Loi de ratification de l’ordonnance de réforme du droit des contrats, de la preuve et du régime général des obligations : le droit schizophrène
Le 11 avril 2018, le Parlement a définitivement adopté le projet de loi de ratification de l’ordonnance réformant le droit des contrats, de la preuve et du régime général des obligations. Pour quelques modifications de mauvaise facture et de médiocre importance, le législateur accouche d’un droit peu lisible et schizophrène, qui varie au gré de la date de conclusion des contrats.
Proj. L., ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, adopté, dans les conditions prévues à l’article 45, alinéa 3, de la Constitution par le Sénat le 11 avril 2018
La loi de ratification de l’ordonnance de réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a finalement été votée en termes identiques par les chambres (v. Chénedé F., « La réforme du droit des contrats et le dialogue des chambres », AJCA 2018, p. 25) : au moment où nous écrivons, elle attend sa promulgation. Si les codes se font avec le temps et qu’on ne les fait pas, selon une formule connue, cette loi témoigne du moins de ce que l’on peut s’employer à les défaire.
L’ordonnance avait ses imperfections (v. le dossier : « Améliorer les textes issus de la réforme du droit des contrats », RDC 2017, n° 113v2, p. 165). La doctrine avait cependant appelé à n’en modifier les dispositions que la main tremblante (V. Mekki M., « Plaidoyer pour une rectification à la marge de l’ordonnance du 10 février 2016 sur la réforme du droit des obligations », Gaz. Pal. 24 oct. 2017, n° 305y0, p. 11). L’acte de prévision qu’est le contrat requiert la prévisibilité. Certains craignaient même que « le Parlement ne vienne altérer le travail accompli », au point d’exhorter à une ratification sans correction (Molfessis N., « Pour une ratification sèche de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats », JCP G 2017, 1045). Ils n’ont malheureusement pas été entendus.
Certes, il n’y a pas de « réforme de la réforme », selon une expression déjà éculée : les modifications sont faibles en qualité comme en quantité. Même la révision pour imprévision, qui cristallisa une partie des débats, a survécu. Tout au plus les « contrats financiers » régis par le Code monétaire et financier ont-ils été exclus du champ d’application de l’article 1195 du Code civil… Somme toute, la loi se borne à quelques corrections formelles et se rend à quelques accommodements, parfois sans autre cohérence que la préservation d’intérêts particuliers, souvent au détriment d’un tant soit peu de lisibilité. Le législateur avait certes quelques bonnes intentions : mais l’enfer en est pavé. C’est ainsi que la volonté de régler quelques difficultés d’application de la réforme dans le temps a accouché d’un droit des contrats schizophrène variant d’un contrat à l’autre selon le moment de sa conclusion. Aussi est-il nécessaire d’évoquer l’application dans le temps de la réforme (I) avant de présenter les modifications textuelles opérées par la loi de ratification (II).
1. Application dans le temps
Si elle rend les contrats antérieurs à l’ordonnance étanches à la loi nouvelle (A), la loi multiplie les droits applicables aux autres conventions (B).
A. Étanchéité des contrats antérieurs à la loi nouvelle
Difficultés d’application de l’ordonnance. L’article 9 de l’ordonnance affirmait que « les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016 [et que] les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne ». La question s’est posée de savoir si la règle était absolue : les dispositions d’ordre public issues de l’ordonnance ne devaient-elles pas, par exemple, être immédiatement appliquées aux contrats en cours ? Ne fallait-il pas réserver la jurisprudence selon laquelle « la loi nouvelle régi[t] immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées » (Cass. 3e civ., 17 nov. 2016, n° 16-24522, FS-P+B+I, RDC 2017, n° 113w6, p. 67, obs. Seube J.-B. ; RTD civ., 2017, p. 118, obs. Barbier H.) ? Certaines juridictions du fond hésitaient ainsi à appliquer le droit nouveau en matière de résolution ou de restitutions afférentes à des contrats antérieurs à la réforme (v. Gaz. Pal. 9 janv. 2018, n° 310t0, p. 26 et nos obs.).
Principe d’étanchéité. L’article 16 III de la loi règle cette question : il complète l’article 9 de l’ordonnance et précise que les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 sont soumis à la loi ancienne « y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public ». Il est expressément précisé que cette modification prend rétroactivement effet à compter du 1er octobre 2016. La solution a le mérite de la simplicité, qui rend les contrats antérieurs étanches à l’application de la loi nouvelle.
