Déplacement illicite d’enfant : quid de l’État de retour de l’enfant ?
La Cour de cassation apporte une nouvelle pièce à l’édification d’un système cohérent et effectif de lutte contre les déplacements illicites d’enfants en considérant que le retour de l’enfant ne s’effectue pas exclusivement vers l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement. Le retour de l’enfant s’effectue vers cet État par principe. Exceptionnellement, il se réalise vers tout autre État qui constituerait un environnement familier pour l’enfant.
Cass. 1re civ., 10 juill. 2024, no 24-12156
1. Précision novatrice sur le lieu de retour de l’enfant. Les déplacements illicites d’enfants suscitent d’importants contentieux, lesquels se cristallisent notamment autour des mécanismes de retour de l’enfant déplacé illicitement. Dans une décision remarquée du 10 juillet 2024, la Cour de cassation apporte une nouvelle pièce à l’édification du système de lutte contre les déplacements illicites d’enfants, en considérant que le retour de l’enfant s’effectue par principe vers l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement, exceptionnellement vers tout autre État qui constituerait un environnement familier pour lui. Ce faisant, la haute juridiction française rompt avec la position communément admise suivant laquelle le retour de l’enfant illicitement déplacé s’effectue exclusivement vers l’État dans lequel il avait sa résidence habituelle avant le déplacement.
2. Faits et procédure. Dans l’affaire sous commentaire, après leur mariage en 2017, une femme de nationalité ukrainienne et un homme de nationalité danoise s’installent au Danemark. En début d’année 2018, Madame s’installe en Ukraine et y donne naissance à l’enfant du couple. Monsieur continue de résider au Danemark. Par décision ukrainienne, un droit de visite est accordé au père au domicile de l’enfant en Ukraine. À la suite du divorce du couple, Madame s’installe en France avec son enfant en mars 2022, sans en informer son ex-époux. Une nouvelle décision ukrainienne organise le droit de visite du père, lequel doit s’exercer en présence de la mère lors de séjours du père en Ukraine. En juin 2023, l’homme saisit le juge aux affaires familiales de Marseille. Sur le fondement de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, le juge est saisi aux fins de voir ordonner le retour de l’enfant au Danemark en raison de l’illicéité du déplacement de l’enfant vers la France. La demande est rejetée. Ce rejet est confirmé par la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Dans ces conditions, un pourvoi est formé.
3. Système de lutte contre les déplacements illicites d’enfants. Aux fins de lutter contre les déplacements illicites des enfants par leurs parents, de nombreux textes internationaux et européens ont été élaborés, parmi lesquels doivent être cités la convention de La Haye du 25 octobre 1980 et le règlement Bruxelles II ter1 dont les articles 23 à 29 et le chapitre VI s’appliquent et complètent la convention de La Haye de 19802. Ces instruments poursuivent le même objectif, à savoir garantir le retour immédiat de l’enfant victime d’un déplacement illicite ou d’un non-retour. Pour ce faire, il est instauré une coopération entre les États par le prisme d’autorités centrales. Confronté à un déplacement illicite, tout parent victime a, par principe3, le droit à un retour immédiat de son enfant4.
4. Applicabilité des instruments de lutte contre les déplacements illicites d’enfants. Le bénéfice du droit au retour de l’enfant suppose que les États en cause sont parties au texte international instituant une procédure simplifiée de retour de l’enfant. En ce sens, il ressort de l’article 4 de la convention de La Haye de 1980 que ce texte est applicable uniquement aux États qui y ont adhéré5. Tel est le cas en l’espèce, car ladite convention est entrée en vigueur dans l’ensemble des États impliqués, à savoir en France, au Danemark et en Ukraine, respectivement les 1er décembre 1983, 1er juillet 1991 et 1er septembre 2006.
En revanche, l’applicabilité du règlement Bruxelles II ter est ici exclue6. Les dispositions dudit règlement relatives aux déplacements illicites d’enfants sont circonscrites au déplacement d’un enfant « concernant plus d’un État membre »7. Il s’en infère qu’elles ne sont pas applicables lorsque l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicite dans un État tiers à l’Union européenne. Or en l’occurrence, l’enfant avait sa résidence habituelle, immédiatement avant son déplacement, en Ukraine. L’Ukraine étant un État tiers à l’Union européenne, le règlement Bruxelles II ter ne trouve pas application.
