De la valeur à restituer

Publié le 08/07/2025
De la valeur à restituer
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La restitution d’une chose, d’une prestation de service ou d’une somme d’argent, est réglée aux articles 1352 à 1352-9 du Code civil relatifs au régime général des obligations. Éparpillée dans ce corpus figure à plusieurs reprises la notion de « valeur » à restituer. Assez évasive dans ses contours et son traitement, celle-ci est destinée à tenir compte des effets du temps passé et de l’impossibilité d’ignorer certaines transformations affectant ce qui a vocation à être retourné. Or, loin d’être négligeable pour celui tenu de restituer, la « valeur » peine à être clairement identifiable. L’objet de l’étude consiste, à la lumière de certaines décisions rendues par la Cour de cassation, à distinguer, au sein de la dette de restitution, les principaux éléments de valeur et à fixer le moment où ils doivent être comptabilisés.

Interrogeant les règles sur la restitution d’une chose, d’une prestation de service ou d’une somme d’argent, on se plaît à comparer les solutions très imparfaites des textes issus de l’ancien régime de 1804 et celles du nouveau régime unifié des restitutions1. Aux lieu et place des rares dispositions jusqu’alors mobilisables, la reconstitution ab initio des droits et le calcul de cette dette en retour, s’accomplissent désormais, suivant une logique comptable attentive tout de même à la bonne ou mauvaise foi de celui tenu de rendre. À défaut d’énoncer de grands principes (restitutio in integrum, réciprocité, compensation ou exigence d’un compte de restitution, etc.), dix articles règlent la matière2, posant autant de règles supplétives destinées à s’assurer qu’il y aura bien retour de la chose ou de son équivalent dans le patrimoine des parties en présence. Suivant le sort du principal, certains accessoires3, tels les fruits, les intérêts, l’usage, les frais, les charges et les plus ou moins-values sont clairement identifiables. Curieusement, leur appréciation se concrétise à travers la notion de « valeur » largement employée par les articles 1352 à 1352-9 du Code civil, sans jamais être définie. Sibylline dans ses contours, la valeur à rendre paraît même au cœur des préoccupations du droit des restitutions.

Ainsi, celui tenu de restituer ne peut rien ignorer de la valeur de la chose lorsque celle-ci ne peut se réduire à un retour original. Il doit répondre des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur4. Et si la chose ne peut être retournée en nature, c’est, selon l’article 1352 du Code civil, sa valeur, estimée au jour de la restitution, qu’il faut rendre, alors même que le retour d’une prestation de service aura lieu en valeur, appréciée à la date à laquelle elle a été fournie5. A-t-il vendu la chose reçue de bonne foi ? Le solvens ne doit restituer que le prix de la vente ; mais s’il l’a reçue de mauvaise foi, il en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix6. Retournant les fruits, conformément à l’article 1352-3 du Code civil, c’est leur valeur estimée à la date du remboursement, suivant l’état de la chose au jour du paiement de l’obligation, qui suppléera l’impossibilité de les rendre en nature. S’il est tenu de restituer l’usus, la valeur de la jouissance que la chose a procurée sera, quant à elle, évaluée par le juge au jour où il se prononce.

À lire ces textes, restituer une chose, une prestation de service ou une somme d’argent équivalente implique logiquement de tenir compte des effets du temps passé, qui ont pu modifier leur substance même. Pour combler cet écart, le montant finalement dû par celui tenu de restituer correspond à une valeur susceptible de subir des variations jusqu’à la date d’échéance et qui ne sera convertie en équivalent monétaire qu’au jour de sa liquidation7. D’une certaine façon, ce résultat ne semble pas très éloigné dans son économie de la notion de dette de valeur elle-même, qui s’oppose à la classique dette de monnaie, en ce que son montant est fixé, non pas à la date de création de l’obligation, mais bien au jour de son paiement. Ce dispositif est en tout cas au cœur de l’article 1352 du Code civil, premier texte en la matière, selon lequel « la restitution d’une chose autre que d’une somme d’argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution ».

