L’inévitable effacement des intermédiaires au contrat face au développement technologique ?

Publié le 19/05/2023
L’inévitable effacement des intermédiaires au contrat face au développement technologique ?
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Ubi societas, ibi jus. Cette maxime latine, que tout étudiant en droit découvre dès sa première année à l’université, illustre parfaitement le rapport de consubstantialité entre droit et société, en ce qu’il est inhérent à l’organisation sociale. Il découle d’elle mais il en est également la représentation dynamique de son évolution.

La technologie ayant révolutionné le monde dans lequel nous vivons, les outils et les règles juridiques doivent donc nécessairement s’adapter à ces évolutions. Le contrat est l’exemple parfait de cette transformation, de l’accord oral au papier, puis au format numérique. À mi-chemin entre la technique et le juridique, ce sont aujourd’hui les smart contracts qui interrogent.

La technologie blockchain naît sous l’impulsion d’un mouvement croissant de contestation et de remise en cause du système en place avec la volonté affichée de proposer un nouveau modèle, en raison de la perte de confiance dans les institutions et le système bancaire et financier qui serait arrivé à maturité voire à l’épuisement. Il y a une appétence réelle, aujourd’hui, et un mouvement vers des systèmes plus ouverts, plus transparents et décentralisés. La blockchain en comprend toutes les caractéristiques car chacun de ses utilisateurs effectue le contrôle du code garantissant ainsi la parfaite traçabilité et l’inaltération de la donnée tout au long de la chaîne de valeurs1. Contrairement au système conventionnel où un acteur opère seul ce contrôle, que ce soit par le biais des régulateurs, de l’État ou des notaires, par exemple, ce sont ici les utilisateurs eux-mêmes qui jouent ce rôle. C’est la raison du développement massif depuis 2009 des cryptomonnaies et autres protocoles dérivés de la blockchain2.

Cependant, leur développement n’est pas sans soulever de nombreuses problématiques.

Ces différentes innovations technologiques se veulent être une alternative face aux pouvoirs publics et au système en place. Or, ce sont ces mêmes institutions qui jouent un rôle déterminant dans leur développement, via la réglementation, les aides au financement, la création de commissions dédiées. Elles bénéficient également de toute la dynamique du secteur privé.

Le problème majeur que soulève véritablement leur arrivée repose sur leur nature et leur intégration au sein de l’environnement juridique actuel3 et les conflits de droit éventuels que cela entraîne au niveau interne et international (I) ainsi que l’impact sur les acteurs du droit qui ont justement pour rôle de maintenir la sécurité juridique, la transparence et de tenir lieu d’intermédiaires dans les opérations contractuelles (II).

Ce fut notamment le sujet de réflexion du Congrès des notaires 2021 qui était centré sur la thématique suivante : moderniser et encadrer le contrat dans le monde numérique.

Le smart contract est-il un acte juridique qui vient renforcer la sécurisation juridique aussi bien pour les acteurs du droit que pour les parties au contrat ou constitue-t-il un hack juridique qui vient disrupter et bouleverser en profondeur les processus de contractualisation ?

I – L’arrivée d’un modèle contractuel innovant en droit : l’intégration du smart contract dans un environnement juridique en perpétuelle évolution

A – La nature juridique et contractuelle du smart contract en droit français et son fonctionnement dans des interactions externes

En 1997, Nick Szabo, un informaticien également juriste et cryptographe, pose les bases du concept de « smart contract »4. Il s’appuie pour cela sur le fonctionnement des distributeurs automatiques pour présenter un protocole informatique à exécution automatique adossé à un contrat et l’illustre avec le processus complet, de l’insertion de la pièce à la livraison du produit. Il décrit ainsi un système dans lequel les événements s’imbriquent et interviennent automatiquement les uns à la suite des autres selon leur survenance et la programmation qui a été préalablement définie ; tout comme les smart contracts.

Le concept de « blockchain », ou « chaîne de blocs », est exposé dans un article de 2008, « Bitcoin : A peer-to-peer electronic cash system », sous le nom de Satoshi Nakamoto mais dont la véritable identité reste inconnue aujourd’hui. Il présente une cryptomonnaie, le bitcoin, totalement décentralisée et qui fonctionne grâce à cette chaîne de blocs et dont le contrôle n’est pas effectué par un organisme central mais par les utilisateurs eux-mêmes. Ce système permet une traçabilité inégalée jusqu’alors.

Toutefois, il faut attendre 2013 avec le projet Ethereum5 pour que le smart contract, le contrat dit « intelligent », fasse véritablement son apparition. La technologie blockchain est à nouveau utilisée ici pour supporter un programme auto-exécutable. Les lignes de codes du programme s’exécutent en totale autonomie dans le protocole blockchain qui stocke alors et transmet les informations de façon transparente et sécurisée en conservant tout l’historique des échanges depuis sa création et toujours sans avoir recours à un organe de contrôle centralisé6.

C’est surtout en matière de conditions générales d’utilisation ou de conditions générales de vente et souvent en appui d’un contrat électronique que le smart contract est déployé.

Le smart contract a, dès ses débuts, des liens ténus avec le droit. En effet, il a très rapidement représenté une avancée en matière de contrats digitaux et numériques et de procédure de souscription.

L’exécution automatique rend possible l’automatisation de l’ensemble du processus, de la souscription à l’exécution du contrat. Il suffit de définir au préalable les événements et les actions associées avec un ou plusieurs smart contracts adossés au contrat principal digitalisé7. C’est ce qu’avait lancé Axa en 2017 avec Fizzy, pour les annulations et retards d’avion, en faisant ainsi le premier assureur français à utiliser cette technologie.

La question qui se pose alors concerne l’intégration et l’appréhension du smart contract par le droit français8.

Les articles 11019 et 1127-110 du Code civil français définissent respectivement le contrat et le contrat digital.

Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations.

