États généraux du droit de la famille et du patrimoine : actualités législatives et jurisprudentielles

Publié le 14/04/2020

Cet article a été publié dans le cadre du dossier « 16e édition des États généraux du droit de la famille et du patrimoine – L’amiable : concevoir et construire –  » de la Gazette du Palais.

L’actualité 2019 est particulièrement riche en réformes, dont la plupart sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020. Les professionnels doivent rester vigilants : de nombreux bouleversements ne seront effectifs qu’à la fin de l’année 2020 ! Mais il ne faut pas oublier les importantes évolutions jurisprudentielles qui restent toujours d’actualité !

NDA –La forme orale et cursive de la présentation a été conservée.

Natalie Fricero

Je remercie les organisateurs de m’avoir confié cette année encore la présentation de l’actualité de la procédure. J’avais songé initialement à faire une actualité jurisprudentielle, puis je me suis demandé si elle n’était pas déjà périmée face aux multiples réformes en cours d’application ! J’ai donc décidé de me concentrer sur l’actualité législative. Certes, le décret n° 2019-1380 du 17 décembre 2019 réformant le divorce est reporté au 1er septembre 2020, mais l’impact des réformes de la procédure civile en général issues du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 sur le contentieux familial est tel que vos pratiques professionnelles sont déjà modifiées depuis le 1er janvier 2020. En conséquence, j’ai pris le parti d’élaborer des alertes quant aux pratiques professionnelles nouvelles des avocats et de faire un petit tour d’horizon total. J’ai été obligée de faire des choix, bien sûr, parce que nous sommes plusieurs à intervenir et que le temps est compté, et qu’il y a aussi une actualité jurisprudentielle à vous présenter. Voici donc quelques focus et quelques alertes, qui seront détaillées dans des ateliers pour des approfondissements.

Le juge aux affaires familiales (JAF) est rattaché au nouveau tribunal judiciaire par le Code de l’organisation judiciaire (COJ) – article L. 213-3, qui précise que dans chaque tribunal de grande instance (TGI), un ou plusieurs magistrats du siège sont délégués dans les fonctions de JAF. En conséquence, le JAF fait partie intégrante du tribunal judiciaire. En tant que tel, il est impacté dans sa procédure par la réforme générale de la procédure devant le tribunal judiciaire – en dehors des spécificités relatives au contentieux familial.

Je passe d’abord sur les hypothétiques erreurs que les avocats pourraient commettre en saisissant le mauvais juge ou la mauvaise formation du tribunal judiciaire au sein d’un tribunal judiciaire (saisir un juge de l’exécution à la place d’un JAF ou un juge des contentieux de la protection à la place d’un juge de l’exécution). Je veux juste vous alerter sur le fait que, comme vous l’avez vu, il existe de nouveaux règlements simplifiés des incidents de compétence qui résultent de l’article 82-1 du Code de procédure civile. Vous lirez ce processus, qui permet de renvoyer par mention au dossier, avant la date de l’audience, au juge compétent au sein du même tribunal judiciaire. Par exemple, pour un JAF, ce pourrait être avant l’audience de conciliation, qui existe toujours (jusqu’au 1er septembre 2020). Dans ce cas, il pourrait y avoir un renvoi devant le juge compétent, qui peut être contesté dans un délai de 3 mois. Cela signifie qu’à ce moment-là, le président du tribunal judiciaire est saisi pour désigner le juge ou la formation du tribunal compétent(e). Bien sûr, quand celui-ci aura statué, il y aura encore une possibilité de contester son jugement sur la compétence en faisant un appel spécifique des articles 83 et suivants du Code de procédure civile. Tout ceci n’est pas très compliqué une fois qu’on a bien saisi le mécanisme, même si la simplification aurait pu être un peu plus « simple » !

I. La médiation familiale

Quelques alertes sur les procédures en matière de contentieux familial. La première, ce sont les modifications dans la médiation familiale. Je ne vais pas détailler la médiation, qui a été parfaitement exposée tout à l’heure par ma collègue et par Mme la présidente Frédérique Agostini. En tout cas, je voulais faire deux remarques. Premièrement, la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, en son article 242, a prorogé l’expérimentation de la tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO) devant les onze juridictions jusqu’au 31 décembre 2020. Deuxième modification législative : la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 sur la lutte contre les violences intrafamiliales, qui a été mentionnée par Soraya Amrani-Mekki. L’article 372-2-10 du Code civil modifié par cette loi prévoit que le juge ne peut ni proposer une médiation ni enjoindre une médiation familiale ou autre dans le cadre de violences alléguées par l’un des parents sur l’autre ou sur l’enfant.

II. L’intermédiation en matière de pension alimentaire

Outre la médiation familiale, cette loi prévoit l’intermédiation financière des pensions alimentaires par les organismes de prestations familiales. La loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale dans son article 72, modifie l’article 373-2-2 du Code civil et l’article L. 582-1-I du Code de la sécurité sociale notamment : cette modification n’est applicable qu’à partir du 1er juin 2020. On attend encore un décret d’application pour préciser un certain nombre d’éléments, mais il faut être vigilant : pour que vos clients puissent bénéficier de cette intermédiation, des conditions doivent être remplies : la pension alimentaire doit être prévue sous la forme d’un versement en numéraire et surtout, elle doit être demandée. L’organisme débiteur des prestations familiales versera directement la pension alimentaire puis la récupèrera ensuite auprès du débiteur. Il sera donc  impératif de prévoir expressément cette intermédiation dans la convention de divorce par avocat, ou de la demander au juge puisqu’elle résultera d’une décision judiciaire, d’une convention homologuée par le juge ou de la convention de divorce par acte d’avocat. Il y a déjà des détails dans ces deux textes que je vous ai mentionnés, mais on attend le décret d’application qui précisera les éléments strictement nécessaires, en vue de la protection de la vie privée de la famille, au versement de la pension par l’intermédiaire de l’organisme débiteur. L’avocat jouera un rôle important dans ces renseignements, car si l’organisme qui verse les prestations n’a pas de renseignements suffisants pour avoir le compte en banque du débiteur, etc., et procéder à son remboursement, ce système ne pourra pas fonctionner. Tout est prévu dans les textes. Je ne peux pas les détailler, mais je vous alerte sur ce fait extrêmement important pour vos pratiques professionnelles.

