Point de départ de la prescription d’un meurtre : la chambre criminelle reste inflexible
Une jeune femme avait garé son véhicule devant un immeuble dans lequel elle était entrée. Deux témoins avaient entendu un cri long et dégressif. Elle n’avait plus réapparu.
Après une enquête dans l’intérêt des familles, immédiatement déclenchée, une information contre personne non dénommée des chefs d’arrestation et séquestration arbitraire est ouverte, qui se conclut par une ordonnance de non-lieu, confirmée par un arrêt de la chambre d’accusation contre lequel un pourvoi est formé, qui est rejeté.
Plusieurs années plus tard, le procureur de la République ordonne une enquête préliminaire à la suite de la réception d’une lettre du frère de la disparue et ouvre une nouvelle information.
Vingt-six ans après la disparition, un homme est interpellé et avoue avoir tué la jeune femme en l’étranglant, à l’occasion d’une altercation provoquée par la circonstance qu’elle s’était, selon lui, mal garée.
Son avocat sollicite notamment l’annulation de sa mise en examen pour cause de prescription de l’action publique et demande sa mise en liberté.
Il résulte de l’article 7 du Code de procédure pénale, dans sa version antérieure à la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 qu’en matière de crime, l’action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite.
Selon l’article 9-3 du même code, tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, suspend la prescription.
Pour rejeter la demande de constatation d’extinction de l’action publique du chef de meurtre à raison de la prescription, l’arrêt attaqué énonce que le meurtre paraît pouvoir être fixé au jour de sa disparition, mais que les investigations alors effectuées dans le cadre de l’enquête de recherche dans l’intérêt des familles puis de l’information ouverte des chefs d’arrestation et séquestration n’ont pas permis de retrouver d’indice de violences ou d’homicide, seuls deux témoins ayant entendu le cri de douleur d’une femme à proximité du lieu où le véhicule de la victime a été découvert, portière ouverte et effets personnels à l’intérieur.
Les juges précisent que seuls les aveux vingt-cinq ans plus tard, ont justifié l’extension de la saisine du magistrat instructeur à des faits qualifiés d’homicide volontaire aggravé et que seuls les rapports d’expertises judiciaires déposés quelques mois après ont confirmé que le crâne découvert était celui de la disparue, de sorte que, jusqu’à cette date, il n’existait pas de raisons plausibles rendant vraisemblable l’existence d’un homicide volontaire, même si la disparition était inquiétante.
Ils ajoutent que la seule dissimulation du corps de la victime d’un meurtre ne caractérise pas un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites pouvant justifier la suspension de la prescription de l’action publique.
Ils en concluent que, d’une part, la dissimulation tant du corps que de la scène de crime puisqu’aucun indice matériel de commission d’un meurtre n’a été trouvé, d’autre part, la personnalité sans histoire de la victime, qui ne pouvaient laisser supposer l’existence d’un meurtre en l’absence d’indice matériel et de mobile, ont constitué un obstacle de fait à l’exercice de l’action publique du chef d’homicide volontaire, dont le délai de prescription de l’action publique n’a commencé à courir, en raison de cette dissimulation destinée à empêcher la connaissance de l’infraction, qu’à partir du jour où celle-ci est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites.
En statuant ainsi, la chambre de l’instruction méconnaît les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
En effet, ni l’absence de mobile résultant de la personnalité de la victime
ni la dissimulation du corps et de la scène du crime ne caractérisent un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites pouvant justifier la suspension de la prescription de l’action publique, laquelle avait, au demeurant, été mise en mouvement, dès le mois de mai 1986, des chefs d’arrestation et séquestration arbitraires.