Restitution du prix en cas de nullité d’une vente : quelle obligation de garantie pour l’agent immobilier ?

Publié le 16/02/2024
Restitution du prix en cas de nullité d’une vente : quelle obligation de garantie pour l’agent immobilier ?
Elena/AdobeStock

La restitution du prix suite à l’annulation du contrat de vente ne constitue pas en elle-même un préjudice indemnisable. Lorsque la faute de l’agent immobilier a concouru, au moins en partie, au prononcé de la nullité de la vente, ce dernier peut être condamné à garantir l’insolvabilité du vendeur.

Cass. 1re civ., 28 juin 2023, no 21-21181

Un particulier a acquis une habitation légère de loisirs au sein d’un ensemble immobilier. Le contrat a été conclu par l’intermédiaire d’un agent immobilier mandaté par la société venderesse. Un projet de bail commercial a été annexé au contrat, avec engagement pour l’acquéreur de louer le complexe à une société exploitante.

Moins de cinq ans après la signature du bail, la société locataire a fait l’objet d’un redressement judiciaire converti en liquidation. L’administrateur judiciaire ne souhaitant pas poursuivre le bail commercial, l’acquéreur a assigné le vendeur en nullité du contrat pour vices du consentement. Il s’est également retourné contre l’agent immobilier en raison de l’insolvabilité du vendeur qui n’était plus en mesure de restituer le prix de vente1. L’acquéreur lui reprochait d’avoir manqué à son obligation d’information au sujet des aléas financiers de l’opération. Il prétend également que l’agent immobilier ne pouvait ignorer que la société était déjà déficitaire à la date de la signature du contrat2.

En première instance, le tribunal a considéré que le vendeur avait commis un dol, ce dernier ne pouvant ignorer avoir fait une présentation inexacte de l’opération. En revanche, concernant l’agent immobilier, le tribunal de grande instance n’a pas retenu le préjudice résultant de l’insolvabilité de la société venderesse au motif que celle-ci n’était pas suffisamment caractérisée. Toutefois, le tribunal a retenu la responsabilité de l’agent immobilier in solidum avec le vendeur pour le préjudice résultant des seuls frais d’acte de vente, en raison de son manquement à son obligation d’information sur l’inexistence de garantie de loyers.

Par un arrêt du 30 novembre 2020, la cour d’appel a confirmé le jugement considérant que le défaut de restitution du prix résultant de la perte du bien immobilier découle « du seul choix procédural de [l’acquéreur] de maintenir sa demande de nullité de la vente nonobstant l’état de liquidation judiciaire de son vendeur et [la perte du bien immobilier] est étrangère à la faute imputable à l’agent immobilier »3. L’agent immobilier n’était redevable que des frais de l’acte de vente.

L’acquéreur a formé un pourvoi en cassation au motif que, ayant constaté un dol parce que l’exploitation était déjà déficitaire à la date de la signature du contrat, la cour d’appel n’avait donc pas tiré les conséquences de ses propres constatations au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice. Ainsi, la Cour de cassation devait déterminer si l’agent immobilier pouvait être tenu de garantir la restitution du prix de vente en cas d’insolvabilité du vendeur.

Par l’arrêt du 28 juin 2023, elle censure les juges du fond au visa de l’article 1382 du Code civil devenu 1240. Elle rappelle que la restitution du prix par suite de l’annulation du contrat de vente ne constitue pas, en elle-même, un préjudice indemnisable. Toutefois, elle relève que l’agent immobilier dont la faute a concouru, au moins pour partie, à l’anéantissement de l’acte, peut être condamné à en garantir le paiement en cas d’insolvabilité démontrée du vendeur.

Cette solution, en conformité avec la jurisprudence constante (I), repose sur une application stricte de l’article 1240 du Code civil précité (II).

I – L’absence d’indemnisation au titre du prix du contrat de vente annulé

Le présent arrêt s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel constant affirmant que la restitution du prix résultant de l’annulation d’un contrat de vente n’est pas indemnisable (A). Toutefois, il en va autrement en cas de non-restitution du prix en raison de l’insolvabilité du vendeur (B).

