Covid-19 : Comment faire face aux difficultés d’exécution des contrats de droit privé ?
La pandémie de coronavirus Covid-19 ainsi que les mesures de confinement adoptées par de nombreux États au rang desquels la France, depuis le 17 mars 2020, affectent l’ensemble des entreprises dont certaines s’interrogent sur leur capacité à remplir leurs obligations contractuelles et les moyens de prévenir de futurs contentieux.
Il convient dès lors d’analyser les solutions à la disposition des entreprises confrontées à des difficultés d’exécution de leurs contrats de droit privé pour limiter l’impact de la crise sanitaire actuelle et les restrictions qu’elle impose.
Les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire dispensent-elles les entreprises d’exécuter leurs obligations contractuelles ?
Non, les acteurs économiques restent par principe tenus d’exécuter leurs obligations contractuelles. Des mesures ont été prises en urgence par le gouvernement français pour tenir compte de la situation sanitaire et tenter d’endiguer les conséquences, non seulement sanitaires, mais également économiques, de cette crise exceptionnelle (licenciements, cessation des paiements, faillites d’entreprises).
L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période prévoit, pour l’ensemble des obligations imposées par la loi et le règlement, l’interruption des délais échus entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire1 (i.e. le 24 juin 2020 sauf modification de la durée de l’état d’urgence sanitaire). Pour l’ensemble des obligations imposées par la loi et le règlement, le délai légalement imparti pour agir court à compter du 24 juin 2020 dans une limite maximale de deux mois (i.e. jusqu’au 24 août 2020 sauf modification de la durée de l’état d’urgence)2. Les échéances contractuelles sont explicitement exclues de ce mécanisme. Le principe demeure donc celui de l’exécution par les entreprises de leurs obligations contractuelles.
Mais les ordonnances adoptées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire prévoient la neutralisation de certaines clauses contractuelles relatives à la sanction de l’inexécution du contrat. Atténuant le principe de la poursuite de l’exécution stricte des contrats, l’ordonnance n° 2020-306 précitée, modifiée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de Covid-19, prévoit la neutralisation des effets des astreintes et de certaines clauses contractuelles visant à sanctionner l’inexécution du débiteur, à savoir les clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance. Selon la date à laquelle les astreintes et clauses relatives à la sanction de l’inexécution contractuelle ont pris ou doivent prendre effet, l’ordonnance précitée prévoit la suspension de leurs effets et/ou le report de leur prise d’effet.
Ainsi, si la durée de l’état d’urgence sanitaire n’est pas prolongée au-delà du 24 mai 2020 :
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les astreintes et clauses qui avaient déjà commencé à prendre effet avant le 12 mars 2020 sont suspendues entre le 12 mars et le 24 juin 2020 et recommenceront à produire leurs effets à compter du 24 juin 20203 ;
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les astreintes et clauses qui auraient dû prendre effet entre le 12 mars et le 24 juin 2020 sont paralysées et leur prise d’effet est reportée d’une durée, calculée à partir du 24 juin 2020, égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée4 ; et
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les astreintes et clauses sanctionnant l’inexécution d’une obligation autre que de sommes d’argent qui auraient dû prendre effet après le 24 juin 2020 voient leur prise d’effet reportée d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de cette période5.
Un mécanisme similaire a été adopté par l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de Covid-19 concernant spécifiquement les effets en cas de défaut de paiement des loyers et des charges (en particulier celles relatives au gaz, à l’eau et à l’électricité).
Quelles sont les solutions qui s’offrent aux entreprises n’étant plus en mesure d’exécuter pleinement leurs engagements contractuels à l’égard de leurs partenaires commerciaux ?
Envisager de renégocier avec son partenaire commercial les termes de l’engagement contractuel en invoquant, le cas échéant, un changement de circonstances imprévisible au moment de la conclusion du contrat. En matière contractuelle, les parties peuvent toujours décider, d’un commun accord, de revenir sur les termes de leurs engagements. De manière générale, aucune forme n’est imposée à la renégociation, mais il demeure préférable de formaliser tout nouvel accord par la signature d’un avenant. En outre, il est possible que le contrat prévoie des modalités précises encadrant la renégociation contractuelle.
De plus, étant donné l’incidence exceptionnelle de la crise sanitaire actuelle, les entreprises en proie à des difficultés d’exécution peuvent, pour les contrats conclus après le 1er octobre 2016, tenter d’obtenir un allégement ou une réduction de leurs obligations contractuelles en invoquant, dans le cadre d’une renégociation, un changement imprévisible des circonstances économiques conformément à l’article 1195 du Code civil. Cette faculté n’apporte pas de remède immédiat puisque le contrat doit continuer d’être exécuté pendant la phase de renégociation.
