Conséquence de l’irrégularité de la procédure de rectification de droits d’enregistrement

Publié le 05/09/2023
Conséquence de l’irrégularité de la procédure de rectification de droits d’enregistrement
Cour de cassation Chambre civile (Photo : ©P. Cabaret)

L’administration fiscale adresse un couple et leurs enfants des propositions de rectification portant sur les droits d’enregistrement au titre des donations que le couple a fait à ses enfants de l’usufruit d’actions d’une société holding.

L’un des enfants n’ayant pas été destinataire de la décision de rejet de la réclamation contentieuse notifiée par l’administration fiscale, il n’a dès lors pas pu contester devant le TGI la décision opposée dont il est solidaire dans le paiement des droits supplémentaires rappelés.

Selon l’article 1705 du Code général des impôts, les droits des actes à enregistrer ou à soumettre à la formalité fusionnée sont acquittés par les parties, pour les actes sous signature privée qu’elles ont à faire enregistrer.

La Cour de cassation juge, depuis 2008, de manière constante, que, si l’administration fiscale peut choisir d’adresser la proposition de rectification à l’un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure ensuite suivie doit être contradictoire et la loyauté des débats l’oblige à notifier les actes de celle-ci à tous les redevables (Cass. com. 18 nov. 2008, n° 07-19762, Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-30396), à moins que ces derniers ne se soient donné mandat exprès de représentation et pour autant qu’elle ait pu en découvrir l’identité ou que celle-ci lui ait été révélée.

Cette jurisprudence, initialement applicable à la procédure de rectification visée aux articles L. 54 B à L. 64 C du Livre des procédures fiscales, a été étendue à la phase contentieuse préalable auprès de l’administration visée à l’article L. 198 A du même livre (Cass. com., 12 déc. 2018, n° 17-11861) et à la procédure de recouvrement visée aux articles L. 252 à L. 283 F de ce livre (Cass. com., 25 mars 2014, n° 12-27612).

Prenant en compte le caractère contradictoire de la procédure fiscale et l’obligation de loyauté qu’il incombe à l’administration de respecter à l’égard de chaque contribuable, cette jurisprudence aménage le régime de la solidarité fiscale. Elle contribue, par ailleurs, à favoriser la sécurité juridique, sans porter atteinte à la garantie de recouvrement de la créance de l’État, car elle permet, d’une part, à l’administration d’agir en paiement de l’intégralité de sa créance contre n’importe lequel des débiteurs solidaires, d’autre part, à chaque codébiteur, solidaire de la dette fiscale, de participer à la procédure administrative et de s’y défendre.

Ainsi, l’obligation de notification des actes par l’administration fiscale à tous les redevables solidaires, tout au long de la procédure suivant la notification de la proposition de rectification, les met chacun en mesure d’opposer à celle-ci les exceptions personnelles dont ils sont susceptibles de se prévaloir et les exceptions communes à tous les codébiteurs, assurant ainsi une protection effective des droits de la défense.

En outre, la Cour de cassation juge que l’irrégularité tirée du non-respect de cette exigence peut être soulevée par l’un quelconque des débiteurs solidaires, y compris par celui qui a été effectivement destinataire des actes, sans qu’il lui soit besoin d’établir un grief (Cass. com., 26 févr. 2013, n° 12-13877).

En effet, chaque acte de la procédure fait nécessairement grief à chaque codébiteur solidaire en raison des risques d’une action récursoire ultérieure et de sa répercussion sur son patrimoine. L’absence de notification des actes aux codébiteurs solidaires fait grief également à celui contre lequel la procédure est menée, dès lors qu’il est privé, d’une part, des moyens de défense portant sur la régularité de la procédure ou le bien-fondé de l’imposition que les autres auraient pu invoquer au cours de la procédure, d’autre part et indépendamment de son fait, de l’exercice loyal d’une action récursoire.

