Imprévision : de l’expérience italienne à l’innovation française

Publié le 23/03/2018

Introduite par la récente réforme du droit des contrats, le mécanisme de l’imprévision continue à faire débat. Or ce remède n’est pas nouveau dans le panorama juridique européen, notamment en ce qui concerne le droit italien où l’imprévision existe depuis 1942. Partant, la combinaison entre l’expérience italienne et la nouveauté française pourrait favoriser un enrichissement réciproque des systèmes, tout en ouvrant la voie à des nouvelles perspectives d’harmonisation européenne du droit des contrats.

1. Aborder un thème comme l’imprévision pourrait paraître redondant. Ce terme est, depuis longtemps, bien connu dans la littérature juridique française qui en fait usage pour désigner toute situation dans laquelle un contrat de longue durée, à cause de circonstances imprévisibles lors de sa conclusion, voit son équilibre profondément bouleversé, au point de rendre son exécution excessivement difficile pour la partie subissant un tel déséquilibre1. Cette théorie n’est d’ailleurs pas propre au seul droit français. Ainsi, si l’on se tourne vers le droit comparé il est facile de remarquer que la plupart des systèmes juridiques modernes connaissent et admettent le concept d’imprévision, mais sur la base d’une grande diversité d’approches. En effet, si pour certains pays, l’Allemagne in primis, c’est la vision subjective qui prévaut, pour des raisons historiques liées à la notion du « fondement contractuel »2, pour d’autres États c’est l’approche objective qui l’a emporté. L’imprévision est alors justifiée, pas tellement comme l’expression de l’intention supposée des parties au moment de la conclusion du contrat, mais plutôt comme la prise en compte du déséquilibre économique résultant du bouleversement des circonstances. Tel est le cas du droit italien où le problème de l’imprévision est réglementé depuis 1942 à l’article 1467 du Code civil. Selon cette disposition intitulée « Dell’eccessiva onerosità sopravvenuta » (« De l’onérosité excessive »), l’hypothèse de l’imprévision intervient toutes les fois que la prestation de l’une des parties est devenue excessivement onéreuse à cause de la survenance d’événements extraordinaires et imprévisibles. Ce qui justifie donc l’imprévision, c’est l’exigence de « conserver l’équilibre des intérêts du contrat », en vue de garantir « l’équité de la coopération » entre les parties3.

2. Or si une telle perspective se retrouve aujourd’hui dans la plupart des textes européens, elle n’est pas étrangère au droit français non plus. En effet, avant même que l’imprévision soit introduite dans le Code civil par l’ordonnance du 10 février 2016, la pratique commerciale avait inventé une série de clauses permettant de modifier les conditions du contrat dans l’hypothèse d’un changement imprévu des circonstances (telles les fameuses clauses de hardship issues des usages du commerce international)4. Pour autant, et sans vouloir reprendre les multiples débats relatifs à la théorie de l’imprévision, il suffira de rappeler ici que, même à la suite de son historique refus par la Cour de cassation en 18765, une partie de la doctrine a maintenu une position favorable à cette notion au nom de la justice contractuelle et de l’idée que les contrats seraient « des combinaisons protégées par la loi pour arriver à des fins supérieures »6. La traditionnelle irrévocabilité du contrat consacrée dans le célèbre adage pacta sunt servanda ne serait donc plus absolue, celle-ci ne pouvant pas ignorer les exigences croissantes de la solidarité et de la bonne foi entre les parties du contrat. Cette position serait d’ailleurs d’autant plus justifiée aujourd’hui que les relations sont de plus en plus étroites entre le droit et l’économie et imposent de prendre en compte les effets du contexte économique sur les relations contractuelles7. Si donc le contrat reste la « loi » des parties, en principe immuable tout au long de son exécution, il n’est toutefois plus imperméable aux changements de contextes économiques, financiers ou circonstanciels. C’est ainsi que le juriste, comme écrivait René Savatier il y a plus de 60 ans, « ne saurait, s’il veut être conscient, méconnaître que les règles de droit qu’il établit reposent sur un donné économique »8. Suivant cette perspective, la théorie de l’imprévision devient alors nécessaire pour faire face à ces bouleversements et permettre au contrat de répondre aux exigences de nos temps.

3. C’est donc dans ce nouveau contexte que s’insère l’imprévision française, désormais codifiée au nouvel article 1195 du Code civil à la suite de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 20169. Ainsi, dès lors qu’un changement de circonstances imprévisible au moment de la conclusion du contrat rend son exécution excessivement onéreuse pour la partie « qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque », celle-ci peut demander au cocontractant, tout en continuant à exécuter son obligation, de renégocier les conditions initiales. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent choisir, d’un commun accord, soit la voie de la résolution du contrat, soit son adaptation par le juge. Néanmoins, « à défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande de l’une des parties, réviser le contrat ou y mettre fin (…) ».

La formulation de la première partie du texte n’est pas sans rappeler l’article 1467 du Code civil italien précédemment cité, l’imprévision étant déclenchée, dans les deux cas, par une situation non prévue au moment de la conclusion du contrat et qui rend son exécution excessivement onéreuse pour une des parties. Ces deux mécanismes seraient dès lors apparemment identiques, ou du moins fortement similaires. Pour autant, si l’on continue dans cette étude comparative des textes, l’on s’apercevra que les remèdes adoptés par les législateurs sont radicalement opposés : renégociation comme première voie en droit français ; résolution directe du contrat en droit italien, à moins que la partie favorisée par l’imprévision n’offre une renégociation « équitable » du contrat. Et les différences ne s’arrêtent pas ici. Si en effet le législateur français a admis, bien que non sans s’attirer les critiques de nombreux commentateurs, la révision judiciaire du contrat, de tels pouvoirs sont en revanche absents dans les dispositions italiennes. Voici alors le résultat de cette première analyse : une même hypothèse, l’imprévision, à l’apparence unique aux systèmes français et italien mais faisant en réalité l’objet d’une appréhension opposée (I).

4. Néanmoins, si l’on persiste dans cette étude des différences, il apparaît rapidement que cette pluralité de solutions est partiellement trompeuse. En effet, bien que les différences normatives soient manifestes, celles-ci n’impliquent pas automatiquement que les difficultés pratiques résultant de leur application soient aussi divergentes. Ainsi, les questions posées par les effets de la renégociation du contrat sont bien présentes tant en France qu’en Italie. Et quid du rôle du juge dans la révision du contrat ? L’absence de toute prévision en droit italien n’élimine pas les débats quant à l’opportunité de son intervention dans l’hypothèse décrite à l’article 1467 du Code civil.

5. Dès lors, dans la recherche de possibles solutions aux problèmes applicatifs de droit interne, le droit comparé peut démontrer toute son utilité en tant que véritable source d’inspiration. Comparer les systèmes nationaux permet en effet non seulement de prendre en compte des différences, mais également d’aboutir à des résultats communs en partant de ces mêmes divergences normatives10. Partant, l’analyse des différents traitements de l’imprévision en droit français et en droit italien favoriserait un enrichissement réciproque des systèmes (II), tout en démontrant que les possibilités d’harmonisation européenne du droit des contrats ne sont probablement plus une simple utopie.

I – Imprévision en droit français et en droit italien : de faux amis ?

6. Avec un décalage de presque 75 ans, les droits des contrats français et italien se sont finalement alignés. Le nouvel article 1195 du Code civil français pose désormais une règle générale définissant les situations d’imprévision ainsi que leur régime. Deux remarques s’imposent. La première, quant aux conditions de survenance de l’imprévision, fortement similaires dans leur respective énonciation aux articles 1195 du Code civil français et 1467 du Code civil italien (A). La seconde, concernant les solutions proposées, celles-ci prévoyant, malgré une identité substantielle des conditions de prise en compte de l’imprévision, des moyens de traitement radicalement différents (B).

A – La mise en place de l’imprévision : la comparaison des droits français et italien

7. Malgré quelques divergences textuelles, les situations pouvant donner lieu à la mise en place des imprévisions « françaises » et « italiennes » présentent une série de points communs. Nous analyserons ainsi les conditions posées par l’article 1195 du Code civil français, afin de les comparer avec celles énoncées dans le droit italien.

1 – Le domaine des « imprévisions » italienne et française

8. Avant de nous concentrer sur les conditions requises pour la mise en jeu de l’imprévision, il convient de s’intéresser au champ d’application du nouvel article 1195 du Code civil français, ainsi qu’à celui de son homologue italien.

9. À l’opposé de la plupart des textes internationaux et européens, ainsi que de certains avant-projets11, le texte français issu de l’ordonnance de 2016 concerne la généralité des contrats. Ainsi, du moins en principe, cet article semblerait viser non seulement les contrats de longue durée (en pratique les premiers à être concernés par ce nouveau mécanisme), mais aussi les contrats à exécution instantanée dans lesquels le moment de leur formation et celui de leur exécution interviennent dans un intervalle de temps suffisamment long pour permettre un éventuel changement imprévisible de circonstances12. Toutefois, les doutes ne s’arrêtent pas ici. En effet, l’absence de limites au domaine d’application oblige à s’interroger sur la possible mise en place de l’imprévision aux contrats et actes unilatéraux.

10. À cet égard, deux raisonnements sont possibles. Si l’imprévision est interprétée dans une seule perspective d’équilibre entre les prestations des parties, l’article 1195 ne pourrait dès lors s’appliquer qu’aux contrats synallagmatiques13. A contrario, si l’on mesure l’impact des circonstances imprévisibles non pas sur la seule base de la valeur de la contrepartie attendue, mais aussi en rapport au sacrifice qu’une seule personne s’était engagée à supporter au moment de sa promesse, le champ de l’imprévision pourrait alors s’élargir aux contrats et actes unilatéraux. C’est d’ailleurs la direction suggérée par les commentateurs du « Draft Common Frame of Reference » (« DCFR »), favorables à une révision de l’engagement toutes les fois que le promettant serait gravement ruiné par l’exécution de sa promesse14. Néanmoins, une telle lecture reste minoritaire, l’imprévision étant traditionnellement reconduite à une hypothèse de déséquilibre entre les prestations réciproques. Dans l’attente d’un éventuel changement de position des juges, mieux vaut donc limiter le champ d’application de l’article 1195 du Code civil aux seuls contrats synallagmatiques.

