appel de sa condamnation par le prévenu et appel incident de la partie civile sur les dispositions civiles, la cour d’appel annule le jugement déféré pour défaut de motivation, rejette une exception de nullité et renvoie l’examen de l’affaire. Quelques semaines plus tard, cour d’appel ordonne que lui soient transmis les scellés de l’enregistrement de l’audition de la partie civile, afin qu’ils puissent être mis à la disposition de la défense du prévenu, refuse d’ordonner la comparution forcée de la partie civile et renvoie l’examen de l’affaire.
Aucune disposition du Code de procédure pénale ne permet de contraindre la partie civile à comparaître devant la juridiction correctionnelle.
Mais, selon l’article 6 § 3, d°, de la Conv. EDH, toute personne accusée d’une infraction a droit, notamment, à interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.
Selon le second l’article préliminaire du Code de procédure pénale, la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties.
La CDEH juge que le droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge constitue une garantie du droit à l’équité de la procédure, en ce que, non seulement il vise l’égalité des armes entre l’accusation et la défense, mais encore il fournit à la défense et au système judiciaire un instrument essentiel de contrôle de la crédibilité et de la fiabilité des dépositions incriminantes et, par-là, du bien-fondé des chefs d’accusation (CEDH, 14 juin 2016, n° 65400/10, Riahi c/ Belgique.
Elle juge qu’il y a violation de l’article 6, §§ 1 et 3, d), de la Convention s’il n’est pas démontré que les juges ont déployé tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre d’eux pour tenter d’assurer la comparution du témoin dont le témoignage est déterminant au sens de sa jurisprudence (CEDH, 10 avr. 2012, n° 46203/08, Tseber c/ République tchèque).
Elle exige qu’un contrôle minutieux des raisons données pour justifier l’incapacité du témoin à assister au procès soit effectué par les juges en tenant compte de la situation particulière de l’intéressé. Si l’absence de motif sérieux justifiant la non-comparution ne peut en soi rendre un procès inéquitable, elle constitue un élément de poids s’agissant d’apprécier l’équité globale d’un procès (CEDH, 15 déc. 2015, n° 9154/10, Schatschaschwili c/ Allemagne).
S’agissant particulièrement de la personne se déclarant victime d’infractions sexuelles et invoquant la peur d’assister au procès, le juge doit notamment vérifier si toutes les autres possibilités, telles que l’anonymat ou d’autres mesures spéciales, étaient inadaptées ou impossibles à mettre en œuvre (CEDH, 27 févr. 2014, n° 5699/11, Lucic c/ Croatie).
Il s’en déduit qu’au regard des déclarations incriminantes du plaignant et à défaut de confrontation, durant l’enquête, entre la partie civile et le prévenu, il appartient aux juges, d’une part, de mettre en œuvre les moyens procéduraux à leur disposition pour tenter d’assurer la comparution de la partie civile à l’audience, afin de permettre à la défense, qui en avait manifesté la volonté, de l’interroger, d’autre part, de vérifier si l’absence de la partie civile était justifiée par une excuse légitime.
Pour refuser d’ordonner la comparution de la partie civile, les juges indiquent qu’ils auront à rechercher s’il existe dans la procédure des éléments compensateurs permettant de pallier l’absence de toute confrontation avec le prévenu et à défaut d’en tirer toutes les conséquences.
Pour condamner le prévenu pour agression sexuelle aggravée, en l’absence de la partie civile, les juges, après avoir constaté que les poursuites avaient été engagées à la suite des dénonciations de la partie civile et que le prévenu contestait les faits, retiennent que la confrontation entre les parties avait été empêchée par la très grande peur manifestée par la plaignante.
En prononçant ainsi, la cour d’appel méconnaît les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
En effet, la partie civile n’a jamais été confrontée au prévenu, et n’a pas comparu devant les juridictions de jugement, y compris devant la cour d’appel alors qu’elle a été citée par la défense. Constituée partie civile, elle a été représentée à l’audience de la cour d’appel par un avocat, qui, pour expliquer le défaut de comparution à l’audience de sa cliente, a fait état de son lourd handicap et du traumatisme causé par les faits. Cependant, aucun document médical n’a été produit, ni demandé par les juges, pour justifier cet empêchement de comparaître. Les juges n’ont pas ordonné la comparution personnelle de la partie civile à l’audience, y compris par un moyen de télécommunication audiovisuelle sur le fondement de l’article 706-71, alinéa 3, du Code de procédure pénale, alors qu’ils disposaient de cette faculté sans pour autant user de la contrainte.
Ils n’ont pas davantage ordonné une expertise pour vérifier si la comparution de la partie civile, à l’audience ou en visioconférence, se heurtait à un obstacle insurmontable.
Sources :