Cet article, dont les dispositions renvoient à la notion d’imprévision, permet en effet à une partie de demander la renégociation du contrat à son cocontractant, à condition que l’exécution, bien qu’encore possible, soit devenue excessivement onéreuse à raison de circonstances qui n’étaient pas prévisibles à la date de conclusion du contrat. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation ou d’y mettre fin. Surtout, à défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une seule partie, réviser le contrat ou y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe.
Ces dispositions ne sont pas d’ordre public et les parties ont donc pu aménager dans leur contrat les conditions, les modalités et les effets de l’imprévision. Il convient donc, en premier lieu, d’analyser les termes de chacun des contrats conclus pour vérifier que l’application de l’article 1195 du Code civil n’a pas été limitée ou exclue.
Ainsi, sous réserve des stipulations spécifiques du contrat, une entreprise souhaitant se prévaloir de l’imprévision pour renégocier ses engagements, voire y mettre un terme, devra démontrer que :
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le changement de circonstances intervenu du fait du Covid-19 était imprévisible à la date de conclusion du contrat, ce qui pourrait exclure le recours à l’imprévision pour les contrats conclus après le début de la crise sanitaire ;
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ce changement de circonstances a rendu l’exécution du contrat excessivement onéreuse ;
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elle n’avait pas accepté par avance d’assumer le risque d’un tel changement.
Lorsqu’il est évident qu’une partie ne pourra pas exécuter son obligation contractuelle, son cocontractant peut, à son tour, suspendre l’exécution de ses propres engagements.
Dans le cas où il est manifeste que le cocontractant ne pourra pas exécuter ses engagements contractuels à échéance et que cette inexécution aurait des conséquences suffisamment graves, l’article 1220 du Code civil autorise l’autre partie à se prévaloir de l’exception d’inexécution et à suspendre l’exécution de son obligation. Dans une telle hypothèse, il conviendra pour l’entreprise de veiller à notifier la suspension de l’exécution à son cocontractant dans les meilleurs délais et d’en expliciter les motifs.
Arguer d’un cas de force majeure pour s’exonérer de l’exécution de ses obligations contractuelles. Malgré la déclaration du ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, qualifiant, le 28 février dernier, l’épidémie de Covid-19 de « cas de force majeure pour les entreprises, salariés et employeurs », la possibilité pour une entreprise de se prévaloir de la force majeure pour s’opposer à l’exécution d’un contrat de droit privé reste incertaine et, loin de toute automaticité, elle nécessite une analyse au cas par cas de chaque situation contractuelle.
L’exception de force majeure n’étant pas d’ordre public, la première vérification doit porter sur le contenu même du contrat : la force majeure est-elle exclue ? Si une clause prévoyant la force majeure existe, quels sont ses contours, les modalités de sa mise en œuvre et les conséquences prévues par le contrat ? À titre d’exemple, le contrat peut spécifiquement prévoir qu’une épidémie constitue un cas de force majeure ou, à l’inverse, l’exclure expressément.
Quels sont les critères permettant d’apprécier si la pandémie de Covid-19 peut constituer un cas de force majeure ?
À défaut de disposition contractuelle spécifique, la force majeure est régie par les dispositions de l’article 1218 du Code civil qui précise qu’elle est constituée « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».
Ainsi, afin de déterminer si la crise sanitaire actuelle constitue un cas de force majeure susceptible d’exonérer une entreprise de ses obligations contractuelles, il faut se poser les questions suivantes :
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La pandémie était-elle prévisible au jour de la conclusion du contrat ? Une incertitude réelle existe s’agissant des contrats conclus à compter du 1er janvier 2020, dès lors que la révélation de l’existence du virus en Chine remonte au début de l’année 2020.
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Quel est l’impact de la pandémie et de la crise sanitaire en général sur l’exécution du contrat ? Il n’est pas suffisant que l’exécution du contrat soit devenue plus onéreuse, il faut établir que, malgré la mise en œuvre de toutes les mesures appropriées, l’inexécution du contrat est inévitable, son exécution est impossible. Par exemple, dans le cas où le télétravail permet la poursuite de l’exécution du contrat, bien qu’à distance, la force majeure ne pourra pas être invoquée.
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La force majeure est-elle extérieure aux parties ? Bien que traditionnellement retenue comme déterminante de la force majeure, il ressort de la jurisprudence une tendance à abandonner cette troisième condition6, notamment en cas de maladie. Ainsi, bien qu’elle soit liée à la personne du débiteur, les juges considèrent la maladie comme extérieure, indépendante de la volonté du débiteur.
Une crise sanitaire comme celle provoquée par la pandémie de Covid-19 pourrait-elle remplir les conditions de la force majeure ?
Jusqu’alors, la jurisprudence semble avoir été plutôt réticente à qualifier une épidémie de cas de force majeure. La qualification de force majeure a été notamment refusée aux épidémies de grippe H1N1 de 20097, d’Ebola8 ou du virus du chikungunya9.