Pour le contrat digital, l’article 1127-1 du Code civil pose les critères et dispose que « quiconque propose à titre professionnel, par voie électronique, la fourniture de biens ou la prestation de services, met à disposition les stipulations contractuelles applicables d’une manière qui permette leur conservation et leur reproduction.

L’auteur d’une offre reste engagé par elle tant qu’elle est accessible par voie électronique de son fait.

L’offre énonce en outre :

  • 1° les différentes étapes à suivre pour conclure le contrat par voie électronique ;

  • 2° les moyens techniques permettant au destinataire de l’offre, avant la conclusion du contrat, d’identifier d’éventuelles erreurs commises dans la saisie des données et de les corriger ;

  • 3° les langues proposées pour la conclusion du contrat au nombre desquelles doit figurer la langue française ;

  • 4° le cas échéant, les modalités d’archivage du contrat par l’auteur de l’offre et les conditions d’accès au contrat archivé ;

  • 5° les moyens de consulter par voie électronique les règles professionnelles et commerciales auxquelles l’auteur de l’offre entend, le cas échéant, se soumettre ».

Il ne fait alors aucune difficulté que, à l’exposé de ces critères, le contrat digital, lorsqu’il est souscrit par voie électronique, est donc bien un contrat au sens du droit français. Mais en va-t-il autant pour le smart contract ?

Un contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes qui s’engagent respectivement à faire ou à ne pas faire quelque chose. Les parties sont libres de contracter ou de ne pas contracter, de choisir leur contractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi.

Selon l’article 1113 du Code civil, le contrat se forme alors par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager, cette volonté pouvant résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de son auteur ; le contrat ne pouvant déroger à l’ordre public, ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

En se basant sur le seul principe du consensualisme des contrats, il serait alors possible de considérer que le smart contract est un contrat s’il répond bien évidemment aux conditions de validité exposées par l’article 1128 du Code civil, à savoir le consentement, la capacité et l’objet licite et certain ainsi que les exigences de l’article 1127-1 du Code civil spécifiques aux voies digitalisées.

Il n’y a aucune difficulté sur le fait que le contrat digital est à qualifier comme un contrat au sens des dispositions énoncées dans le Code civil, il en va autrement pour le smart contract. En effet, ce dernier ne possède pas les éléments substantiels nécessaires à une telle qualification, notamment en ce qu’il ne contient que le code d’exécution automatique et non les obligations auxquelles les parties s’engagent, qui, elles, sont manquantes11.

Le rapport parlementaire d’information sur la blockchain, rendu public le 14 décembre 2018, s’est exprimé sur sa nature et considère que « le terme de contrat est un peu galvaudé en ce que le programme informatique ne partage que peu de caractéristiques communes avec l’objet juridique du contrat au sens du Code civil ».

Le smart contract est donc à voir non comme un contrat, au sens juridique, mais comme un accessoire au contrat principal car il ne constitue seulement qu’un mode d’exécution de celui-ci12.

Une question persiste toutefois concernant son contenu. Il s’agit d’un code défini au préalable en vue d’exécuter une action à la suite de la survenance d’un événement. Il faut alors distinguer deux situations.

La plus courante d’abord, celle relative aux simples modalités d’exécution d’un contrat. Dans ce cas, comme il s’agit d’une simple exécution d’un contrat principal avec un élément accessoire, le contrat reste valide et le smart contract aussi, à condition qu’il soit intelligible de tous.

Ensuite, dans de plus rares situations, les parties peuvent utiliser le seul smart contract comme support contractuel. C’est le cas par exemple pour certaines Initial Coin Offering, une technique qui permet de lever des fonds par le biais d’actifs numériques nommés tokens. Ces tokens ainsi émis sont échangeables contre des crytomonnaies. Il faut alors respecter les critères posés par l’article 1127-1 du Code civil, relatif au contrat digitalisé.

Mais, dans les deux cas, quelle est la valeur juridique du code informatique ?

Concernant son régime probatoire, en matière commerciale, dans le cadre d’un litige inférieur à 1 500 €, c’est le principe de la liberté de la preuve qui prévaut. Pour le reste, l’écrit est nécessaire et il se définit comme « une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support13 ». C’est le cas pour le code du smart contract. Cela suppose, conformément au principe du consensualisme, que les parties comprennent bien les engagements du contrat et son mode d’exécution, à savoir le smart contract lui-même. La spécificité de ce dernier résidant dans son fonctionnement autonome, c’est-à-dire que, une fois programmé, il s’exécute sans intervention humaine. Et c’est là le cœur de la problématique soulevée.

En effet, il est autonome : une fois déployé, il devient impossible de le modifier ou d’empêcher son exécution, sauf dans les cas préparamétrés.

De plus, toutes les exécutions et tous les utilisateurs sont enregistrés, il est donc parfaitement traçable. Cela ouvre de nombreuses applications, notamment en matière de lutte contre la corruption14, le blanchiment et le financement du terrorisme15.

Il est également déterministe, c’est-à-dire qu’il est incapable de régir des situations nouvelles du fait que la définition de son code est préalable à son exécution.

Le smart contract se caractérise alors par son immuabilité, son intangibilité et son irréversibilité16. Cela ne s’entend toutefois que dans la blockchain car c’est là qu’il s’y auto-exécute et une intervention extérieure, humaine ou découlant d’un événement imprévu, est tout simplement impossible. On le dit alors endogène à la blockchain puisqu’il y puise directement l’information de la survenance de la condition nécessaire à son exécution.

Il existe aussi, à l’opposé, des contrats exogènes, qui font appel à un tiers qui tient le rôle d’intermédiaire entre la blockchain et l’objet réel du contrat.

Endogène ou exogène, le smart contract fonctionne de la même façon avec un codage initial préalable. La seule différence tient dans la source d’information : interne à la blockchain ou provenant de l’extérieur. C’est notamment là que se positionne l’intervention humaine par le biais des acteurs du droit liés à la sécurisation des procédures, comme les officiers ministériels.