Pour autant, restituer la valeur implique davantage qu’une formule sous-entendue et, à ce stade, allusive. D’une manière certaine, pour y parvenir, une estimation reste à réaliser. Or, l’apparente clarté d’un tel exercice s’obscurcit immédiatement s’il s’agit, comme c’est souvent le cas, de restitutions réciproques. Restituer la valeur vient se perdre dans une sorte de compensation générale qui puise sa source dans le cadre d’une répartition globale de tous les accessoires à retourner, en fonction de leur origine. En somme, la valeur finalement restituée sera traitée dans son ensemble, sous la forme d’un solde global correspondant aux produits et charges incombant aux parties. En d’autres termes, les valeurs – additionnées ou soustraites – au principal à restituer n’apparaîtront plus que sous une forme minimaliste ; une quantité de signes monétaires à la charge ou au profit de celui tenu de restituer.

La notion de valeur ainsi envisagée mériterait, sans aller jusqu’à l’élever au rang de grand accessoire des restitutions, d’être plus clairement explicitée. Réduite à son acceptation première, la notion de « valeur » employée ici n’est, suivant sa définition usuelle, qu’une « valeur pécuniaire, en général calculée d’après sa valeur vénale, d’une chose »8. Elle se réalise toujours sous la forme d’un élément de compte à saisir par lequel un résultat devra être dégagé. Son calcul est d’autant plus complexe que le Code civil ne formule que de rares directives la concernant. Or, restituer la valeur d’une chose, c’est envisager les conséquences de sa variabilité – sa (dé)valorisation – pour des considérations souvent liées, mais pas toujours, aux efforts de celui tenu de restituer. Il ne s’agit plus exactement de rendre la même chose, en son état d’origine, mais plutôt de tirer toutes les conséquences de ce qu’elle a pu changer ou s’altérer au jour où elle est restituée. Restituer la valeur n’est donc plus exactement retourner la chose dans son état d’origine.

Au nom d’une certaine équité dans la reconstitution des droits originaires, tenir compte de la valeur c’est surtout restituer avec mesure. Tel est bien le sens de l’article 1352-5, suivant lequel « pour fixer le montant des restitutions, il est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses nécessaires à la conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution ». Mais, même dans cette perspective, le Code civil peine à se saisir pleinement de cette notion de valeur. Aucun texte n’envisage le traitement à réserver aux causes exogènes de (dé)valorisation, telle l’appréciation (ou dépréciation) de la monnaie ou l’accroissement (ou perte) de la valeur vénale d’une chose entre le jour de l’acte générateur et celui de la restitution. Calcul simplement arithmétique, sans doute, si ce n’était encore la présence de tempéraments – utiles mais plus subjectifs – apportés par l’appréciation de la bonne ou mauvaise foi de celui de tenu de restituer9

À l’aune de certaines décisions rendues par la Cour de cassation10, s’intéresser au calcul de la valeur à restituer, qui n’a rien de négligeable si le temps a fait son œuvre, reste une entreprise délicate, tant restituer la chose même ou sa valeur n’est bien évidemment pas équivalent en tout point. L’objet de l’étude consistera donc à préciser, d’une part, les contours des principaux éléments à valoriser dans la dette de restitution (I) et, d’autre part, de fixer le jour où cette valorisation doit être comptabilisée (II).

I – Les principales valeurs à restituer

Des articles 1352 à 1352-9 du Code civil, deux grands types de valeurs semblent avoir particulièrement attiré l’attention du législateur. La valeur de l’usus (A) se détache du règlement plus classique des plus ou moins-values (B).

A – La valeur de l’usus

C’est sans doute l’innovation la plus connue en matière de restitution de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Jusqu’à son retour dans le patrimoine du verus dominus, la jouissance de la chose par le débiteur de la restitution, assimilée à un fruit consommé, donne lieu à indemnité.

