Prescription acquisitive : retour sur la jonction des possessions

Publié le 18/01/2023
Cave
K.Miłkowski/AdobeStock

Les inversions de caves dans les vieilles copropriétés sont fréquentes. Il suffit de consulter certains forums de discussion sur internet pour s’en convaincre. Souvent les choses sont remises à plat en interne mais cela n’est pas toujours le cas, comme le montre l’affaire jugée par la Cour de cassation le 19 octobre 2022. Il faut alors conjuguer avec la possession des intéressés qui peut conduire à l’usucapion. Au-delà du contentieux interminable qui en résultera puisqu’aucun des copropriétaires ne voudra se retrouver sans cave, le présent arrêt offre l’occasion à la Cour de cassation de préciser sa jurisprudence sur les conditions de la jonction des possessions et, plus spécialement, sur l’appréciation de l’adéquation du titre au bien possédé.

Cass. 3e civ., 19 oct. 2022, no 21-19852

Il résulte de l’article 2258 du Code civil que « la prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi ». S’agissant des immeubles, la possession joue un rôle primordial compte tenu de l’absence de preuve absolue du droit de propriété. En effet, non seulement la possession permet d’acquérir un droit réel, le plus souvent, la propriété, sur l’immeuble possédé mais elle a aussi un effet probatoire puisque la possession d’un droit réel en fait présumer la titularité1. Dès lors, si plusieurs personnes sont en conflit car elles allèguent un droit de propriété exclusif sur la même chose, la prescription acquisitive permettra de trancher la question. Dans l’affaire qui a été jugée par la Cour de cassation le 18 octobre 2022, c’est en tout cas l’argument qui était invoqué, par les défendeurs à une action en revendication de la propriété d’une cave dans le cadre d’une copropriété.

Néanmoins, la possession en matière immobilière n’emporte pas d’effet immédiat. Seul l’écoulement du temps permet l’acquisition de la propriété du bien possédé et rend indiscutable sa titularité. Or, en principe, le délai pour se prévaloir de la prescription acquisitive est de 30 ans, bien qu’il puisse être réduit à 10 ans lorsque le possesseur est de bonne foi et qu’il peut justifier d’un juste titre translatif de propriété.

Le mécanisme de la prescription acquisitive demeurerait cependant très exceptionnel s’il n’était pas complété par le principe selon lequel plusieurs possesseurs successifs peuvent, sous condition, joindre leurs possessions. Plus justement, en application de l’article 2265 du Code civil, pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu’on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux.

C’est précisément sur les conditions de la jonction des possessions que la Cour de cassation est revenue dans l’affaire sous commentaire.

En l’espèce, les faits étaient relativement originaux mais ils ne font que témoigner des difficultés qui peuvent naître dans les copropriétés du fait de l’inertie de certains copropriétaires ou des organes de la copropriété.

En effet, le litige est né du fait d’un changement de numérotation de certaines parties privatives sans qu’il y ait eu de modification officielle et publiée du règlement de copropriété initial. À l’origine, en 1963, le règlement de copropriété, régulièrement publié, contenait un état descriptif de division auquel était annexé un plan de localisation des caves situées au sous-sol. Les numéros apposés sur les caves, qui se suivaient dans un ordre linéaire, correspondaient aux numéros des lots y afférent, de sorte que le lot n° 82 correspondait à la cave n° 82 qui était à la droite de la cave n° 81 et ainsi de suite. Plusieurs années après, le plan de localisation des caves est modifié, en 1972 puis en 2004. Il en résulte une numérotation aléatoire des caves qui ne correspond plus à l’ordre naturel de leur localisation mais il semblerait que ni le règlement de copropriété ni l’état descriptif de division n’aient été modifiés. Ainsi, le lot n° 82 contient bien la cave n° 82 mais celle-ci n’est plus à droite de la cave n° 81 et se retrouve à un autre emplacement.

C’est dans ce contexte qu’un acquéreur, monsieur T, achète, en 2005, le lot 82 et prend possession d’une cave portant le numéro 82 mais qui n’est pas située entre les numéros 81 et 83.

Sept années s’écoulent et, en 2012, le notaire l’informe, probablement sur la foi du règlement de copropriété de 1963, qu’il a été mis en possession d’une cave qui n’est pas la sienne. En conséquence, monsieur T accepte de restituer ladite cave à son véritable propriétaire.

