La révocation d’une promesse unilatérale de vente consentie avant l’entrée en vigueur de la réforme du 10 février 2016 n’empêche pas la formation du contrat promis !
La chambre commerciale rejoint la troisième chambre civile de la Cour de cassation. L’auteur d’une promesse unilatérale de vente, même consentie antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, s’engage définitivement et ne peut se rétracter même avant l’ouverture du délai d’option offert au bénéficiaire.
Cass. com., 15 mars 2023, no 21-20399
1. La promesse unilatérale de contrat est l’acte par lequel une personne, le promettant, s’engage à contracter au profit d’une autre, laquelle bénéficie d’une option lui permettant de conclure le contrat dans un délai raisonnable à défaut d’avoir été prévu dans la promesse. Si cette pratique s’est développée à propos des opérations les plus diverses, l’une des hypothèses couramment rencontrées est celle de la promesse unilatérale de vente par laquelle un propriétaire promet de céder un bien moyennant un prix déterminé ou déterminable à un bénéficiaire qui, dans un certain délai, dispose du choix de l’acquérir ou non. Comment sanctionner le promettant qui aurait révoqué son engagement avant que le bénéficiaire fasse connaître sa décision de contracter dans le délai d’option ? Antérieurement à la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations réalisée par l’ordonnance du 10 février 20161, la Cour de cassation considérait que la rétractation intervenue avant la levée d’option empêchait la rencontre des volontés. Le promettant agissant ainsi manquait à une obligation de faire ce qui, en application de l’article 1142 du Code civil dans sa rédaction d’alors, ne pouvait justifier selon la cour qu’une sanction à des dommages-intérêts et non l’exécution forcée de la promesse2. Cette solution avait fait l’objet de nombreuses critiques. En particulier, pouvait-on soutenir que contrairement à une offre, la promesse unilatérale supposait un accord entre le bénéficiaire et le promettant, ce dernier donnant dès sa conclusion et de manière irrévocable son consentement à la vente3. Devant l’insensibilité de la Cour de cassation aux critiques de la doctrine, la pratique avait fait preuve d’imagination pour assurer l’efficacité de la promesse en dissuadant sa rétractation. À cet effet, les professionnels avaient pris l’habitude d’y inclure des clauses de dédit ou des clauses pénales4, la Cour de cassation admettant également l’efficacité des stipulations prévoyant que le défaut d’exécution de la promesse pouvait se résoudre par la constatation judiciaire du contrat5. Il a fallu attendre la réforme du 10 février 2016 pour voir l’actuel article 1124 du Code civil affirmer que « la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire (alinéa 1) ». L’alinéa 2 de cet article prévoyait désormais que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ». Il n’en restait pas moins que ce texte n’avait vocation à s’appliquer qu’aux seules promesses conclues à partir du 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, ce qui pouvait justifier le maintien des solutions jurisprudentielles refusant l’exécution forcée des promesses qui lui étaient antérieures. En l’absence de texte précis permettant de fonder cette position, un revirement restait néanmoins possible. La troisième chambre civile de la Cour de cassation avait ainsi décidé que « le promettant au titre d’une promesse unilatérale de vente s’oblige définitivement à vendre dès cette promesse et ne peut se rétracter même avant l’ouverture du délai d’option offert au bénéficiaire… »6. C’est au tour de la chambre commerciale de la haute juridiction d’adopter cette position dans un arrêt intéressant tout à la fois le droit commun des obligations et celui de la cession des titres sociaux. Dans l’affaire conduisant à son prononcé, deux sociétés avaient conclu, en 2012, un protocole ayant pour objet l’entrée de la seconde au capital d’une filiale de la première. L’acquisition des titres devait se réaliser en plusieurs temps : pour compléter l’achat de 47 % des actions de la filiale, le cédant s’engageait notamment dans une seconde partie du protocole, par une promesse unilatérale de vente portant sur 13 % des titres. C’est dans ces conditions qu’est intervenue la demande d’exécution forcée de la promesse rétractée avant que son bénéficiaire lève finalement l’option. Saisie d’un pourvoi formé contre l’arrêt la refusant, la chambre commerciale de la Cour de cassation commence par affirmer la différence entre une simple offre et la promesse unilatérale de vente qualifiant cette dernière de contrat qui, préalable à celui définitif, contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels de ce dernier. La promesse permet l’exercice de la faculté d’option et fixe la date à laquelle s’apprécient les conditions de validité de la vente, notamment celles relatives à la capacité du promettant à contracter ainsi que son pouvoir à disposer du bien. Si la Cour rappelle que les dispositions de l’ordonnance du 16 février 2016 ne sont applicables qu’aux contrats souscrits postérieurement à son entrée en vigueur, elle n’en juge pas moins que l’évolution du droit rend nécessaire de modifier sa jurisprudence pour conclure, à l’instar de la troisième chambre civile, que l’auteur d’une promesse unilatérale de vente s’oblige définitivement à céder le bien qui en est l’objet sans pouvoir se rétracter, même avant l’ouverture du délai d’option offert au bénéficiaire, sauf clause contraire que la haute juridiction n’écarte pas.