5. Caractérisation d’un déplacement illicite d’enfant. Dans l’affaire sous commentaire, la convention de La Haye de 1980 était donc applicable et l’illicéité du déplacement de l’enfant caractérisée. Afin que le déplacement soit qualifié d’illicite, deux conditions cumulatives doivent être réunies8. D’une part, le déplacement doit être fait en violation d’un droit de garde résultant d’une décision judiciaire, de la loi ou d’un accord en vigueur dans le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement. D’autre part, ce droit de garde doit être exercé, seul ou conjointement, de manière effective au moment du déplacement ou il l’eut été si l’enlèvement n’était pas survenu. Ainsi, un « élément légal (doit) se conjuguer avec un élément de fait »9. Dans le présent cas, il n’est nullement contesté que le déplacement de l’enfant de l’Ukraine vers la France est illicite au sens de la convention de La Haye de 1980. Il a été réalisé en violation du droit de garde attribué au père par la loi ukrainienne, loi de l’État dans lequel résidait l’enfant avant son déplacement. De surcroît, le droit de garde était exercé de façon effective. L’illicéité du déplacement de l’enfant est d’ailleurs reconnue initialement par le juge aux affaires familiales de la juridiction marseillaise. Aucune des parties ne le conteste. En revanche, la mise en œuvre des conséquences d’un tel déplacement est au cœur de l’arrêt.
6. Lieu du retour de l’enfant illicitement déplacé. Parce que le déplacement de l’enfant vers la France est illicite, le père se prévalait en l’espèce du droit au retour de son enfant. Conformément au premier alinéa de l’article 12 de la convention de La Haye de 1980, « Lorsqu’un enfant a été déplacé (…) illicitement (…) l’autorité saisie ordonne son retour immédiat ». Le point de la discorde concernait le lieu vers lequel devait être ordonné le retour immédiat de l’enfant. Avant son déplacement en France, l’enfant avait sa résidence habituelle en Ukraine, celui-ci y étant né et demeuré jusqu’à ses 4 ans. Mais le père résidait au Danemark. La question s’est alors posée de savoir si le retour d’un enfant déplacé illicitement doit être réalisé exclusivement vers l’État de sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement. L’interrogation relative au lieu de retour de l’enfant est de mise, car l’objectif de la convention de La Haye de 1980 est de faire cesser la voie de fait issue du déplacement illicite. Pour ce faire, la procédure de retour de l’enfant vise à « rétablir la situation antérieure au déplacement »10. Pour autant, le rétablissement de la situation antérieure est-il circonscrit à un retour de l’enfant vers l’État de sa résidence habituelle avant son déplacement illicite ?
7. Solution inédite. Dans son arrêt en date du 10 juillet 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation en sa formation de section répond que « le retour de l’enfant peut être demandé vers un État autre que celui dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicite, mais à titre exceptionnel »11. La décision est à souligner pour son caractère inédit, car la jurisprudence française « ne recense aucune décision statuant sur un retour de l’enfant hors de l’État de la résidence habituelle »12. La position des juges du Quai de l’Horloge est également à saluer pour sa solution protectrice. En effet, en considérant que la résidence habituelle de l’enfant n’est pas le lieu exclusif de retour de l’enfant déplacé illicitement (I), l’intérêt supérieur de l’enfant s’impose comme critère premier afin de déterminer de manière hiérarchisée le lieu de retour de l’enfant illicitement déplacé (II).
I – La résidence habituelle de l’enfant antérieure au déplacement illicite, lieu non exclusif de retour de l’enfant
8. Lecture à la lettre des textes. À suivre à la lettre les articles13 relatifs à la lutte contre les déplacements illicites d’enfants, sauf exception, le retour de l’enfant illicitement déplacé doit être ordonné. Mais aucun lieu n’est indiqué en ce qui concerne la localisation dudit retour de l’enfant. Suivant l’alinéa premier de l’article 12 de la convention de La Haye de 1980, lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement, « l’autorité saisie ordonne son retour immédiat ». Nulle précision n’est formulée sur l’État de retour. Il en est de même pour le règlement Bruxelles II ter qui passe sous silence toute référence à l’État de retour de l’enfant illicitement déplacé.