III. L’extension de la représentation obligatoire dans les procédures civiles

Le rôle accru de l’avocat est consacré avec l’extension de la représentation obligatoire. Je ne vais évidemment pas détailler la problématique de l’extension de la représentation obligatoire devant le tribunal judiciaire. Le JAF en fait bien sûr partie. L’article 760 du Code de procédure civile précise que les parties sont, sauf dispositions contraires, tenues de constituer avocat. En matière familiale plus précisément, dans le cadre des procédures de divorce, cela ne change pas grand-chose actuellement puisqu’au stade de l’ordonnance de non-conciliation (ONC ; toujours applicable jusqu’au 1er septembre 2020), le demandeur doit constituer avocat (pas le défendeur jusqu’au 1er septembre 2020 : à cette date, il devra se faire représenter ou assister par avocat obligatoirement à l’audience d’orientation et sur mesures provisoires). L’avocat a toujours pour rôle d’assister éventuellement dans le cadre de l’acceptation du principe du divorce (CPC, art. 1108). Dans le cadre de la procédure de divorce ensuite, l’avocat est obligatoire, donc rien ne change.

Deux nouveautés tout de même en ce qui concerne la représentation obligatoire – déjà applicables depuis le 1er janvier 2020 pour les instances introduites depuis le 1er janvier (c’est l’article 761 du CPC qui précise les cas dans lesquels les parties sont dispensées de constituer avocat) : la révision de la prestation compensatoire (CPC, art. 1139, déjà applicable), qui suit les règles de la procédure écrite ordinaire, avec constitution obligatoire d’avocat. Ensuite, le retrait total ou partiel de l’autorité parentale et la déclaration judiciaire de délaissement parentale (CPC, art. 1203 ; D. n° 2019-1333, 11 déc. 2019, applicable depuis le 1er janvier 2020) : avocat obligatoire, avec constitution d’avocat. À partir du moment où l’on est devant un juge qui relève du tribunal judiciaire, l’article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 s’applique, c’est-à-dire le principe de la territorialité de la postulation. Donc l’on ne peut représenter que lorsqu’on est dans un barreau inscrit dans le ressort d’une cour d’appel déterminée, sous réserve des multipostulations. Je n’entre pas dans le détail.

IV. La simplification de la demande en justice devant le tribunal judiciaire

Autre focus sur la simplification de la demande en justice devant le tribunal judiciaire : on sait qu’il n’y a que deux voies d’entrée (l’assignation et la requête, soit unilatérale soit conjointe) dans ces hypothèses. Pour ce qui concerne actuellement les requêtes et les assignations en divorce, les modifications concernent essentiellement – je vais donner l’essentiel, car je ne vais pas reprendre tous les modes d’introduction des requêtes et des procédures de divorce – le fait que dans la requête en divorce, il faut indiquer les pièces sur lesquelles la demande est fondée, puisque l’article 57 nouveau du Code de procédure civile, qui figure dans les dispositions générales applicables depuis le 1er janvier 2020, indique que la requête, à peine de nullité, doit indiquer les pièces sur lesquelles la demande est fondée.

Je fais un petit focus à propos de l’indication des pièces : au cas où vous fassiez appel d’une décision dans le contentieux familial, l’article 901 du Code de procédure civile renvoie à l’article 57 pour les requêtes. On n’a pas supprimé le terme « déclaration » pour l’appel ; on n’a pas mis « requête en appel ». Néanmoins, parmi les conditions de validité, il y a un renvoi à l’article 57 qui vise les mentions prévues à peine de nullité de la requête puisqu’on a supprimé la déclaration en première instance. En conséquence, la déclaration d’appel (CPC, art. 901) doit comporter l’indication des pièces sur lesquelles l’appel est fondé (n’oubliez pas), et ce, depuis le 1er janvier 2020, à peine de nullité pour vice de forme, ce qui suppose bien sûr que l’adversaire doive démontrer un grief pour obtenir le prononcé de la nullité. En outre, il est toujours possible de régulariser la déclaration d’appel. Combien vont se lever ici pour régulariser la leur ?

En tout état de cause, si c’est trop tard et que la nullité a été prononcée, ce n’est pas grave puisque l’article 2241 du Code civil prévoit que lorsque la demande en justice est annulée, elle maintient l’effet interruptif de la prescription et de la forclusion. En conséquence, si votre déclaration d’appel est annulée, à partir de la dernière décision qui a annulé cette déclaration d’appel, le délai d’1 mois ou de 15 jours, selon les hypothèses, recommence à courir pour refaire une déclaration régulière.