Dans son arrêt du 5 décembre 202411, la troisième chambre civile de la Cour de cassation n’a pas manqué, aux visas des articles 1352-3 et 1352-7 du Code civil, de considérer que cette valeur est propre à l’opération de restitution elle-même. En l’espèce, un couple d’acquéreurs ayant subi rapidement un important dégât des eaux après une vente d’immeuble demande l’annulation du contrat sur le fondement du dol des vendeurs. Les juridictions du fonds faisant droit à cette demande refusent pourtant d’octroyer à ces derniers une indemnité d’occupation, motif pris de leur réticence dolosive. La valeur de l’usus échappe-t-elle aux vendeurs, créanciers de la restitution en cas de faute de ces derniers ? Même en ce cas, la Cour de cassation considère que le vendeur fautif est fondé à obtenir une indemnité correspondant à l’occupation de l’immeuble par l’acheteur12. S’il est vrai qu’une telle occupation du bien résulte directement de la faute dolosive des vendeurs, cette faute ne peut les priver de leur créance en retour, sauf à appliquer une condition d’appréciation de leur comportement, non prévue dans ce cas13. La restitution de la valeur de l’usus est donc désormais une règle relevant du seul droit des restitutions, indépendamment du droit de la responsabilité.

C’est même toute l’étendue de la restitution au sens du nouvel article 1352-3 du Code civil, s’agissant d’une chose autre qu’une somme d’argent, qui est finalement précisée dans la solution du 5 décembre 202414. Si les fruits doivent être aussi restitués, c’est bien parce que le législateur a mis un terme à une solution jurisprudentielle ancienne refusant d’accorder la compensation de la jouissance que la chose a procurée. Ainsi objectivée, la dette en retour ne se calcule plus – à ce stade – en distinguant selon le comportement des parties. Indépendante de la mauvaise foi du débiteur, l’obligation de restitution l’est également de la bonne foi de son créancier, ainsi que de son absence de faute. Non sans alourdir le poids de la dette de celui tenu de restituer – alors même qu’il n’y serait pour rien – la compensation de la jouissance de la chose par le versement d’une indemnité d’occupation apparaît comme un équivalent économique des fruits que la chose aurait pu produire. À travers cette consécration de l’autonomie de la créance de restitution, le droit civil des obligations se pare, d’une certaine façon, d’un réalisme économique, insuffisamment présent à son origine.

Il reste que la recherche d’équilibre et de proportionnalité, déterminants dans le secteur des restitutions, n’échappe pas à l’appréciation de l’absolue pertinence de la restitution de l’usus. Si l’usage gratuit de la chose est difficilement justifiable, celui qui n’a rien fait pour provoquer la restitution et qui, jusque-là, pouvait s’en prévaloir, hésitera peut-être à agir. L’errans, par exemple, voyant qu’il devra supporter la restitution de l’usus, aura-t-il seulement intérêt à critiquer l’acte annulable15 ? Une telle critique suppose bien évidemment de mesurer pleinement le coût de l’usus à restituer. Or, ce que n’indique pas la solution du 5 décembre 2024, ce sont précisément les éléments du calcul de la valeur du prix, diminué de la valeur de l’usus le temps de l’occupation de l’immeuble, que devront finalement restituer les vendeurs à leurs acheteurs. Dans le même ordre d’idées, l’épineuse question de la valorisation éventuelle du prix à restituer, alors même que les vendeurs ont eu la jouissance de la somme d’argent acquittée par les acheteurs16 reste contenue.

Cela étant, la spécificité des sommes d’argent implique qu’au montant nominal de la somme payée au titre de la restitution s’ajoutent mécaniquement les intérêts au taux légal17. Par équilibre, si les acheteurs doivent restituer l’usus, cette charge a vocation à être partiellement compensée par le paiement de l’intérêt censé actualiser la valeur procurée par la somme d’argent au jour des restitutions. Légère entorse au principe du nominalisme monétaire18, le nombre d’unités monétaires à retourner dépasse alors le seul retour d’une somme d’argent identique. D’évidence, sur le terrain économique, celle-ci a, en effet, immanquablement varié au fil du temps passé. Pour autant, le Code civil semble ici, sinon se désintéresser, du moins délaisser la valeur de l’argent… En contrepartie de la valorisation de l’usus19, aucun texte n’appelle pas à recourir systématiquement à la dette de valeur en matière de restitution de sommes d’argent20. C’en est finie alors de l’objectivation de la valeur des sommes d’argent à retourner. En l’occurrence, tout sera fonction, conformément à l’article 1352 du Code civil21, de l’appréciation du comportement de celui tenu de restituer : seulement le prix de la vente s’il est de bonne foi ; sa valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix dans le cas contraire. Un tel retournement de valeur, s’agissant d’une somme d’argent, se retrouve d’une autre manière dans le traitement des plus ou moins-values.

