AGBF 91 : « Avec les familles se noue un lien de confiance »

Publié le 26/12/2023

Parmi les UDAF (Union départementales des associations familiales) franciliennes, l’UDAF de l’Essonne suit le plus grand nombre de mesures AGBF (aide à la gestion du budget familial). Nous y avons rencontré Sarah Perez, cheffe de service AGBF, Charlotte Germany, référente technique et Karine Gendillou, déléguée aux prestations familiales. Elles nous racontent leur quotidien et leurs missions auprès des familles concernées par cette mesure.

AntonioDiaz/AdobeStock

Bâtiment paisible situé à Evry-Courcouronnes, l’UDAF 91 accueille les familles du département, dont certaines vulnérables. Parfois, ces familles sont contraintes à une mesure judiciaire, la mesure AGBF (pour Aide à la gestion du budget familial.) Depuis 2007, elle est en effet rentrée dans le champ de la protection de l’enfance. Karine Gendillou, déléguée aux prestations familiales depuis plus de vingt ans à l’UDAF 91, justifie : « On ne parle pas forcément de violences physiques ou morales mais on fait en sorte que l’enfant évolue dans des conditions de vie sécurisées et saines. À ce titre, les prestations familiales doivent être utilisées dans l’intérêt des enfants. Et maintenir un toit sur la tête des enfants, l’air de rien, c’est protéger l’enfant. »

Si l’ordonnateur de cette mesure est le juge pour enfants, elle peut être saisie par les Maisons de solidarité, les écoles, les services éducatifs, les bailleurs. « C’est une mesure contrainte, reconnaît Charlotte Germany, référente technique, mais on cherche l’adhésion de la famille pour qu’elle soit actrice de son accompagnement et de son projet ». C’est même le secret de la réussite.

Il faut donc bien expliquer pourquoi les déléguées (majoritairement des femmes) gèrent les prestations familiales un temps donné pour assainir le budget des familles et ainsi veiller à ce que les besoins des enfants soient bien couverts. « Avant même le prononcé de la mesure, les collègues participent au commission locales des impayés  (CLI) ou au Commission spécialisée de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX) quand des situations de difficultés ont été repérées par des partenaires. Nous effectuons des visites à domicile. En général, la famille n’ignore pas ses difficultés, surtout quand une procédure d’expulsion est lancée. On leur explique, que par notre connaissance du territoire, des dispositifs, et des actions qui peuvent se mettre en place, nous sommes en mesure de les aider à assainir la situation et garder leur toit. En général, ils y sont plutôt favorables, car les parents sont conscients de la gravité de perdre leur logement », explique Sarah Perez, la cheffe de service AGBF.

Créer un lien de confiance pour accompagner au mieux

Après l’ouverture de la mesure, la déléguée aux prestations familiales entre en jeu. Karine Gendillou explique : « cette mesure doit être appliquée en toute confiance et en toute transparence. On démêle la problématique. On réexplique bien que nous sommes dans le cadre de protection de l’enfance, que la décision a été prise par un juge, mais qu’on est là pour le maintien du toit ». Puis il faut analyser la situation de la famille en question. « Le problème part souvent du loyer. Nous dressons un état des lieux des dettes, on demande aux familles de préparer certains documents. On est là pour gérer ensemble les prestations familiales, non pour les leur prendre ». Tout ce travail ne peut se faire qu’avec les familles et un accompagnement de proximité : les déléguées aux prestations sociales rendent visite aux familles une fois par mois, ce qui leur prend environ 70 % de leur temps (chacune suit une trentaine de familles, NDLR). Le premier rendez-vous suscite des craintes. La démarche « est intrusive, on pose des questions, on regarde et surtout on rend des comptes aux juges », reconnaît Charlotte Germany. Mais une fois désamorcée, la tension laisse place à un accueil plutôt positif. « Un café, un tiep ou un couscous nous attendent parfois ! », plaisante Karine Gendillou.