Difficultés liées à l’entrée en vigueur de la loi. Cette règle pourrait cependant souffrir de la rédaction défectueuse de la loi. Afin de laisser un temps d’acclimatation aux contractants, le législateur a en effet voulu repousser l’entrée en vigueur de certaines dispositions. Au lieu de se borner à énumérer celles-ci, l’article 16 I de la loi dispose péremptoirement que « la présente loi entre en vigueur le 1er octobre 2018 ». Une lecture littérale de cet article invite donc à suspendre la rétroactivité de ce principe d’étanchéité jusqu’au 1er octobre 2018 ! La même observation vaut pour l’ensemble des dispositions qualifiées d’interprétatives : en théorie, leur rétroactivité naturelle ne saurait produire son effet avant l’entrée en vigueur de la loi ! Mieux vaudrait pourtant que les juges optent pour une application raisonnable, si ce n’est littérale, de ces dispositions, d’autant que d’autres difficultés pourraient survenir. La remise à plus tard de l’entrée en vigueur de la loi n’a-t-elle pas pour conséquence de différer la ratification même de l’ordonnance ? Non pas que des modifications subreptices soient à craindre. Les plaideurs souhaitant poser une question prioritaire de constitutionnalité devront cependant y réfléchir à deux fois, la nature législative de l’ordonnance paraissant incertaine jusqu’au 1er octobre prochain.
Incomplétudes. Maladroit, l’article 16 est aussi incomplet. L’ordonnance comme la loi n’envisagent en effet l’application de loi nouvelle que relativement aux contrats. Quid du régime général des obligations ? Est-il soumis aux mêmes règles que le droit des contrats ? Faut-il au contraire distinguer les sources et le régime de l’obligation, ce qui cadrerait mal avec l’étanchéité des contrats antérieurs au droit nouveau ? La loi n’en dit rien.
B. Multiplication des droits
Trois en un. Estimant que certaines modifications plus substantielles que d’autres méritaient un temps d’adaptation, la loi opère une distinction. L’article 16 I alinéa 2 dispose que « les modifications apportées par la présente loi aux articles [énoncés] ont un caractère interprétatif » tandis que l’alinéa 3 énumère les articles qui « dans leur rédaction résultant de la présente loi, sont applicables aux actes juridiques conclus ou établis à compter de son entrée en vigueur ». Certaines dispositions s’appliqueront donc seulement à compter du 1er octobre 2018, les dispositions issues de l’ordonnance continuant de s’appliquer jusque-là. Quant aux dispositions interprétatives, elles s’appliqueront rétroactivement à compter du 1er octobre 2016. Le droit des contrats est donc triple : il se partage entre droit ancien, nouveau et intermédiaire. Tentons de les distinguer.
Contrat antérieur au 1er octobre 2016. Si le contrat est conclu antérieurement au 1er octobre 2016, il est soumis comme on l’a vu au principe d’étanchéité du contrat ancien au droit nouveau. On ne perdra pas de vue cependant que le droit ancien peut parfois être interprété à l’aune de « l’évolution du droit des obligations résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 » (Cass. ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 16-20411, publié au bulletin). Même le droit ancien n’est donc plus tout à fait ce qu’il était (v. Gaz. Pal. 9 janv. 2018, n° 310t1, p. 29 et nos obs.) !
Contrat postérieur au 1er octobre 2016 et dispositions interprétatives. Si le contrat a été conclu après le 1er octobre 2016, et qu’une disposition modifiée est en cause, il convient de vérifier si l’article 16 de la loi de ratification en retarde l’entrée en vigueur ou s’il la qualifie d’interprétative. En ce second cas, la modification « fait corps » avec la disposition originelle et s’applique rétroactivement : les dispositions interprétatives s’appliquent donc à tous les contrats passés depuis le 1er octobre 2016. Et ces modifications ne sont pas toujours anodines : comme on le verra, la nouvelle rédaction de l’article 1143 interdira par exemple à certains contractants en situation de faiblesse de se prévaloir d’un abus de dépendance. Cette rétroactivité influera sans doute quelques contentieux en cours : il est cependant peu probable que les modifications considérées déçoivent de quelconques « attentes légitimes » et ouvrent droit à des recours (v. Cass. ass. plén., 23 janv. 2004, n° 03-13617, Bull. civ. 2004, ass. plén., n° 2).
