CEDH : Respect de la procédure et intérêt supérieur de l’enfant remis à sa mère résidant en France
Les requérants sont un père et son fils, respectivement de nationalité française et de nationalité française et portugaise. À la suite de la séparation des parents, le tribunal aux affaires familiales décida que la garde de l’enfant serait exercée conjointement par son père et sa mère et que le père jouirait d’un droit de visite mais que l’enfant résiderait principalement chez sa mère. Le père demanda à plusieurs reprises au tribunal aux affaires familiales que la garde de l’enfant lui fût accordée ou que l’enfant résidât principalement chez lui. Il arguait que ce dernier ne recevait pas une éducation adéquate et, accusant la mère de violences, alléguait que l’enfant était en danger. Il fut débouté de ses demandes. Lorsque, en allant le chercher à l’école, le père constata que l’enfant était blessé, il ne le remit pas à la mère mais l’emmena au Portugal.
Un mandat d’arrêt européen visant le père fut décerné, puis une demande de localisation que la police portugaise exécuta, retirant l’enfant de son école et le gardant à un poste de police pendant plusieurs heures.
Le père fut arrêté au même moment. Plus tard dans la journée, l’enfant fut remis à sa mère en personne. La procureure prit note de la décision des juridictions françaises conférant la garde exclusive de l’enfant à la mère et le tribunal aux affaires familiales portugais rejeta la demande d’octroi de la garde exclusive de l’enfant présentée par le père.
La Cour relève d’emblée que le retour de l’enfant à sa mère par les autorités portugaises a constitué une « ingérence » dans la vie familiale des deux requérants et il reste à déterminer si l’ingérence était prévue par la loi, poursuivait un ou plusieurs buts légitimes et était nécessaire dans une société démocratique.
En l’espèce, la Cour observe que la situation n’a pas été traitée par les autorités portugaises conformément à la Convention de La Haye, qui était en vigueur au Portugal à l’époque des faits. La Cour observe qu’en vertu des articles 2 et 7 de la Convention de La Haye, les autorités portugaises étaient tenues de prendre toutes les mesures appropriées pour assurer la mise en œuvre de cette convention et notamment pour rechercher où se trouvait l’enfant. De plus, lorsque le premier requérant a saisi le tribunal de la famille au Portugal pour obtenir l’autorité parentale, il a déclaré que son fils vivait avec lui et fréquentait l’école primaire portugaise, en fournissant les deux adresses. Il semble donc y avoir eu au moins un manque d’action, de communication et de coordination de la part des autorités portugaises, qui ont manqué à leurs obligations au titre de la Convention de La Haye en réponse à la demande des autorités françaises. La Cour relève en outre que les autorités portugaises ont finalement localisé l’enfant à l’école primaire aux fins de la demande d’accès au Système d’information Schengen. Par conséquent, au moins à partir de cette date, les autorités portugaises n’ont rencontré aucun obstacle à la mise en œuvre de la Convention de La Haye. Néanmoins, il n’a été pris aucune mesure à cet égard et le procureur de la République du tribunal de la famille portugais a ordonné d’office le retour de l’enfant à sa mère sans qu’aucune procédure ne soit engagée devant ce tribunal.
La Cour relève que le procureur de la République n’a donné aucune base légale à sa décision ordonnant le retour de l’enfant à sa mère. De plus, rien dans le dossier ne permet de penser qu’une demande de retour de l’enfant ait été introduite auprès d’un tribunal en vertu du règlement Bruxelles II bis. On peut donc se demander si le retour du second requérant à sa mère était conforme à la loi. Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime qu’elle n’est pas tenue de se prononcer définitivement sur la question de la légalité. La Cour est convaincue que l’ingérence en question poursuivait un but légitime, à savoir la protection des droits d’autrui, en particulier de la mère et de l’enfant. Il reste à déterminer en l’espèce si l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique.
La Cour estime que la manière dont l’affaire a été traitée, sans recours à la Convention de La Haye, a privé les requérants de leurs droits procéduraux. Le premier requérant n’a pas été entendu, alors qu’il était détenu en vertu d’un mandat d’arrêt européen et se trouvait donc dans un lieu connu et sous la garde des autorités portugaises. Il n’a donc pas pu dire que, de son point de vue, il existait un risque à renvoyer son fils à sa mère, ce qu’il a par la suite soutenu devant la Cour. Par conséquent, il n’a bénéficié d’aucune garantie procédurale, car il ne pouvait soulever l’objection prévue à l’article 13 b) de la Convention de La Haye. En outre, la Cour relève que l’enfant a été retrouvé et rendu à sa mère le même jour, alors que le premier requérant est resté en détention et se trouvait donc dans une situation de vulnérabilité. En ce qui concerne l’enfant, qui avait sept ans à l’époque des faits, il ne semble pas non plus avoir été entendu. La question de savoir si les juridictions internes doivent entendre un enfant dépend des circonstances particulières de chaque cas, mais aucun des requérants n’a pu exprimer son opinion dans le cadre de la procédure en cause. De plus, la Cour estime que l’absence totale de protection procédurale des requérants dans cette affaire a été aggravée par le fait que le père n’ait eu aucune connaissance de la procédure administrative menée par le ministère public, alors que l’on savait où il se trouvait, et malgré le fait qu’il était représenté par un avocat qu’il avait mandaté ce jour-là. De plus, il semble que ni le père ni son avocat n’aient été informés que le tribunal avait ordonné le retour de l’enfant à la mère, ce qui l’a empêché de contester la décision du ministère public. Or, même dans le contexte du règlement Bruxelles II bis, une déclaration selon laquelle le jugement du tribunal de Privas était exécutoire au Portugal aurait dû être prononcée par un tribunal aurait permis au père de faire appel de cette déclaration.
Il apparaît que les autorités portugaises n’ont pas traité la demande de retour de l’enfant au titre de la Convention de La Haye de manière efficace et rapide, mais ont au contraire exécuté l’ordonnance de recherche de Schengen et rendu l’enfant à sa mère automatiquement, en accordant la plus grande importance à la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et aux intérêts de la mère, tout en négligeant d’autres facteurs, en particulier et principalement, toute appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant et, deuxièmement, les droits du père. À cet égard, la Cour rappelle que l’article 8 exige que les autorités nationales ménagent un juste équilibre entre les intérêts de l’enfant et ceux des parents et que, dans le processus de mise en balance, une importance particulière soit accordée à l’intérêt supérieur de l’enfant qui, selon sa nature et sa gravité, peut primer sur celui des parents.
Par conséquent, l’absence de toute évaluation des risques par les autorités portugaises et l’absence de procédure judiciaire empêchent la Cour de déterminer si l’intérêt supérieur de l’enfant a été pris en compte et si la décision de restituer l’enfant était fondée sur des motifs pertinents et suffisants.
Les considérations ci-dessus suffisent à la Cour pour conclure que l’État défendeur n’a pas garanti le droit des requérants au respect de leur vie familiale en les entendant dans le cadre de la procédure de retour de l’enfant, contrairement aux exigences procédurales inhérentes à l’article 8 de la Convention.
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