Hommage à Philippe Malaurie (1925-2020)

Publié le 25/05/2020

Philippe Malaurie nous a quittés le 1er avril 2020. Il avait 95 ans. Il était l’un des grands professeurs de droit civil de sa génération.

Les liens qui nous unissaient à lui depuis plus de cinquante ans nous le rendaient immortel. Immortel, parce qu’à travers son enseignement, ses ouvrages, ses échanges, il nous transmettait la vie : la vie du droit et celle de l’esprit.

La vie du droit

« Le droit c’est la vie » nous enseignait-il. Le droit n’est pas seulement une technique mais l’expression d’une civilisation.

Dans chacune des matières qu’il traitait, le droit les obligations, de la famille, des sûretés, il nous montrait comment l’histoire, la géographie ou bien encore la coutume étaient à l’origine de la règle de droit. Ainsi, en est-il du droit de la famille, dont il voyait avec le doyen Jean Carbonnier, l’une des réformes les plus profondes de ces cinquante dernières années.

La vie du droit, c’est aussi la jurisprudence, le pouvoir prétorien du juge. Dans ses ouvrages, il insistait sur ce pouvoir du juge créateur du droit. Ainsi, il accompagnait sa réflexion doctrinale de décisions tirées de la jurisprudence citées quasiment in extenso. En droit de la personnalité, il n’hésitait pas à reproduire les grandes décisions du juge des référés en matière du droit au respect des croyances.

La règle de droit est complexe, et doit être clarifiée. Il aimait rappeler à ses étudiants la devise de Paul Valéry : « Soyez clair, soyez clair, soyez clair… ». Il luttait contre l’académisme, le bavardage et demandait à ses étudiants de ne pas être des « chiens savants ».

Contrairement à une certaine légende, Philippe Malaurie était loin d’être abstrait. Dans son enseignement, il nous montrait toujours les applications pratiques d’une règle. Si la règle demeure abstraite, elle n’a pas d’efficacité. Tous ses étudiants se rappellent de ces fameux cas pratiques.

La vie de l’esprit

Pas de règle de droit sans vie de l’esprit. Philippe Malaurie était fortement attaché à la vie de l’esprit, celle qui nous permet de prendre de la hauteur. Tout naturellement, c’est dans la vie de l’esprit que le droit trouve son accomplissement car il est une réflexion sur l’homme. D’où l’implication de Philippe Malaurie dans les grands débats de société.

Ainsi, il avait organisé à l’université Panthéon-Assas (Paris II) un dialogue entre le regretté cardinal Jean-Marie Lustiger et le bâtonnier Georges Flécheux. Il mêlait le regard du juriste et celui du théologien. Ensemble, ils se rejoignaient pour affirmer la transcendance de la personne.

Son enseignement était marqué par le courage intellectuel.

En sa qualité de doyen de la faculté de droit de Nanterre, il montrait une grande indépendance à l’égard de tous les pouvoirs et n’écoutait que sa conscience.

C’est aussi au titre de cette liberté intellectuelle qu’il s’opposait aux nouvelles formes de mariage visant les personnes de même sexe, à l’euthanasie ou bien encore à la PMA.

Mais c’est surtout, dans les rapports droit et littérature que Philippe Malaurie affirmait la présence de la vie de l’esprit. Avec une étonnante culture, il analysait les rapports du droit et de la littérature, de Balzac à Victor Hugo, de Dostoïevski à Bernanos, en passant par Malraux. Philippe Malaurie montrait comment les grands principes du droit se dégageaient de la littérature : la justice, le procès équitable, la lutte contre la pauvreté, le pardon, la dignité.

Littérature et droit expriment la condition humaine dont Philippe Malaurie en connaissait la grandeur mais aussi la fragilité.

Il nous a quittés au moment de la tragédie du Covid-19 mais il portait toujours sur notre société un regard d’espoir et aimait citer les vers de Charles Péguy :

« Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance Et je n’en reviens pas.

Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout,

Cette petite fille espérance,

Immortelle ».

 

LPA 25 Mai. 2020, n° 153y5, p.21

Référence : LPA 25 Mai. 2020, n° 153y5, p.21

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