Le témoignage anonyme comme preuve du caractère réel et sérieux d’un licenciement

Licencié pour faute grave, un salarié saisit la juridiction prud’homale pour contester cette rupture.
La CEDH juge que le principe du contradictoire et celui de l’égalité des armes, étroitement liés entre eux, sont des éléments fondamentaux de la notion de procès équitable au sens de l’article 6 § 1, de la Convention. Ils exigent un juste équilibre entre les parties. Chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires. Toutefois, le droit à la divulgation des preuves pertinentes n’est pas absolu, en présence d’intérêts concurrents tels que, notamment, la nécessité de protéger des témoins risquant des représailles, qui doivent être mis en balance avec les droits du justiciable. Seules sont légitimes au regard du texte précité, les limitations des droits de la partie à la procédure qui n’atteignent pas ceux-ci dans leur substance. Pour cela, toutes les difficultés causées à la partie requérante par une limitation de ses droits doivent être suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires. Il y a lieu pour le juge de procéder à un examen au regard de la procédure considérée dans son ensemble et de rechercher si les limitations aux principes du contradictoire et de l’égalité des armes, tels qu’applicables dans la procédure civile, ont été suffisamment compensées par d’autres garanties procédurales.
Il en résulte que si, en principe, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par la partie qui les produit, lorsque sont versés aux débats d’autres éléments aux fins de corroborer ces témoignages et de permettre au juge d’en analyser la crédibilité et la pertinence. En l’absence de tels éléments, il appartient au juge, dans un procès civil, d’apprécier si la production d’un témoignage dont l’identité de son auteur n’est pas portée à la connaissance de celui à qui ce témoignage est opposé, porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le principe d’égalité des armes et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte au principe d’égalité des armes à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Il résulte par ailleurs des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par ces textes.
Pour dire le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse et condamner l’employeur à lui payer diverses sommes, l’arrêt, après avoir constaté que la lettre de licenciement reprochait au salarié de faire régner un climat de peur au sein de l’entreprise et d’avoir repris ses horaires d’équipe de l’après-midi, sans l’accord de son employeur qui l’avait affecté en équipe de nuit avec horaires aménagés à sa demande, afin de « neutraliser, sans heurts, (ses) capacités de nuisance et limiter au maximum (ses) contacts avec les salariés s’étant ouverts de leurs peurs à (son) encontre » relève, d’abord, que la société, pour caractériser la faute du salarié, produit uniquement deux constats d’audition aux fins de preuve établis par huissier de justice, reprenant les contenus des auditions effectuées par cet huissier de cinq témoins dont l’identité n’est jamais mentionnée, à la demande de ces personnes, et que ces témoignages évoquent son attitude irrespectueuse voire agressive tant verbalement que physiquement envers ses collègues.
Il retient, ensuite, que ces deux constats d’audition aux fins de preuve établis par huissier consistent dans le recueil de témoignages anonymes ne comportant ni l’identité des témoins, ni la période durant laquelle ces personnes auraient travaillé avec le salarié, ni leur qualité au sein de l’entreprise. Il ajoute que la proposition de l’employeur de produire aux seuls membres de la cour d’appel les originaux, non anonymisés, des constats d’huissier doit être rejetée, de telles pièces ne pouvant être déclarées recevables, et que les constats anonymisés, en application de l’article 16 du Code de procédure civile et de l’article 6 § 1 et 3, de la Conv. EDH doivent être déclarés « non probants », de sorte que l’existence d’une faute grave n’est pas démontrée.
En statuant ainsi, alors, d’une part, que relève de l’admissibilité des preuves et non de l’examen au fond le fait de déclarer non probante une pièce au motif de son défaut de contradiction et, d’autre part, qu’il résultait de ses constatations que la teneur des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs, mais dont l’identité était connue de l’employeur et de l’huissier de justice qui avait recueilli ces témoignages, avait été portée à la connaissance du salarié, que ces témoignages avaient été recueillis par un huissier de justice responsable de la rédaction de ses actes pour les indications matérielles qu’il a pu lui-même vérifier et qu’il n’est pas contesté que le salarié avait déjà été affecté à une équipe de nuit pour un comportement similaire à celui reproché dans la lettre de licenciement, de sorte que la production de ces témoignages anonymisés était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur tenu d’assurer la sécurité et de protéger la santé des travailleurs et que l’atteinte portée au principe d’égalité des armes était strictement proportionnée au but poursuivi, la cour d’appel, qui ne tire pas les conséquences légales de ses constatations, encourt la cassation.
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