Contrat conclu après le 1er octobre 2016 et dispositions applicables à compter du 1er octobre 2018. Si les dispositions modifiées sont régies par l’article 16 I alinéa 2, elles sont alors applicables « aux actes juridiques conclus ou établis (sic) à compter de son entrée en vigueur [de la loi] ». Ainsi, si le contrat est conclu après le 1er octobre 2016, et qu’une disposition dont l’application est différée est en cause, il faut distinguer selon que la convention est postérieure ou non au 1er octobre 2018. Si elle a été conclue après cette date, la disposition modifiée lui sera évidemment applicable. Au contraire, si le contrat a été conclu après le 1er octobre 2016 mais avant le 1er octobre 2018, les dispositions originales issues de l’ordonnance resteront applicables ! La loi de ratification crée ainsi un « droit intermédiaire », dont la seule qualité est d’être promis à une existence éphémère.
Difficultés liées au « droit intermédiaire ». Ce droit intermédiaire pose quelques questions. Prenons l’exemple de l’article 1223 relatif à la réduction du prix, sur lequel nous reviendrons plus bas. Sa nouvelle rédaction tend à corriger une formulation originale calamiteuse. Ne faudra-t-il pas dès lors tirer quelques conséquences de cette nouvelle rédaction même si le contrat a été conclu après l’entrée en vigueur de l’ordonnance mais avant le 1er octobre 2018 ? Sans que le nouvel article soit directement appliqué, puisqu’il n’est pas rétroactif, il paraîtrait raisonnable que le texte original soit du moins interprété à la lumière de la nouvelle formulation…
Obscurité. Fors quelques compulsifs amateurs de règlementation contractuelle, bien peu se réjouiront d’avoir troqué un droit contre trois autres. Les dispositions relatives à l’application de la réforme dans le temps ont en outre cet inconvénient d’être discrètes. Loin d’occuper une place symbolique – tel l’article 2 du Code civil –, elles sont par exemple reléguées dans l’ordonnance dans le titre consacré aux « dispositions transitoires et finales », ce qui ne peut que favoriser leur oubli par mégarde. Un regard sur la jurisprudence postérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance atteste de ce que le droit nouveau est parfois appliqué par erreur à des conventions auxquelles il est inapplicable. Finalement, le seul motif de satisfaction est que les modifications introduites par la loi et suscitant ces difficultés d’application dans le temps sont peu nombreuses : il est maintenant temps de les examiner sur le fond.
2. Modifications dans le texte
Nulle philosophie ne guidant la loi, on distinguera les dispositions dont l’entrée en vigueur est retardée au 1er octobre 2018 (A), puis les dispositions interprétatives (B).
A. Dispositions applicables à compter du 1er octobre 2018
Les modifications touchent à la fois au droit des contrats (1) et au régime général (2).
1. Contrats
Redéfinition du contrat d’adhésion. La définition du contrat d’adhésion posée par l’article 1110 alinéa 2 est modifiée à compter du 1er octobre 2018. Il s’entendra désormais de « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ». Exit la référence aux « conditions générales, soustraites à la négociation ». Réciproquement, le contrat de gré à gré devient celui « dont les stipulations sont négociables ». Le contrat d’adhésion, qui implique la domination d’un contractant sur l’autre, est ainsi mieux distingué de la convention ne comportant des conditions générales qu’aux fins de standardisation. L’éviction de la référence aux conditions générales a cependant pour inconvénient de faire disparaître un critère formel de qualification : il ne sera pas aisé de démontrer le caractère non négociable d’un ensemble de clauses pour peu qu’elles ne soient pas matériellement réunies en conditions générales ! Demain comme aujourd’hui, il est probable que les juges s’appuieront sur le poids économique des contractants et le caractère inhabituel ou dérogatoire des clauses pour opter en faveur de la qualification de contrat d’adhésion. Aussi pourrait-on se demander pourquoi la définition nouvelle n’est pas interprétative : c’est qu’elle a pour corollaire une redéfinition des clauses réputées non écrites.