V. La remise de l’assignation au greffe du tribunal judiciaire

Un petit focus sur la remise de l’assignation au greffe de la juridiction : il y a de nouvelles modalités devant le tribunal judiciaire (CPC, art. 754). En revanche, le système de la « prise de date » avant la signification de l’assignation est reporté au 1er septembre 2020, et les nouvelles mentions que doit contenir l’assignation (CPC, art. 56 nouv.) sont également reportées au 1er septembre. En conséquence, dans la procédure écrite ordinaire, ce sont encore les anciennes mentions prévues à l’article 57 ancien du Code de procédure civile qui s’appliquent (v. l’art. 55, D. n° 2019-1333, 11 déc. 2019), ainsi que les anciennes modalités de remise (enrôlement dans les 4 mois à peine de caducité). Dans les procédures orales devant le tribunal judiciaire (par ex. en référé, pour lequel une prise de date s’impose), l’article 754 du Code de procédure civile, qui est applicable depuis le 1er janvier 2020, précise que lorsque l’on n’a pas de communication d’une date d’audience par voie électronique, il faut qu’une copie de l’assignation signifiée soit remise au plus tard 15 jours avant la date de l’audience lorsque la date de l’audience est communiquée par la juridiction selon d’autres modalités que celles prévues à l’article 748-1. À défaut de cette remise au greffe, la caducité est constatée d’office par le juge ou à la demande d’une des parties. Si, en référé par exemple, l’avocat souhaite une date d’audience inférieure à 15 jours, il doit d’abord saisir le juge par requête en cas d’urgence pour obtenir une réduction du délai de remise et de comparution (CPC, art. 755).

VI. Un focus sur l’acte de constitution d’avocat du défendeur

L’acte de constitution est maintenant soumis à l’article 764 du Code de procédure civile. La nouveauté, c’est qu’il peut contenir l’accord du défendeur pour une procédure sans audience, puisque l’article L. 212-5-1 du Code de l’organisation judiciaire permet les procédures sans audience. Donc cet acte peut contenir l’acceptation du défendeur à une procédure sans audience, le cas échéant.

VII. Les modifications procédurales devant le tribunal judiciaire

Des modifications affectent la mise en état devant le tribunal judiciaire, et dans le cadre des procédures de divorce actuelles. La première modification concerne la remise des conclusions. La modélisation des conclusions n’a pas changé, si ce n’est le numéro de l’article, puisque c’est maintenant l’article 768 du Code de procédure civile qui le prévoit. Mais l’article 767 du même code a prévu que la remise des conclusions au greffe de la juridiction se fait avec la justification de leur notification à la partie adverse. Rassurez-vous, il n’y a pas de sanction du non-respect de cette chronologie. Évidemment il vaut mieux la faire avec justification de la notification à la partie adverse, mais il n’y a pas de sanction pour non-respect de cette formalité. C’est quand même une nouveauté. De toute façon, cela se fait automatiquement. L’article 767 – décret du 11 décembre 2019 – est applicable depuis le 1er janvier 2020.

Dans la procédure écrite ordinaire, je ferai juste un focus puisque cela a été développé par ailleurs. Vous aurez des ateliers sur ce point. Depuis le 1er janvier 2020, vous l’avez vu, la première audience de mise en état est une audience dite d’orientation, dans laquelle le juge de la mise en état va interroger les avocats pour leur demander s’ils orientent vers une mise en état conventionnelle par une procédure participative de mise en état ou si le processus suit un processus judiciaire traditionnel. Donc je n’y reviens pas. Je ne reviens pas non plus sur les nouveaux pouvoirs du juge de la mise en état, mais vous savez que le JAF est juge de la mise en état et qu’il va avoir, comme le précise l’article 789-6°, applicable depuis le 1er janvier 2020, le pouvoir de statuer sur les fins de non-recevoir. Il n’y en a pas beaucoup dans les procédures de divorce et tant mieux, parce que le processus est un peu compliqué. Il faut bien lire l’article 789-6°du Code de procédure civile. Lorsque la fin de non-recevoir suppose que soit tranchée au préalable une question de fond dont dépend cette fin de non-recevoir, si l’affaire ne peut pas être jugée à juge unique ou si elle n’est pas attribuée à un juge unique (l’affaire ne peut être statuée à juge unique en matière d’état des personnes et dans les matières disciplinaires), les parties peuvent alors demander au juge de la mise en état de renvoyer l’examen de la question de fond et de la fin de non-recevoir devant la formation collégiale ou du moins devant le juge du fond. Ce juge du fond tranchera la question de fond et la fin de non-recevoir. Dans tous les cas, que ce soit le juge de la mise en état qui statue sur une fin de non-recevoir ou le juge du fond qui statue sur la fin de non-recevoir ou encore le juge de la mise en état qui statue par ordonnance sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir parce qu’il n’y a pas eu de renvoi, la décision a autorité de chose jugée au principal et peut faire l’objet d’une voie de recours, d’un appel. C’est prévu par les textes, comme lorsqu’il statue sur une exception de procédure. Ajoutons que le juge de la mise en état (CPC, art. 785) peut aussi désigner un médiateur (art. 131-1 auquel l’art. 785 fait un renvoi).

Un petit focus sur les procédures sans audience (COJ, art. L. 212-5-1) : si les parties ont donné leur accord pour que la procédure se déroule sans audience, en ce cas le juge de la mise en état prononce la clôture et fixe une date pour le dépôt des dossiers. Ce dispositif résulte des nouveaux articles 778 et 799 du Code de procédure civile : le juge aura alors la faculté (il y aura un dépôt de dossier, pas d’audience), pendant le délibéré (CPC, art. 806), d’ordonner une réouverture des débats à la demande d’une partie ou si le tribunal ou le juge l’estime nécessaire. Il le fera s’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites et qu’un débat contradictoire s’impose.