11. Se tournant vers les articles 1467 et suivants du Code civil italien en revanche, ses rédacteurs ont préféré limiter leur champ d’application. Ainsi, les remèdes de l’imprévision sont applicables tant dans les contrats synallagmatiques15 que dans les contrats unilatéraux16. Contrairement à la formulation générale de l’article 1195 du Code civil français, le droit italien ne laisse donc aucun doute à cet égard. L’imprévision pourra dès lors intéresser non seulement les contrats synallagmatiques, ce qui constitue l’hypothèse de principe, mais elle pourra aussi intervenir dans le cadre des contrats unilatéraux17.

12. Dans les deux cas, un élément s’avère toutefois indispensable : la durée du contrat. En effet, l’article 1467 se réfère spécifiquement aux contrats prévoyant une exécution continue pour une certaine période (« contratti a esecuzione continuata o periodica ») ainsi qu’aux contrats dont l’exécution est échelonnée dans le temps (« a esecuzione differita »). Cette dernière précision nous permet alors d’élargir le champ d’application de l’imprévision italienne et de l’aligner sur son « cousin » français. Ainsi, ce mécanisme entre en jeu non seulement dans les contrats de longue durée, mais également dans les contrats à exécution instantanée dans lesquels le moment de leur formation et celui de leur exécution interviennent dans un intervalle de temps suffisamment long pour permettre un éventuel changement imprévisible de circonstances.

13. Une fois délimité le champ d’application, se pose le problème de déterminer les conditions de mise en œuvre de l’imprévision. En la matière, les régimes étudiés présentent de multiples points communs, en posant dans les deux cas une triple condition : d’abord un changement imprévisible des circonstances ; ensuite le caractère excessivement onéreux de la prestation ; enfin l’exclusion des contrats aléatoires par nature ou par volonté.

2 – Un changement imprévisible de circonstances

14. Tant le nouvel article 1195 du Code civil français que son homologue italien sont assez précis à cet égard. Ainsi, pour que l’on puisse mettre en œuvre l’imprévision, il est indispensable qu’une modification des circonstances initiales survienne et que ce changement ait été imprévisible au moment de la conclusion du contrat. Ce qui compte alors ici n’est pas une mutation quelconque d’événements, mais un véritable bouleversement non prévisible par les parties au moment de la conclusion du contrat.

15. Ceci implique alors une conséquence inévitable, l’imprévision ne pouvant être appliquée que dans les hypothèses où le déséquilibre provoqué par le bouleversement soudain des circonstances n’intervient qu’après la conclusion du contrat. En effet, si tel n’était pas le cas, le mécanisme prévu serait non pas celui de l’article 1467 du Code civil italien ou de l’article 1195 du Code civil français, mais celui, bien différent, de la rescision du contrat pour lésion18. Cette conclusion est d’ailleurs confirmée par l’appellation généralement attribuée en droit italien aux situations d’imprévisions : survenance de l’onérosité excessive (« eccessiva onerosità sopravvenuta »). Tel étant son nom commun, il n’y a donc pas de doute que seuls les changements intervenus postérieurement à la conclusion du contrat seront pris en compte dans la mise en jeu de l’imprévision.

16. Cependant, un autre facteur est nécessaire pour que ces circonstances postérieures deviennent déterminantes : c’est leur imprévisibilité.

Si pour le droit français il est possible de se référer aux critères élaborés en doctrine et en jurisprudence sur le thème de la force majeure19, en droit italien c’est la seule jurisprudence qui en a dicté les paramètres. Ainsi, selon la position aujourd’hui constamment suivie par la Cour de cassation italienne, le caractère extraordinaire du changement comporte une évaluation de nature purement objective et qui prend en compte la fréquence de réalisation d’un certain événement par le biais du recours à méthodes de calcul statistique. Quant à l’examen de l’imprévisibilité en revanche, c’est le critère subjectif qui l’a emporté. Dès lors, pour déterminer si la modification des événements était prévisible ou non par les parties au moment de la conclusion du contrat, c’est à la personne du contractant qu’il faut faire référence afin d’en évaluer la conformité de son comportement à celui qu’on aurait pu attendre du contractant modèle20.

17. In fine, outre leur imprévisibilité, les circonstances donnant lieu aux situations d’imprévision doivent faire l’objet d’un changement. En d’autres termes, il faut que l’environnement dans lequel le contrat avait été conclu soit soudainement modifié. Toutefois, un simple changement n’est pas en soi suffisant à faire entrer en jeu le mécanisme de l’imprévision. En effet, d’une part, ce bouleversement ne doit pas avoir été prévu par les parties au moment de la conclusion du contrat et, d’autre part, une telle modification doit être en mesure de rendre la prestation d’un contractant « excessivement » onéreuse par rapport à sa valeur initiale.

3 – L’onérosité excessive de la prestation

18. Le mécanisme prévu à l’article 1195 du Code civil ne peut être déclenché que si le changement de circonstances « rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie ». Cette condition, qui se rapproche de la formulation italienne et qui reprend la solution adoptée dans les principes du droit européen des contrats21, implique donc une modification significative de l’équilibre économique entre les parties par rapport à la situation présente au moment de la conclusion du contrat. Ce qui semblerait alors compter, en vue de la mise en marche de l’imprévision, c’est uniquement l’incidence économique découlant du bouleversement des circonstances et non pas, contrairement à la proposition avancée dans l’avant-projet Catala22, l’éventuelle perte d’intérêt au contrat. En effet, retenir une telle conception de l’imprévision impliquerait de prendre en compte le but recherché par les parties au moment de la conclusion du contrat et donc à subordonner l’application de l’article 1195 du Code civil au fondement même du contrat23. Or compte tenu de la formulation choisie par le législateur, un tel raisonnement paraît s’éloigner de l’approche adoptée dans l’article 1195 du Code civil, celui-ci visant essentiellement la survenance d’un déséquilibre économique entre les parties du contrat24.

19. Cette même conception de l’imprévision est par ailleurs bien visible dans les décisions de la jurisprudence italienne, pour laquelle l’élément-clé pour l’appréciation du caractère excessivement onéreux est la valeur des prestations des contractants. Ainsi, si l’on est confronté à un contrat unilatéral, l’imprévision entrera en jeu dans la seule hypothèse d’une grave disproportion entre la valeur initiale de la prestation et celle résultant de la survenance d’événements imprévisibles et extraordinaires. De manière similaire, si les parties ont passé un contrat synallagmatique, l’onérosité excessive consistera dans une grave disproportion survenue entre, d’une part, la nouvelle valeur des prestations découlant du bouleversement soudain des circonstances et, d’autre part, leur valeur initiale prise en compte par les contractants25.

20. Cependant, la présence des conditions énoncées ci-dessus ne saurait toujours garantir l’effective mise en place de l’imprévision. Pour que celle-ci intervienne, encore faut-il que les parties, soit par le choix du contrat, soit par la prévision d’une clause, n’aient pas accepté les risques de possibles déséquilibres.

4 – L’absence de clauses d’acceptation du risque

21. Le contrat étant le produit de la volonté des parties, dès lors que le contractant qui subit les conséquences de l’imprévision a accepté à l’avance d’en « assumer le risque »26, ce mécanisme ne pourra pas entrer en application. Rien de nouveau sur ce point, étant donné qu’une telle limite est prévue dans la plupart des textes internationaux et européens, y compris dans le droit italien qui exclut que ce remède puisse entrer en jeu dès lors que le contrat est « aléatoire par nature ou par volonté des parties »27.

22. En revanche, en ce qui concerne la rédaction des clauses d’acceptation du risque, cette faculté semblerait prouver le caractère « supplétif de volonté »28 de l’imprévision, la loi voulant laisser aux cocontractants la possibilité, s’ils le souhaitent, d’insérer dans le contrat des clauses allant écarter le jeu de l’imprévision. Il reste néanmoins à se demander, ainsi que l’a fait une partie de la doctrine française, si ce caractère supplétif sera également valable dans les hypothèses d’une clause prévoyant une formulation générale incluant tout risque indéterminé29 ou, pire encore, dans le cadre des contrats d’adhésion où les conditions générales sont dictées par un seul des cocontractants30. Dans ces derniers, en effet, ne pourrait-on pas considérer qu’une clause prévue par une seule des parties et allant imposer à l’autre l’ensemble des risques d’un changement de circonstances constitue une clause abusive au sens du nouvel article 1171 du Code civil français31 ? C’est pourquoi, suivant la solution proposée par certains auteurs32 et dans l’attente d’une intervention en la matière par la Cour de cassation, le caractère supplétif de l’article 1195 du Code civil devrait se limiter aux seuls contrats de gré à gré, leur contenu ayant été en principe négocié par les parties, pour être en revanche toujours mis en application, si ses conditions sont réunies, dans les contrats d’adhésion.

23. Une fois les conditions de l’imprévision vérifiées, se pose le problème d’appliquer les remèdes prévus par les textes. Or si l’étude jusqu’ici présentée nous a montré la présence de critères finalement identiques dans la définition de ce mécanisme, les solutions adoptées par les législateurs vont dans la direction opposée. Dès lors, ces deux mécanismes apparemment « jumeaux » ne seraient en réalité que des faux amis, les remèdes offerts par les droits français et italien étant multiples et divergents.

