La mauvaise foi présumée de celui qui découvre une chose cachée ou enfouie comme rempart à l’application de l’article 2276 du Code civil

Publié le 05/10/2018

Celui qui découvre une chose cachée ou enfouie au fond de son jardin a nécessairement conscience qu’il n’en est pas le propriétaire. Il ne peut donc être considéré comme un possesseur de bonne foi. Par conséquent, il ne peut pas se prévaloir des dispositions de l’article 2276 du Code civil.

Cass. 1re civ., 6 juin 2018, no 17-16091

Qui n’a pas souhaité trouver un trésor dans son jardin ? C’est le rêve qui a tourné au cauchemar pour un couple.

Les époux ont fait l’acquisition, en 2002, d’une maison avec jardin dans lequel ils ont découvert, quelques années plus tard, en 2009, puis en 2013, des lingots d’or enfouis.

Peu après l’ouverture d’une enquête pénale suite à un signalement Tracfin, les héritiers de l’ancien propriétaire ont été prévenus de cette découverte et ont décidé d’assigner le couple en restitution et indemnisation devant le TGI de Roanne.

Le 12 février 2015, le TGI considère que les héritiers du vendeur rapportent la preuve qu’ils sont bien propriétaires des lingots d’or et demande au couple de restituer les lingots restants, ainsi que les sommes perçues suite à la vente de certains d’entre eux.

Le couple d’acquéreurs interjette appel et la cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 24 janvier 2007, confirme la décision des juges de première instance.

Les époux se pourvoient en cassation et arguent, d’une part, qu’ils sont de bonne foi puisqu’ils ont informé les services de police, la mairie et la Banque de France de leur découverte et qu’ils remplissent donc les conditions pour se prévaloir de la prescription acquisitive et, d’autre part, que l’action en revendication des vendeurs est prescrite.

La Cour de cassation avait donc à se demander si celui qui découvre, par le pur effet du hasard, une chose cachée ou enfouie peut ou non faire valoir sa qualité de possesseur de bonne foi afin d’opposer la prescription prévue à l’alinéa 2, de l’article 2276, du Code civil aux propriétaires.

Après avoir relevé que « celui qui découvre, par le pur effet du hasard, une chose cachée ou enfouie a nécessairement conscience, au moment de la découverte, qu’il n’est pas le propriétaire de cette chose et ne peut être considéré comme un possesseur de bonne foi », la haute juridiction indique, après avoir rappelé que l’action en revendication n’est pas susceptible de prescription, qu’« il ne saurait se prévaloir des dispositions de l’article 2276 du Code civil pour faire échec à l’action en revendication d’une chose ainsi découverte ».

Cette décision met en exergue les obstacles auxquels peuvent être confrontées les personnes qui croient avoir trouvé un trésor lorsqu’elles souhaitent en revendiquer la prescription acquisitive (I). Un allégement des conditions d’appropriation d’une chose cachée ou enfouie est pourtant possible (II).

I – L’acquisition difficile de la propriété de la chose cachée ou enfouie

La Cour de cassation a ici refusé la qualification de trésor pour les lingots d’or (A) et n’a pas davantage admis la qualité de possesseur de bonne foi pour leurs découvreurs (B).

A – Le refus de qualification de trésor

Selon l’alinéa 2, de l’article 716, du Code civil, « le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard ».

La notion de trésor doit être distinguée de celles d’épave, de res nullius et de res derelictae.

Alors que les res nullius n’ont jamais eu de propriétaire, les res derelictae comme les épaves et les trésors en ont eu un. C’est la volonté de leur propriétaire à leur égard qui les différencie. Les res derelictae sont les objets qui ont été volontairement abandonnés par leur propriétaire, contrairement aux épaves, qui ont simplement été perdus par celui-ci. Le trésor, quant à lui, se caractérise par le désir de dissimulation de son propriétaire.

En l’espèce, les lingots d’or enfouis dans le sous-sol du jardin ayant été découverts par le pur effet du hasard par les acquéreurs, ces derniers pouvaient légitimement penser qu’ils avaient mis la main sur un trésor. Malheureusement pour eux, suite au signalement Tracfin, les vendeurs ont rapidement fait valoir leur propriété sur lesdits lingots.