9. Position antérieure communément admise. En dépit du silence des textes, le mécanisme de la convention de La Haye de 1980 est communément présenté comme un droit, pour tout parent victime, à un retour immédiat de son enfant dans l’État de sa résidence habituelle avant son déplacement14. Plusieurs raisons15 peuvent l’expliquer.
La première tient à la définition même du terme retour. Le retour signifie, dans un sens commun, repartir pour l’endroit dont la personne est venue. Si un enfant est déplacé illicitement d’un État A vers un État B, son retour impliquerait qu’il doit repartir vers l’endroit d’où il est venu (c’est-à-dire d’où il a été déplacé), soit l’État A.
Une autre explication tient à la qualification du déplacement illicite d’un enfant en voie de fait. Le système de lutte contre les déplacements illicites d’enfants vise en ce sens à sanctionner une situation et la rétablir en son état antérieur. Un tel rétablissement signifierait à nouveau le retour de l’enfant vers l’État duquel il a été déplacé, c’est-à-dire l’État de la résidence habituelle de l’enfant immédiatement avant son déplacement.
Enfin, les configurations majoritaires – si l’argument n’est pas juridique, il est pratique – imposent rationnellement un retour vers l’ancienne résidence habituelle de l’enfant, l’autre parent y demeurant en règle générale. Toutefois, cette configuration a des limites ainsi que le démontre l’arrêt sous commentaire.
10. Dissociation, État de la résidence habituelle et État de retour de l’enfant. Une des difficultés de la présente affaire réside dans la différenciation de l’État de la résidence habituelle de l’enfant avant son déplacement de celui demandé pour son retour. Concrètement, l’enfant résidait en Ukraine avant son déplacement. Mais son retour était demandé dans un autre État, à savoir le Danemark. De manière inédite, la Cour de cassation considère que « le retour de l’enfant peut être demandé vers un État autre que celui dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement (…) illicite »16. Une dissociation est à opérer. L’État de la résidence habituelle de l’enfant avant son déplacement ne doit pas être automatiquement et exclusivement assimilé à l’État de retour de l’enfant.
11. Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus. La solution délivrée par la Cour de cassation est permise en raison même du silence de la convention de La Haye de 1980. Aucune restriction n’est posée par le texte concernant le lieu de retour de l’enfant. En l’absence de précision, la règle ne doit pas souffrir d’une interprétation trop rigide qui, outre de porter atteinte au système de lutte contre les déplacements illicites, dépasserait la lettre de la convention. Le pragmatisme doit l’emporter. Il est manifeste que si aucun parent ne réside dans l’État de la résidence habituelle de l’enfant avant son déplacement, il serait pour le moins paradoxal d’y renvoyer l’enfant. D’autant plus que cela aurait pour conséquence, non sans risque au regard du droit à la vie privée, d’obliger l’un des parents à s’installer dans l’État en cause. Le caractère ubuesque d’une telle situation avait été relevé par le rapport explicatif de la convention, lequel souligne que « si le demandeur n’habite plus l’État de la résidence habituelle antérieure au déplacement, le retour de l’enfant dans cet État poserait des problèmes pratiques difficiles à résoudre »17.
12. Place de la résidence habituelle dans le système de lutte contre les déplacements illicites. Dans son arrêt du 10 juillet 2024, la Cour de cassation reconnaît la flexibilité du lieu de retour de l’enfant déplacé illicitement. Ce faisant une solution pragmatique est délivrée. Il est acté que la résidence habituelle de l’enfant antérieure au déplacement illicite n’est pas le lieu exclusif de retour de l’enfant. Une telle lecture confirme l’importance de la notion de résidence habituelle dans le système de lutte contre les déplacements illicites d’enfants.