B – Les remèdes à l’imprévision

24. Comment traiter une situation d’imprévision ? Telle est la vraie question qui intéresse et partage les milieux juridiques. La renégociation paraîtrait la solution plus naturelle et conforme aux deux grands piliers du droit des contrats, la liberté contractuelle et la force obligatoire des conventions. Or cette première modalité ne garantit pas toujours le succès, les parties ne parvenant pas, ou ne voulant pas parvenir, à une révision consensuelle des conditions contractuelles. Que faire alors dans une telle hypothèse ? Deux voies peuvent s’ouvrir aux contractants : soit la résolution du contrat, soit la saisine du juge pour qu’il puisse procéder à sa révision. Néanmoins, cette dernière solution, fruit des théories prônant l’idée d’un solidarisme contractuel, est depuis toujours fortement contestée par les milieux libéraux qui y voient une atteinte à l’autonomie des parties. Bien conscientes de ces oppositions, les législations nationales ont ainsi abouti à des traitements de l’imprévision les plus disparates et cela malgré la présence, dans certains systèmes, de conditions de mise en œuvre similaires. Preuve de cette tendance en sont les droits français et italien, le premier consacrant au premier plan la renégociation du contrat et seulement en cas d’échec la révision judiciaire (1), le second en prévoyant en revanche sa directe résolution (2)33.

1 – La pluralité de remèdes dans l’imprévision française

25. Suivant le modèle des projets l’ayant précédé, ainsi que l’approche adoptée dans la plupart des textes internationaux, l’article 1195 du Code civil introduit deux modalités possibles dans le traitement de l’imprévision : d’abord la renégociation entre les parties ; ensuite et uniquement en cas de refus ou d’échec de celle-ci, la résolution du contrat ou l’intervention judiciaire.

26. Ainsi, aux termes de l’article 1195, alinéa 1er, du Code civil, dans l’hypothèse où une partie estime qu’à cause d’un changement imprévisible de circonstances sa prestation est devenue excessivement onéreuse, elle « peut » demander la renégociation du contrat à son cocontractant. Bien que formulée comme une simple faculté, il semble toutefois clair que l’objectif des rédacteurs de la disposition a été de favoriser le plus possible la recherche d’un accord entre les parties. Cela paraîtrait d’ailleurs d’autant plus évident si on regarde à l’alinéa suivant qui subordonne la saisine du juge à l’échec ou au refus de renégociation. C’est pourquoi, en dépit de ce choix textuel, cette faculté de proposer une renégociation du contrat devrait plutôt être lue sinon comme une véritable d’obligation, du moins comme un passage nécessaire pour la partie prétendant avoir subi le déséquilibre34.

27. Reste enfin à noter que, dans sa dernière partie, l’article 1195, alinéa 1er, précise qu’en dépit de sa demande de renégociation, la partie ayant subi le déséquilibre est néanmoins tenue de continuer l’exécution de ses obligations. Et pour cause. En effet, l’imprévision n’est pas comparable à une situation de force majeure et, parallèlement, l’exception d’inexécution implique le refus d’exécuter ses obligations par le cocontractant35, il n’y aurait pas motif de prévoir que le simple fait d’avoir proposé une renégociation justifie l’interruption de toute exécution. Une telle admission, comme le soulignent les rédacteurs du rapport au président de la République, risquerait d’encourager des possibles manœuvres dilatoires et mettrait gravement en péril le principe de la force obligatoire du contrat36.

28. Une fois la renégociation proposée, plusieurs issues peuvent alors être envisagées. Ainsi, les parties pourraient parvenir à trouver un accord, sans ou avec l’éventuelle intervention d’un médiateur, ce qui représente la solution idéalement prévue par la loi. Toutefois, ce premier scénario est particulièrement optimiste. En effet, les contractants pourraient ne pas aboutir à une renégociation conventionnelle et choisir alors de mettre fin définitivement à leur rapport en optant pour une résolution du contrat. Cette éventualité est prévue au début du deuxième alinéa de l’article 1195, qui énonce qu’en cas d’échec ou de refus de la renégociation, les parties « peuvent convenir la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent ». Dans une telle hypothèse un accord sera dès lors bien présent mais son objet portera non pas sur la révision du contrat, mais sur sa cessation.

29. Cependant, ce ne sont pas les seules voies offertes aux parties. Ces dernières pourraient effectivement avoir intérêt à maintenir e contrat, sans pour autant réussir à s’accorder sur sa renégociation. C’est alors dans un tel cas que le nouvel article 1195 du Code civil admet l’intervention du juge, une des principales nouveautés issues de l’ordonnance du 10 février 2016.

30. En effet, après plus d’un siècle d’hostilité et refus constant de la part de la Cour de cassation, la révision directe du contrat par le juge fait son entrée dans le droit français. Ainsi, selon le nouvel article 1195, alinéa 2, du Code civil, deux interventions du juge sont envisageables : soit les parties décident de lui demander, d’un commun accord, de « procéder à l’adaptation » du contrat ; soit ces dernières n’aboutissent à aucun accord « dans un délai raisonnable » et dès lors, dans cette hypothèse, « à la demande d’une partie », le juge pourra « réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ». Deux scénarios s’ouvrent dès lors pour la juridiction saisie, selon que la demande provient d’une seule ou des deux parties. Dans la première hypothèse, le juge devra en effet s’assurer au préalable du respect des conditions posées par l’article 1195, alinéa 1er, dès lors que celles-ci sont contestées par l’autre cocontractant. A contrario, si la demande est formée par les deux parties d’un commun accord, un tel contrôle ne sera pas nécessaire du moment que le juge, manquant toute contestation, fondera son pouvoir non pas en fonction de la réunion des conditions de l’imprévision, mais sur la base « de la demande que lui expriment les parties ».

31. Or cette étendue des pouvoirs judiciaires n’est pas commune à tous les systèmes juridiques européens. En effet, tout en ayant introduit l’imprévision plus d’un demi-siècle avant le droit français, la législation italienne semble bien plus rigide face à l’intervention du juge dans le contrat.

2 – Les remèdes à l’imprévision italienne

32. Contrairement au nouveau texte français, l’article 1467 du Code civil italien prévoit une seule réaction possible, en voie de principe, à l’hypothèse de l’imprévision. Ainsi, selon son 1er alinéa, en cas d’événements imprévisibles et extraordinaires rendant la prestation d’un contractant excessivement onéreuse, ce dernier peut demander la résiliation du contrat. Lors du procès, néanmoins, le défendeur (c’est-à-dire le cocontractant) peut éviter la fin du contrat en proposant une modification équitable des conditions contractuelles37. Dès lors, à l’opposé de l’approche suivie par les rédacteurs de la réforme française, le droit italien ne considère pas la résiliation et la révision du contrat comme deux voies séparées. À l’inverse, ces deux instruments se complètent, le premier pouvant être évité par l’offre de la partie contractante de ramener le contrat à une situation d’équilibre. Ainsi, si l’imprévision se traduit par une première tentative de révision consensuelle, suivie, en cas d’échec ou de refus de celle-ci, par la résolution du contrat d’un commun accord, une telle perspective est absente dans l’imprévision italienne où la voie de principe reste la seule résolution demandée par la partie invoquant l’onérosité excessive.

33. Qui plus est, si dans le nouveau mécanisme français, l’initiative de la renégociation du contrat doit provenir du contractant subissant l’imprévision, a contrario l’article 1467 du Code civil italien subordonne cette solution à l’initiative du cocontractant, à la suite de la saisine du juge pour obtenir la résiliation du contrat au visa des articles 1467 et 1453 du Code civil. La situation qui en découle est par conséquent radicalement différente : d’une part, dans le texte français, le cocontractant se limite à accepter ou refuser l’offre de renégociation de l’autre partie et, en cas d’échec ou de refus, la résolution du contrat sera demandée par les deux parties en accord ; d’autre part, dans le texte italien, la demande de résolution du contrat est nécessaire pour que la contrepartie puisse offrir une révision des conditions contractuelles.

34. Or s’il est vrai que la doctrine italienne est traditionnellement fortement hostile à l’intervention du juge dans la révision du contrat, une évolution en sens contraire semble se développer dans la jurisprudence plus récente. Dans cette perspective, l’influence des textes internationaux, complétée par le droit comparé, joue un rôle de premier plan. Partant, les questions laissées sans réponse tant par le récent article 1195 du Code civil français que, sous certains aspects, par l’obsolète article 1467 du Code civil italien, pourraient trouver, en pratique, des possibles solutions communes. Dès lors, la multiplicité d’appréhensions de l’imprévision ne serait limitée qu’au plan textuel, cette figure pouvant aboutir à un enrichissement réciproque entre les systèmes juridiques français et italien.

II – Imprévision en droit français et en droit italien : un enrichissement réciproque ?

35. Chaque fois qu’un instrument juridique fait son entrée dans une législation donnée, son appréciation ne peut ignorer son éventuelle prise en compte dans les systèmes voisins. Telle est la voie qui a été suivie à l’égard du nouvel article 1195 du Code civil français et que nous allons adopter dans cette deuxième partie de l’étude. En effet, nous venons de voir que les modalités de traitement de l’imprévision diffèrent entre les systèmes italien et français. Dans un cas, la révision judiciaire n’intervient que subsidiairement, en cas d’échec ou de refus de renégociation entre les parties ; dans l’autre cas, l’intervention du juge semble en revanche inévitable, dans le cadre d’une procédure introduite en vue d’obtenir la résiliation du contrat. L’objectif d’harmonisation semble alors ici plutôt loin d’être réalisé. Or l’apparence est souvent trompeuse. Certes des divergences existent, mais leur simple présence ne suffit pas, en soi, à empêcher toute tentative d’uniformisation des solutions. Notre analyse s’enchaînera dès lors en deux étapes : d’abord nous essayerons de proposer des possibles solutions communes dans le domaine de la révision conventionnelle (A), pour tenter ensuite d’envisager de possibles traitements uniformes dans la mise en place de la révision judiciaire (B).