VIII. Un petit focus sur la procédure accélérée au fond (PAF)

Beaucoup de questions se posent face à cette nouvelle procédure. Je vais les limiter, parce que le décret PAF n° 2019-1419 du 20 décembre 2017, que tout le monde a lu, établit une nouvelle procédure (CPC, art. 481-1) qui ressemble à du référé, mais qui n’est pas du référé, puisque toutes les procédures empruntant auparavant la forme du référé ont été supprimées et remplacées par une diversité de procédures – soit la PAF, soit une autre procédure qui est une procédure « accélérée » au fond, mais qui n’est pas la PAF. Vous avez tout compris. Dans certains cas, cette procédure qui ressemble à un référé n’était pas adaptée, n’était pas nécessaire. On a pu trouver d’autres modalités de procédure rapide au fond – pour ne pas utiliser le terme « accélérée ». C’est bien le cas de l’article 1137 du Code de procédure civile qui précisait que le juge aux affaires familiales statuait en la forme des référés. Cela n’était pas très cohérent, parce que certains confondaient avec le référé alors qu’en vérité, c’était une procédure au fond qui avait pour seule vertu d’être assez rapide et jugée devant un juge unique, mais la décision était un jugement au fond qui n’avait rien à voir avec une ordonnance de référé. Donc le législateur s’est dit qu’il n’allait pas instaurer de procédure PAF, c’est-à-dire la procédure nouvelle (CPC, art. 481-1) devant le JAF. C’est donc une autre procédure originale, que vous allez lire et étudier, qui a été prévue. Mais je vous alerte sur le fait que l’article 1137 n’est pas une procédure PAF, c’est-à-dire qu’on n’applique pas l’article 481-1 du Code de procédure civile ; on applique la procédure propre au JAF.

Certes, le JAF peut statuer en PAF, mais c’est exceptionnel. Je vous renvoie à l’article 1210-6 du Code de procédure civile, que je vais lire : « La demande aux fins d’obtenir le retour de l’enfant, en application de la convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, est formée, instruite et jugée selon la procédure accélérée au fond ». Dans le cas de l’article 1206, on revient bien à l’article 481-1. C’est expressément stipulé. Mais en dehors des cas dans lesquels c’est expressément stipulé, il faut se contenter de suivre la procédure qui est indiquée dans les textes relatifs à la procédure JAF.

IX. L’exécution de droit à titre provisoire

Je voudrais faire un focus sur l’exécution de droit à titre provisoire. Un nouveau principe est posé à l’article 514 du Code de procédure civile, qui est l’exécution de droit immédiate de tous les jugements en première instance, sans que le juge ait besoin de l’ordonner. Mais il y a bien sûr de nombreuses exceptions, particulièrement en matière d’état des personnes. En matière d’exception, pour le contentieux familial, il faut se référer à l’article 1074-1 du Code de procédure civile, qui précise : « À moins qu’il n’en soit disposé autrement, les décisions du juge aux affaires familiales qui mettent fin à l’instance ne sont pas, de droit, exécutoires à titre provisoire ». On constate que les décisions du JAF n’entrent pas dans le principe de l’exécution de droit, mais qu’il peut y avoir des exceptions… Il faut donc lire les nouveaux textes avec une grande précision et attention… Les avocats de la famille sont particulièrement agiles intellectuellement, ils ont l’habitude des réformes, ils savent lire les textes. Je n’ai aucun souci, je le sais par expérience.

Je vais revenir sur les exceptions pour le JAF. Dans certains cas, même si le principe est que les décisions du JAF ne sont pas exécutoires de droit à titre provisoire, il y a des décisions qui le sont. L’article 1074-1 du Code de procédure civile précise : « Par exception, les mesures portant sur l’exercice de l’autorité parentale, la pension alimentaire, la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant et la contribution aux charges du mariage, ainsi que toutes les mesures prises en application de l’article 255 du Code civil, sont exécutoires de droit à titre provisoire » : cette exécution immédiate de droit est bien entendu nécessaire dans ces cas ! Pour la prestation compensatoire en revanche – qui n’est pas assortie de l’exécution provisoire de droit, l’article 1079 que vous connaissez dispose : « La prestation compensatoire ne peut être assortie de l’exécution provisoire. Toutefois, elle peut l’être en tout ou partie, lorsque l’absence d’exécution aurait des conséquences manifestement excessives pour le créancier en cas de recours sur la prestation compensatoire alors que le prononcé du divorce a acquis force de chose jugée ». Vous connaissez bien le système de l’exécution provisoire facultative de la prestation compensatoire.

Lorsqu’on est dans le cadre d’une exécution provisoire de droit, il faut prêter attention aux modalités prévues en cas d’appel pour demander l’arrêt de l’exécution provisoire de droit. Il faut anticiper. Vous le savez, on fait appel de la décision qui est exécutoire de droit à titre provisoire ; on imagine qu’on est dans ce cadre-là. On saisit le premier président de la cour d’appel pour lui demander d’arrêter cette exécution de droit (CPC, art. 514-3). Dans ce cas, on doit motiver cette demande d’arrêt 1°) par des moyens sérieux d’appel ; 2°) des conséquences manifestement excessives. Mais attention – je reviens en amont : devant le juge qui prononce une décision avec exécution de droit, il faut déjà faire des observations et lui demander d’écarter l’exécution de droit de sa décision. On va lui demander de l’écarter si cette exécution est incompatible avec la nature de l’affaire, ce qui veut dire qu’il faut déjà réfléchir à la situation de son client pour essayer de démontrer qu’en l’espèce, les circonstances sont telles qu’il est incompatible avec la nature de l’affaire d’appliquer l’exécution provisoire de droit. Si l’on n’a pas fait ses observations et qu’on fait appel, alors en appel, l’on ne pourra invoquer les conséquences manifestement excessives pour son client de cette exécution de droit que si ces conséquences sont apparues postérieurement à la décision, et l’on ne pourra pas se référer à la situation de son client existante au moment de la première instance. De manière tout à fait impérative, il faut réfléchir à l’exécution provisoire de droit quand elle est appliquée, et faire des observations devant le juge – même si le juge écarte la demande. Si on a fait des observations même si la demande est écartée, on pourra éventuellement se fonder sur les conséquences manifestement excessives sans limites en appel pour demander l’arrêt de l’exécution provisoire de droit.