2. Il n’en restait pas moins à répondre à l’argument du promettant selon lequel ce revirement portait une atteinte injustifiée et disproportionnée au principe de sécurité juridique, au droit à un procès équitable ou au respect des biens, garantis par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ainsi que par l’article 1 de son premier protocole additionnel. On sait à ce titre que les principes de sécurité juridique et de confiance légitime dans la justice ont été érigés en principes généraux du droit de l’Union européenne7. Il est en effet important qu’un justiciable puisse connaître ses droits sans risquer qu’une modification les remette en cause8. Reprenant une formule devenue classique, la chambre commerciale rappelle que ces exigences n’imposent pas un droit acquis à une jurisprudence constante. Une évolution en la matière n’est pas en soi contraire à une bonne administration de la justice dans la mesure où l’absence d’une approche dynamique et évolutive serait susceptible d’entraver tout changement ou amélioration. Faut-il encore qu’un revirement fasse l’objet d’une motivation renforcée et satisfasse à l’impératif de prévisibilité9. Pour la Cour, l’évolution de la sanction prévue par le nouvel article 1124 du Code civil rendait nécessaire le revirement d’ores et déjà opéré par la troisième chambre civile. Quant à la prévisibilité, elle souligne que « le nouvel état du droit issu du revirement de la troisième chambre civile n’était pas imprévisible au jour où [le promettant] a formé son pourvoi puisqu’“ une très grande majorité de la doctrine l’appelait de ses vœux” » avant même la conclusion du protocole contenant l’obligation à l’origine du litige. Elle conclut en affirmant que la réforme du 10 février 2016, entrée en vigueur antérieurement à la rétractation de la promesse unilatérale, n’a fait que confirmer les doutes préexistants quant au bien-fondé et donc au maintien de la jurisprudence antérieure. Dans ces conditions, le revirement prononcé n’avait pas pour effet de priver la société promettante de son droit à un procès équitable.
3. Cet arrêt harmonise la position des troisième chambre civile et chambre commerciale de la Cour de cassation, répondant aux critiques de la doctrine en ce qui concerne les promesses unilatérales conclues antérieurement à l’entrée en vigueur de la réforme de 2016. Quant à sa portée, si l’arrêt vise spécifiquement la promesse unilatérale de vente, on peut penser que sa solution vaudra pour tout engagement de même type, indépendamment du contrat définitif pour la conclusion duquel le bénéficiaire peut ou non lever l’option. On rappellera en conclusion que l’alinéa 3 de l’actuel article 1124 du Code civil soumet la nullité d’un contrat conclu avec un tiers à la preuve que ce dernier avait connaissance de la promesse unilatérale violée ! On peut penser que la règle pourrait aussi inspirer tribunaux et cours ayant à se prononcer sur pareilles hypothèses intervenues à propos de promesses unilatérales conclues antérieurement à la réforme de 201610.
Notes de bas de pages
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1.
Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016.
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2.
Cass. 3e civ., 15 déc. 1993, n° 91-10199 : Bull. civ. III, n° 174, p.115 ; Defrénois 15 juin1994, n° 35845, p. 791, obs. P. Delebecque ; JCP 1995 G, II, 22 366, note D. Mazeaud ; RTD civ. 1994, p. 588, obs. J. Mestre ; D. 1995, com. 230, obs. L. Aynès.
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3.
V. not. : L. Aynès, D. 1995, com. 230 ; D. Mazeaud note précitée et « L’exécution des contrats préparatoires », RDC 2005, p. 61. Approuvant la position de la jurisprudence : D. Mainguy, « L’efficacité de la rétractation de la promesse de contracter », RTD civ. 2004, p. 1.
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4.
B. Nuytten, « L’exécution des contrats préparatoires : le point de vue du praticien », RDC 2005, p. 75.
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5.
Cass. 3e civ., 27 mars 2008, n° 07-11721 : LEDC juin 2008, p. 1, obs. G. Pillet ; RDC 2008, p. 734, obs. D. Mazeaud ; RDC 2008, p.1239, obs. F. Collart-Dutilleul ; RDC 2009, p. 143, obs. P. Brun ; BJS nov. 2008, n°181, p. 852, obs. R. Libchaber.
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6.
Cass. 3e civ., 23 juin 2021, n° 17-20554 : Dr. sociétés 2021, comm. 116, par R. Mortier ; GPL 7 sept. 2021, n° GPL425g3, obs. C.-E. Bucher ; GPL 14 sept. 2021, n° GPL425o1, obs. D. Houcieff ; GPL 28 sept. 2021, n° GPL426r1, obs. D. Gallois-Cochet ; GPL 30 nov. 2021, n° GPL429p1, obs. B. de Bertier-Lestrade ; LEDIU oct. 2021, n° DIU200h7, obs. L. Gougot ; LEDC déc. 2021, n° DCO200m6, obs. H. Kassoul ; RDC mars 2022, n° RDC200m6, obs. L. Thibierge – Cass. 3e civ., 20 oct. 2021, n° 20-18514 : GPL 30 nov. 2021, n° GPL429m6, obs. A. Stevignon ; LEDC sept. 2021, n° DCO200g8, obs. O. Robin-Sabard ; LEDIU janv. 2022, n° DIU200m8, obs. D. Canale ; RDC mars 2022, n° RDC200m6, obs. L. Thieberge.
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7.
F. Martucci, « Les principes de sécurité juridique et de confiance légitime dans la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne », Conseil constitutionnel, dossier n° 5, oct. 2020.
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8.
J.-P. Puissochet, « Vous avez dit confiance légitime ? », in Mélanges Braibant, 1996, Dalloz, p. 581.
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9.
Cass. ass. plén., 2 avr. 2021, n° 19-18814. P. Deumier, « Jurisprudence : application de la jurisprudence », Rép. civ. Dalloz, § 101 et s.
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10.
Pour d’autres commentaires de cet arrêt : GPL 28 mars 2023, n° GPL447q0, obs. C. Berlaud ; LEDC avr. 2023 n° DCO201m0, obs. M. Latina.
Référence : AJU008q8