Un peu de légèreté ne fait pas de mal. Face à elles, des familles, à 59 % monoparentales (chiffre en constante augmentation), dont les chefs de famille ont entre 20 et 39 ans. Certaines « n’ouvrent plus leur courrier, ne savent pas lire, ne savent pas utiliser internet, donc ne font pas leurs déclarations en temps et en heure. Parfois le quotient familial n’a pas été calculé, car les impôts n’ont pas été déclarés, cela engendre des dettes de cantines », décrypte la référente technique. Il faut donc démêler les blocages administratifs, aggravés par la fracture numérique.

Gérer les urgences

Mais avant toute chose, il faut gérer l’urgence. Quand la situation est grave et qu’une procédure d’expulsion est en cours, la priorité absolue est de faire « un courrier à la préfecture pour retarder le concours à la force publique. En général, cela fonctionne », affirme Charlotte Germany. Il faut également lancer une « prise de contact avec le bailleur pour un plan d’apurement », complète Sarah Perez.

Après le temps de l’urgence, vient celui d’assainir le budget. Charlotte Germany précise la nécessité de préparer des objectifs de départ, qui peuvent d’ailleurs différer de ceux de la fin. En tout état de cause, « les déléguées mettent en place des plans d’apurements des dettes, stabilisent le budget des familles, et quand toutes ces choses sont mises en place, la mesure peut durer 1, 2, 3 ans, dans un projet personnalisé d’accompagnement des familles. Chaque année, on révise les objectifs. Là où il s’agit d’une aide contrainte, ça devient une relation d’aide avec la famille », avec une signature des comptes tous les deux mois, qui permet de présenter aux familles ce qui a été fait.

Un épluchage scrupuleux de la comptabilité, éventuellement des comptes bancaires si les familles sont demandeuses permet de clarifier les abonnements téléphoniques pléthoriques – dont certains à suspendre -, l’assurance habitation à souscrire… « Des tiers profitent de la fragilité des familles. Ils jouent avec leur peur en leur faisant croire qu’ils n’ont pas la bonne assurance. Par exemple, pour le téléphone, en insistant sur le fait qu’ils ne pourront pas en racheter un s’ils le cassent ou le perdent », précise Sarah Perez. Karine Gendillou le constate : « Parfois les crédits passent avant les charges fixes. Je dis aux familles : »Moi, je m’occupe de ces problèmes, des dettes, des loyers, de contacter la préfecture, et vous, occupez-vous de votre santé, de trouver un travail, etc. ». Ça les décharge d’un poids pour faire autre chose tout en s’assurant que les enfants ont ce qu’il faut. Ils sont plus sereins, plus disponibles pour les enfants. Et des parents qui vont bien, ce sont des enfants qui vont bien ! ». Les moins de 10 ans représentent 35 % des enfants accompagnés, les 10-20 ans 53 %.

Préserver les déléguées

Ce face-à-face avec des situations compliquées est parfois douloureux pour les déléguées aux prestations familiales. « L’accompagnement technique auprès des déléguées passe par une commission de suivi afin de s’assurer que tous les dispositifs ont été sollicités, qu’on a bien fait les ouvertures de mesures », explique Charlotte Germany. Mais aussi que les déléguées ne sont pas surchargées de travail, alors qu’elles sont très sollicitées. Sarah Perez : « il y a des situations lourdes, ça peut user un délégué, mais notre gros atout à l’UDAF 91, c’est la présence d’un psychologue, qui intervient tant pour les familles que pour les déléguées ». Car Charlotte Germany, le reconnaît : le sort des familles « peut nous toucher quand nous sommes dans l’impuissance. C’est mal vécu tant par les familles que par les déléguées ». Pour Karine Gendillou, le sentiment d’impuissance est désagréable mais il faut travailler avec. « On ne pourra pas tout régler, et il faut l’accepter. Parfois, nous intervenons trop tard », car les situations n’ont pas été prises suffisamment en amont.