Voilà pour ces points d’alerte. Quand on est demandeur, on ne va pas le faire dans l’assignation – même si elle vaut conclusions, mais attention à la demande reconventionnelle du défendeur, qui elle aussi pourrait être exécutoire de droit. Dans ce cas, on doit formaliser dans les conclusions en réponse des observations sur l‘exécution de droit à titre provisoire.

Pour conclure, il faut signaler que le CNB a mis à votre disposition sur le site des modèles intelligents, au sens de l’intelligence artificielle – interactifs, avec des commentaires qui vous alertent sur tous ces points et vous incitent à adapter vos pratiques professionnelles depuis le 1er janvier 2020 à toutes ces réformes qui sont déjà en application. Donc je ne peux que vous conseiller très vivement de vous connecter tout de suite sur le site du CNB ! Un travail d’appui aux réformes très important a été fait. Je vous remercie pour votre attention.

François Chénedé

Réaliser une revue d’actualité du droit de la famille pour l’année 2019 – même limitée au droit extrapatrimonial – en une demi-heure est une gageure. Une gageure qu’il est impossible de soutenir, ce qui oblige à opérer un tri. Dans le cadre de cette brève intervention, je me contenterai donc de vous présenter l’actualité la plus brûlante, mais également la plus signifiante pour le droit de la famille. Elle touche, vous le savez, au droit de la filiation. Cette actualité est d’abord législative, avec l’ouverture en cours de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes (I). Elle est également jurisprudentielle, avec l’établissement désormais automatique de la filiation des enfants nés de gestation pour autrui (GPA) réalisées à l’étranger (II).

I. La filiation des enfants nés de PMA

Quant à la filiation des enfants nés de PMA, si l’actualité est essentiellement législative, l’actualité jurisprudentielle mérite également d’être évoquée dans un premier temps, tant elle éclaire le texte actuellement en discussion au Parlement.

A. Actualité jurisprudentielle

La PMA n’étant pas encore ouverte aux couples de femmes en France, les juges ont à connaître du sort des enfants nés de PMA réalisées à l’étranger. Si la filiation de l’enfant à l’égard de la femme qui accouche ne pose aucune difficulté, il en va différemment de son établissement à l’égard de sa compagne.

En 2017, on se souvient que la Cour de cassation a sensiblement simplifié la vie de ces couples, en acceptant l’établissement d’un lien de filiation entre l’enfant et la compagne par la voie de l’adoption. S’il s’agissait d’une avancée importante, cette évolution fut toutefois jugée insuffisante, en raison des contraintes propres à la procédure d’adoption. Au-delà de l’exigence du mariage, on mettait notamment en avant le risque d’une éventuelle séparation du couple, ou encore du décès de la mère avant l’issue de la procédure d’adoption.

À défaut d’adoption, en cas de séparation, il est vrai que la compagne en est réduite à invoquer l’article 371-4 du Code civil, qui prévoit la possibilité pour le juge d’ordonner le maintien de relations avec des proches de l’enfant, dont la compagne fait assurément partie. L’actualité jurisprudentielle a toutefois encore montré qu’il n’était guère évident d’obtenir du juge une telle décision. Dans deux arrêts du même jour (Cass. 1re civ., 26 juin 2019, n° 18-17767 et Cass. 1re civ., 26 juin 2019, n° 18-18548), la première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi approuvé les juges du fond d’avoir estimé qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant, au regard du conflit existant entre les deux ex-compagnes, d’ordonner le maintien des relations avec ce proche qu’est la compagne.

Ce type de décisions a conduit certains plaideurs à solliciter le renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), en affirmant que le principe d’égalité et le principe du droit au respect de la vie privée et familiale devraient, non pas autoriser, mais imposer le maintien des relations de l’enfant avec la compagne. Le Conseil constitutionnel n’aura toutefois pas l’occasion de se prononcer sur cette question, car la Cour de cassation l’a jugée insuffisamment sérieuse pour être renvoyée à son examen (Cass. 1re civ., 6 nov. 2019, n° 19-15198). Selon la première chambre civile, la possibilité offerte au juge de maintenir la relation de l’enfant avec le proche qu’est la compagne suffit à assurer le respect des intérêts des uns et des autres.

Dans l’attente de l’adoption de la loi actuellement en discussion au Parlement, un arrêt extrêmement important du 18 décembre dernier offre toutefois de nouvelles perspectives aux couples de femmes qui ont recours à une PMA à l’étranger (Cass. 1re civ., 18 déc. 2019, n° 18-14751).