Bien que ce caractère immuable et autonome permette un traitement moins coûteux, il crée de nombreuses problématiques juridiques.

En effet, cela concerne les cas de modification, de rétractation ou d’inexécution du contrat ou encore d’une anomalie technique, d’un bug du programme, d’une annulation par le juge ou autres ; tous ces événements nouveaux et imprévus n’étant pas présents dans le code doivent avoir été anticipés.

Le manque de flexibilité dû à son autonomie représente donc un problème. L’avantage de la traçabilité est alors limité par l’inflexibilité.

La solution adoptée en pratique consiste non pas à modifier le programme initial mais à recréer des smart contracts en remplacement du premier ou par adossement de plusieurs autres pour pallier les situations nouvelles au fur et à mesure de leur apparition.

Ces modalités nouvelles offertes par le développement technologique doivent trouver leur place dans un cadre juridique international et cela est parfois source de conflit de droit.

B – L’évolution des normes internationales sous l’impulsion de l’innovation technologique et les conflits de droit inhérents à la prise en compte asymétrique de ces nouvelles technologies

Le droit, et notamment le droit international, doit constamment s’adapter aux différentes évolutions de la société et de la technologie ; chaque État ayant la capacité de régir ces situations selon son propre droit interne. Dans un environnement international, les circonstances dans lesquelles deux normes de droit seraient en contradiction sont démultipliées.

De plus, aucune norme de droit ne définissait la conduite à adopter en cas de conflit de loi avant la Convention de Rome du 19 juin 1980. Il revenait alors au juge, dans le silence de la loi, de préciser le droit applicable et de trancher les termes du litige ayant un caractère d’extranéité.

Afin d’harmoniser le monde des affaires et d’y apporter de la sécurité juridique, en limitant les divergences d’appréciation et les conflits de droit, un ensemble de conventions internationales a été mis en place.

La Convention de Vienne du 11 avril 1980 est venue encadrer les contrats de vente et la Convention de Rome, la même année, s’est penchée sur les conflits de droit entre États membres au sein de l’Union européenne. Dès avril 1991, ces dispositions en vigueur définissent alors le droit commun des contrats de l’Union européenne. Ainsi, la Convention de Rome devient le droit applicable aux parties par défaut en l’absence d’élection expresse d’un droit autre au contrat.

La question du numérique n’est pas épargnée et, notamment, le sujet de l’identité a également fait l’objet d’une harmonisation avec le règlement eIDAS du 23 juillet 201417. C’est une difficulté qu’oppose la blockchain en raison de l’anonymat (relatif) qu’elle permet, alors qu’il faut nécessairement que l’auteur puisse être identifié pour qu’un écrit électronique puisse être constitutif d’une preuve au sens juridique. La blockchain permet toutefois d’obtenir et de conserver une empreinte numérique de l’ensemble de ses utilisateurs par le biais d’un hash, qui est une technique cryptographique qui génère des identifiants uniques et non répétables à partir d’informations données. Il est également possible d’utiliser une clé privée d’authentification permettant d’établir un lien entre la transaction et le signataire ; toutefois, l’identification formelle de ce dernier reste difficile.

Le droit interne reconnaît trois niveaux de signatures électroniques : simple, avancé ou qualifié. Pour le moment, la blockchain ne permet pas d’atteindre les exigences fixées par le règlement européen eIDAS en matière de signatures avancées ou qualifiées car elles reposent sur l’intervention d’un tiers certificateur ; c’est-à-dire d’une personne habilitée à authentifier un acte ou une signature, comme le notaire dans l’établissement d’acte authentique. Au mieux, la blockchain permet l’établissement d’une signature simple avec des méthodes de chiffrement asymétrique ou la fonction de hachage18. Pour atteindre un niveau répondant aux attentes du règlement eIDAS, il faudrait que la blockchain soit capable de permettre des signatures électroniques avancées ou qualifiées. Cela nécessite non seulement une évolution du droit et de la technologie mais également que les smart contracts soient reconnus comme de véritables contrats par le droit.

Dans l’état actuel, la blockchain présente un grand intérêt en matière d’horodatage. Le règlement européen exige que soient précisées la date et l’heure exacte de l’opération. Ce que cette technologie est à même de faire. La limite qui persiste concerne la preuve juridique qui implique l’intervention à nouveau d’un tiers certificateur comme pour la signature électronique. L’autre solution serait que le droit évolue pour accepter l’horodatage électronique comme preuve. Comme souvent, c’est la jurisprudence qui répondra à cette problématique par le biais du faisceau d’indices pour pallier l’absence de cadre réglementaire précis sur le fondement de la liberté de la preuve.

L’État de Monaco ambitionne de se positionner comme un acteur de référence dans le domaine de la blockchain et de toutes les applications qui en découlent. Pour ce faire, un ensemble de textes normatifs est déployé par la principauté pour pallier le manque de place du deuxième plus petit pays du monde en accueillant des activités immatérielles dans un cadre réglementaire qu’ils définissent eux-mêmes comme étant souple, moderne et pragmatique19.

En dépit de l’effort d’harmonisation déployé par l’Union européenne, le développement de cette technologie continue d’entrer en conflit avec certains droits internes, notamment en matière de procédures KYC (know your customer) et de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme20.

L’environnement du droit existant se trouve bouleversé par l’émergence de ces nouvelles technologies21. Le sujet du traitement des données personnelles pose un problème22. L’intérêt majeur du protocole blockchain repose sur sa traçabilité. Les données sont ainsi stockées et conservées sans limitation de durée et chaque nouvel utilisateur vient s’ajouter aux blocs de données.

Comment respecter le droit à l’oubli et le règlement général sur la protection des données (RGPD) qui prévoit que la conservation des données personnelles soit limitée dans le temps alors que la blockchain en permet une conservation illimitée ?