A – Le traitement conventionnel de l’imprévision

36. La vague révolutionnaire apportée par l’introduction de l’imprévision en France n’a pas été suffisante à éliminer toutes les questions découlant de cet instrument, in primis en matière de renégociation amiable du contrat. Parallèlement, l’interprétation évolutive du régime introduit au siècle dernier par le législateur italien semblerait ouvrir la possibilité d’une révision du contrat par les parties, contrairement à la règle générale de la résiliation posée par l’article 1467 du Code civil italien. Serait-il alors possible d’envisager un traitement conventionnel de l’imprévision italienne ? Et quid du déroulement de la renégociation prévue à l’article 1195 du Code civil français ? Telles sont les questions auxquelles nous tenterons de répondre.

1 – Le possible traitement conventionnel de l’imprévision italienne

37. À première vue, l’article 1467 ne semble laisser aucun doute. En cas d’imprévision, le contractant victime « peut » demander la résolution du contrat, issue qui ne peut être évitée que par une contre-proposition de la part du cocontractant de réviser les conditions du contrat selon le principe d’équité. Un tel régime appelle alors deux remarques. D’abord, une telle formulation semblerait impliquer que la partie subissant l’imprévision n’a qu’une seule possibilité : soit elle demande au juge la résiliation du contrat, soit elle s’oblige à exécuter les conditions contractuelles modifiées par les circonstances imprévisibles et exceptionnelles. Cela implique donc que la seule voie pour permettre à la partie lésée de maintenir le contrat serait soit d’exécuter sa prestation, bien que devenue excessivement plus onéreuse, soit espérer une offre de renégociation par le cocontractant assigné en justice pour la résolution du contrat. Ce dernier serait ainsi le seul titulaire du « pouvoir »38 de permettre la conservation de l’accord : s’il propose la modification des conditions du contrat et que celle-ci est acceptée par la partie ayant introduit la procédure, la demande de résiliation pourra être rejetée ; à l’inverse, le juge mettra fin au contrat selon les conditions et le temps qu’il détermine.

38. L’asymétrie entre les parties est dès lors évidente. Si le contractant avantagé veut éviter la résiliation du contrat en offrant une modification des conditions, alors l’autre partie pourra obtenir une réduction de sa prestation. A contrario cette dernière n’aura aucune possibilité de conserver le contrat, à moins d’en accepter l’exécution aux conditions plus onéreuses par rapport à celles initialement acceptées. L’on voit donc mal comment un tel régime peut tendre à la protection des intérêts des contractants. Quid si la partie lésée par l’imprévision avait intérêt à poursuivre le rapport contractuel mais que le cocontractant n’a offert aucune modification, ou que l’offre proposée a été rejetée par le juge car évaluée non équitable ? Ces hypothèses démontrent alors qu’un changement de perspective est nécessaire.

39. Prenons le modèle de l’article 1195 du Code civil français. Ce dernier, on l’a pu voir dans les paragraphes précédents, a donné un rôle premier à la renégociation du contrat entre les parties, limitant l’intervention du juge au seul échec de celle-ci ou au refus du cocontractant. Or s’il est vrai, comme on va le voir par la suite, que le texte français ne prévoit aucune véritable obligation de renégocier à la charge de la partie lésée, encore moins à la charge du contractant favorisé, son but reste toutefois évident : inciter les parties à entrer dans un processus de renégociation, en vue de limiter l’intervention du juge dans le contrat. Dès lors, nul besoin de procéder à une reformulation de l’article 1467 du Code civil italien, pourquoi ne pas réinterpréter son régime dans une perspective innovante, en encadrant l’action du juge à la seule hypothèse d’incapacité ou de refus des parties à parvenir à un accord ? Cette solution, par ailleurs adoptée dans la généralité des textes européens et internationaux39 et soutenue par une majorité croissante de la doctrine et de la jurisprudence italiennes, trouverait son fondement dans le principe général de la bonne foi, pilier fondamental du droit contractuel et désormais central au cours de toute la vie du contrat, de sa formation à son exécution40. Partant, dans le respect de leur devoir réciproque de coopération, les contractants seraient préalablement « invités » à renégocier le contrat dans l’hypothèse où, en raison de circonstances exceptionnelles et imprévisibles au moment de sa conclusion, l’équilibre économique entre les prestations aurait subi un bouleversement radical. Cela ne signifierait donc pas obliger les parties à entrer en renégociation, celles-ci pouvant ne plus avoir aucun intérêt dans le maintien du rapport contractuel, mais simplement permettre à la partie victime de l’imprévision de proposer une renégociation du contrat, sans devoir ainsi dépendre de l’éventuelle offre, de nature judiciaire, proposée par le cocontractant défendeur. Dès lors, même en l’absence d’une clause expresse dans le contrat, la possibilité de renégociation conventionnelle devrait toujours être admise pour les parties, en tant qu’expression du devoir plus général de bonne foi41 dans l’exécution du rapport contractuel.

40. Suivant cette perspective, l’intervention du juge et donc le remède prévu à l’article 1467 du Code civil italien, ne deviendrait alors que subsidiaire, car limitée au seul cas d’échec ou de refus de renégociation entre les parties, similairement à la solution récemment retenue par le législateur français. La demande de résolution judiciaire, ainsi que l’éventuelle offre du défendeur de réviser le contrat, seraient donc cantonnées au second plan, en tant qu’échappatoires à l’éventuelle incapacité des contractants à aboutir à une renégociation conventionnelle des conditions du contrat.

41. Si une telle solution s’approche, certes, de celle retenue à l’article 1195 du Code civil français, encore faudrait-il, néanmoins, que la partie victime de l’imprévision puisse saisir le juge non pas simplement pour faire cesser le contrat, mais aussi pour en obtenir sa révision. Or compte tenu des conséquences pratiques d’une telle prévision, son admission rendrait nécessaire une véritable reformulation de l’article 1467 du Code civil italien et, en général, de la méthode d’appréhension de l’imprévision. Là encore, cependant, le principe général de la bonne foi pourrait venir en aide, notamment dans l’hypothèse d’un refus injustifié de la part du contractant favorisé par le changement des circonstances. En la matière, en effet, une partie de la doctrine italienne42 favorable à la thèse de la révision amiable du contrat considère qu’en cas de refus injustifié de l’un des contractants à renégocier, le juge, après avoir vérifié l’effective présence des conditions de l’imprévision ainsi que les efforts de l’autre partie dans la révision du contrat, pourrait ordonner l’exécution forcée de la renégociation au visa de l’article 2932 du Code civil43. Une telle approche nous apparaît néanmoins un peu excessive, non seulement car elle attribue au juge un pouvoir contrastant avec le dogme fondamental de la liberté contractuelle, mais surtout parce qu’elle implique une véritable obligation juridique des parties à renégocier. Or s’il est vrai que ladite obligation, à défaut de clause expresse, pourrait découler du principe général de la bonne foi44, imposer aux parties de devoir toujours renégocier indépendamment de leur intérêt à conserver le contrat ne ferait qu’engendrer des coûts inutiles pour les contractants45. En effet, ces derniers se verraient obligés de s’asseoir à la table des négociations même s’ils n’en ont pas envie et seulement pour ne pas voir engagée leur responsabilité. Dès lors, l’exigence de bonne foi, au lieu d’imposer une véritable obligation de renégociation, devrait plutôt s’entendre dans le sens que chaque contractant est tenu à se comporter, dans l’hypothèse où un processus de révision était initié, dans le respect du devoir de collaboration avec l’autre partie. Telle semblerait d’ailleurs être l’approche adoptée par le législateur français, l’article 1195 du Code civil ne prévoyant pas un devoir de renégociation, mais la possibilité pour la partie victime de l’imprévision de proposer la révision du contrat au cocontractant46.

42. Cependant, la question de la renégociation du contrat ne serait pas limitée au seul système italien. En effet, en dépit du progrès certainement indiscutable apporté par la réforme française du droit des contrats, le traitement de l’imprévision conserve une série de zones d’ombres. Ainsi, bien que la renégociation conventionnelle prévue par l’article 1195 du Code civil français puisse constituer un modèle pour la révision de l’article 1467 du Code civil italien, restent à déterminer les conséquences d’un éventuel refus de l’une des parties. Est-ce la simple possibilité de demander la révision ou la résolution judiciaire, ou bien pourrait-on également envisager une responsabilité au titre de contrariété à la bonne foi ? Et quid des modalités de la renégociation ? Comment évaluer une offre de modification des conditions ? Si le modèle français a pu servir d’inspiration pour l’analyse de l’imprévision italienne, à leur tour les solutions retenues à l’égard de l’article 1467 peuvent devenir une source d’inspiration pour la mise en marche de l’article 1195.

2 – Les possibles solutions pratiques au traitement conventionnel français

43. Contrairement à la formulation du texte italien, l’article 1195 du Code civil français attribue à la révision conventionnelle du contrat une véritable place centrale. Ainsi, la partie lésée par le changement imprévisible des circonstances peut en premier lieu « demander une renégociation du contrat à son cocontractant ». Certes, une telle formulation n’impose aucune véritable obligation à la charge du contractant victime, d’autant plus que la saisine du juge est subordonnée non seulement à l’échec des renégociations mais aussi au refus de celles-ci. Ceci est par ailleurs confirmé par la circonstance que le cocontractant reste en théorie libre de s’engager ou pas dans la renégociation, sans que son refus entraîne automatiquement une faute sanctionnable en vertu de l’article 1195 du Code civil47.