A – La restitution du prix, un préjudice non indemnisable pour le vendeur

La Cour de cassation avait déjà relevé4, à propos de l’annulation d’une cession de parts sociales en raison d’un bilan de référence erronée : « Les restitutions réciproques consécutives à l’annulation du contrat instrumenté ne constituent pas, en elles-mêmes, un préjudice indemnisable que l’avocat rédacteur d’actes peut être tenu de réparer ». Le raisonnement a pu être critiqué par la doctrine, dénonçant un « complet décalage avec la réalité vécue par ces vendeurs qui (…) en contrepartie de la restitution du prix (…) retrouveront la propriété de titres qui n’ont désormais plus aucune valeur marchande »5. Cependant, la Cour de cassation ne faisait qu’appliquer aux avocats un principe qu’elle avait déjà dégagé pour les notaires6 et pour les agents immobiliers7. Ainsi, en cas d’annulation d’un contrat, la restitution du prix ne constitue pas en elle-même un préjudice permettant d’engager la responsabilité des professionnels qui seraient intervenus dans la rédaction de l’acte. Effectivement, vis-à-vis du vendeur, la restitution du prix à l’acquéreur n’est pas un préjudice, mais une conséquence de la nullité du contrat.

Néanmoins, dans le présent arrêt, la situation était différente, car le préjudice lié à la restitution du prix était invoqué par l’acquéreur et non pas par le vendeur. Ce dernier, devenu insolvable, n’était pas en mesure de restituer le prix de vente.

B – La non-restitution du prix de vente, un préjudice indemnisable pour l’acquéreur

À propos de l’insolvabilité du vendeur, la Cour de cassation, dans un arrêt du 1er juin 1999, avait déjà précisé que « la nullité d’un acte de vente n’entraîne pas pour l’acquéreur la perte du prix que la nullité l’autorise, au contraire, à se faire restituer par le vendeur, le notaire pouvant seulement, en cas d’insolvabilité de ce dernier, être tenu de garantir la restitution »8. Elle confirmera sa position dans un arrêt du 18 juin 20029. L’insolvabilité du vendeur constitue ainsi un préjudice indemnisable pour l’acquéreur.

Toutefois, encore faut-il que l’acquéreur puisse se retourner contre un garant solidaire du vendeur pour obtenir la restitution du prix de vente. La Cour de cassation a pu affirmer que les juges du fond, dans leur pouvoir souverain d’appréciation, disposent de la faculté de condamner l’officier public à une contribution partielle, lorsque celui-ci a commis une faute professionnelle ayant contribué, avec les agissements dolosifs des vendeurs, à tromper les acquéreurs. Le principe est devenu une jurisprudence constante : « La restitution du prix, par suite de l’annulation du contrat de vente, ne constitue pas en elle-même un préjudice indemnisable, le notaire peut être condamné à en garantir le paiement en cas d’insolvabilité démontrée du vendeur »10.

Il convient toutefois de souligner une évolution par rapport à l’arrêt du 18 juin 2002, dans lequel la Cour de cassation estime que la contribution du notaire n’est que partielle et relève du pouvoir souverain d’appréciation du juge. Par la suite, la haute cour a durci sa position en estimant que la cour d’appel, qui constatait l’insolvabilité du vendeur sans pour autant condamner le notaire à garantir le paiement de la restitution du prix, ne tirait pas les conséquences légales de ses constatations11. Ainsi, la condamnation du notaire fautif ne relève pas du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, mais résulterait de l’article 1240 du Code civil. De plus, il ne s’agit plus d’une contribution partielle, puisque le notaire est tenu de garantir le remboursement du prix de vente en cas d’insolvabilité démontrée du vendeur. Plus précisément, le notaire fautif est solidaire du vendeur insolvable et, à ce titre, il doit réparer intégralement le préjudice lié à la non-restitution du prix de vente.

L’arrêt du 28 juin 2023 ne fait qu’appliquer ce principe à l’agent immobilier dont la faute a concouru, au moins pour partie, à l’anéantissement de l’acte. La Cour de cassation reproche alors à la cour d’appel d’avoir violé les dispositions de l’article 1240 précité en ne retenant pas que la faute de l’agent immobilier avait contribué à l’annulation de l’acte pour dol. La solution de la Cour de cassation se fonde sur une stricte application de l’article 1240 du Code civil.

II – Une application stricte de l’article 1240 du Code civil

La Cour de cassation a fait une stricte application de l’article 1240 du Code civil en retenant la responsabilité pour faute de l’agent immobilier : la non-restitution du prix de vente par le vendeur résultant de la réticence dolosive de l’agent immobilier (A) constituait un préjudice certain (B).