La résidence habituelle « traduit une certaine intégration »18. Pour la caractériser, la technique du faisceau d’indices est utilisée19. Établie de manière casuistique20,la résidence habituelle suppose la réunion d’éléments matériel et intentionnel21. La résidence habituelle n’est pas fonction d’un critère fondé sur la simple résidence22, il s’agit du « centre de vie de l’intéressé »23. La résidence habituelle marque donc un lieu de stabilité dans lequel est intégré l’individu. C’est pourquoi le retour de l’enfant s’effectue en principe vers l’État de sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement. Pour autant, ce lieu de retour n’est pas exclusif. La résidence habituelle constitue un lieu de stabilité, il s’ensuit que cette stabilité n’est pas nécessairement corrélée pour l’enfant à son lieu de résidence avant le déplacement. Il en ressort que la notation de résidence habituelle sert à caractériser l’illicéité du déplacement de l’enfant d’une part, et œuvre à un retour de l’enfant respectueux de son intérêt d’autre part.
II – La détermination du lieu de retour de l’enfant illicitement déplacé, une hiérarchie dictée par l’intérêt supérieur de l’enfant
13. Principe : retour de l’enfant dans sa résidence habituelle immédiatement avant le déplacement. La Cour de cassation, dans son arrêt du 10 juillet 2024, ne remet pas en cause le mécanisme de retour des enfants illicitement déplacés posé par la convention de La Haye de 1980. En revanche, le retour de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement est consacré en tant que « principe » 24. L’intérêt supérieur de l’enfant légitime cette solution de principe. Le mécanisme de retour de l’enfant illicitement déplacé a pour objectif de replacer l’enfant dans un environnement qui lui est familier. Le but est de garantir une stabilité à l’enfant. Or, pour celui-ci, l’environnement familier de principe est celui de sa résidence habituelle avant son déplacement. Une telle solution s’impose au regard de la notion de résidence habituelle, laquelle traduit une intégration en un lieu. La solution n’est pas novatrice. La consécration de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant comme lieu de retour de principe est, en revanche, un véritable apport de l’arrêt du 10 juillet 2024.
Un principe « désigne une règle générale et commune destinée à régir une série de cas analogues »25. Tel est le cas de la règle suivant laquelle l’autorité saisie ordonne le retour immédiat de l’enfant qui a été déplacé illicitement dans l’État de sa résidence habituelle avant ledit déplacement. Toutefois, le principe « s’oppose (…) à l’exception, cas particulier qui échappe au principe »26. Ici réside la portée de l’arrêt. En cas de déplacement illicite, la solution communément admise était son retour dans l’État de sa résidence habituelle immédiatement avant ledit déplacement. Cette solution est désormais consacrée en tant que principe. Il s’en infère qu’elle n’est pas l’unique solution. L’État de la résidence habituelle immédiatement avant le déplacement étant alors le lieu de retour en général, mais pas l’unique lieu de retour.
14. Exception : retour de l’enfant dans un État autre que sa résidence habituelle immédiatement avant le déplacement. Puisque le retour de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement est le principe, une exception peut être envisagée. L’exception repose sur la dissociation entre l’État de retour et l’État de la résidence habituelle de l’enfant immédiatement avant son déplacement. À l’instar du principe, l’exception se justifie au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le mécanisme de retour de l’enfant illicitement déplacé repose sur une logique protectrice de l’enfant. Celle-ci se concrétise par une « réintégration immédiate de l’enfant dans son milieu de vie habituel » qui est l’objectif de la convention27. Il convient donc d’assurer un environnement familier à l’enfant en annihilant le déplacement. En général, l’environnement familier est celui de la résidence habituelle avant le déplacement. Cela ressort de la définition même de la notion de résidence. Mais il existe des cas particuliers qui échappent au principe. Il en résulte alors qu’un environnement stable pour l’enfant peut se manifester dans un État autre que celui où il résidait immédiatement avant son déplacement.
15. Exception : détermination de l’État de retour de l’enfant. Il ressort de l’arrêt du 10 juillet 2024 qu’une démarche en deux temps doit être réalisée afin de faire jouer l’exception au retour de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement.
Dans un premier temps, l’application du principe doit être vérifiée. C’est uniquement si le retour de l’enfant dans son ancienne résidence ne lui garantit pas un environnement stable et familier28 ou si ce retour s’avère impossible matériellement que le retour dans un autre État peut jouer.
