GPA et filiation du parent d’intention : derniers rebondissements

Publié le 22/11/2024
GPA et filiation du parent d’intention : derniers rebondissements
Yakobchuk Olena/AdobeStock

Le vent jurisprudentiel semble tourner en faveur des personnes ayant recours à une gestation pour autrui (GPA) à l’étranger. En premier lieu, par deux arrêts du 2 octobre 2024 promis au Bulletin et au rapport, la Cour de cassation a déterminé les éléments qui doivent figurer dans une décision étrangère constatant la filiation d’un enfant né par GPA conformément au droit local, pour admettre qu’une telle décision produise des effets en France. Elle fixe ainsi des garanties pour s’assurer de l’éthique du processus. Lorsque la décision permet de vérifier ces éléments, elle peut être revêtue de l’exequatur, ce qui conduit à reconnaître en France la filiation ainsi établie. Jusqu’alors, le contentieux était confiné à la transcription de l’acte d’état civil établi à l’étranger, laquelle se heurtait à l’exigence de réalité biologique exigée par l’article 47 du Code civil. C’est la première fois que la Cour de cassation se positionne sur la reconnaissance et les effets d’un jugement étranger de filiation par GPA. En second lieu, un arrêt du 14 novembre 2024, lui aussi promis au rapport de la Cour de cassation règle la question de la conformité à l’ordre public d’un jugement canadien qui établit la filiation d’un enfant à l’égard d’une femme qui a eu recours à une mère porteuse avec les gamètes de deux tiers donneurs.

Cass. 1re civ., 2 oct. 2024, no 22-20.883

Cass. 1re civ., 2 oct. 2024, no 23-50.002

Cass. 1re civ., 14 nov. 2024, no 23-50.016

Les deux arrêts de la Cour de cassation rendus le 2 octobre 2024 vont sans nul doute susciter de nombreux commentaires car ils marquent un nouveau tournant dans l’évolution du contentieux de la reconnaissance en France de la filiation établie à l’étranger à l’égard d’un enfant né par suite d’une convention de GPA. Quant à l’arrêt du 14 novembre 2024, il confirme et complète opportunément la jurisprudence de la haute juridiction et devrait mettre un terme aux doutes relatifs à la conformité d’un jugement de filiation à la suite d’une GPA avec l’ordre public international français.

Est-il utile de rappeler que le principe de la gestation pour autrui est totalement interdit en France ? Cette prohibition d’ordre public résultant de la loi du 29 juillet 19941 qui a institué l’article 16-7 du Code civil, lequel précise que « toute convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui est nulle », a conduit les couples qui ne peuvent pas procréer (couples infertiles ou couples homosexuels) à se rendre dans des États dans lesquels la GPA est admise et plus ou moins encadrée.

Naturellement, cela entraîne un abondant contentieux souvent très médiatisé lorsque, de retour en France, les parents souhaitent voir leur filiation reconnue à l’égard de l’enfant.

Dans un premier temps, la jurisprudence s’y est fermement opposée, qu’il s’agisse de reconnaître un jugement rendu à l’étranger établissant la filiation d’un enfant à la suite d’une naissance par GPA2 ou de la transcription d’un acte de naissance étranger établissant une telle filiation3. Les justifications alors avancées peuvent être résumées de la façon suivante : il est impossible de reconnaître un état de filiation qui est l’aboutissement en fraude à la loi française d’un processus comportant une convention de GPA contraire à l’ordre public. La Cour européenne des droits de l’Homme avait condamné une telle position au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant consacré à l’article 3, paragraphe 1, de la convention de New York et le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme4.

Cette condamnation a infléchi la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans deux arrêts d’assemblée plénière rendus le 3 juillet 2015 celle-ci a d’abord admis la transcription de l’acte d’état civil étranger à la condition qu’il reflète une réalité biologique en se fondant sur l’article 47 du Code civil qui énonce les conditions de reconnaissance des actes d’état civil établis à l’étranger. Cela conduisait en définitive à ne reconnaître que la filiation à l’égard du parent biologique5. Le sort du parent d’intention fût réglé deux ans plus tard lorsque la Cour de cassation tout en approuvant le refus de transcription de la filiation à son égard, consacra la possibilité pour le parent d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint6.