A – La réticence dolosive de l’agent immobilier : une faute en lien avec le préjudice subi par l’acquéreur

L’agent immobilier avait connaissance de l’état déficitaire de l’exploitation et n’en avait pas informé l’acquéreur. Il s’agissait pourtant d’une information déterminante pour le consentement de l’acquéreur. L’agent immobilier a commis un dol directement à l’origine du préjudice finalement subi par l’acquéreur : l’anéantissement de l’acte et la non-restitution du prix de vente qui en a résulté en raison de l’insolvabilité du vendeur. Par conséquent, tous les éléments étaient réunis pour retenir la responsabilité de l’agent immobilier : une faute, un préjudice et un lien de causalité. En refusant de condamner l’agent immobilier à réparer le préjudice résultant de la non-restitution du prix de vente, la cour d’appel a violé à la fois le principe de la responsabilité pour faute ainsi que celui de la réparation intégrale du préjudice. Il est en effet erroné de conclure que le préjudice résultait uniquement de la volonté de l’acquéreur d’agir en nullité. L’acquéreur demeure libre dans l’exercice de ses droits. La Cour de cassation fait une stricte application de l’article 1240 du Code civil en relevant que la réticence dolosive a concouru, au moins pour partie, à l’anéantissement de l’acte, de sorte que l’agent immobilier devait supporter à titre garant le remboursement du prix de vente.

Toutefois, pour retenir la responsabilité de l’agent immobilier, il était nécessaire de démontrer le caractère certain du préjudice.

B – La non-restitution du prix par le vendeur en liquidation judiciaire : un préjudice certain

La preuve du caractère certain était délicate à apporter pour l’acquéreur. Il devait démontrer que l’action en restitution du prix de vente dont il dispose n’était plus viable en raison de l’insolvabilité du vendeur. La seule non-restitution du prix de vente n’est en effet pas suffisante pour se retourner contre le professionnel fautif.

Il convient de relever que la chambre commerciale de la Cour de cassation avait estimé que l’insolvabilité du vendeur « ne pouvait se déduire du seul fait que cette société avait été mise en liquidation judiciaire »12. Dans le présent arrêt, la première chambre civile semble au contraire retenir que l’insolvabilité du vendeur était démontrée, puisqu’il était placé en liquidation judiciaire. Il est important de préciser que la première chambre civile avait déjà considéré que l’insolvabilité du vendeur était caractérisée du fait de son placement « en redressement puis liquidation judiciaire, moins de trois mois après le prononcé de la décision en ordonnant le paiement »13. Ainsi, le placement du vendeur en liquidation judiciaire serait suffisant pour caractériser son insolvabilité. Il y aurait alors une divergence entre la première chambre civile et la chambre commerciale sur ce point.