B – Les plus et moins-values

Le bien restitué doit être évalué en tenant compte des dépenses qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution. Ainsi posé par l’article 1352-5 du Code civil, le règlement des hausses ou baisses de valeur de la chose s’opère par compensation entre les dépenses qui en ont augmenté la valeur, à la charge de l’accipiens, et la plus-value réalisée sur celle-ci que doit retourner le solvens.

Les plus ou moins-values ayant pour origine première l’activité de celui tenu de restituer font donc l’objet d’un traitement qui diffère de la conception (objectivée) de la restitution de l’usus. Le comportement de celui tenu de restituer est au centre des préoccupations pour apprécier la valeur à rendre. Est-il fautif ou de mauvaise foi ? Les dégradations et détériorations ayant diminué la valeur de la chose pourront être mises à sa charge22. De bonne foi, s’est-il appauvri pour accroître la valeur de la chose ? Il a droit à une compensation sur le principal à retourner. Cette part du règlement des plus ou moins-values ne dépend en rien de la seule valorisation de la chose par elle-même. Toute variation de valeur échoit principalement en tenant compte du comportement de celui tenu de restituer. Fautif ou de mauvaise foi, il a tout à redouter d’une perte de valeur. Dans le cas inverse, cet accessoire fait retour normalement, à savoir dans son état au jour des restitutions, ainsi dévalorisé, dans le patrimoine de l’accipiens.

À travers la simplicité d’un tel principe, il reste l’hypothèse, non envisagée par le Code civil, et pourtant assez commune, où la variation de valeur n’est en rien imputable au comportement supposé de celui tenu de restituer. Tel qu’envisagé par l’article 1352-5 du Code civil, le traitement des plus ou moins-values répond ici imparfaitement aux variations de valeur provenant d’une cause extérieure à l’activité du débiteur. Celui-ci est-il tenu de rendre compte de la variation de valeur ayant une origine purement monétaire ou spéculative, telles l’inflation ou la fluctuation du cours des marchés ? La solution indifférenciée du Code civil ne paraît pas l’exclure totalement, en cas de mauvaise foi du débiteur de la restitution, l’article 1352-5 envisageant seulement « la plus-value estimée au jour des restitutions ». Inversement, si la bonne foi de celui tenu de restituer est reconnue, cette charge est au compte du créancier de la restitution, lui qui aurait eu, de toute façon, à en supporter les conséquences si la chose était restée en sa maîtrise.

Dans le silence du Code civil, la même déduction peut être faite s’agissant des cas de dépréciation traduisant la seule altération de la valeur de la chose sans aucune détérioration ou dégradation, comme en matière d’obsolescence, de vétusté et d’usure, lorsqu’elles sont dissociables de l’usage23. Là encore le créancier de la restitution semble devoir endosser seul la perte de valeur en même temps que la chose lui est retournée.

Ainsi fixée dans ses principaux éléments, la valeur à restituer s’apprécie en fonction d’une date qui vient substantiellement peser sur son montant ou sur certains de ses éléments.

II – La date de la valeur à restituer

Lorsqu’il s’agit d’organiser une restitution en valeur, cette dernière doit être estimée, selon l’article 1352 du Code civil, en tenant compte de son état (B) au jour des restitutions (A).

A – L’estimation de la valeur au jour de la restitution

Sous l’empire du Code civil, dans la rédaction antérieure à celle résultant de l’ordonnance du 10 février 2016, la créance de restitution en valeur n’est exigible qu’à compter de la décision qui fixe son montant, de sorte que le point de départ des intérêts d’une somme d’argent à rendre est le jour où le juge statue. Cette décision fixe ainsi la date de la valeur24, au moins pour ce qui concerne le jeu des intérêts moratoire et compensatoire.