Un nouveau rebondissement a suivi sous l’impulsion d’un avis de la CEDH rendu dans l’affaire Mennesson le 10 avril 20197. Celle-ci avait seulement considéré que « le droit au respect de la vie privée d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention ». Toutefois, elle avait laissé une entière marge de manœuvre quant aux modalités permettant la reconnaissance du lien de filiation avec le parent d’intention (§ 51 de l’arrêt). Elle avait même visé l’adoption sous réserve de « l’effectivité et la célérité » de sa mise en œuvre afin que l’incertitude juridique ne perdure pas.

Dans un arrêt du 4 octobre 2019, l’assemblée plénière de la Cour de cassation suivant l’avis de la CEDH, jugea, eu égard aux circonstances de l’espèce et la durée de la procédure, qu’il fallait transcrire l’acte de naissance établi aux États-Unis et mentionnant la mère d’intention comme parent légal8. Cet arrêt fut le premier d’une série9 et la cause semblait entendue : la Cour de cassation avait abandonné le critère de coïncidence entre les énonciations de l’acte et la réalité biologique en se contentant de la réalité relatée selon le droit local. Mais le législateur a mis un coup d’arrêt à cette évolution, la loi bioéthique du 2 août 2021 ayant modifié l’article 47 du Code civil de telle sorte que si ce dernier rappelle qu’un acte d’état civil étranger fait foi sauf s’il est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité, il ajoute que cette réalité est appréciée au regard de la loi française. Or, la mère est la femme qui accouche, la mère d’intention ne peut avoir cette qualité. Il en résulte aussi que, dans les couples d’hommes, le père d’intention ne peut pas être le second père biologique de l’enfant10. Cette réforme législative se traduit donc par un retour en arrière. On sacrifie de nouveau la filiation de celui qui n’est pas géniteur ou de celle qui n’a pas accouché pour la rétablir par le biais d’une procédure en adoption conformément à la loi française, comme le préconisait la Cour de cassation dans ces arrêts de 2017 précités.

Ainsi, les parents qui disposent d’un jugement émanant des juridictions de l’État de naissance de l’enfant et qui tranche la question de la filiation peuvent tenter de solliciter l’exequatur d’un tel jugement en France. Mais deux questions d’importance se posent alors : sous quelles conditions le jugement sera-t-il considéré comme digne d’exequatur et quels seront les effets de ce jugement si l’exequatur est accordé ?

Ce sont les deux questions auxquelles la Cour de cassation a répondu dans ses deux arrêts du 2 octobre 2024 et dans son arrêt du 14 novembre 2024.

I – Les conditions de l’exequatur d’un jugement étranger établissant la filiation d’un enfant né par GPA

La première affaire posait la question du contrôle du juge de l’exequatur face à un jugement étranger établissant un double lien de filiation à l’égard des parents d’intention. En l’espèce, un couple d’hommes résidant en France avait recouru à une GPA au Canada. Un juge canadien ayant déclaré les deux hommes pères légaux de l’enfant, ceux-ci ont sollicité l’exequatur du jugement en France. Néanmoins, la cour d’appel a refusé sur le fondement de l’ordre public international français de procédure, jugeant la décision insuffisamment motivée.

Saisie du pourvoi des deux hommes, la Cour de cassation rappelle que les jugements relatifs à l’état des personnes sont reconnus de plein droit. Néanmoins, leur régularité internationale est contrôlée lorsque celle-ci est contestée ou lorsque les parties sollicitent le juge pour la constater. Et c’est justement parce que la régularité d’un jugement statuant sur l’état d’une personne peut être remise en cause, notamment à l’occasion d’une demande de transcription sur les registres d’état civil que les intéressés ont tout intérêt à prendre les devants et à en solliciter l’exequatur !

Les conditions d’exequatur ont été posées par la jurisprudence. Celles-ci initialement au nombre de 5 ont été réduites à 3 par suite de l’arrêt Cornelissen11.

Il en résulte qu’avant d’accorder l’exequatur, le juge doit vérifier que :

• le juge étranger était compétent, c’est-à-dire que la question tranchée se rattache de manière caractérisée à l’état dont le juge a été saisi12 ;

• la décision ne révèle pas de fraude, c’est-à-dire que les parties n’ont pas manipulé une règle de rattachement de droit international privé pour obtenir une décision en leur faveur ;

• la décision ne heurte pas l’ordre public international français, étant précisé que celui-ci s’apprécie quant au fond mais également à la procédure.