Aurait alors pu commencer un jeu de chaises musicales où chacun aurait réinvesti la bonne cave conformément au plan d’origine. Ainsi, monsieur T sollicita une autre copropriétaire titulaire du lot 81 depuis 1996 afin qu’elle lui restitue la cave qu’elle occupait sans titre et qui, en réalité, constituait le lot 82. Toutefois, celle-ci ne défère pas à la sommation délivrée par monsieur T de lui restituer ladite cave et revend son lot à madame C en 2016.

Monsieur T assigne alors madame C en restitution et cette dernière appelle en garantie sa venderesse.

Ces dernières opposent au demandeur la prescription acquisitive de l’immeuble en se prévalant de la jonction de leurs possessions successives. Toutefois, cet argument est rejeté par la cour d’appel de Paris qui juge que les conditions n’étaient pas réunies pour joindre leurs possessions car un acquéreur ne peut joindre à sa possession celle de son vendeur pour prescrire un bien resté en dehors de la vente.

Cet arrêt est cassé au visa de l’article 2265 du Code civil par la Cour de cassation qui revient sur les conditions de la jonction des possessions en s’appuyant sur le fait que les actes de vente avaient porté, dans l’intention des parties et à la suite de modifications même irrégulières de l’emplacement et de la numérotation des caves, sur la cave correspondant à l’emplacement d’origine de la cave constituant le lot 82 selon l’état descriptif de division initial.

La haute juridiction revient donc sur les conditions de la jonction des possessions (I), dont il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de tirer les conséquences (II).

I – Les conditions de la jonction des possessions

La jonction de la possession d’un possesseur avec celle de son auteur à titre particulier ne peut s’envisager qu’en présence d’un acte translatif entre les intéressés. Mais encore faut-il que le titre invoqué se réfère précisément au bien que le possesseur entend prescrire.

De fait, la Cour de cassation a jugé qu’il est impossible de joindre sa possession à celle de son vendeur lorsque le bien possédé est resté en dehors de la vente2. Il en résulte que la jonction des possessions est subordonnée à une exacte correspondance entre le bien objet de l’acte de vente et le bien effectivement possédé.

Ainsi, lorsque le titre de propriété n’inclut pas une parcelle que les vendeurs puis les acquéreurs ont possédée, la parcelle omise dans l’acte ne faisant pas l’objet de la vente, il est impossible de joindre les possessions3. La solution a prévalu alors que l’acte de vente mentionnait trois lots sans faire référence au corridor qui les desservait et qui avait fait l’objet d’une appropriation par les propriétaires successifs des lots, lesquels avaient fermé le couloir avec une porte4. De même, la Cour de cassation a encore jugé de manière assez sévère que, lorsque la contenance de l’immeuble possédé est supérieure à celle mentionnée dans l’acte, celui-ci ne permet pas de joindre les possessions du vendeur et de l’acquéreur, même pour la partie de la parcelle qui correspondrait au titre5. Et, dans un cas similaire à l’affaire sous commentaire, la Cour de cassation avait censuré une cour d’appel qui avait admis que l’acquéreur d’une cave pouvait joindre sa possession à celle de son auteur alors que l’un et l’autre avaient possédé une cave numéro 119 tandis que, dans l’acte, la cave était mentionnée sous le numéro 1206.

Dans la présente espèce, la cour d’appel avait donc reproduit fidèlement la solution qui consistait à exiger une parfaite concordance entre le titre et le fait, de telle sorte que, si le bien possédé ne correspond pas spécialement à celui mentionné dans l’acte, il devient impossible d’être considéré comme ayant cause à son égard et de joindre sa possession à celle du vendeur.