Bien que la solution retenue soit constante et cohérente, un auteur14 soulève qu’elle pourrait être amenée à évoluer si le projet de réforme de la responsabilité civile venait à être adopté, puisque l’article 1264 de ce projet prévoit que « les dommages et intérêts peuvent être réduits lorsque la victime n’a pas pris les mesures sûres, raisonnables et proportionnées, notamment au regard de ses facultés contributives, propres à éviter l’aggravation de son préjudice »15. Il est vrai que l’acquéreur qui persiste à agir en nullité malgré l’insolvabilité du vendeur pourrait se voir reprocher de ne pas avoir agi de manière raisonnable.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L’acquéreur s’était également retourné contre le notaire ayant enregistré la vente, lui reprochant un manquement à son devoir de conseil. Toutefois, la présente note se concentrera sur l’action contre l’agent immobilier.
  • 2.
    TGI Montauban, 22 sept. 2015, n° 14/02631.
  • 3.
    CA Toulouse, 1re ch., 1re sect., 30 nov. 2020, n° 15/04774.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 27 févr. 2007, n° 05-21677 : Bull. civ. I, n° 83, p. 71 ; Lexbase Droit privé 2007, n° 253, note D. Bakouche ; RLDC 2007, n° 37, p. 27, note C. Kleitz-Bachelet ; Resp. civ. et assur. 2007, n° 5, p. 11, note S. Hocquet-Berg ; RLDC 2007, n° 41, p. 56, note H. Guyadé.
  • 5.
    S. Hocquet-Berg, « Restitutions réciproques consécutives à l’annulation d’un contrat instrumenté », Resp. civ. et assur. 2007, n° 5, p. 11.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 14 oct. 1997, n° 95-19083 : Bull. civ. I, n° 275, p. 186.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 15 déc. 2011, n° 10-17691.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 1er juin 1999, n° 97-14063 : Bull. civ. I, n° 184, p. 121 ; RTD civ. 2000, p. 121, note P. Jourdain ; Defrénois 15 mars 1999, n° 37079, p. 1340, note J.-L. Aubert.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 18 juin 2002, n° 99-17122 : Bull. civ. I, n° 168 ; Lexbase Droit privé 2002, n° 30, note D. Bakouche.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 10 juill. 2013, n° 12-23746 : JCP N 2013, n° 42, p. 37, note Y. Labbe-Dagorne ; JCP N 2014, n° 20, p. 30, note C. Corgas-Berbard – Cass. 3e civ., 18 févr. 2016, n° 15-12719 : Bull. civ. III, n° 955 ; RTD civ. 2016, p. 351, note H. Barbier ; Annales des loyers 2016, n° 4, p. 77, note C. Coutant-Lapalus ; Revue des loyers et des fermages 2016, n° 967, p. 256, note M. Plady ; JCP N 2016, n° 19, p. 35, note C. Coulon ; GPL 7 juin 2016, n° GPL266z1, note B. Bury ; LPA 19 août 2016, n° LPA119u7, note V. Vendrell ; RDC sept. 2016, n° RDC113k1, note J. Knetsh ; JCP N 2016, n° 37, p. 23, note M. Poummarède ; DEF 15 juin 2017, n° DEF126v0, note J.-F. Sagaut et M. Latina ; DEF 14 déc. 2017, n° DEF130c7, note M.-C. Le Boursicot – Cass. 3e civ., 1er juin 2017, n° 16-14428 : Bull. civ. III, n° 68 : AJCA 2017, p. 298, note T. de Ravel d’Esclapon ; RDI 2017, p. 402, note H. Heugas-Darraspen ; RLDC 2017, n° 150, p. 4, note J. Labasse ; Constr.-Urb. 2017, n° 9, p. 29, note C. Sizaire ; AJDI 2017, p. 685, note F. Cohet ; AJDI 2017, p. 686, note J. Morreaux ; Annales des loyers 2017, n° 9, p. 70, note C. Coutant-Lapalus ; Opérations immobilières 2017, n° 99, p. 38, note P. Pelletier ; DEF 5 oct. 2017, n° DEF129b3, note H. Lécuyer et J.-B. Seube ; JCP N 2017, n° 40, p. 27, note V. Zalewski-Sicard ; JCP N 2017, n° 43-44, p. 35, note S. Laporte-Leconte ; GPL 14 nov. 2017, n° GPL307a9, note B. Bury ; GPL 5 déc. 2017, n° GPL308e2, note V. Zalewski-Sicard ; DEF 15 nov. 2018, n° DEF142c0, note J.-F. Sagaut et M. Latina ; Dr. et patr. 2018, n° 281, p. 68, note M. Poummarède ; JCP N 2018, n° 23, p. 44, note S. Piédelièvre ; JCP N 2018, n° 24, p. 32, note G. Durand-Pasquier.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 10 juill. 2013, n° 12-23746 : JCP N 2013, n° 42, p. 37, note Y. Labbe-Dagorne ; JCP N 2014, n° 20, p. 30, note C. Corgas-Berbard.
  • 12.
    Cass. com., 15 juin 2022, nos 21-10802 et 21-12.358 : Bull. civ. IV, p. 311 ; Annales des loyers 2002, n° 9, p. 102, note G. Gil ; GPL 6 sept. 2022, n° GPL438s6, note M. Tota ; JCP E 2022, n° 46, p. 23, note P. Pétel ; AJDI 2022, p. 874, note J.-P. Blatter ; RDC déc. 2022, n° RDC201a5, note L. Sautonie-Laguionie et M. Caffin-Moi ; RLDC 2023, n° 210, p. 34, note F. Julienne ; RTD civ. 2023, p. 217, note A. Martin-Cerf ; Rev. proc. coll. 2023, n° 2, p. 25, note F. Macorig-Venier.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 10 juill. 2013, n° 12-23746 : JCP N 2013, n° 42, p. 37, note Y. Labbe-Dagorne ; JCP N 2014, n° 20, p. 30, note C. Corgas-Berbard.
  • 14.
    G. Maire, « Responsabilité du tiers intermédiaire à la suite de l’annulation d’un acte de vente : quels préjudices ? », Lexbase Droit Privé 2023, n° 955.
  • 15.
    P. Bas, J. Bigot, A. Reichardt et a., prop.-L. n° 678, 2019-2020, portant réforme de la responsabilité civile, déposé au Sénat le 29 juill. 2020, art. 1264.
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