44. Or s’il est vrai que cette solution est conforme à la liberté des parties de choisir de s’asseoir ou non à la table des négociations, il ne faut cependant pas oublier que l’objectif premier du nouvel article est de favoriser, autant que possible, la révision du contrat par l’accord des parties. Ces dernières auraient en effet tout intérêt à renégocier, sachant que dans l’hypothèse inverse, chacune d’entre elle pourrait faire intervenir le juge pour lui demander la révision ou la résolution du contrat, « à la date et aux conditions qu’il fixe ». Cela ne signifie donc pas que le cocontractant est obligé de s’engager dans une négociation alors même qu’il n’a plus aucun intérêt dans le contrat. Toutefois, compte tenu de la possibilité d’une intervention judiciaire, mieux vaut que dans une telle hypothèse, cette partie justifie de manière claire sa décision de ne pas entrer en négociation en vue de demander, en accord avec l’autre partie, la résolution judiciaire du contrat « à la date et aux conditions qu’elles déterminent »48. Un tel comportement, ainsi qu’il a été souligné à l’égard de l’imprévision italienne, permettrait dès lors une meilleure coopération entre les parties et, partant, éviterait de possibles condamnations pour violation du devoir de bonne foi.

45. En effet, bien qu’aucune sanction n’ait été prévue par le nouvel article 1195, il est cependant clair que l’absence de toute collaboration de la part de l’une des parties, ou pire encore son comportement frauduleux, ne pourrait rester sans conséquences. C’est d’ailleurs dans cette direction qu’allait l’avant-projet Catala qui prévoyait, à son article 1135-3, un renvoi aux dispositions en matière de responsabilité pré-contractuelle49. Pour autant, cette disparition n’implique pas qu’une éventuelle violation du devoir de bonne foi, devoir qui fait aujourd’hui partie des dispositions liminaires du droit général des contrats50, reste impunie. Ainsi, en reprenant les mêmes observations développées en droit italien, chaque contractant serait toujours tenu, sur la base non pas de l’article 1195 mais en vertu du principe général de la bonne foi énoncé à l’article 1104 du Code civil, de se comporter de manière loyale et collaborative dans l’hypothèse d’une crise du contrat causée par la survenance de l’imprévision. Ainsi, si l’une des parties se refusait sans aucune justification à participer aux négociations, ou acceptait de réviser le contrat dans le seul but de suspendre l’exécution de sa prestation, ou encore initiait les négociations mais refusait de manière catégorique toute proposition du cocontractant, ce dernier pourrait alors saisir le juge pour demander, outre la révision ou la résolution du contrat, la condamnation de l’autre partie à payer des dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1104 du Code civil51.

Cependant, le devoir de se comporter loyalement n’interviendrait pas uniquement à l’égard du contractant se refusant de renégocier, mais également dans l’hypothèse où les deux contractants manifestent leur intérêt à préserver leur contrat et décident de procéder à sa révision.

46. Toutefois, il conviendra de noter qu’aucune modalité de renégociation n’a été prévue par les rédacteurs de la réforme. À cet égard, il conviendra de noter que l’article 6.2.3., principes Unidroit, bien qu’en ne le rappelant pas explicitement, impose que la renégociation soit soumise au principe général de la bonne foi et au devoir de coopération. De la même manière, l’article L. 441-8 du Code de commerce dispose, en son alinéa 3, que « la renégociation du prix [soit] conduite de bonne foi dans le respect du secret en matière industrielle et commerciale et du secret des affaires, ainsi que dans un délai, précisé dans le contrat, qui ne peut être supérieur à 2 mois (…) ». Enfin, il conviendra de reprendre l’article 1467, alinéa 3, du Code civil italien, qui prévoit que l’offre de modification du contrat par le cocontractant doit être conforme au principe d’équité. Dès lors, tous ces critères pourraient servir d’inspiration pour la mise en place de révision conventionnelle prévue à l’article 1195 du Code civil.

47. Ainsi, les parties devront d’abord conduire les renégociations de manière loyale et collaborative, sur la base de leur devoir général de se comporter conformément à la bonne foi. Partant, elles devront par exemple s’abstenir de tout comportement ayant pour seul effet de retarder le processus de révision, ou encore elles seront tenues de fournir toutes les informations nécessaires, conformément au devoir qui leur est généralement imposé par le nouvel article 1112-1 du Code civil en matière de négociation du contrat. Quant au contenu de l’offre, similairement à la solution italienne, celle-ci devrait tendre à une modification « équilibrée » des conditions du contrat. Ceci impliquerait alors, selon l’interprétation donnée par la jurisprudence italienne à la notion d’équité, que la révision conventionnelle du contrat devrait permettre de rétablir un équilibre entre les prestations réciproques des parties. Toutefois, comment déterminer ce point d’équilibre ? Selon la Cour de cassation italienne le raisonnement à suivre est le suivant : pour évaluer la nature équitable d’une offre de renégociation prévue à l’article 1467 du Code civil, il faut se demander si, dans l’hypothèse où les nouvelles conditions auraient été présentes antérieurement à la survenance de l’imprévision, la partie lésée aurait pu demander la résolution du contrat. En cas de succès, l’offre peut être considérée comme équitable, puisqu’elle aura permis de reporter le contrat à son aléa normal de répartition des risques ; a contrario l’offre doit être revue car incapable de mettre fin au déséquilibre économique causé par l’imprévision52. Or bien qu’une telle lecture ne concerne que l’article 1467 du Code civil italien prévoyant explicitement le critère de l’équité, pourquoi ne pas étendre cette approche à la révision du contrat régie par l’article 1195 du Code civil français ? En effet, suivant la thèse développée par la jurisprudence italienne et soutenue par une partie de la doctrine, ce qui intervient ici n’est pas la notion traditionnelle de l’équité, celle-ci relevant de l’interprétation souveraine des juges du fond. Plutôt, le critère proposé repose sur une évaluation in concreto et objective de la valeur économique du contrat, afin d’en garantir son utilité tant pour les contractants eux-mêmes que pour le marché à l’intérieur duquel la convention est insérée53. Partant, le contrôle de la renégociation du contrat n’impliquerait pas une simple interprétation discrétionnaire du juge des modifications proposées, mais supposerait au contraire une véritable analyse économique du contrat54 afin d’en vérifier objectivement son retour à l’équilibre des prestations.

48. Dans cette perspective, l’intervention judiciaire ne serait donc pas aussi dangereuse qu’elle apparaît. Cependant, des doutes subsistent, mais là encore, les solutions étrangères pourraient venir en aide.

B – L’intervention du juge dans l’imprévision

49. Deux hypothèses doivent être ici envisagées : d’une part, celle de la révision judiciaire du contrat ; d’autre part, celle de la résolution judiciaire du contrat. Si cette dernière est bien connue en droit positif, la première a en revanche toujours suscité une réaction d’hostilité. En effet, admettre que le juge puisse interférer avec la volonté des contractants en insérant dans le contrat des clauses nouvelles et non négociées par ces derniers équivaudrait à contredire le principe de l’autonomie des parties, principe qui reste, bien qu’avec des tempéraments de plus en plus nombreux, l’un des piliers fondamentaux de notre droit des contrats. Qui plus est, reconnaître au juge le pouvoir de réviser le contrat contribuerait à augmenter l’insécurité des relations juridiques, les parties risquant de subir une modification des conditions contractuelles par voie judiciaire.

50. Or ces craintes sembleraient plus théoriques que pratiques. La révision judiciaire est en effet depuis longtemps bien présente dans de nombreux pays, sans pour autant que son admission n’ait conduit à un bouleversement du droit national des contrats. Ainsi, il suffira de prendre l’exemple du droit allemand, où l’article 313 du BGB prévoit, en tant que remède principal aux hypothèses d’imprévision, l’adaptation du contrat par le juge sur la base de la « répartition contractuelle ou légale des risques ». Similairement, si l’on se tourne vers les textes européens et internationaux, l’on remarquera que la révision judiciaire représente la voie royale dans le traitement de l’imprévision. Ainsi, l’article 6.2.3 des principes Unidroit énonce qu’à défaut d’accord entre les parties, « l’une ou l’autre peut saisir le tribunal » (al. 3) qui, à son tour, peut soit mettre fin au contrat, soit l’adapter (al. 4, b). De même, l’article III, 1, 110, du DCFR dispose que le juge peut modifier les conditions du contrat de manière équitable et raisonnable, ou bien y mettre fin selon la date et les conditions qu’il a fixées (al. 2). La même approche se retrouve également dans les principes Lando, où l’article 6, 111, prévoit qu’en cas d’échec de la renégociation des parties, le juge peut soit prononcer sa résolution, soit adapter le contrat afin de rétablir les prestations à un équilibre juste et équitable.

51. Dès lors, la prévision introduite par le nouvel article 1195, alinéa 2, du Code civil français, ne constituerait pas, si elle est analysée dans une perspective européenne, une véritable nouveauté, mais plutôt une simple adaptation aux solutions suivies au niveau supranational et comparé. Pourtant, les craintes d’une partie des commentateurs persistent, la question étant principalement de savoir quelle sera la marge de manœuvre reconnue au juge dans la révision du contrat.

52. À cet égard, il est utile de distinguer deux cas de figure. D’une part, les contractants pourraient en effet demander de commun accord au juge de procéder à « l’adaptation » du contrat, ce qui pourrait laisser entendre que dans une telle hypothèse les pouvoirs de révision judiciaire sont plus limités car encadrés par les conditions posées par les parties55. D’autre part, en revanche, à défaut d’accord dans un délai raisonnable, l’une des parties pourrait unilatéralement saisir le juge pour lui demander soit la résolution du contrat, soit sa révision. Or c’est exactement ici que les doutes se cristallisent : quelle est l’étendue du pouvoir de révision du juge ? À première lecture l’on pourrait effectivement être tenté d’y voir une liberté assez ample du judiciaire, étant donné que le législateur n’a prévu aucun critère liant le juge dans son activité de révision du contrat. Cependant, il est assez difficile d’imaginer que les rédacteurs de la réforme aient voulu reconnaître un pouvoir aussi étendu aux juges, alors même que le projet d’ordonnance se limitait à prévoir la seule possibilité de résolution judiciaire56.