Redéfinition des « clauses abusives ». L’article 1171, qui répute non écrites les « clauses abusives » en matière de contrats d’adhésion, a suscité les inquiétudes de certains. La loi nouvelle tend à les apaiser en recroquevillant l’efficacité de la protection conférée. À compter du 1er octobre 2018, l’article 1171 disposera que « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties est réputée non écrite ». La modification répercute les changements de la définition du contrat d’adhésion ; elle rend aussi plus difficile l’invocation de cette disposition. À supposer que l’existence d’un contrat d’adhésion ait été établie, il ne suffira plus de démontrer un déséquilibre significatif, il faudra encore prouver que la clause considérée n’était pas négociable. La preuve pourrait être d’autant plus ardue qu’il est difficile d’exclure tout à fait l’efficacité des clauses – qui deviendront de style – suivant lesquelles les parties reconnaissent que les clauses du contrat ont été négociées. Le consommateur ou le non-professionnel ayant contracté avec un professionnel qui hésitera entre l’invocation de l’article 1171 du Code civil ou des articles L. 212-1 et suivants du Code de la consommation relatifs aux clauses abusives aura en toute occurrence intérêt à opter pour les seconds, puisqu’il pourra alors se borner à démontrer un déséquilibre significatif, pour peu qu’il ne soit pas présumé par le code. Quant aux contractants privés du droit de la consommation, mieux vaudra si les circonstances s’y prêtent qu’ils lorgnent du côté de l’article 1170, selon lequel « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite », à moins qu’ils n’optent pour l’article L. 442-6 du Code de commerce, qui sanctionne après tout également ceux qui soumettent leur partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties…
Caducité de l’offre en cas de décès du destinataire. L’article 1117 alinéa 2 disposera au 1er octobre 2018 que l’offre est caduque « en cas d’incapacité ou de décès de son auteur, ou de décès de son destinataire ». Cette modification se fonde sur une décision obscure et isolée (v. Cass. 1re civ., 5 nov. 2008, n° 07-16505, D. 2010, p. 224, obs. Amrani-Mekki S. et Fauvarque-Cosson B.). D’un arrêt inédit portant sur une question relative au recel de succession, le Parlement a tiré une règle générale en matière d’offre : elle en ressort inutilement fragilisée. Hors le cas d’un contrat intuitu personae, on ne voit pas pourquoi une offre ne devrait pas survivre à son destinataire ni passer à ses héritiers. Certes, il suffira d’en émettre une autre : l’offrant pourrait cependant parfois être tenté de profiter de la situation pour revoir ses prétentions à la hausse… La solution pourrait d’ailleurs avoir quelques répliques : la fusion absorption du destinataire, qui débouche aussi sur une transmission universelle du patrimoine, devra-t-elle par exemple entraîner la caducité de l’offre ?
Dol et erreur sur la valeur. En matière de dol, un troisième alinéa est ajouté à l’article 1137 : « néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur ». Les promoteurs du texte ont ici voulu réintroduire la jurisprudence Baldus selon laquelle l’acheteur n’est pas tenu d’informer le vendeur de la valeur de la chose vendue (Cass. 1re civ., 3 mai 2000, n° 98-11381, Bull. civ. I, n° 131 ; JCP G, 2001, II, p. 10510, note Jamin C. ; Defrénois 15 sept. 2000, n° 37237-64, p. 1110, obs. Mazeaud D., RTD civ., 2000, p. 566, obs. Mestre J. et Fages B.). Ils ont aussi tenté de mettre un peu de cohérence dans les textes : l’article 1112-1, qui impose un devoir d’information dès les négociations, précise en effet qu’il « ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation ». Comment comprendre que la dissimulation de la valeur constitue un dol si aucun devoir d’information n’existe quant à cette valeur ? Le dol n’est cependant pas absolument rétif à l’erreur sur la valeur. Le texte nouveau doit être concilié avec l’article 1139, selon lequel l’erreur qui résulte d’un dol « est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ». « L’estimation de la valeur » doit donc être distinguée de la « valeur de la prestation » : une chose est de garder pour soi l’évaluation de la prestation à l’aune de ses propres intérêts et du bénéfice escompté ; autre chose est de dissimuler la valeur véritable de la prestation. Il faut cependant admettre que la distinction est teintée de juridisme : « l’estimation » comme « la valeur » ont leur part de subjectivité. Il faut espérer que la jurisprudence ne ravalera pas l’erreur sur la valeur sanctionnée par le dol à une erreur sur les qualités essentielles à peine d’entamer l’utilité du dol en cette matière.