Dans cette affaire, la PMA avait été réalisée au Royaume-Uni. L’acte d’état civil établi par les autorités locales indiquait comme parents de l’enfant les deux femmes : la mère qui avait accouché, mais également sa compagne qui avait participé au projet parental. De retour en France, ce couple a sollicité la transcription intégrale de cet acte d’état civil, ce que les juges du fond ont refusé en application de la jurisprudence précitée de la Cour de cassation, qui imposait alors la voie de l’adoption.

Après avoir sursis à statuer dans l’attente d’un avis de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) – que j’évoquerai plus tard, car il concerne au premier chef la GPA –, la Cour de cassation a décidé d’opérer un revirement de jurisprudence, en admettant l’établissement automatique du double lien de filiation par le biais de la transcription intégrale des actes d’état civil.

On peut imaginer que ce changement de cap, que la première chambre civile a également opéré pour les enfants nés de GPA (infra), a été en partie guidé par l’ouverture à venir de la PMA à toutes les femmes, sur laquelle il convient maintenant de s’arrêter un instant.

B. Actualité législative

Deux questions distinctes, au cœur du projet de loi actuellement en discussion, doivent être distinguées. La question politique : faut-il ouvrir la PMA à toutes les femmes ? Elle semble aujourd’hui définitivement tranchée en faveur de la positive. La question technique, la seule qui nous intéresse : comment établir la filiation de l’enfant à l’égard de ces deux mères ?

Deux modalités principales d’établissement de la filiation ont été envisagées.

La première voie, classique, est celle de l’adoption. La filiation de l’enfant à l’égard de la mère qui accouche serait établie, comme aujourd’hui, par l’établissement de l’acte de naissance, tandis qu’elle serait établie à l’égard de sa compagne par la voie différée de l’adoption. On retrouve ici la voie ouverte en 2017 par la Cour de cassation en cas de PMA réalisée à l’étranger. Cette solution a fait l’objet de diverses critiques. En plus des inconvénients déjà mentionnés (v. supra), certains ont soutenu que cette voie conduirait à créer une inégalité injustifiée entre les deux femmes : alors que l’une verrait sa filiation établie automatiquement à la naissance de l’enfant, l’autre se verrait imposer la procédure de l’adoption.

Une seconde voie, originale, a donc été imaginée : la déclaration commune anticipée. Il s’agit d’un processus en deux temps. Au moment du consentement donné à la PMA, le couple de femmes établit une déclaration conjointe par laquelle elles s’engagent par avance à devenir les parents de cet enfant. Puis, au moment de la naissance de l’enfant, chacune d’elles peut remettre cette déclaration à l’officier d’état civil afin d’établir la filiation de l’enfant à l’égard des deux membres du couple.

Requalifié en « reconnaissance conjointe anticipée », ce second mode d’établissement a été privilégié par le gouvernement, puis par l’Assemblée nationale en première lecture, au double motif, qu’il sécurise la filiation des enfants, en évitant les inconvénients de la procédure d’adoption, et qu’il assure une parfaite égalité entre les parents, en permettant un établissement concomitant de la filiation.

Le Sénat vient toutefois de revenir sur cette solution, en privilégiant quant à lui la voie de l’adoption, tout en prévoyant son aménagement, notamment en prévoyant que le consentement à l’adoption pourrait être donné dès le consentement à la PMA.

Dans l’attente des prochains épisodes de la navette parlementaire, on peut d’ores et déjà imaginer que les députés et le gouvernement reviendront sur le choix opéré par les sénateurs, et parviendront in fine à imposer la nouvelle déclaration ou reconnaissance conjointe anticipée.

Une dernière question demeure toutefois en suspens : cette déclaration commune anticipée doit-elle être étendue aux couples hétérosexuels qui ont recours à une PMA avec tiers donneur ? Aujourd’hui, on sait que la filiation de l’enfant s’établit à leur égard via le droit commun de la filiation : acte de naissance pour la mère ; présomption de paternité ou reconnaissance pour le père. Certains militent aujourd’hui pour l’abandon de ce système et l’adoption de la déclaration commune anticipée en cas de PMA avec tiers donneur, et ce que le couple soit homosexuel ou hétérosexuel.

Suivant l’avis du Conseil d’État, le gouvernement a écarté cette solution, au motif qu’elle priverait les parents hétérosexuels de leur liberté de révéler à leur enfant, au moment qu’ils jugent opportun, les conditions de sa conception. Sans nier l’importance de cette considération, on peut néanmoins s’interroger sur la cohérence du choix opéré par le gouvernement, qui, après avoir favorisé l’accès aux origines de l’enfant (en prévoyant l’abandon du principe d’anonymat du tiers donneur), offre aux parents le moyen d’y faire obstacle en faisant « comme si » la PMA et le don n’avaient pas eu lieu. Nul doute que cette discussion sera rouverte en seconde lecture à l’Assemblée nationale.

II. La filiation des enfants nés de GPA

Quant à la filiation des enfants nés de gestation pour autrui, l’actualité est là encore abondante et brûlante. Vous connaissez le contexte de ce contentieux. Alors que la GPA est interdite en droit français (C. civ., art. 16-7), certains de nos compatriotes n’hésitent pas à y recourir à l’étranger, avant de revenir sur le territoire national et de demander l’établissement de la filiation de l’enfant à leur égard. La jurisprudence la plus récente de la Cour de cassation amène d’ailleurs à se demander s’il est même nécessaire de quitter le territoire national pour arriver à ses fins. Envisageons donc successivement les GPA réalisées à l’étranger et celles réalisées en France.