Néanmoins, depuis quelques années, la Cour de cassation a assoupli sa position en mettant davantage l’accent sur la volonté des parties à l’acte. Ainsi, il importe de rechercher dans la commune intention des parties si la vente portait sur le bien effectivement possédé. Un tel assouplissement permet de corriger la sévérité de certaines solutions antérieurement retenues. Effectivement, alors qu’une parcelle située dans l’enceinte d’une propriété n’a pas été mentionnée dans l’acte, la haute juridiction a admis que l’acquéreur puisse joindre sa possession à celle de son vendeur car il résultait de l’ensemble des circonstances que l’intention des parties était d’inclure la parcelle dans la vente7. De même, la jonction des possessions de l’acquéreur et du vendeur a été admise dans une hypothèse où une bande de terre empiétait sur la parcelle voisine. De fait, l’acte de vente mentionnait une référence cadastrale qui certes n’incluait pas cette bande de terre mais celle-ci était matériellement rattachée au fonds qui était entièrement clos de murs et l’acte mentionnait expressément le détail du mur8. Dans une hypothèse où les aménagements des propriétaires successifs d’une parcelle avaient empiété sur la parcelle voisine, la Cour de cassation a également reproché à une cour d’appel d’exclure que l’acquéreur de l’immeuble joigne sa possession à celle de son auteur sans rechercher au préalable si, dans l’intention des parties, la vente ne portait pas sur l’ensemble de la propriété possédée9.

L’arrêt du 19 octobre 2022 est dans la continuité de cette jurisprudence qui place la volonté des parties au-dessus du contenu formel de l’acte. Un éminent auteur a souligné qu’une telle position ne fait que consacrer le principe du consensualisme qui fonde le droit français des contrats10.

Force est de constater que, dans chacune des espèces précitées, les faits démontraient que les parties avaient vendu le bien tel qu’elles le possédaient. Il en est de même dans l’affaire sous commentaire. C’est à la suite d’un changement de l’état descriptif de division, certes irrégulier faute d’avoir été acté par une décision de l’assemblée générale des copropriétaires, que l’interversion des caves avait eu lieu. Pour autant, cette recherche de l’intention des parties ne conduit pas nécessairement à vérifier que vendeur et acquéreur soient de bonne foi. Il serait erroné de dire que la jonction des possessions n’est possible que si l’ayant cause et l’auteur pensaient de bonne foi être propriétaires du bien possédé. D’ailleurs, la mauvaise foi ne fait absolument pas obstacle à l’usucapion. En effet, dans l’espèce qui nous occupe, la vendeuse avait revendu son lot alors qu’elle savait pertinemment qu’elle n’était pas propriétaire de la cave qu’elle vendait puisque le véritable propriétaire s’était manifesté et lui avait délivré une sommation de restituer l’immeuble litigieux.

Quoi qu’il en soit, la souplesse dont fait preuve la Cour de cassation implique une certaine casuistique qui laisse évidemment une part d’insécurité. On peut néanmoins penser que les mentions de l’actes et la description qui est faite du bien litigieux soient une source d’information précieuse quant à l’intention des parties. Il s’ensuit que si l’ayant-cause entend usucaper un immeuble correspondant à une numérotation cadastrale ou à une numérotation d’un état descriptif de division irrégulier, comme en l’espèce, alors que l’immeuble en question se trouve dans un lieu autre que celui décrit dans l’acte ou que sa nature diffère de celle qui est décrite dans l’acte, il serait impossible de conclure que le bien possédé est celui qui, dans l’intention des parties, a été vendu.

Reste à présent à s’interroger sur les conséquences que la cour d’appel de renvoi devra tirer.

Assurément, il conviendra de vérifier que les deux possesseurs successifs ont effectivement usucapé la cave n° 82.

II – Les conditions de l’usucapion

En l’espèce, s’il est établi que, dans l’esprit des parties, la vente portait réellement sur la cave possédée, la cour d’appel de renvoi devra vérifier que la durée des possessions successives permet de constater la prescription acquisitive du bien en question.

Pour rappel, la possession implique une intention de s’affirmer propriétaire d’une chose, accompagnée de faits matériels de possession11.

Ici, la venderesse a possédé la cave depuis son acquisition, le 2 septembre 1996, jusqu’au 18 mars 2016, soit un peu moins de 20 ans, et son ayant cause ne l’a possédée que quelques mois puisqu’elle a été assignée en restitution le 19 octobre 2016.

En droit commun, la prescription acquisitive requiert une possession continue et non interrompue, paisible, publique et à titre de propriétaire12 pendant 30 ans13. Dès lors, il faudrait également prendre en compte la possession des auteurs de la venderesse qui avaient eux-mêmes acquis le bien litigieux en 1981, à supposer qu’ils aient été mis en possession de la cave 82 au lieu et place de la cave 81 qui seule constituait leur lot, car il y a eu deux changements de l’état descriptif de division, le premier en 1972 et le second en 2004.