Les éléments collectés par la blockchain constituent-ils des données personnelles au sens du RGPD ?

Les données doivent, pour cela, permettre l’identification d’une personne, quelle que soit leur nature : documents, photos, enregistrements, etc. Les éléments du smart contract, à savoir son code, permettent-ils d’identifier un individu ?

Le droit des contrats impose comme condition substantielle à leur validité, sous peine de vice, que soient désignées sans équivoque les parties qui s’engagent. Comme démontré précédemment, le smart contract est un accessoire au contrat principal ; il peut ainsi, dans son code, posséder des éléments d’identification telles que des données personnelles ; se pose alors le problème de conservation illimitée de cette donnée.

Afin de contourner la problématique de conservation de données personnelles au sein du smart contract, plusieurs pistes peuvent être envisagées. L’une d’entre elles serait d’anonymiser la donnée par une méthode de chiffrage ou par la suppression de certaines données pour empêcher l’identification et ainsi sortir du cadre du RGPD. Bien évidemment, cette opération doit être irréversible et empêcher tout retour en arrière qui permettrait, de quelque façon que ce soit, d’identifier à nouveau la personne, cela revenant sinon à archiver et non à anonymiser.

Il convient toutefois de souligner que le smart contract permet paradoxalement de se conformer à certaines obligations formulées par le RGPD liées à l’effacement des données. Les avancées technologiques sur la blockchain rendent possible l’accès aux données personnelles par l’utilisateur lui-même via un enregistrement crypté. Le déchiffrage est réalisé via un smart contract qui nécessite la présence de la clé de l’utilisateur pour s’exécuter, celle-ci étant couplée à une clé permanente qui en empêche l’accès définitif en cas de suppression. Cela permet alors de se conformer à l’exigence d’effacement du règlement.

En l’état actuel, le droit connaît de nombreuses difficultés dans l’intégration de ces nouvelles technologies et cela n’est pas sans créer des conflits de droit23.

L’aspect irréversible du smart contract pose des complications qui vont au-delà de la conservation illimitée des données qu’il contient. Son intérêt majeur est son autonomie d’exécution totale mais c’est également son problème majeur car le contrat n’est alors plus contrôlable. Or, dans la vie d’un contrat, il apparaît nécessaire de pouvoir maintenir une action sur lui. En cas de litige, par exemple, le recours à la médiation ou à l’arbitrage est exclu ; il en va de même pour l’intervention du juge, qui est anéanti par l’exécution automatique et immédiate du code24. Cet inconvénient reste toutefois à nuancer car il s’inscrit dans la poursuite du mouvement de déjudiciarisation qui, depuis quelques années déjà, voit se développer les procédures qui viennent limiter l’intervention du juge, voire s’en passent complètement. Se sont développés les modes alternatifs de règlement des conflits, de plus que les mesures de résolution amiables préalables à la saisine du juge pour supplémenter cette tendance de déjudiciarisation des litiges. Le smart contract arrive en complément, avec la possibilité de définir au préalable des clauses d’arbitrage qui s’exécuteront automatiquement en cas de survenance de l’événement litigieux défini en amont. Le rôle du juge se trouve alors diminué avec cette nouvelle technologie.

Le droit des contrats s’envisage de plus en plus dans un contexte international tant la pratique des affaires s’est mondialisée. Les nouvelles technologies ont renforcé ce phénomène en raccourcissant les distances entre les parties. Les situations de risques de conflit entre les différents droits nationaux n’ont jamais été aussi nombreuses. Le principal problème réside notamment dans l’appréciation et la reconnaissance du code par les réglementations internes. Sa qualification est encore variable d’un pays à l’autre et cela génère de facto des problèmes de résolution en cas de litige.

Paradoxalement, au fur et à mesure que la déjudiciarisation fait reculer le recours au juge, son intervention n’a jamais été aussi nécessaire. En effet, le manque d’harmonisation, les conflits de droit qui en découlent et la part croissante de liberté laissée aux parties du contrat rendent le travail du juge impérieux pour trancher les multiples situations litigieuses. En plus d’étendre préalablement la réflexion juridique sur l’ensemble des éléments d’exécution du smart contract, ainsi que sur sa qualification, il faut aussi repenser la place des acteurs procéduraux à l’aune des avancées technologiques.

II – L’impact de l’innovation technologique en matière contractuelle : l’exemple des notaires, entre remplacement et solubilité

A – L’inévitable effacement des officiers ministériels garant de la sécurité juridique face au développement technologique offrant un niveau de protection meilleur et une fluidité des échanges accrue

Il pourrait sembler plutôt intuitif de prime abord que ces acteurs du droit français, à savoir les officiers ministériels nés sous l’Ancien Régime que sont les notaires, les commissaires de justice tels qu’ils se sont renommés dernièrement, appartiennent au passé et s’effacent progressivement face à l’apport des nouvelles technologies. En effet, ces derniers, au nom de la sécurité juridique, créent une lourdeur et un surcoût non négligeable dans les processus de contractualisation alors que les nouvelles technologies apportent tout l’inverse, une sécurisation plus grande et une fluidité inégalée jusqu’alors.