Dans un second temps, à défaut d’application du principe et à titre exceptionnel, il est nécessaire de vérifier si l’État de retour souhaité par le demandeur, donc autre que la résidence habituelle de l’enfant avant son déplacement, constitue un environnement familier pour l’enfant. Le lieu de retour de l’enfant doit correspondre à la meilleure29 des solutions pour lui. C’est pourquoi, même si le retour de l’enfant, dans l’État de sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement, s’avère impossible, l’exception n’est pas obligatoirement mise en œuvre. Tel est le cas dans l’affaire sous commentaire. L’enfant ne pouvait pas retourner en Ukraine (État de résidence habituelle avant le déplacement), notamment car aucun de ses parents n’y résidait. Toutefois, il ne connaissait pas le Danemark (État de retour souhaité par le demandeur) et donc n’avait créé aucun lien avec cet État. Il n’était donc nullement dans l’intérêt de l’enfant de l’y envoyer.
Il ressort de l’arrêt du 10 juillet 2024 un système hiérarchisé concernant le lieu de retour de l’enfant. En cas de déplacement illicite, le retour de l’enfant est en principe réalisé vers l’État de sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement. À titre exceptionnel, à défaut d’application du principe, le retour s’effectue dans un lieu autre afin de préserver les intérêts de l’enfant. Mais si cet État de retour – autre que la résidence habituelle avant son déplacement – revendiqué par le parent victime ne garantit pas une stabilité à l’enfant, l’exception au principe ne joue pas. Il s’ensuit une situation dans laquelle l’enfant déplacé illicitement ne peut pas retourner dans l’État de sa résidence habituelle antérieure au déplacement et dont le retour dans l’État revendiqué par le parent victime n’est pas dans son intérêt. Pour autant, le sort de l’enfant doit être décidé.
16. Dérogations au retour de l’enfant. La décision de la Cour de cassation semble s’orienter vers une application du second alinéa de l’article 12 pour déterminer l’État de retour de l’enfant lorsqu’il ne peut pas retourner dans l’État de sa résidence habituelle antérieure au déplacement ni dans celui revendiqué par le parent victime. La convention de La Haye prévoit des dérogations au retour de l’enfant qui jouent dans des circonstances exceptionnelles suivant les cas prévus aux articles 12, 13 et 20 de la convention. Conformément au second alinéa de l’article 12, en cause en l’occurrence30, le retour immédiat n’est pas ordonné s’il est établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu. Cette disposition ne dénie pas l’illicéité du déplacement de l’enfant. Mais l’article sous-tend que, à défaut de retour dans l’État de l’ancienne résidence et dans l’État revendiqué par le parent victime, l’État refuge de l’enfant est celui dans lequel il est intégré. Si la solution est conforme tant à la lettre du texte qu’à l’intérêt de l’enfant, pour autant elle nous paraît procéder d’une démarche discutable.
17. Subsidiarité et prérogative dans la détermination du lieu de retour de l’enfant. Selon le deuxième alinéa de l’article 12 de la Convention, le retour est ordonné « à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu ». La disposition pose donc une dérogation au retour. Pour autant, la voie de fait (le déplacement illicite) étant caractérisée, le sort de l’enfant doit être décidé. Or il ne devrait pas être circonscrit à l’État vers lequel l’enfant a été déplacé, c’est-à-dire son nouveau milieu. Deux arguments justifient la position. Une telle solution entérine le déplacement pourtant illicite d’une part. Et la solution écarte un retour vers un État non revendiqué par le demandeur31 d’autre part. À notre sens, l’autorité saisie devrait pouvoir apprécier l’État dans lequel est assurée « une certaine continuité (des) conditions d’existence et de développement »32 de l’enfant. Cet État serait certes probablement en premier lieu celui de l’État de refuge de l’enfant, mais sans devoir y être limité. Un mécanisme du type locus non conveniens33 – privilégiant le retour vers un lieu plus approprié – pourrait ainsi utilement trouver application par le biais de prérogatives accordées à l’autorité saisie. À défaut d’application du principe, en l’absence de mise en œuvre de l’exception, l’enfant devrait, à titre subsidiaire, demeurer dans son nouveau milieu sauf si un autre État lui assure de meilleures conditions d’existence et de développement.