A. GPA réalisées à l’étranger

Par deux arrêts du même jour, le 18 décembre dernier, la Cour de cassation a entériné un changement de cap complet, qui s’est opéré par étapes depuis la condamnation de l’État français par la Cour européenne des droits de l’Homme en 2014. Pour percevoir la portée de ces arrêts, il est utile d’avoir en tête les différentes étapes de cette désactivation judiciaire de l’interdit législatif de l’article 16-7 du Code civil.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a refusé d’établir la filiation des enfants, non seulement à l’égard du « parent d’intention » en 2011 (la mère qui n’a pas accouché pour un couple hétérosexuel, ou le compagnon du père biologique pour un couple homosexuel), mais également à l’égard du parent biologique en 2013.

C’est cette dernière solution, et elle seule, qui avait amené la CEDH a condamné la France dans ses arrêts Mennesson (CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11) et Labassée (CEDH, 26 juin 2014, n° 65941/11).

En 2015, réunie en assemblée plénière, la Cour de cassation a fait le choix de se soumettre à l’appréciation de la CEDH, en admettant l’établissement de la filiation des enfants à l’égard du seul parent biologique.

Mais, en 2017, la première chambre civile de la Cour de cassation alla plus loin encore, en admettant son établissement à l’égard du parent d’intention par la voie différée de l’adoption.

Cette nouvelle étape n’en fut pas moins jugée insuffisante par certains couples, qui souhaitaient que ce second lien de filiation soit lui aussi établi automatiquement par la simple transcription des jugements ou des actes d’état civil étrangers.

Saisie de cette demande, la Cour de cassation sollicita l’avis de la CEDH, en lui demandant si sa jurisprudence – c’est-à-dire l’admission de l’établissement de la filiation à l’égard du parent d’intention par la voie de l’adoption et non de la transcription – était conforme à l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme.

Rendu le 10 avril 2019, l’avis de la CEDH était ambigu (CEDH, avis, 10 avr. 2019, n° 16-2018-001). Après avoir affirmé, pour la première fois, et à la suite de la Cour de cassation qui avait anticipé ses désirs, que le droit au respect de la vie privée et familiale imposait l’établissement de la filiation des enfants à l’égard du parent d’intention, elle précisa que les modalités de cet établissement (adoption et non transcription) relevaient de la marge d’appréciation nationale… tout en s’empressant d’ajouter que la voie de l’adoption n’était pas sans inconvénients (nécessité du mariage, risque de séparation, de décès, etc.) et que la Cour pourrait donc être amenée à condamner à nouveau la France dans les affaires qu’elle aurait à connaître à l’avenir. C’est dire, qu’après avoir félicité la Cour de cassation d’être allée au-delà de ses propres exigences, la CEDH n’a pas craint de lui demander d’aller plus loin encore sous peine de se voir adresser de nouvelles réprimandes… La démarche peut sembler ne pas manquer d’audace, mais, après tout, n’est-il pas naturel d’en demander toujours plus à ses meilleurs élèves ?

Le message a été parfaitement entendu par la Cour de cassation, et plus encore.

Dans un premier arrêt (Cass. ass. plén., 4 oct. 2019, n° 10-19053), qui constitue l’épilogue de l’Affaire Mennesson, la Cour de cassation commença par rappeler sa position de 2017 : l’établissement de la filiation à l’égard du parent d’intention est possible, mais en passant par la voie différée de l’adoption. Toutefois, au regard des faits de l’espèce, et notamment de la durée particulièrement longue de la procédure, les hauts magistrats ont considéré que la filiation des enfants à l’égard de la mère d’intention pouvait être ici exceptionnellement établie par la voie directe de la transcription.

Mais, après avoir été présentée, 2 mois plus tôt, comme une solution d’espèce, commandée par les circonstances particulières de l’affaire, la solution adoptée par l’Assemblée plénière a depuis été érigée en principe par la première chambre civile le 18 décembre dernier.

Pourtant, deux décisions rendues par la CEDH quelques jours plus tôt avaient clairement indiqué à la Cour de cassation qu’elle n’était nullement tenue de franchir ce dernier pas. Les juges strasbourgeois avaient ainsi clairement affirmé que : « ce n’est pas imposer aux enfants concernés un fardeau excessif que d’attendre des requérants qui ont recours à la gestation pour autrui à l’étranger, parce qu’elle est interdite sur le territoire français, qu’ils engagent maintenant une procédure d’adoption à cette fin » (CEDH, 12 déc. 2019, nos 1462/18 et 17348/18).

Décidément résolue à être plus royaliste que la reine, la première chambre civile n’a pas souhaité profiter de cette ultime concession strasbourgeoise, en étendant la solution qui avait été présentée comme exceptionnelle par l’assemblée plénière à tous les couples qui ont recours à la GPA : « Pour unifier le traitement des situations, il convient de faire évoluer la jurisprudence et d’admettre la possibilité de la transcription de l’acte d’état civil, tant à l’égard du parent biologique qu’à l’égard du parent d’intention » (Cass. 1re civ., 18 déc. 2019, n° 18-12327 et Cass. 1re civ., 18 déc. 2019, n° 18-11815).

Nous sommes donc passés, entre 2011 et 2019, d’un refus absolu de l’établissement de la filiation au nom de l’interdit de l’article 16-7 du Code civil, à son admission automatique et totale au profit des deux membres du couple, au nom de l’intérêt de l’enfant. Certains ont présenté cette évolution « comme une victoire du droit sur la morale ». La situation est pourtant rigoureusement inverse : c’est la victoire de la morale sur le droit, la prévalence des désirs individuels contra legem sur les interdits législatifs adoptés au nom du bien commun, qu’illustre cette saga jurisprudentielle.