Pour prendre l’exemple des notaires, leur coût dans une transaction immobilière s’évalue selon des règles encadrées en partie par décret25. Ce qui est communément appelé « frais de notaires » se compose de plusieurs éléments : les émoluments et honoraires (un dixième des frais), les débours (un dixième des frais), les droits et taxes (environ huit dixièmes des frais). Les droits et taxes correspondent aux sommes perçues par l’État et les collectivités territoriales comme les droits d’enregistrement ou la TVA. Les débours sont les avances effectuées par le notaire, pour rémunérer d’autres intervenants dans la procédure ou pour certains documents payants. Les émoluments représentent la rémunération du notaire en contrepartie de son travail dans la procédure. Ils sont fixés par décret selon un barème progressif corrélé au montant du principal. Ainsi, depuis le 1er janvier 2021, le taux est de 3,870 % pour un prix de 0 € à 6 500 € ; 1,596 % de 6 500 € à 17 000 € ; 1,064 % de 17 000 € à 60 000 € et 0,799 % pour plus de 60 000 €. Les taux ont été revus à la baisse par rapport au précédent décret26. Alors, pour illustrer ce propos, prenons la situation de l’achat d’un appartement d’une valeur de 200 000 €. 251,55 € (6 500 x 3,870/100) + 167,58 € ((17 000 – 6 500) x 1,596/100) + 457,52 € ((60 000 – 17 000) x 1,064/100) + 1 118,60 € ((200 000 – 60 000) x 0,799/100). Les émoluments du notaire s’élèvent alors à 1 995,25 € hors taxes.

Aux émoluments s’ajoutent les honoraires27. Il s’agit cette fois d’une source de revenus en contrepartie d’une prestation professionnelle qui s’ajoute aux précédents frais mais dont le tarif n’est pas encadré par la réglementation. Ils font donc l’objet d’une négociation avec le client mais ne s’appliquent qu’à certains actes seulement, comme une consultation juridique, un acte de société, la vente d’un fonds de commerce ou d’un bail commercial.

Il s’agit d’un véritable surcoût, non négligeable dans l’économie, qui pèse sur les processus de contractualisation. Ce qui justifie ce coût qui pèse sur l’acheteur, c’est la sécurité juridique qu’apporte cet officier ministériel. En effet, le notaire ne se contente pas d’enregistrer l’acte, il en vérifie tous les éléments de validité. Il atteste ainsi que le consentement est libre, éclairé et dépourvu de vice, que les parties possèdent bien la capacité juridique à conclure et que l’objet du contrat est licite et certain. Il s’assure également que l’ensemble des documents soient remis et que les formalités soient accomplies, notamment pour les contrats solennels. Il en fait ainsi un acte authentique, la preuve la plus parfaite en droit. Ce coût est donc le prix de la sécurité juridique.

Pour savoir si les officiers ministériels vont inévitablement s’effacer face aux avancées technologiques, il faut définir concrètement leurs actions. Pour le cas des notaires, ils ont pour mission de conserver, stocker et sécuriser les données de leurs clients et d’authentifier les échanges afin de garantir leur infalsifiabilité. Les procédés technologiques cryptographiques comme la blockchain permettent de stocker, de sécuriser les données, d’authentifier les échanges et de garantir leur infalsifiabilité, voire leur indestructibilité. Le remplacement de cet acteur du droit apparaît alors comme inévitable.

De plus, les développements qui découlent de cette technologie sont nombreux. Elle permet aux artistes de l’industrie musicale d’administrer leurs droits au fur et à mesure en leur versant directement une rémunération à chaque téléchargement. Ce mécanisme est bien plus précis et efficace que le système actuel qui passe en partie par la société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. Elle peut également être déployée dans l’établissement de cadastres plus sécurisés que ce que proposent actuellement les administrations et, à plus forte raison, pour les pays qui n’en possèdent pas. C’est le cas actuellement au Ghana où l’organisation non gouvernementale Bitland utilise la blockchain pour enregistrer les propriétés foncières et, ainsi, résoudre les conflits qui en résultent.

Ce ne sont pas seulement les notaires qui sont touchés mais l’intégralité des acteurs du droit qui interviennent dans la gestion des contrats. Ils se retrouvent en situation de concurrence, de confrontation avec une technologie qui propose des processus plus rapides, moins coûteux et surtout plus fiables et sécurisés.

L’utilité du tiers de confiance est alors remise en cause. Les acteurs de la procédure contractuelle se maintiennent aujourd’hui sous perfusion car c’est la loi seule qui justifie leur existence. Pour établir un acte authentique, nécessaire au contrat de vente immobilière, la loi impose le recours à un notaire. Il est le seul à garantir, aux yeux de la loi, l’exactitude et la qualité du contrat. Ses actes constituent la preuve la plus absolue et parfaite en droit. Ce document officiel rédigé par un officier public, c’est-à-dire celui qui a été reçu, dans le respect des formalités légales, par un officier public ayant compétence et qualité pour instrumenter, en principe dans le lieu où il a été rédigé, et il possède en plus la force exécutoire. Cela signifie alors qu’à celui auquel l’acte en question octroie un droit, il est permis de faire procéder à une exécution forcée par les soins d’un officier public qui a compétence pour requérir la force publique. C’est le plus souvent l’huissier de justice, nouvellement nommé commissaire de justice, qui procède à ces formalités. Ces différents dispositifs légaux et réglementaires permettent, face à une technologie de décentralisation telle que la blockchain, de maintenir ce tiers de confiance centralisé qu’est l’officier public dans les opérations contractuelles.

Le constat que l’on peut tirer de la situation existante ainsi que les projections sur l’avenir ne sont pas si sombres. Le remplacement inévitable des acteurs en place par la technologie est loin d’être la seule issue et ce scénario fataliste et impérieux n’est que peu vraisemblable.

B – La solubilité des intermédiaires au contrat dans le protocole des technologies de sécurisation : une nécessité pour faire émerger un système robuste, adaptable et pilotable

Traiter le sujet sous l’angle de l’opposition entre officiers publics et nouvelles technologies n’est pas la bonne approche et serait faire fausse route. En effet, il faut plutôt s’interroger sur les synergies possibles, les développements et les apports mutuels qui peuvent naître de cette rencontre.

L’écrivain brésilien Paulo Coelho disait que, « lorsqu’une chose évolue, tout ce qui est autour d’elle évolue de même ». Et c’est effectivement une évolution forte, une révolution même pourrait-on dire, bien que technologique. « La Révolution mène les hommes plus que les hommes ne la mènent ». C’est en ces termes que s’exprimait Joseph de Maistre, philosophe et magistrat. Et ce n’est pourtant pas ce qu’il s’est produit.