La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 9 avril 202525, n’a pu que rappeler ce principe à propos d’une demande en annulation d’un tableau (Femme ajustant son chapeau). Se disputant sur l’authenticité de l’œuvre, le vendeur sollicite la restitution de la chose en valeur et la condamnation de l’acquéreur à lui payer le prix payé, majoré des intérêts au taux légal à compter de la date de l’assignation en nullité de la vente. Pour la Cour de cassation, c’est l’occasion de (re)préciser la date de valeur à considérer. D’une part, dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution consistent dans la condamnation aux intérêts au taux légal dus du jour de la demande en justice, équivalant à la sommation de payer. D’autre part, en matière de restitutions – ici au titre d’une erreur sur la substance – lorsque la créance en valeur ne devient exigible qu’à compter de la décision qui fixe son montant, le point de départ des intérêts est le jour où le juge statue. Une même solution de principe irrigue désormais le nouveau droit des restitutions. L’estimation de la valeur est réalisée au jour de la restitution, selon l’article 1352 du Code civil, ou au jour où le juge se prononce, suivant l’article 1352-3.

Si le jour de l’estimation de la valeur est connu, la date de la valorisation, comprise comme la date de sa liquidation, varie suivant les différentes hypothèses d’accessoire à rendre. En effet, la seule référence au moment du jour de la restitution rend, à vrai dire, difficilement compte des difficultés propres à la nature de la chose et à son état, selon les diligences et comportements de celui tenu de rendre. L’expression « au jour de la restitution » agit ici tel un faux ami dans le calcul effectif de la valeur finalement restituée. Le moment de l’estimation ne correspond en rien à la date d’appréciation de la valeur. Celle-ci se déplace logiquement dans le temps, dans la stricte mesure indiquée par le texte de l’article 1352-7 du Code civil, en considération du comportement de celui tenu de rendre, c’est-à-dire à compter du paiement s’il est de mauvaise foi, à compter du jour de la demande s’il est de bonne foi26. Le calcul au « jour de la restitution » de la valeur se comprend donc selon deux moments distincts, l’estimation qui a lieu au jour où le juge se prononce, et l’appréciation du mouvement de valeur, fonction principalement du comportement de celui tenu de restituer.

Un cheminement comparable peut être emprunté à propos de la prestation à rendre. Si la restitution d’une prestation de service a lieu en valeur, celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie27. C’est à cette date que la valeur est fixée ; peu important la date d’intervention du juge. Ainsi, dans un arrêt du 26 avril 202528, la Cour de cassation précise que l’estimation de la valeur, s’agissant d’une prestation de service, est contenue dans le montant même du prix payé ; y compris, comme en l’espèce, en cas de survenance d’un événement de force majeure rendant l’empêchement d’exécuter définitif. En l’occurrence, un commerçant a conclu avec un comité d’une foire aux fromages et aux vins un contrat de réservation d’un stand pour cette foire qui devait se tenir en avril 2020. La survenance de la pandémie de Covid-19 ayant définitivement empêché la manifestation, l’organisateur refuse le remboursement total du prix payé pour la location du stand. Conformément au texte du Code civil, les règles de la résolution du contrat sont appliquées29 ; ainsi libérées de leurs obligations, que doivent exactement se restituer les parties et à partir de quelle date : le jour du contrat ou celui de l’annulation de la foire ? La Cour de cassation rappelle que, lorsque les prestations échangées ne peuvent trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. La valeur de la prestation à restituer doit correspondre alors au prix intégralement payé, son estimation, au jour des restitutions, ne pouvant être altérée par des causes extérieures survenues postérieurement. La date de la valeur d’une prestation à restituer est celle, invariable, de la date de son paiement.

Quid pourtant de l’inflation30 qui a pu altérer la valeur de cette somme d’argent entre le jour du paiement et le jour de la restitution ? Dévalorisée, la somme d’argent à rembourser est à la charge de son créancier. Dans toute sa rigueur, le principe du nominalisme monétaire, à peine corrigé par le jeu de l’intérêt, reprend alors son cours pour la satisfaction de celui tenu de restituer.

B – L’estimation de la valeur, en son état, au jour des restitutions

L’état de la chose à restituer, lorsqu’il diffère de son état d’origine, reste évidemment au cœur de la recomposition des droits. La chose a pu être affectée par les vicissitudes du temps passé, alors même qu’elle a été entre les mains de celui désormais tenu de rendre.