Au fil des jurisprudences, le système de retour de l’enfant illicitement déplacé se précise. Nul doute que la Cour de cassation apporte une nouvelle pièce majeure à cet édifice avec son arrêt en date du 10 juillet 2024. Le lieu de retour de l’enfant déplacé illicitement n’est pas unique. Sa détermination doit suivre une hiérarchie, laquelle est dictée par le principe cardinal du système de retour de l’enfant illicitement déplacé, l’intérêt supérieur de l’enfant.
Notes de bas de pages
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1.
Cons. UE, règl. n° 2019/1111, 25 juin 2019, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants (refonte) : JOUE L 178, 12 juill. 2019.
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2.
Règl. Bruxelles II ter, art. 22.
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3.
Il existe des exceptions au retour de l’enfant. Sous réserve des conditions posées, l’intégration de l’enfant dans son nouvel environnement, le consentement au déplacement ou encore l’existence d’un risque grave lié au retour de l’enfant justifient de déroger au principe de retour de l’enfant. V. conv. La Haye 1980, art. 12, al. 2 et art 13. Pour plus de détails, v. R. Le Cotty, « Situation de l’enfant déplacé : les exceptions au retour », AJ fam. 2018, p. 529.
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4.
Conv. La Haye 1980, art. 12, al. 1er.
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5.
V. Cass. 1re civ., 17 janv. 2019, n° 18-23849. La solution a été réitérée à propos de la convention de La Haye du 19 octobre 1996, le même jour que l’arrêt présentement commenté : Cass. 1re civ., 10 juill. 2024, no 23-19042.
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6.
Cass. 1re civ., 26 juin 2024, n° 24-12156.
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7.
Règl. Bruxelles II ter, art. 1.3.
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8.
Conv. La Haye 1980, art. 3.
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9.
H. Fulchiron, « La lutte contre les enlèvements d’enfants », in Le nouveau droit communautaire du divorce et de la responsabilité parentale, H. Fulchiron et C. Nourissat (dir.), 2005, Dalloz, Thèmes et commentaires, p. 223, spèc. p. 224.
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10.
JCl. Droit international, fasc. 549-30, § 62, Enlèvement international d’enfants : la convention de La Haye du 25 octobre 1980, 2023, E. Gallant.
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11.
Cass. 1re civ., 10 juill. 2024, n° 24-12156, pt 21.
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12.
Cass. 1re civ., 10 juill. 2024, n° 24-12156, avis de l’avocate générale, p. 10.
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13.
Le préambule de la convention souligne toutefois qu’un des objectifs est « d’établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle ». L’absence de précision sur l’appréciation temporelle de la résidence est regrettable.
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14.
V. en ce sens, le Guide de bonnes pratiques, qui tout en relevant une flexibilité, énonce que la convention « n’exige pas, en particulier, qu’il (l’enfant) soit confié au parent délaissé, ni à quel endroit précis de l’État de la résidence habituelle il est censé retourner » (souligné par nous) : Guide de bonnes pratiques en vertu de la Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, Partie VI, Conférence de La Haye de droit international privé, 2020, p. 23, § 20. A contrario, v. le rapport Pérez-Vera qui rappelle qu’une « proposition tendant à préciser que le retour se ferait toujours vers l’État de la résidence habituelle de l’enfant avant son déplacement » n’a pas été retenue, de sorte que la Convention permet, en l’absence de précision, de « renvoyer l’enfant directement au demandeur sans égard au lieu de la résidence habituelle de celui-ci » : E. Pérez-Véra, Rapport explicatif sur la Convention de La Haye de 1980, § 110, p. 459 et 460.
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15.
La référence du préambule de la convention à l’État de la résidence habituelle de l’enfant y participe également.
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16.
Cass. 1re civ., 10 juill. 2024, n° 24-12156, pt 21.
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17.
E. Pérez-Véra, Rapport explicatif sur la Convention de La Haye de 1980, p. 459, pt 110.
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18.
CJCE, 2 avr. 2009, n° C-523/07, A., pt 44 : Rev. crit. DIP 2009, p. 791, note E. Gallant ; AJ fam. 2009, p. 294, étude A. Boiché ; Europe juin 2009, comm. 265, comm. L. Idot ; RTD eur. 2010, p. 421, obs. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard ; Procédures août 2009, comm. 277, comm. C. Nourissat.