En effet, les officiers ministériels trouvent leurs origines dès l’Antiquité. Ils n’ont pas attendu la révolution digitale pour évoluer et en ont connu bien d’autres, industrielle, numérique, ainsi que des changements politiques et de nombreuses réformes.

La remise en cause de leur rôle et de leur monopole dans l’établissement de certains actes juridiques est à la fois fréquente mais également très ancienne. Au Moyen-Âge déjà, puis sous l’Ancien Régime et sous la Révolution, et encore aujourd’hui, les tendances ont alterné, tantôt privilégiant et renforçant leurs actions, tantôt sous une approche plus économique et libérale.

Les officiers publics sont-ils des immortels qui survivent à toutes les crises, à toutes les réformes du fait de leur nécessaire fonction sociale et surtout de l’incapacité systémique à les remplacer ?

Aujourd’hui, la technologie propose certes des dégagements intéressants mais cette solution n’est pas, en l’état, suffisamment robuste pour les remplacer totalement.

De plus, ces professionnels du droit se sont adaptés aux progressives évolutions à la fois de la technologie et de la société. En effet, un premier pas a été franchi avec la dématérialisation des actes et des procédures28. Les échanges d’informations avec les partenaires institutionnels se font par voies dématérialisées, c’est le cas par exemple pour l’obtention des états civils.

Les notaires de France réalisent régulièrement des assemblées générales et des formations dans le but d’appréhender au mieux ces sujets. Leurs actes sont déposés numériquement par le biais du téléacte depuis le 1er janvier 201829. Grâce aux échanges avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) de Bercy, les notaires ont également accès au fichier immobilier qui est détenu par l’administration fiscale et dans lequel est publié chaque acte notarial immobilier30. Ces évolutions permettent un traitement plus facile, plus fluide, plus rapide et le temps ainsi dégagé peut être utilisé sur des tâches à plus haute valeur ajoutée et à destination du client.

Les legaltechs sont venues en renfort en apportant des solutions, notamment sur la digitalisation du parcours client, de la prise de rendez-vous, aux échanges d’information et jusqu’à la signature. Des problèmes en matière de sécurisation des données et de secret professionnel se sont évidemment posés mais ont pu être levés, en particulier par des développements technologiques. On parle même de notatechs pour les plus spécialisées d’entre elles.

Au-delà du fonctionnement et des échanges, l’acte authentique a lui aussi connu sa révolution numérique. Il peut aujourd’hui être numérique grâce à la signature électronique (système REAL)31. Par suite de cette loi de 2000, dont les notaires ont pris une grande place dans l’élaboration, l’adoption de cette pratique a pris du temps à être intégrée car le premier acte électronique n’a été signé qu’en 2008. Depuis cette date, c’est plus de 10 millions d’actes électroniques qui ont été effectués et plus de 90 % des notaires ont recours à ce système.

Le règlement européen eIDAS32 permet, avec des outils d’un niveau de certification élevé et conforme aux exigences de la profession, d’atteindre le tout numérique dans les activités notariales. La volonté affichée à présent est de tendre vers le zéro papier. C’est le travail que mène d’arrache-pied l’association pour le développement du service notarial.

La blockchain est le nouvel outil que s’approprie cette profession pour aller plus loin encore dans la digitalisation et la sécurisation des échanges. L’accroissement des risques de fraude, de corruption, d’attaque et les besoins de sécurité et de traçabilité rendent son usage nécessaire, notamment pour les transactions immobilières. Des technologies, comme le Building information modeling qui actuellement intègre plusieurs dispositifs permettant de numériser l’intégralité de la chaîne de valeur et de la vie d’un bâtiment, seront alors complétées par la blockchain et même de l’intelligence artificielle (IA). Ce sont des développements qui sont déjà à l’étude et expérimentés par certains acteurs comme Screeb Notaires par exemple.

Le souci principal qui se pose toutefois, c’est que ces développements et ces utilisations innovantes ne sont pas centralisés et harmonisés et sont le fruit d’actions éparses réalisées par différents acteurs, fussent-ils institutionnels. À titre d’illustration, pour connaître le prix de l’immobilier, la chambre des notaires de Paris met à disposition une carte interactive ; les notaires de France établissent un indice de prix avec l’institut national de la statistique et des études économiques ; l’État français a créé la base de données DVF (demandes de valeurs foncières) qui donne accès aux prix de vente des biens immobiliers en France sur les cinq dernières années et la DGFiP a développé une application. Même si les efforts d’harmonisation et de lisibilité vont en s’accentuant, ils restent pour le moment limités et les développements se font de manière buissonnante.

La solubilité des notaires dans ce monde qui se technologise de plus en plus semble être une position acquise. Le notaire crée de la donnée et manipule de la donnée sensible au sens du RGPD, il est donc demandeur de solutions en permettant la sécurisation. De plus, la notion de « tiers de confiance » ne vient pas en opposition à la blockchain ou au smart contract mais en renforcement.

En effet, c’est une théorie socio-économie éprouvée, notamment par Kenneth Arrow et George Akerlof, tous deux Prix Nobel d’économie, que le « lubrifiant des échanges » permettant de créer de la richesse dans une société, c’est la confiance. D’autres, comme Bruno Deffains, directeur du centre de recherche en économie et droit de l’université Paris Panthéon-Assas et Michel Séjean, en ont même établi un index de la sécurité juridique33. Et c’est précisément le notaire qui produit cette confiance dans les échanges. La blockchain ne disrupte en rien sa position et vient en revanche la renforcer.

Les deux apports principaux de la blockchain sont la conservation et la certification, exactement le domaine d’intervention du notaire. Allier les deux, avec le mécanisme du tiers de confiance, c’est-à-dire adosser à la technologie le recours à un tiers certificateur, permet de décupler la robustesse du processus.

