Eloc’en Seine : un concours d’éloquence pour ados
Le 22 novembre dernier, la 3e édition du concours d’éloquence, Eloc’en Seine, se tenait à la Maison de la Musique de Nanterre (92). Une initiative née en 2019 à l’occasion du 30e anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). La particularité de ce concours ? Les participants sont des enfants. Le thème de cette année : « Touche pas à ma paix ! » les a inspirés.
Sur scène, Alexandre, 12 ans, campe un « Monsieur Chaos » mutique, tandis que Safaé, 15 ans, joue une « Madame Paix » en colère. Leur discours prend la forme d’un procès. Dans son réquisitoire, Madame Paix accuse Monsieur Chaos de semer le trouble, la tristesse, la mort partout où il passe. Monsieur Chaos, longtemps silencieux, prend enfin la parole pour demander en substance : « Mais où êtes-vous, Madame Paix, quand je sème le chaos ? » Forces interdépendantes, la paix et la guerre ne vivent ainsi jamais loin l’une de l’autre… Prestation impressionnante pour les deux adolescents. Comme neuf autres équipes, ce premier groupe, Ying & Yang, participait au concours d’éloquence, Eloc’en Seine, destiné aux jeunes de 13 à 18 ans. Sketchs, chants, dialogues, monologues, des mots pour parler des maux. Le thème de cette année : « Touche pas à ma paix ! » Si le prix du public a été décerné au groupe Jolies Mômes, l’avocate des enfants, Isabelle Clanet di Lamanit, bâtonnière du barreau des Hauts-de-Seine, et cofondatrice du concours, spécialiste en droit des enfants, tient à souligner que « toutes les prestations valaient le coup. Chaque enfant est sorti de sa zone de confort, il y a même deux enfants dont le français n’était pas la langue maternelle. Impressionnant ! Nous avons apprécié quand l’adulte coach était en soutien du groupe mais pas trop présent sur scène, s’amuse-t-elle, ceux qui ont su s’effacer pour laisser la place aux enfants ».
Mieux faire connaître les droits des enfants
« En 2019, nous avons cherché à marquer le coup pour les 30 ans de la CIDE. Nous avons donc monté un groupe de travail », explique Isabelle Clanet dit Lamanit. En tant qu’ancienne secrétaire de la Conférence, elle pense rapidement à un concours d’éloquence, avec l’idée « de sortir les enfants de leur zone de confiance », non pas en les envoyant concourir devant des adultes, « mais en constituant des équipes mixtes adultes-enfants. Cela crée une belle énergie. Réfléchir ensemble, avoir le trac ensemble, ce n’est pas rien ! », analyse-t-elle. « Cet événement se veut très fédérateur, les droits de l’enfant ne sont pas censés être polémiques ». À chaque fois, les organisateurs choisissent un sujet porteur, ouvert, mais qui touche aux droits de l’Homme. Cette année, l’actualité a rattrapé le thème d’Eloc’en Seine.
Dominique Lasne-Tarquini, alors responsable de l’accès au droit et du Groupe Avocats d’enfants du Barreau du 92, analyse : « les jeunes sont attirés par le fait d’être sur scène, et le thème les a inspirés, vu les circonstances actuelles [les guerres successives en Ukraine, puis au Moyen-Orient, NDLR]. Sans oublier l’importance d’être entouré par un coach ». Justement parmi les dix professionnels qui ont participé cette année – qui peuvent être des avocats, magistrats, éducateurs ou enseignants – l’avocat Me Mikael Benillouche, membre du barreau des Hauts-de-Seine, de retour après des années d’enseignement. Le métier lui avait manqué, surtout pour son aspect engagé auprès des plus vulnérables. « J’ai vu l’affiche du concours à l’ordre des avocats des Hauts-de-Seine appelant à participer », se rappelle-t-il. Emballé par l’initiative, il en parle autour de lui : sa nièce et son beau-fils sont partants. Le sujet « Touche pas à ma paix » résonne particulièrement pour lui et sa famille, de confession juive. « Le concours se passait très peu de temps après les attaques du Hamas. J’avais quelques craintes car je ne suis pas persuadé de la pertinence de l’avis de gamins de 13 ans sur ce qui se passe en Israël et à Gaza ». Partant de là, il opte pour un pas-de-côté. « Tout ce qui peut être conflictuel peut s’apaiser par l’humour », livre-t-il. « Avec ma nièce et mon beau-fils, on avait commencé à discuter, les idées fusaient, mais les événements d’octobre nous ont fait choisir une autre approche : revenir sur les petites guerres du quotidien ». Et en effet, sur scène, Noam et Daphnée, tous les deux 13 ans, ont livré une prestation humoristique, dans laquelle ils abordaient leurs petits soucis d’enfants vivant dans un territoire en paix. Les parents, les disputes avec les copines, les profs qui ne comprennent rien… Bref, la vie normale des ados. Ce qui devrait être la vie ordinaire de tous les enfants, où qu’ils habitent dans le monde. « Lors de la préparation, on passait de bons moments, et on s’est pris au jeu », se souvient encore Mikael Benillouche. Je les coachais, les motivais en leur disant « il faut qu’on gagne » ! », plaisante-t-il. ET même si ce vœu ne s’est pas réalisé, l’expérience aura été positive.