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19.
La CJUE a développé une jurisprudence prolixe en la matière qui est reprise par la Cour de cassation.
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20.
CJUE, 22 déc. 2010, n° C-497/10 PPU, Barbara Mercredi : RTD eur. 2011, p. 482, obs. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard ; Procédures févr. 2011, comm. 60, comm. C. Nourissat ; Europe mars 2011, comm. 117, comm. L. Idot ; Dr. famille avr. 2011, comm. 66, note E. Viganotti.
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21.
Sont pris en considération divers éléments, tels l’âge de l’enfant, la présence physique ou encore la régularité et les raisons d’un séjour dans un État membre (CJUE, 9 oct. 2014, n° C-376/14 PPU, C. c/ M. : Dalloz actualité, 29 oct. 2014, obs. F. Mélin ; AJ fam. 2014, p. 637, obs. E. Viganotti.
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22.
CJUE, 25 nov. 2021, n° C-289/20, IB contre FA : Dalloz actualité, 9 déc. 2021, obs. P. Callé ; D. 2022, p. 915, obs. F. Jault-Seseke ; RTD eur. 2022, p. 236, obs. V. Egéa ; Dr. famille 2022, comm. 10, obs. A. Devers ; JCP N 2022, act. 1095, obs. A. Philippot ; Rev. crit. DIP. 2022, p. 779, S. Fulli-Lemaire ; JCP 2022, doctr. 296, obs. M. Farge ; Europe 2022, comm. 34, obs. L. Idot ; RJPF mars 2022, n° 32, obs. S. Godechot-Patris ; GPL 18 janv. 2022, n° GPL431a2, obs. E. Viganotti ; AJ fam. 2022, p. 47, obs. D. Eskenazi.
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23.
CJUE, 28 juin 2018, n° C-512/17, HR : Dr. famille 2018, comm. 294, obs. M. Farge ; AJ fam. 2018, p. 465, obs. A. Boiché.
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24.
Cass. 1re civ., 10 juill. 2024, n° 24-12156, pt 18.
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25.
S. Guinchard et T. Debard, Lexique des termes juridiques 2024-2025, 32e éd., 2024, Lefebvre Dalloz, V° Principe.
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26.
S. Guinchard et T. Debard, Lexique des termes juridiques 2024-2025, 32e éd., 2024, Lefebvre Dalloz, V° Principe.
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27.
E. Pérez-Véra, Rapport explicatif sur la Convention de La Haye de 1980, p. 432, § 25. L’autre objectif est préventif en ce qu’il tend à prévenir les déplacements illicites.
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28.
Cette hypothèse est à distinguer du risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique (Conv. La Haye 1980, art. 13, b). Un tel risque est une exception au retour de l’enfant. Ainsi, la question du lieu de retour ne se pose pas, le retour n’étant pas ordonné.
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29.
Nous sommes d’avis que l’intérêt supérieur – best interests – doit être compris comme ce qu’il y a de « meilleur » pour l’enfant primant sur tout autre intérêt.
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30.
Tel semble être le cas dans la présente affaire, puisque la cour d’appel a relevé que la mère offrait à l’enfant, en France, les conditions matérielles affectives nécessaires à son épanouissement.
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31.
Or le demandeur n’est pas circonscrit au parent victime puisque conformément à l’article 8 de la convention de La Haye « La personne, l’institution ou l’organisme qui prétend qu’un enfant a été déplacé ou retenu en violation d’un droit de garde peut saisir soit l’Autorité centrale de la résidence habituelle de l’enfant, soit celle de tout autre État contractant, pour que celles-ci prêtent leur assistance en vue d’assurer le retour de l’enfant ».
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32.
Cass. 1re civ., 10 juill. 2024, n° 24-12156, pt 22.
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33.
La formule s’inspire du mécanisme du forum non conveniens. Il ne s’agit toutefois pas ici d’un problème de compétence et donc de renvoi au juge naturel. En revanche, un même mécanisme correctif nous semble pertinent.
Référence : AJU015l4