La preuve de la propriété d’un trésor étant libre1, les anciens propriétaires ont d’abord établi que leurs grands-parents disposaient d’une fortune leur ayant permis d’acquérir des lingots d’or puis que les lingots d’or litigieux appartenaient à la même série, étaient identifiés du même comptoir et étaient recouverts du même emballage que les lingots que leur père avait lui-même découvert quelques années auparavant2.

La propriété des lingots d’or avérée, les acquéreurs du jardin ne pouvaient pas se prévaloir de l’alinéa 1, de l’article 716, du Code civil3.

Il fallait donc trouver un autre angle d’attaque.

B – Le refus de qualification de possesseur de bonne foi

On peut penser que la règle selon laquelle « en fait de meuble, la possession vaut titre » n’implique pas la preuve d’une bonne foi du possesseur puisque l’article 2276 du Code civil ne mentionne pas cette condition. Cependant, au regard de l’esprit de la loi, la prescription acquisitive mobilière a été instaurée à des fins de sécurité juridique pour permettre de protéger la personne qui a cru contracter avec le propriétaire du bien qu’il a acquis4. La bonne foi est donc une condition nécessaire pour pouvoir usucaper. La jurisprudence l’a rappelée à plusieurs reprises5.

Dans l’affaire qui nous intéresse, les propriétaires du jardin arguaient qu’ils étaient entrés en possession desdits lingots en toute bonne foi lors de leur découverte en 2009, puis en 2013 et qu’ils avaient ensuite possédé de façon paisible, non équivoque et publique6, puisqu’ils avaient informé les services de police, la mairie de leur lieu d’habitation ainsi que la Banque de France de leur découverte. Cette preuve de la bonne foi était centrale puisqu’elle leur permettait de faire échec à l’action en revendication des propriétaires. En effet, si le possesseur est de bonne foi, il devient le propriétaire du meuble sur lequel est exercée la possession utile à moins que celui-ci ait été perdu ou volé comme le précise l’alinéa 2, de l’article 2276, du Code civil. Dans ce cas, le propriétaire peut le revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il le trouve. Nous pouvions ici considérer que les vendeurs avaient effectivement perdu les lingots litigieux. Concernant les lingots d’or trouvés en 2009, l’introduction de l’action des demandeurs datant du 8 juillet 2014, elle était donc, selon les défendeurs, prescrite.

Ce raisonnement n’est pas celui de la haute juridiction pour qui « celui qui découvre, par le pur effet du hasard, une chose cachée ou enfouie a nécessairement conscience, au moment de la découverte, qu’il n’est pas le propriétaire de cette chose, et ne peut être considéré comme un possesseur de bonne foi ». Par conséquent, il fallait s’en référer non à l’article 2276 du Code civil mais à l’article 2227 du Code civil selon lequel « le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». L’action des propriétaires n’était donc pas prescrite7.

Néanmoins, ce raisonnement peut paraître sévère puisqu’il réduit considérablement le champ d’application de l’article 2276 du Code civil.

II – Les allégements possibles des conditions d’acquisition de la propriété de la chose cachée ou enfouie

S’agissant de l’appréhension de la notion de bonne foi, la solution de la Cour de cassation aurait pu être tout autre (A). En outre, cet arrêt met en lumière la frontière délicate qui peut exister entre les choses abandonnées et les choses perdues (B).

A – La possible qualification de possesseur de bonne foi de celui qui croit légitimement être l’inventeur d’un trésor

Si la solution de la Cour de cassation paraît, au premier abord, somme toute assez logique, celui qui trouve un objet enfoui, par hasard, au fond de son jardin sait que ce n’est pas lui qui a caché le bien en question. Il ne peut donc considérer, de bonne foi, en être le propriétaire, à moins qu’il ne soit l’héritier de celui qui a procédé à l’enfouissement.