À cela s’ajoute un élément qui sera difficile, pour ne pas dire impossible, à intégrer sans tiers de confiance, c’est la déontologie. En effet, les actes authentiques réalisés par les officiers ministériels sont soumis à cette discipline professionnelle et à l’engagement de leur responsabilité, aussi bien civile que pénale. La confiance technologique s’avère donc pour le moment insuffisante face à la confiance institutionnelle.

De la même manière que, sous l’Ancien Régime, l’autorité centrale qu’était le roi et qui concentrait tous les pouvoirs a opéré une « décentralisation » avec les officiers publics (notaires, commissaires de justice, greffiers des tribunaux de commerce, mandataires et administrateurs judiciaires…) ; la blockchain permet à ces acteurs de commencer à leur tour la même action.

Certains pensent toutefois que son développement et ses applications resteront limités du fait de l’absence d’autorité centrale et donc de l’absence de régulation, comme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique à l’institut d’études politiques de Paris « Sciences Po » et spécialiste du droit de la régulation dont elle a contribué à fonder la doctrine en France : « La blockchain peut être un progrès, mais certainement pas un changement ».

Conclusion

Qu’en est-il de la technologie appliquée au droit en l’état actuel ? De quoi le protocole blockchain est-il capable ? Quels développements et perspectives en attendre ?

Actuellement, cette technologie se limite à l’exécution de programmes simples mais des méthodes ingénieuses assemblant plusieurs smart contracts en cascades permettent la réalisation et le traitement de sujets plus complexes. La principale limite rencontrée réside dans la transcription informatique d’une volonté humaine, d’une action que l’on détermine en amont de l’exécution du code. Il faut alors que l’élément déclencheur soit sans équivoque et n’ouvre à aucune interprétation. Il n’accepte ainsi aucune possibilité de modification et d’intégration d’événements nouveaux, extérieurs et imprévisibles dans le code existant.

Toutefois, cet outil s’applique parfaitement aux tâches basiques à moindre valeur ajoutée qui ne nécessitent plus nécessairement l’intervention de l’Homme pour leur résolution. L’automatisation se positionne ainsi comme une aide au travail humain, notamment pour les actes répétitifs, facteurs de pénibilité.

Tous les secteurs d’activité sont touchés par ses applications. Une des utilisations concerne l’assurance sinistre et le traitement du processus de gestion. Il est envisageable aussi avec le mécanisme de l’assemblage de smart contracts de couvrir de nombreux risques, portés par différents assureurs. Cela s’applique aussi à la réassurance. Le secteur de la finance n’est pas épargné tout comme ceux du transport, de la logistique, de l’industrie où les applications possibles sont nombreuses.

En vue d’accroître les développements du smart contract, il suffit de le coupler avec un tiers. L’intervention de ce tiers de confiance nommé « oracle » permet d’envisager des situations complexes dans lesquelles il vient analyser et définir la bonne complétude des conditions avant de déclencher l’exécution du programme. La technologie ne vient plus en rupture avec l’Homme mais s’intègre dans ce processus en interaction avec lui. Les applications de la technologie dans le domaine juridique sont ainsi démultipliées et d’autant plus si ce tiers de confiance est un acteur du droit ayant déjà un rôle dans les processus actuels « classiques » comme peuvent l’être les notaires, les avocats, les commissaires de justice ou encore les mandataires et administrateurs judiciaires.

Les smart contracts pourraient-ils dans l’avenir évoluer pour devenir des contrats à part entière ?

Pour l’heure, ces « contrats » ne sont pas si malins que leur nom le suppose34. En effet, ils ne font qu’exécuter des lignes de code déterminées à l’avance. De plus, impossible pour la technologie actuelle d’attester qu’une situation, qu’un écrit, est conforme à la réalité car cette réalité lui est inconnue.

Toutefois, il est possible de contourner cette contrainte en mêlant la blockchain à de l’IA ou du machine learning, ainsi le contrat pourra évoluer et s’adapter sans cesse35. Il reste cependant difficile de s’engager via un contrat dont les obligations ne sont pas clairement définies et vont naître dans l’avenir. Les parties doivent alors s’accorder sur un algorithme qui n’est pas figé et des facteurs qui évoluent.

Le principal obstacle actuel à son développement est en réalité son coût. En effet, il est bien plus onéreux d’intégrer de l’IA ou du machine learning plutôt que de recréer un ou plusieurs nouveaux smart contracts pour l’exécution d’une situation qui évolue dans le temps et régler ainsi les cas non anticipés au départ.

L’environnement juridique n’a pas été pensé ni prévu pour accueillir ces nouvelles technologies et un travail d’acclimatation mutuel doit être effectué36. Si le caractère consubstantiel du droit et de la société est un phénomène admis, son délai d’évolution est plus long que celui de la société et cela génère des périodes de flou juridique, le temps qu’il s’adapte et intègre ces innovations.

La solution réside alors dans la synergie entre juristes et informaticiens ; ces deux domaines tendant à se rapprocher, leur coopération est alors primordiale37.

Aussi bien ces apports technologiques peuvent servir le système juridique, le fluidifier et en réduire les coûts et donc le renforcer, autant ils peuvent le déstabiliser, le concurrencer et, ainsi, le fragiliser.

Les notaires, par exemple, ont pour rôle d’élaborer, de conserver et de dupliquer des actes juridiques. La blockchain, quant à elle, n’est pertinente que sur leur conservation et leur duplication. La première étape, à savoir leur élaboration, réside donc essentiellement dans les mains des officiers publics. Comme le confirme Jean-François Humbert, président honoraire du Conseil supérieur du notariat, cette profession est indispensable en amont des transactions nécessitant des actes authentiques mais également en aval avec l’appui de la technologie pour renforcer leurs actions, les rendant ainsi infalsifiables, l’humain y occupant le rôle de producteur basé sur l’intelligence quand la technologie assure la conservation.