Capacité des personnes morales et restrictions des conflits d’intérêts. Originairement verbeux, l’article 1145 alinéa 2 est pour sa part vidé de sa substance : il disposera désormais que la capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles, sans plus la restreindre aux notions floues « d’actes utiles » à la réalisation de leur objet ou accessoires. Les personnes morales sont par ailleurs exfiltrées de l’application de l’article 1161 régissant le conflit d’intérêts : il disposera à l’avenir qu’ « en matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en opposition d’intérêts ». Trop vaste, la précédente formulation parasitait dangereusement le droit des conventions réglementées.
Réduction du prix. La rédaction originale de l’article 1223, qui régit la réduction du prix en cas d’exécution imparfaite, était absconse. L’article a donc été réécrit. Applicable à compter du 1er octobre 2018, son nouvel alinéa 1er dispose : « en cas d’exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en demeure et s’il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d’en réduire de manière proportionnelle le prix. L’acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix du créancier doit être rédigée par écrit ». L’alinéa 2 ajoute que « si le créancier a déjà payé, à défaut d’accord entre les parties, il peut demander au juge la réduction de prix ». Contrairement à ce que cette rédaction peut laisser penser, le Parlement n’a pas voulu retirer au créancier son pouvoir unilatéral de réduction du prix en l’absence de paiement intégral : « l’acceptation du débiteur » n’est évoquée par l’alinéa 1er qu’en tant qu’alternative à son recours au juge (V. Lemay P., « La réduction du prix du contrat en cas d’inexécution imparfaite : un pas en avant, deux pas en arrière ? », D. 2018, p. 567). Les travaux parlementaires n’ont cependant pas valeur impérative : l’on est donc réduit à attendre l’interprétation judiciaire de cette rédaction approximative.
2. Régime général
Formalisme de la cession de dette et paiement en devise. Peu de modifications doivent ici être signalées. La plus importante est l’ajout d’un alinéa 2 à l’article 1327, selon lequel « la cession [de dette] doit être constatée par écrit, à peine de nullité ». La pratique n’en sera pas bouleversée et la modification est logique : la cession de créance est soumise au même formalisme. On signalera aussi un ajout à l’article 1343-3, qui prévoit in fine, par dérogation au principe selon lequel le paiement d’obligation de somme d’argent s’effectue en euros en France, que les parties peuvent convenir qu’il « aura lieu en devise s’il intervient entre professionnels, lorsque l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis pour l’opération concernée ». On peut se demander si cette disposition n’avait pas davantage sa place dans le Code monétaire et financier…
B. Dispositions interprétatives
On distinguera encore les dispositions touchant au droit des contrats (1) et au régime général (2).
1. Contrat
Préjudice réparable en cas de rupture des pourparlers. Interprétatif, et donc applicable rétroactivement aux contrats passés à compter du 1er octobre 2016, l’article 1112 alinéa 2, précisera désormais qu’en cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser, ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, « ni la perte de chance d’obtenir ces avantages ». L’article ne modifie guère le droit positif et consacre expressément la jurisprudence (Cass. com., 26 nov. 2003, no 00-10243 et no 00-10949, Bull., IV, n° 186, RTD civ., 2004, p. 80, obs. Mestre J et Fages B.).
Restriction de l’abus de dépendance. La modification de l’article 1143 du Code civil aura plus de conséquences, d’autant que son caractère interprétatif lui confère une portée rétroactive. Selon la nouvelle rédaction, « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ». La dépendance stigmatisée est désormais restreinte à celle qui s’évince des rapports entre contractants. Il s’agit d’éviter que cette disposition permette à des personnes en état de faiblesse en raison de leur âge ou encore d’une maladie d’obtenir l’annulation du contrat en dehors de l’application du droit des incapacités : un souci prétendu – et inhabituel – de cohérence obère donc la protection de certains contractants.