Cette motivation était palpable chez tous les participants – le plus jeune d’entre eux, Mamadou, 11 ans, a livré un discours touchant sur sa passion du foot comme vecteur de paix. Certains faisaient preuve d’une grande aisance, même si la prise de parole n’est pas le fort de la scolarité en France, abonde Mikael Benillouche. « À 13 ans, je ne serais jamais monté sur scène ! », reconnaît-il, admiratif. De son côté, sa motivation était celle de pouvoir faire bénéficier à son équipe de son expérience professionnelle mais surtout, humaine. Certains participants des éditions précédentes ont même inscrit sur leur CV qu’ils avaient participé à Eloc’en Seine.
Mieux faire connaître les droits des enfants
Le groupe des avocats des enfants du barreau de Nanterre a pour responsabilité de multiplier les événements afin de mieux faire connaître les droits des enfants. Isabelle Clanet dit Lamanit explique ainsi avoir musclé « nos actions d’accès au droit », notamment grâce au festival du film judiciaire de Nanterre, aux permanences juridiques lancées dans les lycées par le barreau des Hauts-de-Seine, ou encore des concours d’éloquence comme Eloc’en Seine. « Il s’agit déjà de faire en sorte que les enfants soient informés de leurs droits, qu’ils sachent par exemple, qu’ils peuvent rencontrer un juge dans le cadre d’une séparation conjugale compliquée. Ils sont les mieux placés pour parler de leur quotidien, du fait que c’est plus pratique d’aller chez tel parent tel soir pour une activité périscolaire, etc. Ils sont hyper discernant sur leurs besoins. Mais qu’ils puissent être informés du droit d’être entendu relève de la responsabilité des parents. Comment un juge peut-il vérifier qu’ils l’ont bien fait ? », interroge l’avocate. Il faut aussi accepter que d’autres enfants aspirent plutôt à une « tranquillité procédurale ». Elle plaide pour qu’ils puissent au moins avoir ce choix.
En justice, les choses avancent doucement. « Dans le cas de l’enfance en danger, le juge a aujourd’hui l’obligation d’entendre l’enfant, sans ses parents, sans les services sociaux, soit seul, soit avec un enfant accompagné d’un avocat qui lui a présenté le dossier et l’a aidé à libérer sa parole », explique encore Isabelle Clanet dit Lamanit. « Dans ce cas, l’audience est d’une autre qualité et se déroule dans un climat de confiance ». La présence de l’avocat aide aussi à comprendre que la parole de l’enfant « n’est pas omnipotente. Dans le cas où le juge ne suit pas ce qu’a dit l’enfant, il peut lui expliquer pour quelles raisons il ne l’a pas fait, au risque, dans le cas contraire, de nourrir une colère contre l’institution judiciaire », explique encore l’avocate, citant une circulaire européenne qui reconnaît aux enfants de droit de comprendre et d’être compris dans le cadre d’une procédure judiciaire.
« Pendant longtemps, les enfants ont été des objets de droit et non des sujets de droit », explique encore Isabelle Clanet di Lamanit. Quand on pense que la Convention internationale des droits des enfants ne date que de 1989 ! » Parmi les combats à mener, une lutte qu’elle mène avec ses confrères et consœurs, avocats d’enfants à Nanterre : que la présence de l’avocat soit systématique dans le cadre de l’assistance éducative. « Aujourd’hui, cette présence de l’avocat n’est requise que si le juge le décide ou si les services sociaux le recommandent et à la condition que les enfants soient « discernants ». Mais ce critère de « discernement » nous pollue : on peut avoir des enfants de 4 ans hypermatures tout comme des adolescents, qui le sont sur le papier, mais qui, pris dans des conflits de loyauté, vont s’avérer « non discernants ». Pour une hospitalisation d’office ou une mise sous tutelle de majeurs, la présence de l’avocat est obligatoire ». Pourquoi pas pour les enfants ? Elle résume : « notre rôle d’avocats est de préparer, d’accompagner, de soutenir la parole des enfants, et c’est au juge de déterminer ce qu’il retiendra de cette parole ». Une expérimentation menée au lendemain du covid au tribunal judiciaire de Nanterre avec des magistrats engagés a fait ses preuves : « les magistrats nous ont fait désigner dans tous les dossiers ». Résultat : la plus-value de la présence de l’avocat a été claire.
Lors de la soirée Eloc’en Seine, le vice-bâtonnier du barreau des Hauts-de-Seine, Fabien Arakélian, a rappelé quelques mots-clés contenus dans la CIDE : bonheur, amour, compréhension, paix, dignité, tolérance, solidarité. Tout un programme, qui méritera bien quelques éditions supplémentaires d’un concours d’éloquence à haute valeur sociale.
Référence : AJU011t8