53. Le problème qui se pose alors est d’établir les conditions en vertu desquelles le juge pourra réviser le contrat. Outre les solutions retenues par les textes européens et internationaux, il conviendra de reprendre ici la notion d’équité prévue par l’article 1467 du Code civil italien. Ainsi, on a pu voir que la jurisprudence italienne interprète ce critère non pas selon sa définition classique, impliquant le recours au pouvoir discrétionnaire pour évaluer la « justesse » du contenu du contrat. A contrario, l’équité requise par l’article 1467 du Code civil est un critère technique, visant à permettre au tribunal de vérifier si l’offre de modification proposée par le cocontractant avantagé par l’imprévision garantit le rétablissement d’un équilibre économique des prestations. C’est pourquoi, en vue de parvenir à cet objectif, la modification du contrat ne doit pas nécessairement consister dans le versement d’une somme d’argent, mais pourrait également prévoir une variation dans la valeur des prestations, ou bien encore dans leurs modalités d’exécution57, pourvu que ces offres soient en mesure de reporter les prestations des parties à une situation d’équilibre.

54. Partant, un tel emploi de la notion d’équité garantirait un encadrement des pouvoirs du juge dans la révision du contrat, celui-ci devant se limiter au seul rétablissement de l’équilibre économique des prestations. Certes, il est vrai que le texte italien n’envisage que la possibilité d’une résolution judiciaire du contrat, en limitant le cas de la renégociation à la seule offre du cocontractant. Cela implique alors que les pouvoirs du juge ne concernent que la capacité de la proposition du défendeur à garantir une modification équitable des conditions du contrat. Néanmoins, une évolution est en cours. En effet, bien que la formulation de l’article 1467 demeure inchangée, de plus en plus d’arrêts de la Cour de cassation italienne ont admis la possibilité que le juge puisse procéder lui-même à la révision équitable du contrat, dès lors que l’offre de la partie avantagée n’apparaît pas adéquate à rétablir l’équilibre entre les prestations58. Ce revirement confirmerait alors que, si encadrée, l’admission d’une révision du contrat par le juge ne constituerait pas en soi un danger pour la tenue du droit des contrats, mais favoriserait au contraire la survie du rapport contractuel en en garantissant son retour à l’équilibre.

55. Quid enfin de la possibilité laissée au juge français de choisir entre la révision du contrat ou sa résolution ? Là encore, le texte de l’article 1195 du Code civil est malheureusement lacunaire. Deux hypothèses sont nouvellement envisageables. Ainsi, lorsque la demande de la partie est spécifiquement dirigée à la révision ou, vice versa, à la résolution du contrat, il est difficile que le juge puisse prononcer d’office une décision contraire, au risque de violer le principe énoncé aux articles 4 et 5 du Code de procédure civile. Le problème pourrait néanmoins se poser dès lors que la demande de la partie ne vise aucune issue particulière, son objet prévoyant de manière générale l’intervention du juge. Qu’en serait-il alors, dans une telle hypothèse, du pouvoir du juge ? Pourrait-il choisir de ne procéder ni à la révision du contrat, ni à sa résolution ? Pour les commentateurs des principes Unidroit une telle éventualité ne serait pas absurde, étant donné que « les circonstances pourraient être telles que ni la résolution, ni l’adaptation ne sont opportunes », compte tenu des intérêts des parties. Dès lors, le juge aurait une seule solution : « soit imposer aux parties de reprendre les négociations (…), soit confirmer les clauses du contrat dans leur version existante »59.

56. S’il est vrai qu’une telle approche pourrait permettre de mieux prendre en compte l’intérêt des parties, encore faudrait-il que lors du procès, les deux contractants aient manifesté, même de manière indirecte, leur volonté, ou du moins leur disponibilité, à maintenir le contrat. En revanche, si l’une des parties démontre n’avoir plus aucun intérêt pour le rapport contractuel, pourquoi le juge devrait-il imposer la reprise des négociations ? Ne serait-il pas mieux que dans une telle hypothèse l’autorité judiciaire prononce directement la résolution du contrat ? C’est ainsi qu’en droit italien, dans l’éventualité d’un échec de la renégociation proposée par le cocontractant, le juge prononce directement la résolution du contrat au visa de l’article 1467, alinéa 1er, du Code civil. De même en droit allemand, si le juge ne parvient pas à réviser le contrat par son adaptation, la seule solution disponible est celle de la résolution du contrat60. À cet égard, une remarque est toutefois nécessaire. En effet, contrairement au droit italien où la formulation de l’article 1467 rend évident qu’à défaut d’offre de modification par le cocontractant défendeur, ou d’échec de cette négociation, la seule possibilité offerte au juge réside dans la résolution du contrat, le texte français semblerait attribuer au juge un véritable choix, celui-ci de « à la demande de l’une des parties, réviser le contrat ou y mettre fin (…) ». Une formulation plus claire aurait certainement facilité l’application de la règle, tout en précisant le rôle du juge dans l’hypothèse d’une demande unilatérale de révision ou résolution judiciaire.

57. Une telle exigence n’avait toutefois pas été retenue dans le récent projet de loi de ratification de l’ordonnance de 201661, dont l’article 8 prévoyait la suppression directe de la révision judiciaire en cas de demande unilatérale, en limitant les pouvoirs du juge à la seule résolution du contrat. Cette proposition a néanmoins été récemment rejetée par la commission des lois de l’Assemblée nationale qui a supprimé l’article 8 et a ainsi maintenu l’article 1195 du Code civil dans sa formulation initiale62. Or compte tenu des observations développées supra, il aurait été regrettable d’éliminer la révision judiciaire in toto, alors même que dans la plupart des pays européens ce pouvoir est soit admis depuis longtemps, soit il a commencé à être reconnu dans la pratique prétorienne. Si le but du régime de l’imprévision est de favoriser le plus possible la renégociation des parties et, par cette voie, la conservation du contrat, la révision judiciaire pourrait alors représenter un valable instrument permettant de parvenir aux résultats espérés.

Notes conclusives

58. Si l’on regarde l’évolution historique de l’imprévision, il ne suffit pas de s’arrêter à la condition rebus sic stantibus développée par les juristes médiévaux, mais il faut remonter à bien plus loin, lors de la période de la domination romaine. Ainsi, Ulpien63 énonce qu’en matière de baux ruraux, le bailleur disposait d’une action, la remissio mercedis, pouvant être exercée dès lors qu’à cause de circonstances exceptionnelles, la récolte était particulièrement faible. Dans cette hypothèse, le propriétaire devait alors former une action en justice, à laquelle le bailleur opposait la « stérilité » de la terre. Cela permettait donc au juge de lui reconnaître la remise d’une partie ou de la totalité du loyer, en le condamnant au seul paiement de ce qu’il estimait être dû au propriétaire au nom de la bonne foi. Or bien que cette figure fût limitée au seul domaine des baux ruraux, sa présence constitue néanmoins un merveilleux témoignage non seulement des origines lointaines de notre conception de l’imprévision, mais aussi et surtout de l’admissibilité de l’intervention du juge. Celle-ci, nous la retrouvons aujourd’hui dans la plupart des systèmes du droit comparé ainsi que dans les textes et projets internationaux visant à l’unification du droit des contrats.

59. Ainsi, nous avons pu voir que l’imprévision, conçue comme un déséquilibre excessif et soudain entre les prestations, fait depuis longtemps partie du droit italien et a récemment été introduite dans le droit français. Dans les deux cas, ce mécanisme est strictement encadré suivant des conditions similaires et, malgré les divergences dans les remèdes applicables, ceux-ci finissent par apparaître plus formels qu’effectifs. En effet, notre analyse a démontré que si la révision conventionnelle n’est explicitement prévue qu’à l’article 1195 du Code civil français, une telle solution est désormais de plus en plus soutenue tant par la doctrine que par la jurisprudence italiennes sur le fondement du principe général de la bonne foi. En parallèle, si la révision judiciaire est indirectement reconnue à l’article 1467 du Code civil italien en vertu du critère de l’équité, cette voie reste discutée en droit français après son introduction par la réforme du droit des contrats, au point d’en envisager même son élimination lors de la ratification de l’ordonnance du 10 février 2016. Les craintes soulevées par l’intervention du juge dans le contrat sont certes compréhensibles et la peur qu’une telle ingérence puisse conduire, au fil du temps, à une situation d’incertitude juridique accompagnée d’une crise de l’autonomie des parties est pleinement justifiée. Cependant, il serait faux d’y voir seulement des points négatifs. Ainsi, consentir une intervention encadrée du juge dans la révision du contrat contribuerait à sa conservation dans les hypothèses d’incapacité d’accord des parties, tout en stimulant ces dernières à rechercher une solution amiable en vue de ne pas devoir passer par la voie judiciaire.

60. Qu’il s’agisse de la France ou de l’Italie, le contrat n’est en effet plus le simple fruit de la volonté des parties, mais il est aussi l’expression d’un équilibre tant normatif qu’économique. Pour ce faire, l’autonomie de la volonté n’est donc plus suffisante, à elle seule, à garantir une telle exigence. Un instrument ultérieur est nécessaire et cet instrument c’est l’imprévision, basée sur la recherche de la renégociation des parties et admettant l’intervention du juge dans la révision du contrat, dans le respect de critères fondés sur l’équité et visant le rétablissement de l’équilibre économique entre les prestations.

61. C’est pourquoi, la prévision d’un tel instrument tant à l’article 1195 du Code civil français que, dans une certaine mesure, à l’article 1467 du Code civil italien, est à considérer de manière positive, notamment à l’aune des nombreux appels européens et internationaux aujourd’hui de plus en plus influents dans l’évolution des législations nationales. Ainsi, si l’unification des droits contractuels des États membres reste, du moins pour l’instant, suspendue, leur harmonisation est aujourd’hui moins lointaine grâce aux inévitables interactions entre les systèmes nationaux. L’imprévision n’est ainsi que l’un des exemples d’un processus d’uniformisation en cours de route et que la réforme française a certainement contribué à relancer. Ce processus pourra-t-il aboutir à l’adoption d’un véritable corpus normatif commun ? Cela est encore à voir. Cependant, le bon fonctionnement du marché unique européen nécessite d’un droit des contrats harmonisé et facilement compréhensible à tout contractant. Seul le temps pourra nous dire si l’Europe saura faire, une nouvelle fois, preuve d’audace, en devenant ainsi une véritable référence universelle dans le domaine de l’uniformisation du droit contractuel général.