Par principe, la chose même, ou sa valeur, doit certes être retournée en son état originaire au créancier de la restitution. Faut-il encore que la consistance et la composition de celle-ci s’y prête et qu’elle soit proche de son caractère initial au jour de l’acte. En l’occurrence, la valeur à restituer se mesure pourtant alors suivant deux critères. L’un objectif, tenant compte de l’état effectif et présent de la chose, l’autre subjectif, et sans doute plus essentiel, faisant intervenir l’appréciation du comportement de celui tenu de restituer. Celui-ci ne doit pas répondre des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, s’il est de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute, conformément à l’article 1352-1 du Code civil. Aux lieu et place d’un retour à l’origine, il ne doit rendre que la seule chose en son état au jour des restitutions ; ce qui est, de toute évidence, loin d’une restitution à l’identique de la chose au jour de l’acte qui en a été le support. Suivant la même logique, s’il a vendu la chose, il ne doit alors rendre, au jour de la restitution, que le prix de la vente et non sa valeur lorsqu’elle est supérieure au prix31 ; la différence lui restant acquise.

Cette estimation de la valeur, au jour de la restitution, révèle d’ailleurs toute sa complexité s’agissant de certains accessoires à retourner, tels les fruits ou l’usus. Dans le premier cas, la valeur des fruits à restituer, s’ils ne se retrouvent pas en nature, a lieu selon une valeur estimée à la date du remboursement, suivant l’état de la chose au jour du paiement de l’obligation32. Dans le second cas, la valeur de la jouissance à rendre est fixée à compter du jour de la demande33 et non au jour où le juge intervient. Dans l’esprit des rédacteurs du Code civil, il faut donc mesurer l’étendue temporelle de la restitution en estimant son origine et en modulant par suite son point de départ selon, une fois encore, la bonne ou mauvaise foi de celui tenu de restituer. De mauvaise foi, les sommes sont calculées à partir du paiement estimé au jour des restitutions. De bonne foi, elles ne commencent à être dues qu’au jour de la demande puisque celui-ci ne peut plus, à cette date, ignorer l’existence à venir de la valeur à rendre.