Résolution en cas d’abus dans la fixation du prix dans les contrats de prestation de service et exécution forcée des contrats. L’abus dans la fixation du prix fait l’objet d’une remise en ordre. Alors que l’article 1164 permet, en matière de contrats-cadres, de saisir le juge d’une demande de dommages et intérêts et de résolution, l’article 1165 n’évoquait la résolution s’agissant des contrats de prestations de services : la symétrie est rétroactivement rétablie par la loi. Sur un autre plan, en cas d’inexécution, l’article 1221 interdit désormais au créancier de poursuivre l’exécution en nature s’il existe une « disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ». On aurait mieux compris que tout débiteur puisse toujours être contraint d’exécuter si l’exécution est possible ou au contraire – comme dans la rédaction initiale – que la disproportion manifeste interdise systématiquement l’exécution forcée. On saisit mal en effet que la mauvaise foi du débiteur renforce les droits du créancier, d’autant qu’une telle solution ne peut qu’encourager le contentieux.
2. Régime général
Condition et terme. Ces modalités de l’obligation subissent deux modifications. L’article 1304-4 dispose désormais qu’une « partie est libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif, tant que celle-ci n’est pas accomplie ou n’a pas défailli ». La symétrie des règles applicables aux conditions suspensive et résolutoire est parfois trompeuse. La nouvelle formation pourrait donner des idées d’a contrario acrobatiques : ne pourrait-on soutenir que l’ajout exclut la renonciation à une condition suspensive défaillie ? Il aurait donc été plus simple d’affirmer qu’il est possible de renoncer à la condition pendante (V. Hontebeyrie A., « La “renonciation” à la condition stipulée dans l’intérêt exclusif d’une partie », RDC 2017, n° 114t4, p. 102). Quant à la correction apportée à l’article 1305-5 du Code civil, elle est indolore. Elle prévoit que « la déchéance du terme encourue par un débiteur est inopposable à ses coobligés, même solidaires, et à ses cautions ». Cette affirmation, nécessaire à la préservation des attentes légitimes de la caution, se borne à consacrer la jurisprudence (Cass. com., 26 janv. 2010, n° 09-10244).
Cessions de dette ou de contrat. Outre l’exigence d’un écrit évoquée plus haut, la cession de dette donne lieu à quelques précisions. L’article 1327-1 est corrigé : il dispose logiquement que le créancier ne peut se voir opposer la cession que du jour de sa notification s’il a par avance donné son accord et – non pas ou – qu’il n’y est pas intervenu. Quant à l’article 1328-1, il précise que si le débiteur originaire est déchargé par le créancier, les sûretés consenties « par le débiteur originaire » ou par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord. Une solution similaire est posée au nouvel article 1216-3 en cas de cession de contrat : s’il est libéré par le cédé, les sûretés consenties par le cédant ne subsistent qu’avec son accord. La sûreté étant accessoire à la dette dont le débiteur ou le cédant sont déchargés, la solution s’impose : l’accord éventuel débouche du reste sur une nouvelle sûreté plutôt que sur la survie de l’ancienne.
Corrections. On terminera cette vue d’ensemble par l’évocation de quelques corrections de forme. L’article 1347-6 prévoit ainsi que « la caution peut opposer la compensation de ce que doit le créancier au débiteur principal » : il ne fait plus référence à la compensation déjà « intervenue ». Quant à l’article 1352-4, il est modifié pour traduire plus exactement la règle selon laquelle l’incapable ne doit restituer que ce qui a tourné à son profit : il prévoit que les restitutions dues par – et non à – un mineur ou un majeur protégé sont réduites à hauteur – et non plus à proportion – du profit qu’il a retiré de l’acte.
Conclusion. Il n’est évidemment pas encore temps de conclure sur cette loi. Ces observations ne sont qu’une introduction parmi d’autres. Reste que la plupart des modifications introduites étaient dispensables. Inutilement complexes, elles s’opèrent volontiers au détriment de la partie faible : ainsi en matière de contrats d’adhésion, de dol ou d’abus de dépendance. Quant aux avantages escomptés au seuil de la réforme, ils s’étiolent : peut-on sérieusement soutenir que le droit des contrats est désormais plus lisible et attractif ? Seule la pratique pourra éviter que les malfaçons législatives dégénèrent en contentieux inutiles et en décisions iniques : il est à cet égard assez ironique que cette loi ait été votée un jour de « Justice morte ».
Issu de Gazette du Palais – n°15 – page 14
Date de parution : 17/04/2018
Id : GPL321q7
Réf : Gaz. Pal. 17 avril 2018, n° 321q7, p. 14
Référence : AJU84624