Notes de bas de pages

  • 1.
    En ce sens Ancel P., « Imprévision », in Répertoire de Droit Civil, Dalloz, 2017, n° 1.
  • 2.
    La notion de « fondement contractuel » a été développée au début du XXe siècle par Oertmann (Die Geschäftsgrundlage, 1921, Leipzig), pour qui le fondement contractuel serait formé par l’ensemble des circonstances externes au contrat mais qui, tout en n’ayant pas été expressément prévues par les parties, étaient connues par les deux contractants et ont été déterminantes du consentement. Cette notion est aujourd’hui consacrée à l’article 313 du Bürgerliches Gesetzbuch (BGB : Code civil allemand), régissant les hypothèses de « perturbations du fondement du contrat ».
  • 3.
    En ce sens Betti E., Teoria generale delle obbligazioni, vol. I, 1953, Giuffré, p. 189.
  • 4.
    Sur l’emploi des clauses de hardship dans les contrats, v. ex multis l’analyse de Oppetit B., « L’adaptation des contrats internationaux aux changements de circonstances : la clause de “hardship” », JDI 1974, p. 794 et s.
  • 5.
    Cass. civ., 8 mars 1876, Canal de Craponne : D. 1876, p. 193 ; Capitant H., Terré F. et Lequette Y., Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, 11e éd., 2000, Dalloz, n° 163.
  • 6.
    En ce sens Demogue R., Traité des obligations en général, t. 6, 1931, éd. A. Rousseau, Paris, n° 637. Le recours à l’imprévision avait déjà été soutenu par Josserand L. (De l’esprit des droits et de leur relativité, 1927, Dalloz, n° 120) ainsi que, bien qu’en tant qu’instrument exceptionnel, par Ripert G., (La règle morale dans les obligations civiles, 1927, LGDJ, n° 84). Sur l’évolution de la doctrine française en matière d’imprévision, v. Ancel P., Imprévision, art. préc., nos 30 et s.
  • 7.
    Cette interdépendance entre le droit et l’économie constitue le fondement du « Law and Economics », ou analyse économique du droit, développée au début du XXe siècle par l’école de Chicago et qui s’est par la suite répandue même dans les systèmes de civil law. Sur l’application de cette théorie en droit des contrats, v. not. Ripert G., « Aspects juridiques du capitalisme moderne », Revue économique 1952, n° 6, p. 888 et s. ; Savatier R., « Les aspects économiques du droit privé français au milieu du XXe siècle », Revue économique 1953, n° 1, p. 115 et s. ; Ghestin J., « Le contrat en tant qu’échange économique », Revue d’économie industrielle 2000, n° 1, p. 81 et s.
  • 8.
    Savatier R., « Les aspects économiques du droit privé français au milieu du XXe siècle », art. préc., p. 115.
  • 9.
    Sur les origines de cette réforme pour un commentaire d’ensemble de l’ordonnance, v. ex multis Latina M. et Chantepie G., La réforme du droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2016, Dalloz ; Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2016, LexisNexis.
  • 10.
    En ce sens, les comparatistes parlent de « fonction taxonomique » du droit comparé. V. sur cette notion ex pluribus Sacco R., La comparaison juridique au service de la connaissance du droit, 1991, Economica ; Ibid., L’apporto della comparazione giuridica alla scienza giuridica, 1980, Giuffré ; David R. et Jauffret Spinosi C., Les grands systèmes de droit contemporains, 11e éd., 2002, Dalloz. Mattei U., « Three Patterns of Law. Taxonomy and Change in the World’s Legal System », in American Journal of Comparative Law, n 5, 1997, ASCL, p. 45 et s.
  • 11.
    Le premier projet lancé par Pierre Catala en 2005 faisait en effet référence, aux articles 1135-1 et suivants, aux seuls contrats à exécution successive ou échelonnée. Similairement, dans le commentaire à l’article 6.2.2., principes Unidroit, il est prévu que même si cette disposition « n’exclue pas expressément la possibilité d’invoquer le hardship pour d’autres types de contrats, le hardship sera normalement pertinent pour les contrats à long terme ».
  • 12.
    V. à ce propos les observations de Roda J.-C., « Réflexions pratiques sur l’imprévision », in Latina M. (sous-dir.), La réforme du droit des contrats en pratiques, Actes du colloque tenu le 23 sept. 2016, université de Nice Sophia Antipolis, 2017, Dalloz, p. 72.
  • 13.
    En ce sens Revet T., « Le juge et la révision du contrat », RDC 2016, n° 113g6, p. 373, spéc. p. 378. Il convient toutefois de remarquer qu’une partie des commentateurs étendent le champ d’application de l’article 1195 aux promesses, unilatérales ou synallagmatiques, dès lors qu’entre le moment de leur signature et celle du contrat définitif s’écoule une certaine période de temps et que, pendant celle-ci, la valeur de l’objet promis soit considérablement modifiée du fait de circonstances improvises (v. en ce sens Ancel P., « Imprévision », art. préc., n° 65).
  • 14.
    DCFR, art. III, 1, 110, al. 2, se réfère en effet tant aux obligations contractuelles qu’à celles résultant d’un acte unilatéral. La même prévision est énoncée à l’art. III, 3, 104, al. 2, en matière d’inexécution de l’obligation causée par la force majeure. La proposition d’étendre l’article 1195 aux actes unilatéraux a également été suggérée, bien qu’avec des nuances, par une partie de la doctrine française (v. not. Ancel P., « Imprévision », art. préc., n° 76).
  • 15.
    C. civ. italien, art. 1467, al. 1er.
  • 16.
    C. civ. italien, art. 1468.
  • 17.
    Nous verrons par la suite (infra n° 55) que les remèdes prévus dans les contrats unilatéraux sont néanmoins différents de la solution générale énoncée à l’article 1467 du Code civil.
  • 18.
    V. à cet égard l’article 1448 du Code civil pour le système italien et les articles 1143 et 1674 du Code civil français, régissant respectivement l’hypothèse de la lésion économique et la rescision de la vente pour cause de lésion. Il convient toutefois de noter que, notamment dans le système français, à l’exception des situations spécifiquement prévues par la loi, la lésion n’est pas prise en compte en tant que cause générale de nullité du contrat. En effet, l’on considère que les parties, au moment de la conclusion du contrat, soient pleinement capables d’apprécier la valeur des prestations qu’ils s’engagent à exécuter.
  • 19.
    Ainsi, les événements mentionnés à l’article 1195 du Code civil seraient imprévisibles dès lors qu’un homme avisé n’aurait pas pu être en mesure de les prévoir au moment de la conclusion du contrat (en ce sens Terré F., Simler P. et Lequette Y., Les obligations, 11e éd., 2013, Dalloz, n° 582 ; v. aussi en jurisprudence Cass. 3e civ., 9 juill. 2013, n° 12-17012 et Cass. com., 30 mai 2012, n° 10-17803).
  • 20.
    En ce sens Cass. civ., sect. III, 19 oct. 2006, n° 22396 ; Cass. civ., sect. III, 23 févr. 2001, n° 2661.
  • 21.
    L’article 6.2.2 des principes Unidroit dispose en effet, dans la première partie de son alinéa 1er, que l’hardship intervient « lorsque surviennent des événements qui altèrent fondamentalement l’équilibre des prestations (…) ».
  • 22.
    L’article 1135-1 de l’avant-projet incluait en effet, parmi les causes justifiant les remèdes de l’imprévision, les hypothèses où « par l’effet des circonstances, l’équilibre initial des prestations réciproques » a subi une perturbation telle à faire perdre au contrat « tout intérêt pour l’une d’entre elles ».
  • 23.
    Comme le suggèrent Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, op. cit., p. 395, la perte du but recherché par les parties pourrait trouver un remède dans le nouvel article 1186 du Code civil, aux termes duquel « un contrat valablement formé devient caduc si l’un des éléments essentiels disparaît ». Or une telle solution apparaît aujourd’hui risquée, étant donné que la notion de cause, jusqu’à la réforme considérée essentielle pour qu’une obligation puisse produire ses effets (C. civ., art. 1131 anc.) a été éliminée par l’ordonnance du 10 février 2016 (v. à cet égard ibid., p. 353 ; Latina M. et Chantepie G., La réforme du droit des obligations, op. cit., n° 494).
  • 24.
    En ce sens Ancel P., « Imprévision », op. cit., n° 77.
  • 25.
    En ce sens v. ex pluribus Cass. civ., sect. III,, 25 mai 2007, n° 12235. La même position avait déjà été soutenue par Cass. civ., sect. III, 29 mai 1998, n° 5302, statuant que l’onérosité excessive soit vérifiée, il est nécessaire de comparer la valeur des prestations au moment de la conclusion du contrat avec celle des prestations au moment où leur exécution est requise.
  • 26.
    C. civ., art. 1195, al. 1er.
  • 27.
    C. civ. italien, art. 1469.
  • 28.
    Les rédacteurs du rapport au président de la République précisent en effet, relativement à l’article 1195 du Code civil, que « ce texte revêt un caractère supplétif et les parties pourront convenir à l’avance de l’écarter pour choisir de supporter les conséquences de la survenance de telles circonstances qui viendraient bouleverser l’économie du contrat » (JO, 11 févr. 2016).
  • 29.
    Pour Ancel P. (« Imprévision », art. préc., n° 95), la formulation de C. civ., art. 1195, al. 1er, « n’impliquerait pas nécessairement la validité d’une clause générale par laquelle les contractants accepteraient par avance de supporter l’intégralité des risques susceptibles d’affecter l’équilibre contractuel (…) ».
  • 30.
    C. civ., art. 1110, al. 2.