Le positionnement de l’État est déterminant pour les développements à venir par le biais de la régulation. Sans autorité centrale, sans supervision de l’État et donc en l’absence de régulation, c’est un développement anarchique qui risque de voir le jour. La blockchain ne doit pas être la base d’un système économique mais doit être à son service.

À n’en pas douter, elle peut être d’un grand soutien pour l’Homme et permettre des avancées considérables ; mais, comme tout outil, c’est l’action de l’Homme qui en fera soit un acteur, soit un hacker du droit. Le monde digital ne remplacera pas le monde physique mais leur coexistence fait émerger une ère nouvelle : le monde phygital.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. Zolynski, « Blockchain et smart contracts : premiers regards sur une technologie disruptive », RD bancaire et fin. 2017, n° 1, p. 85.
  • 2.
    D. Legeais, « L’avènement d’une nouvelle catégorie de biens : les actifs numériques », RTD com. 2019.
  • 3.
    Ord. n° 2017-1674, 8 déc. 2017, blockchain, et ses décrets d’applications.
  • 4.
    N. Szabo, « Formalizing and securing public networks », First Monday, 1er sept. 1997, vol. 2, n° 9 : https://lext.so/-sPzqK.
  • 5.
    V. Buterin, « Livre blanc/White Paper Ethereum – Traduction française », www.ethereum-france.com, 24 nov. 2016 : https://lext.so/_FCUep.
  • 6.
    G. Guerlin, « Considérations sur les smart contracts », Dalloz IP/IT 2017, p. 512.
  • 7.
    E. Théocharidi, « La conclusion des smarts contracts : révolution ou simple adaptation ? », RLDA 2018, n° 138.
  • 8.
    Smart Contract Academy, rapp., Smart contracts : études de cas et réflexions juridiques, 2018.
  • 9.
    C. civ., art. 1101.
  • 10.
    C. civ., art. 1127-1.
  • 11.
    M. Clément-Fontaine, « Le smart contract et le droit des contrats : dans l’univers de la mode », Dalloz IP/IT 2018, p. 540.
  • 12.
    G. Cattalano, « Smart contracts et droit des contrats », AJCA 2019, p. 321.
  • 13.
    C. civ., art. 1365.
  • 14.
    L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
  • 15.
    PE et Cons. UE, dir. n° 2018/843, 30 mai 2018, modifiant la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE.
  • 16.
    G. Goffaux Callebaut et A. Barbet-Massin, « Blockchain et marché de l’art », AJCA 2019, p. 324.
  • 17.
    PE et Cons. UE, règl. n° 2014/910, 23 juill. 2014, sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE.
  • 18.
    X. Lavayssière, « L’émergence d’un ordre numérique », AJCA 2019, p. 328.
  • 19.
    L. n° 1491, 23 juin 2020, relative aux STO – L. n° 237, 21 déc. 2017, sur la blockchain – L. des prestataires de services sur les activités numériques (PSAN) de 2021 (L. monégasque n° 1.528, 7 juill. 2022, portant modification de diverses dispositions en matière de numérique et réglementation des activités des prestataires de services sur actifs numériques ou sur crypto-actifs : https://lext.so/uaMiJe).
  • 20.
    J. Deroulez, « Blockchain et données personnelles. Quelle protection de la vie privée ? », JCP G 2017, spéc. n° 38.
  • 21.
    P. de Filippi et A. Wright, Blockchain et droit – le règne du code, 2019, Dicoland, p. 89.
  • 22.
    T. Douville, « Blockchain et protection des données à caractère personnel », AJCA 2019, p. 316.
  • 23.
    L. n° 2019-486, 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises, art. 86.
  • 24.
    A. Chatain et S. Lataste, « Le rôle du juge dans la réforme du droit des contrats », GPL 22 nov. 2016, n° GPL280h2.
  • 25.
    D. n° 2020-179, 28 févr. 2020, relatif aux tarifs réglementés applicables à certains professionnels du droit.
  • 26.
    D. n° 2016-230, 26 févr. 2016, relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice.
  • 27.
    C. com., art. R. 444-16.
  • 28.
    L. n° 2016-1321, 7 oct. 2016, pour une République numérique.
  • 29.
    D. n° 2017-770, 4 mai 2017, portant obligation pour les notaires d’effectuer par voie électronique leurs dépôts de documents auprès des services chargés de la publicité foncière – A., 2 juin 2017, définissant le champ d’application de l’obligation faite aux notaires d’effectuer par voie électronique leurs dépôts de documents auprès des services chargés de la publicité foncière.
  • 30.
    D. n° 2018-1266, 26 déc. 2018, relatif aux modalités de délivrance aux notaires de renseignements et de copies d’actes figurant au fichier immobilier géré par la direction générale des finances publiques – L. n° 2018-1317, 28 déc. 2018, de finances pour 2019 – CGI, art. 881 D.
  • 31.
    L. n° 2000-230, 13 mars 2000, portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique.
  • 32.
    PE et Cons. UE, règl. n° 2014/910, 23 juill. 2014, sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE.
  • 33.
    B. Deffains et M. Séjean, Index de la sécurité juridique. Rapport pour la Fondation pour le droit continental, 2018, Dalloz.
  • 34.
    J.-C. Roda, « Smart contracts, dumb contracts ? », Dalloz IP/IT 2018.
  • 35.
    S. Merabet, Vers un droit de l’intelligence artificielle, thèse, 2018, Aix-Marseille, n° 376.
  • 36.
    B. Mallet-Bricout, « Blockchain et droit financier : un pas (réglementaire) décisif », RTD civ. 2019.
  • 37.
    M. Mekki, « Le smart contract objet de droit (parties 1 et 2) », Dalloz IP/IT 2019.
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