Cependant, cela restreint de manière drastique la possibilité d’acquérir un bien mobilier par prescription acquisitive puisque celui qui trouve une chose cachée ou enfouie reste toujours dans la crainte de l’action en revendication des véritables propriétaires et ce, sans limitation de durée puisque, comme le rappelle ici la Cour de cassation, la propriété est imprescriptible. En l’absence de prescription extinctive du droit de propriété, la seule manière pour le découvreur d’une chose cachée ou enfouie d’en acquérir la propriété est par la prescription acquisitive de trente ans sur les objets découverts8.

Dans l’affaire rapportée, c’est ce défaut de bonne foi des acquéreurs du bien immobilier où ont été trouvés les lingots d’or qui a permis d’accueillir l’action en revendication des vendeurs.

Autrement dit alors que la bonne foi est en principe présumée9, lorsque la chose a été enfouie ou cachée, c’est la mauvaise foi du découvreur qui est présumée. Outre la preuve de la possession utile, celui qui se prétend possesseur d’une chose cachée ou enfouie doit donc également prouver sa bonne foi.

Ne peut-on pas considérer que celui qui trouve par le plus pur des hasards une chose cachée ou enfouie chez lui est de bonne foi dans le sens où il croit avoir mis la main sur un trésor ? Il peut effectivement légitimement croire (certes au prix d’une erreur de droit) que l’article 716 du Code civil va s’appliquer à sa situation. En effet, cette notion de bonne foi doit être appréciée tant au moment de l’acquisition (donc ici de la découverte) qu’au moment de l’entrée en possession10. Si entre les deux évènements, celui qui se croit l’inventeur du trésor apprend, d’une manière ou d’une autre, qu’il y a des chances pour que ce bien soit approprié, il ne pourra revendiquer la possession de ce dernier. Inversement, une fois qu’il est entré, de bonne foi, en possession du bien, celle-ci produit son effet acquisitif et la connaissance ultérieure du véritable propriétaire ne devrait plus avoir d’incidence sauf si celui-ci agit dans le délai de trois ans conformément à l’alinéa 2, de l’article 2276 du Code civil.

En d’autres termes, si rien ne pouvait laisser envisager que la propriété des lingots d’or pouvait être revendiquée, les acquéreurs du jardin pouvaient croire qu’ils étaient propriétaires des biens litigieux. La preuve de leur bonne foi redevenait ici présumée et c’était à ceux qui revendiquaient la propriété de prouver la mauvaise foi du possesseur. En l’espèce, cela aurait permis au couple de se prévaloir de la possession des lingots trouvés en 2009 (mais pas de ceux trouvés en 2013 puisque le délai de trois ans n’était pas atteint les concernant).

Cela tient au fait que l’on considère que les lingots d’or ont été non volés mais perdus puisqu’ils ont été enfouis par le grand-père de ceux qui en revendiquent la propriété. Néanmoins, au regard des faits de l’espèce, l’on peut s’interroger et se demander si les lingots ont réellement été perdus ou s’ils n’ont pas plutôt été abandonnés.

B – La qualification de res derelictae de la chose cachée ou enfouie en cas de vente du bien qui l’accueille

Dans cette affaire, les héritiers du vendeur décédé ont, à l’appui de leur action en revendication, indiqué que des lingots avaient déjà été découverts par leur père et que ceux revendiqués dans le cadre du présent litige, étaient de la même série, du même comptoir et étaient enroulés dans un papier kraft annoté de numéros comme ceux découverts par les acquéreurs de la maison.

Ils ont également fait valoir que leur père savait que d’autres lingots existaient puisqu’il avait des certificats de lingots non découverts.

Les acquéreurs de la maison avaient essayé d’invoquer l’alinéa 1er, de l’article 552 du Code civil selon lequel « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous » pour prétendre que la vente de l’immeuble impliquait la vente des lingots d’or. Cet argument fut rejeté pour la simple raison que, non seulement la désignation de la chose vendue ne faisait pas apparaître les lingots d’or, mais également que le prix aurait sans doute été tout autre11. Ainsi, le vendeur n’avait pas entendu vendre les lingots d’or avec la propriété. Il était, en outre, impossible de qualifier les lingots d’or d’immeuble par destination puisque ces derniers ne remplissent évidemment pas les conditions prévues à l’article 524 du Code civil.