Néanmoins, on sait que celui qui acquiert de bonne foi en vertu d’un juste titre un immeuble en prescrit la propriété au bout de dix ans. Dès lors, ne pourrait-on pas envisager qu’au moment où la vente a eu lieu, et même au moment de la sommation de monsieur T, la venderesse avait déjà la qualité de propriétaire de la cave ?

Certes, la notion de juste titre est rigoureusement définie. Il doit s’agir d’un acte qui en lui-même a vocation à transférer la propriété à la partie qui invoque la prescription mais il est inefficace parce que celui dont il émane n’est pas le véritable propriétaire. D’ailleurs, la Cour de cassation impose aux juges du fond de vérifier, au besoin d’office, que l’acte n’émane pas du véritable propriétaire14. En l’espèce, il semblerait que, lors de la vente de 1996, la confusion sur les numéros de cave existait déjà. L’acte faisait état du lot 81 portant sur la cave numéro 81 mais, en réalité, la cave transmise fut la cave n° 82. Il est fort probable que cette confusion ait été faite en toute bonne foi, l’ayant cause pensant véritablement acquérir la bonne cave de son propriétaire.

Toutefois, jusqu’à présent, lorsque la question de l’existence d’un juste titre s’est posée, il semble que la jurisprudence ait strictement exigé une parfaite identité entre l’immeuble mentionné dans le titre et celui qui fait l’objet de la possession. Pourtant, rien ne paraît s’opposer à ce que la solution adoptée en matière de jonction des possessions puisse s’appliquer à la qualification du juste titre. Ainsi, à condition que, dans l’intention des parties, l’objet de l’acte soit le bien possédé, on devrait considérer qu’il y a juste titre15. Par conséquent, en 2016, lors de la dernière vente, la cave n° 82 avait été usucapée par la venderesse.

Si telle devait être la solution finale, le propriétaire de la cave portant le numéro 82 serait définitivement évincé. Il doit regretter de ne pas avoir lui-même opposé la prescription acquisitive à celui qui avait revendiqué la propriété de celle qu’il occupait jusqu’alors ! Cette affaire peut paraître rocambolesque de prime abord mais elle illustre parfaitement les difficultés susceptibles de naître en copropriété où, parfois, des copropriétaires échangent même leurs caves par commodité sans aucune formalité. D’où l’importance de respecter scrupuleusement le règlement de copropriété et les règles pour le modifier…

Notes de bas de pages

  • 1.
    W. Dross, Droit des biens, 5e éd., 2021, LGDJ-Lextenso éditions, Domat, Droit privé, nos 266 et s., EAN : 9782275090351.
  • 2.
    Cass. 3e civ., 17 avr. 1996, n° 94-15748 : LPA 31 août 1998, p. 11, note P. Casson.
  • 3.
    Cass. 3e civ., 3 oct. 2000, n° 98-20646 : Defrénois 15 avr. 2001, n° 37341, p. 452, note C. Atias.
  • 4.
    Cass. 3e civ., 29 févr. 2012, n° 10-26738 : D. 2012, p. 2128, note B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin.
  • 5.
    Cass. 3e civ., 29 sept. 2015, n° 14-16407 : AJDI 2015, p. 861.
  • 6.
    Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, n° 14-22014, inédit.
  • 7.
    Cass. 3e civ., 9 juill. 2020, n° 19-14892 : DEF flash 9 sept. 2020, n° DFF157p1, note J.-L. Bergel.
  • 8.
    Cass. 3e civ., 15 sept. 2015, n° 14-14703.
  • 9.
    Cass. 3e civ., 12 janv. 2017, n° 16-11711 : RTD civ. 2017, p. 431, note W. Dross.
  • 10.
    RTD civ. 2017, p. 431, note W. Dross
  • 11.
    Cass. 3e civ., 5 juin 2013, n° 11-22958 : RLDC 2013/108, p. 90, obs. B. Parance.
  • 12.
    C. civ., art. 2261.
  • 13.
    C. civ., art. 2271, al. 1er.
  • 14.
    Cass. 3e civ., 7 avr. 1994, n° 92-13048 : Bull. civ. III, n° 80 ; Defrénois 30 sept. 1994, n° 35897, p. 1158, obs. I. Souleau.
  • 15.
    En ce sens, Cass. 3e civ., 12 janv. 2017, n° 16-11711 : RTD civ. 2017, p. 431, note W. Dross.
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