À la décharge de la Cour de cassation, il faut reconnaître qu’elle doit faire face au silence – et au manque de courage – des gouvernements successifs sur cette question. Le législateur pourrait toutefois être amené à sortir de sa réserve à l’occasion de la réforme de la bioéthique.

À l’Assemblée nationale, on se souvient qu’un député, M. Touraine, avait un temps réussi à faire adopter un amendement prévoyant l’établissement automatique de la filiation des enfants par la voie de la transcription. Sous la pression du gouvernement, un nouveau vote avait permis son retrait du projet de loi. Pour le justifier, la garde des Sceaux avait affirmé qu’il convenait de ne pas remettre en cause l’interdit de l’article 16-7, alors que la position à laquelle était arrivée la Cour de cassation en 2017 (admission de l’établissement de la filiation par la voie de l’adoption) était satisfaisante (notamment si l’on simplifie, comme le gouvernement le prévoit, la procédure d’adoption).

Telle est exactement la solution que les sénateurs ont proposé de consacrer dans le projet de loi. C’est peu dire que l’on attend maintenant avec impatience l’attitude à venir du gouvernement. Restera-t-il fidèle à la position adoptée à l’Assemblée nationale (maintien de l’exigence de l’adoption), ou proposera-t-il de suivre la position nouvelle de la Cour de cassation (possible établissement par transcription), en consacrant alors la solution préconisée par l’amendement de M. Touraine, qu’il jugeait, il y a quelques mois, incompatible avec l’interdit de la maternité pour autrui ?

À ce stade, une question ne manque pas de se poser : que reste-t-il de l’interdit de l’article 16-7 du Code civil, s’il suffit de se rendre à l’étranger pour recourir à une mère porteuse avant d’obtenir l’établissement automatique de la filiation de l’enfant à l’égard des deux parents ? Pratiquement rien… sauf à observer qu’il interdit toujours le recours à la GPA en France. Mais en est-on certain ? Un arrêt récent de la Cour de cassation permet d’en douter (Cass. 1re civ., 12 sept. 2019, n° 18-20472).

B. Les GPA réalisées en France

Dans cette affaire, une mère porteuse avait proposé ses services rémunérés (15 000 €) à un couple d’hommes qui voulaient avoir un enfant. Après avoir été inséminée avec le sperme de l’un des membres du couple, elle s’est finalement ravisée et a remis l’enfant, pour le même prix, à un couple marié rencontré sur internet, qui s’était vu refuser quelques temps auparavant l’agrément à l’adoption.

Cette affaire fut d’abord jugée au pénal. Les peines prononcées à l’encontre des différents protagonistes méritent d’être citées : la mère porteuse écopa d’une peine d’1 an de prison avec sursis, tandis que les deux couples furent quant à eux condamnés à une amende de 2 000 €… toujours avec sursis ! Lorsque l’on se souvient qu’ils avaient accepté de payer la mère (ou l’enfant) 15 000 €, ce type de sanctions a tout de même de quoi laisser songeur…

Au civil, il s’agissait de se prononcer sur la filiation de l’enfant. À l’ouverture du procès, celui-ci avait pour mère la mère porteuse, désignée dans l’acte d’état de naissance, et pour père le mari qui avait reconnu l’enfant par la suite recueilli. Le père biologique sollicita l’annulation de cette reconnaissance mensongère et l’établissement de la filiation de l’enfant à son égard. Le TGI de Dieppe fit droit à sa demande, en ordonnant que l’enfant lui soit remis. Toutefois, faute d’exécution provisoire, l’enfant demeura chez le second couple dans l’attente de l’arrêt d’appel. Or, la cour d’appel de Rouen infirma la décision de première instance, en refusant de remettre en cause la filiation paternelle de l’enfant. Cette solution a été approuvée par la Cour de cassation, qui estime que la demande du père biologique est irrecevable, d’une part, car elle vise à reconnaître les effets d’une violation de l’interdit de l’article 16-7, et, d’autre part, parce qu’elle va à l’encontre de l’intérêt de l’enfant, qui était accueilli, dans de bonnes conditions, par le second couple acheteur.

Véritable ratio decidendi de la décision, cette considération invite à ne pas se méprendre sur sa portée. Il ne faudrait pas en conclure, en effet, que la filiation d’un enfant né d’une GPA réalisée en France ne pourra jamais être établie à l’égard de son père biologique. Tout laisse au contraire à penser que la position de la Cour de cassation aurait été différente si l’enfant n’avait pas été préalablement accueilli par le second couple. Dans ce cas, conformément à la position adoptée par la Cour de cassation depuis la condamnation européenne de 2014, l’intérêt de l’enfant aurait sans doute également commandé l’établissement de la filiation de l’enfant à l’égard du père biologique, comme il pourrait également commander demain son établissement à l’égard du parent d’intention. Car enfin, comment imaginer pouvoir accorder un sort distinct aux enfants selon que leurs parents aient violé l’interdit de la gestation pour autrui à l’étranger ou en France ? N’a-t-on pas affirmé sans relâche, pour justifier l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, que les enfants n’étaient pas responsables des fautes de leurs parents ?

Alors reposons-nous une dernière fois cette question, sans même avoir besoin d’y répondre : que reste-t-il de l’interdit de l’article 16-7 du Code civil ?

Issu de Gazette du Palais – n°hors-serie 2 – page 19

Date de parution : 14/04/2020

Id : GPL377f5

Réf : Gaz. Pal. 14 avril 2020, n° 377f5, p. 19

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