Ne peut-on pas, en revanche, considérer qu’en vendant le bien où il avait découvert des lingots d’or et où il y avait de fortes chances pour qu’il y en ait d’autres, leur père avait renoncé volontairement à son droit de propriété sur ces derniers ?

En effet, s’il ne savait pas où les lingots d’or étaient cachés, il ne pouvait que se douter qu’ils se trouvaient quelque part dans la maison qu’il vendait. Par conséquent, en se séparant du bien immobilier accueillant les lingots d’or, il entendait ne plus se comporter comme leur propriétaire et ainsi les laisser à l’occupation du premier qui les trouve. Si l’on s’en tient à cette vision, les lingots d’or deviennent des choses abandonnées, des res derelictae et comme ils n’ont plus de propriétaire, ils revêtent alors la qualification de trésor.

On pourra nous rétorquer que l’abandon implique la perte du corpus et qu’ici le propriétaire n’a pas eu d’emprise matérielle de l’objet puisque c’est un bien dont il a hérité mais cette interrogation souligne combien il peut être délicat, parfois, de distinguer la chose perdue de la chose abandonnée.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 19 nov. 2002, n° 00-22471 : Bull. civ. I, n° 279 ; D. 2003, p. 2049, obs. Mallet-Bricout B. ; JCP G 2003, I, 172, étude Périnet-Marquet H. ; Gaz. Pal. 26 avr. 2003, n° F0759, p. 15, note Battistini P. ; LPA 9 mai 2003, p. 12, Barbieri J.-F.
  • 2.
    CA Lyon, 1re ch. civile B, 24 janv. 2017, n° 15/04147.
  • 3.
    C. civ., art. 716, al. 1 : « La propriété d’un trésor appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds ; si le trésor est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds ».
  • 4.
    C’est d’ailleurs le sens de l’alinéa 1, de l’article 1198, du Code civil qui prévoit que « lorsque deux acquéreurs successifs d’un même meuble corporel tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a pris possession de ce meuble en premier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi ».
  • 5.
    Pour une jurisprudence récente, V. Cass. com., 15 déc. 2015, n° 13-25566 : RTD com. 2016, p. 204, obs. Martin-Serf A. ; Rev. sociétés 2016, p. 199, obs. Henry L.-C. ; D. 2016, p. 1779, obs. Neyret-Maupin L. ; D. 2016, p. 1894, obs. Le Corre P.-M. et Lucas F.-X.
  • 6.
    C. civ., art. 2261 : « Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ».
  • 7.
    Dans la célèbre affaire du trésor de la rue Mouffetard, le tribunal civil de la Seine avait considéré que l’action en revendication des héritiers du propriétaire de l’immeuble où les pièces d’or avaient été découvertes était recevable même deux siècles plus tard (T. civ. Seine, 1er juin 1949 : D. 1949, p. 350, note Ripert G.).
  • 8.
    L’article 2272 du Code civil en matière immobilière prévoit un délai de prescription de trente ans. Aucune disposition similaire n’est prévue concernant les biens mobiliers mais la jurisprudence considère que la prescription acquisitive relative aux meubles suit le régime applicable aux immeubles. V. notamment Cass. 1re civ., 19 mars 2009, n° 07-12290. En résumé, en principe, l’usucapion des meubles et des immeubles s’opère par trente ans de possession, mais lorsque le possesseur est de bonne foi, elle est immédiate pour les meubles et s’opère par dix ans pour les immeubles uniquement si le possesseur dispose d’un juste titre.
  • 9.
    C. civ., art. 2274.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 27 nov. 2001, n° 99-18335 : Bull. civ. I, n° 295 ; D. 2002, p. 2505, obs. Mallet-Bricout B. ; D. 2002, p. 671, note Gridel J.-P.
  • 11.
    V. CA Lyon, 1re ch. civile b, 24 janv. 2017, n° 15/04147.
LPA 05 Oct. 2018, n° 139g7, p.9

Référence : LPA 05 Oct. 2018, n° 139g7, p.9

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