Par ailleurs, le respect de la procédure contradictoire et la loyauté des débats impliquent que les actes soient notifiés dès leur établissement au cours de la procédure administrative à tous les débiteurs solidaires afin que ceux-ci puissent participer de façon utile à la procédure. C’est en ce sens que la Cour juge que la notification de l’AMR à un débiteur solidaire au cours de l’instance d’appel est tardive (Cass. com., 18 mars 2020, n° 17-31233).

Enfin, s’agissant des conséquences de cette irrégularité, dans le cas où celle-ci intervient au cours de la procédure de rectification, la Cour de cassation, statuant au fond, a déclaré irrégulière la procédure fiscale, nul l’AMR et ordonné la décharge des droits et pénalités (Cass. com., 18 mars 2020, n° 17-31233).

S’agissant d’une irrégularité concernant la phase contentieuse préalable, elle a approuvé les juges du fond de retenir que, faute de notification à tous les codébiteurs solidaires de la décision de rejet de la réclamation formée par l’un d’eux, la procédure ne pouvait, en l’état, donner lieu à recouvrement (Cass. com., 12 déc. 2018, n° 17-11861).

Lorsque l’irrégularité est commise au cours de la procédure de recouvrement, elle juge que les actes en cause sont inopposables à l’intéressé, faute de notification personnelle régulière.

Soutenant que la jurisprudence de la Cour de cassation aboutit à sanctionner de façon excessive, par la décharge totale de la dette fiscale à l’égard de tous les codébiteurs solidaires, le fait que l’un d’entre eux n’ait pas reçu une notification valable de l’administration, l’avocat général est d’avis que le défaut de notification à l’égard de l’un des redevables solidaires de la dette fiscale constitue une exception personnelle ayant pour effet, non pas d’entraîner la décharge totale de l’imposition à l’égard de tous, mais seulement de libérer le codébiteur solidaire qui n’a pas reçu notification de sa part dans la dette, les autres codébiteurs solidaires profitant de cette libération à concurrence de cette part.

Or, une telle solution porterait atteinte à l’unicité de la dette fiscale, au principe selon lequel l’administration ne peut renoncer à recouvrer l’impôt et à l’exigence du respect du caractère contradictoire de la procédure s’imposant à l’administration à l’égard de chaque contribuable.

Toutefois, il apparaît nécessaire de préciser la portée de l’irrégularité résultant du défaut de notification d’un acte de la procédure administrative à tous les redevables solidaires en jugeant désormais qu’une telle irrégularité n’atteint la procédure, à quelque stade que celle-ci se trouve, qu’après l’acte qui n’a pas fait l’objet d’une notification régulière.

L’administration fiscale dispose ainsi, tant que la prescription n’est pas acquise, de la faculté de régulariser cette procédure en procédant à une nouvelle notification de l’acte en cause à l’ensemble des redevables solidaires.

Il s’ensuit que, lorsque l’irrégularité intervient au cours de la procédure de rectification, le défaut de notification d’un acte à tous les redevables solidaires entraîne l’irrégularité des actes subséquents, l’annulation de l’AMR et la décharge des droits et pénalités.

En revanche, lorsque l’irrégularité intervient au cours de la phase contentieuse préalable, celle-ci, postérieure à l’AMR, ne saurait entraîner la décharge des droits et pénalités.

Enfin, le défaut de notification des actes de la procédure administrative à tous les redevables solidaires n’est pas susceptible d’être régularisé par une notification en cours d’instance.

En conséquence, le défaut de notification de la décision de rejet de la réclamation contentieuse à l’un des débiteurs solidaires de la dette fiscale n’entraîne pas l’irrégularité de l’ensemble de la procédure engagée par l’administration fiscale, ni la décharge des droits mais remet uniquement les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la notification irrégulière.

NOTE : Voir aussi Cass. com., 30 août 2023, n° 21-123707

Sources :
Rédaction
Plan