Néanmoins, l’étude de la jurisprudence révèle que la qualification de force majeure a généralement été écartée pour des raisons purement factuelles. Par exemple, s’agissant de l’épidémie de chikungunya, la cour d’appel de Basse-Terre a décidé que la maladie ne présentait pas les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité puisque les symptômes pouvaient être soulagés par des antalgiques et étaient donc surmontables10. Il semble qu’un tel raisonnement ne pourrait pas être transposé à la situation actuelle, au regard de l’ampleur inédite de la pandémie de Covid-19, des mesures strictes prises par le gouvernement, ou encore des déclarations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Très récemment, la cour d’appel de Colmar a d’ailleurs estimé en matière de droit des étrangers que l’absence du demandeur d’asile à l’audience était justifiée « en raison des circonstances exceptionnelles et insurmontables, revêtant le caractère de la force majeure, liées à l’épidémie en cours de Covid-19 » puisqu’il était établi que le demandeur d’asile en question avait été en contact avec une personne infectée par ce virus11.
Par ailleurs, au-delà du seul aspect sanitaire, un acte impératif de l’autorité publique qui cause un dommage à un tiers peut être qualifié de fait du prince et constituer une application particulière de la force majeure lorsqu’il rend impossible l’exécution d’un contrat. Dans la situation actuelle, les mesures impératives imposées par les pouvoirs publics sous peine de sanction, notamment la fermeture des commerces à compter du 14 mars 2020, puis le confinement à compter du 17 mars 2020, pourraient être qualifiées de fait du prince et constituer un cas de force majeure permettant pour certains contrats au débiteur de s’exonérer de ses obligations, au moins temporairement.
Quels sont les effets de la force majeure ?
Si la qualification de force majeure est retenue, en particulier celle de fait du prince, cela aura pour conséquences principales :
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en cas d’empêchement temporaire, de suspendre l’exécution du contrat (à moins que le retard résultant de cette suspension ne justifie la résolution du contrat). L’exécution du contrat devra donc reprendre dès que la force majeure ne sera plus caractérisée, il importe donc d’être très vigilant quant à l’évolution de la situation ; ou
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en cas d’empêchement définitif, de provoquer la résolution de plein droit du contrat et de libérer les parties de leurs obligations. Cependant, aux termes de l’article 1351 du Code civil, le débiteur n’est libéré de l’exécution de ses obligations qu’à due concurrence de l’impossibilité rencontrée ; la force majeure ne libère donc pas automatiquement de l’ensemble des obligations prévues par le contrat.
En toute hypothèse, la bonne foi du cocontractant est de mise jusque dans l’invocation de la force majeure. Ainsi, pour pouvoir bénéficier de ses effets exonératoires, il faudra avoir agi de manière appropriée afin de limiter les conséquences dommageables de l’inexécution du contrat et, notamment, informer dans les plus brefs délais son partenaire commercial de l’impossibilité rencontrée. À l’inverse, l’effet exonératoire de la force majeure pourrait être écarté en cas de négligence fautive ou de mauvaise foi du débiteur qui s’en prévaut.
Ainsi, après avoir vérifié les dispositions du contrat, et en particulier toute clause relative aux conditions, modalités et effets de la force majeure, une entreprise souhaitant suspendre l’exécution de ses obligations ou mettre fin à son contrat devra démontrer les éléments suivants :
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elle n’était pas en mesure d’anticiper la crise sanitaire actuelle, ni les restrictions imposées et leurs conséquences sur le contrat ;
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elle n’était pas en mesure de mettre en place des solutions alternatives, indépendamment même de leur coût ; et, enfin,
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il existe un lien de causalité entre l’impossibilité d’exécuter ses obligations contractuelles, la pandémie de Covid-19 et les mesures prises par les pouvoirs publics pour lutter contre celle-ci.
Ce n’est que dans cette hypothèse que la force majeure pourra jouer son rôle exonératoire. Dans tous les autres cas, c’est l’adaptation et la renégociation du contrat qui permettront aux entreprises de limiter les conséquences de la crise du Covid-19 en termes de responsabilité.
Notes de bas de pages
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1.
Sauf modification de la durée de l’état d’urgence, la cessation de l’état d’urgence sanitaire est prévue pour le 24 mai 2020.
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2.
Ord. n° 2020-306, 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, art. 2.
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3.
Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, modifiée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de Covid-19, article 4, alinéa 4.
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4.
Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, modifiée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de Covid-19, article 4, alinéas 1 et 2.
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5.
Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, modifiée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de Covid-19, article 4, alinéa 3.
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6.
Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11168.
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7.
CA Toulouse, 3 oct. 2019, n° 19/01579 ; CA Besançon, 8 janv. 2014, n° 12/02291.
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8.
CA Paris, 17 mars 2016, n° 15/04263.
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9.
CA Basse-Terre, 17 déc. 2018, n° 17/00739.
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10.
CA Basse-Terre, 17 déc. 2018, n° 17/00739.
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11.
CA Colmar, 12 mars 2020, n° 20/01098.