Enfin, ces rencontres, même si elles se font dans la précarité, sont marquantes du point de vue humain. « C’est très riche de travailler avec les familles : j’ai rencontré une femme qui fait partie de ceux dont on entend parler aux journaux télévisés, arrivée après une traversée en bateau. Cela fait un an que je la connais mais au début, je n’ai pas posé trop de questions, ça peut être traumatique. Finalement, la discussion est arrivée sur le sujet. Je lui ai redit combien elle était courageuse. »

Le retour à l’autonomie

La mesure, reconductible, est censée être temporaire, le temps que les familles adoptent une autre façon de gérer leurs prestations familiales. Dans la majeure partie des cas, le retour à l’autonomie est atteint. Dans d’autres cas, un déménagement dans un autre département sort les familles des prérogatives des déléguées ou une fin des prestations familiales met fin automatiquement à la mesure. Dans ce cas, les familles peuvent être orientées vers d’autres services (moins de 10 % des cas). « On sait alors que travail n’est pas fini mais on ne peut pas intervenir, c’est un peu frustrant », reconnaît Sarah Perez.

Les familles bientôt prêtes sont préparées « quand on sent qu’il n’y a plus de dettes ou presque plus. Car une dette encadrée ne justifie pas forcément un accompagnement. On peut leur proposer une gestion libre des prestations en reversant toutes ses prestations à la famille et à elle de gérer seule. Les déléguées s’assurent que tout est bien payé en supervision. Mais je les rassure : « Si vous avez le moindre problème, n’attendez pas ! ». Cela peut arriver qu’elles ne soient pas prêtes », précise Karine Gendillou.

Pour mettre fin à la mesure, les juges se basent sur les rapports réalisés par les déléguées aux prestations familiales. Ces rapports sont travaillés avec les familles, il n’y a donc pas de mauvaise surprise. « Sur l’Essonne, on a de très bons retours de nos écrits, on est reconnues et les juges nous font confiance. Ils nous confient vraiment une famille », estime Karine Gendillou.

Un territoire qui utilise l’AGBF

Pas étonnant. « Dans le département de l’Essonne, la mesure est pertinente car nous avons des zones de précarité bien plus étendues que les Hauts-de-Seine, par exemple », analyse Sarah Perez. Ce territoire, le plus vaste de l’Île-de-France, gère autour de 500 mesures AGBF annuelles, ce qui en fait le plus gros service de mesures gérées par une UDAF d’Île-de-France. Mais selon nos interlocutrices, ce sont au moins 800 familles qui pourraient y prétendre. « Si la mesure était mieux connue, on aurait plus de marge de manœuvre pour sécuriser les familles, bien avant d’en arriver à l’expulsion. On est sur un département où la mesure AGBF fonctionne mais le constat, c’est que ça pourrait fonctionner encore mieux », estime Sarah Perez.

Elle met aussi en valeur tout le travail mené par l’UDAF parallèlement : des vacances solidaires, des collectes de jouets et des actions collectives en prévention sur les impayés locatifs, le classement de papiers, les assurances, « des actions annexes qui participent au retour à l’autonomie ». Elle se réjouit que son département soit riche d’aides et de dispositifs en termes de solidarité, « dans lequel on peut encore travailler avec des partenaires ».

Et si la crise ne se fait pas encore sentir dans l’attribution des aides alimentaires aux familles, le département expulse de plus en plus, selon Karine Gendillou, pour un bail non renouvelé, un enfant délinquant ou la non-présentation d’une assurance habitation, et ce, même si la dette a été soldée. La vigilance reste donc plus que jamais de mise pour accompagner les familles dans ce contexte durci. Mais cet engagement se solde parfois par des sorties heureuses de la mesure, soutient Karine Gendillou. « Quand une famille retrouve son autonomie, ils nous disent souvent « C’est grâce à vous ». Je réponds : « Non c’est grâce à nous. On a réussi car on a travaillé ensemble »».

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