Traite d’êtres humains ou livraison pour mariage arrangé ?
Un couple est interpellé à la frontière serbe, accompagné d’une mineure, dont il détient un extrait d’acte de naissance et une fausse autorisation parentale de sortie du territoire.
L’enquête, puis l’information judiciaire, permettent d’établir que ces deux personnes ont transporté au moins cinq jeunes filles mineures depuis des pays de l’Est de l’Europe vers des pays de l’Ouest, munies de faux papiers d’identité ou documents administratifs afin de les marier à de jeunes hommes de la communauté Rom, moyennant rémunération.
Le tribunal correctionnel condamne l’époux à sept ans d’emprisonnement, ordonne une mesure de confiscation et prononce sur les intérêts civils.
Pour relaxer le prévenu du chef de traite des êtres humains, l’arrêt attaqué énonce que cette infraction suppose, entre autres conditions, que l’auteur ait poursuivi un but particulier, soit la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d’agressions ou d’atteintes sexuelles, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, ou bien qu’il ait voulu contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit.
Les juges relèvent que, à l’exception de quelques propos inappropriés relatifs à la virginité des jeunes filles destinées au mariage, aucun élément de la procédure ne permet d’incriminer le prévenu dans la poursuite de l’un des buts particuliers fixés par la loi et notamment celui tendant à offrir des jeunes filles à des hommes en vue d’une atteinte ou d’une agression sexuelle.
Ils ajoutent que le prévenu a uniquement reconnu avoir arrangé des mariages selon la tradition Rom, mais a toujours contesté avoir mis les jeunes filles à la disposition de leurs futurs maris en poursuivant un autre but que de préparer leur mariage.
Ils retiennent que le ministère public ne démontre pas que ces mariages traditionnels visaient à dissimuler un mode d’exploitation sexuelle de ces jeunes filles par la commission d’atteintes ou d’agressions sexuelles.
Ils exposent que ces jeunes filles n’ont subi aucune atteinte ou agression sexuelle, soit parce qu’elles étaient majeures, soit parce que leur futur époux était mineur, et qu’aucun élément de contrainte à leur encontre n’a été relevé.
Ils ajoutent que l’incrimination poursuivie a pour but d’éradiquer le commerce des êtres humains afin de combattre des comportements d’esclavagisme particulièrement destructeurs pour la dignité humaine et inscrits dans un contexte économique mondial. Ils considèrent que l’aspect mercantile d’un mariage arrangé, même s’il relève d’une pratique culturelle, est moralement choquant. Ils soulignent que, cependant, les comportements imputés au prévenu, dont il n’est pas démontré qu’il était motivé par une volonté de livrer les jeunes filles à leurs futurs maris aux fins d’agressions sexuelles, d’atteintes sexuelles ou de toute autre forme d’exploitation sexuelle, ne caractérisent pas l’infraction définie à l’article 225-4-1 du Code pénal, qui doit être interprété strictement.
En prononçant ainsi, la cour d’appel justifie sa décision.
En premier lieu, elle énonce exactement que l’infraction de traite des êtres humains n’est constituée que si la victime est mise à disposition afin d’être contrainte à commettre tout crime ou délit, ou de permettre la commission envers elle de l’une des infractions prévues, limitativement, à l’article précité.
En second lieu, dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation, les juges relèvent qu’en l’espèce, les seules infractions, prévues par le texte précité, susceptibles d’avoir été favorisées par l’intervention du prévenu à l’encontre des jeunes filles mineures, sont celles d’agressions sexuelles ou d’atteintes sexuelles.
Ils constatent, à cet égard, d’une part, que les âges respectifs des victimes et de leurs fiancés ne permettent pas d’envisager la commission d’atteintes sexuelles. Ils relèvent, d’autre part, qu’aucune contrainte, violence, menace ou surprise n’a été exercée contre les jeunes filles, ce dont ils concluent, après avoir vérifié qu’aucune d’entre elles n’a ensuite été soumise, contre son gré, à des faits de nature sexuelle, que le risque que des agressions sexuelles aient pu être facilitées à raison des faits reprochés au prévenu n’est pas caractérisé.
Sources :