D’une manière assez logique, calculer la valeur à restituer implique de considérer les changements de substance ou d’assiette altérants ce qui doit être rendu, au jour des restitutions. Cela étant, ce raisonnement – vrai pour le retour de la chose – ne l’est pas à l’identique lorsqu’il s’agit de restituer une prestation de service, voire une somme d’argent. Le Code civil ne mentionnant nullement l’existence d’une obligation de restitution34, la prise en compte de la valeur à restituer ouvre finalement l’espace à une catégorie intermédiaire entre ce qui est dû en nature et ce qui est dû sous forme monétaire. Somme toute, ce schéma est assez proche tout de même de la transformation d’une obligation en nature qui, changeant de substance, prend la forme de l’obligation monétaire. La particularité de l’estimation de la valeur restituée ainsi monétarisée provient du constat qu’elle n’est pas cristallisée après actualisation, comme dans le cas d’une dette de valeur35. Sans doute est-ce là un point sensible du droit des restitutions et de la recherche – non énoncée dans les textes – d’un équilibre du faible au fort entre les parties à l’opération, le législateur ayant fait le choix de lester le poids de la dette en retour au détriment de celui tenu de recevoir. Même agissant par équivalence, restituer la valeur parait, en cela, assez éloigné de l’objectif louable d’une remise des parties en leur état primitif et à leur point originaire.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Livre III du Code civil, chapitre V : Les restitutions, titre IV : Du régime général des obligations.
  • 2.
    C. civ., art. 1352 à 1352-9.
  • 3.
    C’est le cas notamment de l’accessoire sûreté visé à l’article 1359-2 du Code civil.
  • 4.
    C. civ., art. 1352-1 : « (…) à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute ».
  • 5.
    C. civ., art. 1352-8.
  • 6.
    C. civ., art. 1352-2.
  • 7.
    C. civ., art. 1343, al. 3 : « Le débiteur d’une dette de valeur se libère par le versement de la somme d’argent résultant de sa liquidation ».
  • 8.
    Association Henri Capitant, G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Vo Valeur, 7e éd., 2005, PUF.
  • 9.
    C. civ., art. 1352-7 : « Celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande ».
  • 10.
    À propos de la restitution de l’usus à la suite de l’annulation d’une vente, Cass. 3e civ., 5 déc. 2024, n° 23-16.270 – de la date de la restitution d’un tableau en valeur, Cass. 1re civ., 9 avr. 2025, n° 23-21.479 : https://lext.so/AFoK5U – de la restitution à la suite de la force majeure, Cass. com., 26 avr. 2025, n° 23-21.266 : https://lext.so/OnQNFi.
  • 11.
    Cass. 3e civ., 5 déc. 2024, n° 23-16.270 : S. Pellet, « Des mystérieux liens entre restitutions et responsabilité », RDC mars 2025, n° RDC202k3.
  • 12.
    « (…) si la mauvaise foi du vendeur ne peut le priver de sa créance de restitution ensuite de l’annulation de la vente, incluant la valeur de la jouissance que la chose a procurée à l'acquéreur, ce dernier, s’il est de bonne foi, ne doit cette valeur qu’à compter du jour de la demande ».
  • 13.
    Sur ce point, v. Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, chapitre V : Les restitutions, https://lext.so/Qv6yO2.
  • 14.
    Cass. 3e civ., 5 déc. 2024, n° 23-16.270 : S. Pellet, « Des mystérieux liens entre restitutions et responsabilité », RDC mars 2025, n° RDC202k3.
  • 15.
    Déjà en ce sens, O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2e éd., 2018, LexisNexis, comm. art. 1352-3.
  • 16.
    D’un autre côté, il est éclairant de relever que, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, les acheteurs ont obtenu des vendeurs la condamnation à leur verser 20 000 euros au titre du préjudice résultant de l’augmentation du prix du marché et de leur impossibilité concrète de réaliser une acquisition similaire. C’est bien la faute dolosive des vendeurs qui se trouve finalement sanctionnée sous couvert de l’enchérissement du marché, estimé à 21,50 %, cause de préjudice des acheteurs : Cass. 3e civ., 5 déc. 2024, n° 23-16.270.
  • 17.
    C. civ., art. 1352-6 : « La restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées entre les mains de celui qui l’a reçue ».
  • 18.
    C. civ., art. 1343.
  • 19.
    C. civ., art. 1352-7 : « La restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée (…) La valeur de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce ».
  • 20.
    Comp. C. civ., art. 1343, al. 2, à propos de la libération du débiteur d’une dette de valeur.
  • 21.
    C. civ., art. 1352-2 : « Celui qui l’ayant reçue de bonne foi a vendu la chose ne doit restituer que le prix de la vente. S’il l’a reçue de mauvaise foi, il en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix ».
  • 22.
    C. civ., art. 1352-1 : « Celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute ».
  • 23.
    L’usure peut être liée à l’utilisation prolongée du bien, en ce cas la détérioration doit être inscrite au compte du débiteur.
  • 24.
    En ce sens, C. civ., art. 1153, al. 3, dans sa rédaction antérieure à celle résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
  • 25.
    Cass. 1re civ., 9 avr. 2025, n° 23-21.479 : https://lext.so/AFoK5U.
  • 26.
    C. civ., art. 1352-7 : « Celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande ».
  • 27.
    C. civ., art. 1352-8.
  • 28.
    Cass. com., 26 avr. 2025, n° 23-21.266 : https://lext.so/OnQNFi.
  • 29.
    Les restitutions ont alors lieu dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 du Code civil.
  • 30.
    À titre indicatif, l’indice général des prix INSEE de décembre 2024 est de 118,82 : https://lext.so/BLfHou ; il était de 103,64 en 2020 : https://lext.so/p2lZHX.
  • 31.
    C. civ., art. 1352-2.
  • 32.
    C. civ., art. 1352-3.
  • 33.
    C. civ., art. 1352-7 : « Celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande ».
  • 34.
    Et alors même qu’au sein du livre III du Code civil, le chapitre V : Les restitutions conclut le titre IV « Régime général des obligations ».
  • 35.
    Déjà en ce sens, J. Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les Obligations, 2000, 20e éd., PUF, Thémis Droit Privé, spéc. n° 12, p. 39 : « La dette de valeur est une obligation en nature ».
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