  • 31.
    En ce sens Latina M. et Chantepie G., La réforme du droit des obligations, op. cit., n° 526.
  • 32.
    In primis Revet M., art. préc., n° 12, p. 376, pour qui « la faculté de demander la résolution ou l’adaptation du contrat pour imprévision serait donc supplétive de volonté dans les contrats de gré à gré et, de fait, impérative dans les contrats d’adhésion ».
  • 33.
    Nous nous limiterons, dans cette sous-partie, à présenter les mécanismes prévus en droit italien et en droit français. Les questions posées par leur application seront en revanche traitées dans la deuxième partie du travail (infra II).
  • 34.
    Ancel P. (« Imprévision », op. cit., n° 86) parle à ce propos d’« incombance » pour la partie voulant se prévaloir de l’imprévision.
  • 35.
    C. civ., art. 1219.
  • 36.
    V. rapp. JO, 11 févr. 2016, art. 1195.
  • 37.
    C. civ. italien, art. 1467, al. 3.
  • 38.
    Selon une partie de la doctrine, ainsi que de la jurisprudence majoritaire de la Cour de cassation, l’offre que l’article 1467 du Code civil accorde au cocontractant bénéficiant de l’imprévision serait de nature processuelle et constituerait un véritable pouvoir du défendeur d’empêcher la résiliation du contrat. La référence à l’équité ne serait dès lors que le moyen par le biais duquel ce pouvoir doit être exercé afin d’éviter la cessation du rapport contractuel (en ce sens v. Cass. civ., sect. III, 18 juill. 1989, n° 3347, in Foro it.).
  • 39.
    Tel l’art. 6.2.3., al. 1er, principes Unidroit, ou l’art. 97, al. 1er, principes de droit européen des contrats, ou encore l’art. III, 1, 110, al. 2, Draft Common Frame of Reference.
  • 40.
    Preuve de cette importance croissante de la bonne foi, le nouvel article 1104 du Code civil français, en vertu duquel « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ». Auparavant, l’ancien article 1134 du Code civil limitait l’obligation de bonne foi à la seule exécution du contrat. Quant au système italien en revanche, le principe de bonne foi est consacré, de manière générale, à l’article 1175 du Code civil, en matière d’obligations et à l’article 1375 du Code civil relativement à l’exécution du contrat.
  • 41.
    Il convient de noter que la doctrine majoritaire italienne, de même que la jurisprudence plus récente, font découler le devoir de se comporter conformément à la bonne foi (C. civ., art. 1175 et C. civ., art. 1375) du principe de solidarité consacré à l’article 2 de la Constitution italienne de 1948. Sur ce thème, v. not. L’œuvre de Marasco G., La rinegoziazione del contratto. Strumenti legali e convenzionali a tutela dell’equilibrio negoziale, 2006, Cedam.
  • 42.
    V. not. Villanacci G., « Interessi e sopravvenienze contrattuali », in Persona e Mercato, 2015, CEDAM, p. 59 et s., not, p. 64. Cette thèse est cependant fortement contrastée par la doctrine majoritaire (v. ex multis les critiques de Rescigno P., « L’adeguamento del contratto nel diritto italiano », in AA.VV., Inadempimento, adattamento, arbitrato. Patologie dei contratti e rimedi, Egea, 1992, p. 299 et s.
  • 43.
    Cet article prévoit en effet la possibilité d’obtenir, par le biais d’une décision du juge, l’exécution de l’obligation de conclure un contrat. Compte tenu de son application croissante dans des hypothèses ultérieures de celles visées initialement par la disposition, certains ont dès lors estimé pouvoir l’invoquer même dans les situations de refus injustifié à renégocier le contrat.
  • 44.
    L’obligation de renégocier découlant de la bonne foi a été reconnue par une partie de la doctrine italienne (v. not. Alpa G., « La completezza del contratto : il ruolo della buona fede e dell’equità », Vita not. 2002, p. 623 ; Barcellona M., Clausole generali e giustizia contrattuale : equità e buona fede tra codice civile e diritto europeo, 2006,Giappichelli  ; Ibid., « La buona fede e il controllo giudiziale del contratto », in Mazzamuto S. (sous-dir.), Il contratto e le tutele. Prospettive di diritto europeo, 2002 , p. 324 et s.).
  • 45.
    V. à ce propos les critiques avancées par De Geest G., « Specific Performance, Damages and Unforeseen Contingencies », in Chirico F. et Larouche P., Draft Common Frame of Reference. Economic Analysis of the DCFR, 2010, Sellier, p. 130 et s. relativement au devoir de renégociation prévu dans le DCFR.
  • 46.
    En ce sens Latina M. et Chantepie G., La réforme du droit des obligations, op. cit., n° 528.
  • 47.
    Ibid.
  • 48.
    C. civ., art. 1195, al. 2.
  • 49.
    Aujourd’hui régie par C. civ., art. 1112.
  • 50.
    Le devoir de bonne foi est en effet prévu à l’article 1104 du Code civil, inséré dans le chapitre I « Dispositions liminaires » du sous-titre I « Le contrat ». Le projet de la Chancellerie avait même expressément attribué à la bonne foi, ainsi qu’à la liberté contractuelle et à la force obligatoire du contrat, la valeur de « principe directeur ». Une telle proposition avait néanmoins suscité l’hostilité d’une partie de la doctrine, pour qui une telle prévision aurait fini par déplacer « le centre de gravité du contrat dans un domaine qui n’est pas le sien : le judiciaire » (en ce sens Ghozi A. et Lequette Y., « La réforme du droit des contrats : brèves observations sur le projet de la Chancellerie », D. 2008, p. 2609).
  • 51.
    En ce sens Latina M. et Chantepie G., La réforme du droit des obligations, op. cit., n° 527 ; Ancel P., « Imprévision », art. préc., n° 88, pour qui le juge pourrait également tenir compte, dans son appréciation, de la manière dont la partie subissant l’imprévision a proposé la renégociation.
  • 52.
    Ce raisonnement a notamment été consacré dans un arrêt du 11 janvier 1992 (Cass. civ., sect. III, 11 janv. 1992, n° 247) où la Cour de cassation italienne a estimé que « l’offre de modification du contrat est équitable si elle permet de rendre à celui-ci une dimension synallagmatique, de sorte que si [cette modification] avait existé avant la survenance des circonstances imprévisibles et exceptionnelles, la partie lésée n’aurait eu aucun droit à la résolution du contrat ».
  • 53.
    Cette approche est soutenue par une partie de la doctrine italienne pour qui l’imposition de l’équité prévue à l’article 1467 du Code civil permettrait un meilleur encadrement des pouvoirs du juge dans la révision du contrat. En effet, les partisans de cette thèse considèrent que l’autorité judiciaire devrait exercer ses pouvoirs non pas pour ajouter des conditions contractuelles, ni pour modifier le contrat selon la conception d’équité définie par l’appréciation souveraine du juge, mais simplement pour garantir le rétablissement de l’équilibre économique des prestations (en ce sens v. not. Santoro Passarelli F., La transazione, 2e éd., 1975, Jovene, p. 60, pour qui la notion d’équité énoncée par l’article 1467 ne signifie pas « justice relative au cas d’espèce, mais équilibre entre les prestations des parties »).
  • 54.
    Sur le rapport entre l’article 1467 du Code civil italien et l’analyse économique du contrat v. l’œuvre de Clerico G., L’analisi economica del contratto, 2008, Giuffré, not. p. 253 et s.
  • 55.
    En ce sens Roda J.-C., Réflexions pratiques sur l’imprévision, op. cit., p. 81. Contra Malaurie P., Aynés L. et Stoffel-Munck P., Droit des obligations, 8e éd., 2016, LGDJ, n° 764, pour qui la notion d’adaptation attribuerait au juge des pouvoirs plus larges que celle de « révision » prévue dans l’hypothèse d’une demande unilatérale.
  • 56.
    L’article 1196 du projet d’ordonnance disposait en effet, dans la dernière partie de son alinéa 2, qu’à défaut d’accord entre les parties, chacune d’entre elles « peut demander au juge d’y mettre fin [au contrat], à la date et aux conditions qu’il fixe ».
  • 57.
    Cass. civ. sect. III, 11 janv. 1992, n° 247, supra.
  • 58.
    V. not. Cass. civ., sect. III, 25 mai 1991, n° 5922 ; Cass. civ., sect. III, 11 janv. 1992, n° 247, supra. Ces arrêts ont été parmi les premiers à abandonner la jurisprudence antérieure, traditionnellement contraire à toute révision du contrat par le juge (Cass. civ., sect. III, 14 oct. 1947, n° 1607 ; Cass. civ., sect. III, 24 oct. 1958, n° 3740. En doctrine, cette thèse avait déjà été soutenue dans le passé par certains auteurs (v. not., De Martini A., L’eccessiva onerosità nell’esecuzione dei contratti, 1950, Giuffré, p. 136 ; Gazzoni F., Equità e autonomia privata, 1970, Giuffré, p. 108).
  • 59.
    Il conviendra de noter que cette solution est retenue par certains commentateurs français, qui se basent sur l’emploi du verbe « pouvoir » dans l’article 1195, alinéa 2, du Code civil (v. Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, op. cit., p. 413).
  • 60.
    BGB, art. 313.
  • 61.
    Il s’agit du « projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations », adopté par le Sénat en première lecture lors de la session du 17 octobre 2017.
  • 62.
    V. le « projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations », adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale en première lecture lors de la session du 29 novembre 2017.
  • 63.
    Cité par Ancel P., « Imprévision », art. préc., n° 9.
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