Il semble que les deux premières conditions n’aient pas posé de difficulté et que le contentieux se soit cristallisé sur l’ordre public de procédure.

À cet égard, on rappellera que le juge de l’exequatur est sensible à la motivation de la décision étrangère. Effectivement l’exigence de motivation est une des garanties d’un procès équitable au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’Homme13. Néanmoins, la Cour de cassation admet qu’une motivation défaillante puisse être complétée par d’autres documents extrinsèques14. En définitive, il faut que le juge de l’exequatur soit en mesure de vérifier la régularité du jugement étranger.

En l’espèce, le jugement canadien ne mentionnait pas la qualité des parties à la GPA et ne précisait pas si la mère de substitution et son conjoint renonçaient à leurs droits parentaux. Malgré la demande des juges du fond, les requérants n’avaient pas fourni d’autres pièces susceptibles de servir d’équivalent à l’absence de motivation. La cour d’appel a donc rejeté leur demande, ce qu’ils contestent dans leur pourvoi. D’une part, ils considèrent que le jugement canadien visait des articles de la loi sur la réforme du droit des enfants, ce qui représentait une motivation suffisante. D’autre part, ils estiment que, à supposer la décision canadienne irrégulière, il aurait fallu s’assurer que l’absence de reconnaissance fondée sur la violation de l’ordre public était proportionnée à l’atteinte au droit au respect de la vie privée de l’enfant qui résidait depuis plusieurs années avec ses deux pères, protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. À vrai dire, subsidiairement, le dilemme est celui de la proportionnalité entre l’interdit d’ordre public de la GPA et l’intérêt supérieur de l’enfant.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle n’exclut pas le principe de l’exequatur du jugement de filiation mais elle sanctionne le positionnement des requérants qui n’ont pas répondu à la demande de pièces complémentaires à raison d’une décision peu motivée. La Cour de cassation se saisit de l’occasion pour poser a minima une exigence de transparence de la motivation du juge étranger ou des documents à fournir pour que le juge de l’exequatur soit en mesure « d’identifier la qualité des personnes mentionnées qui ont participé au projet parental d’autrui et de s’assurer qu’il a été constaté que les parties à la convention de gestation pour autrui, en premier lieu la mère porteuse, ont consenti à cette convention, dans ses modalités comme dans ses effets sur leurs droits parentaux ».

En d’autres termes, le juge de l’exequatur se voit investi de la mission de s’assurer, indépendamment du juge étranger, du consentement des parties, et notamment de la mère porteuse, en toute connaissance de cause à la GPA. La Cour de cassation fonde cette exigence sur les « risques de vulnérabilité des parties à la convention de gestation pour autrui et [les] dangers inhérents à ces pratiques, et, d’autre part, [le] droit de l’enfant et de l’ensemble des personnes impliquées au respect de leur vie privée garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’intérêt supérieur de l’enfant, protégé par l’article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, constituant une considération primordiale ».

On pourrait croire ici à un retour du pouvoir de révision du juge de l’exequatur pourtant supprimé depuis l’arrêt Munzer, mais si révision il y a c’est afin de contrôler l’ordre public.

En l’espèce, la question de la conformité du jugement à l’ordre public de fond n’avait pas été posée directement. Ce problème a néanmoins été soumis à la Cour de cassation dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 14 novembre 2024.

Une femme seule s’était rendue au Canada pour y bénéficier d’une GPA.

La singularité de la situation résidait dans le fait que cette femme n’avait aucun lien biologique avec l’enfant, celui-ci ayant été conçu à partir des gamètes mâle et femelle de deux donneurs et mis au monde par une mère porteuse.

Par la suite, un jugement canadien l’a reconnue mère légale de l’enfant et elle en a sollicité l’exequatur en France.

Une cour d’appel a fait droit à cette demande et elle a considéré que le jugement canadien valait comme jugement d’adoption. S’agissant de la reconnaissance du jugement canadien, le procureur général s’est pourvu en cassation au motif que le jugement canadien était en contrariété avec l’ordre public international français.

La Cour de cassation devait donc répondre à la question de la conformité à l’ordre public de fond d’une décision étrangère établissant la filiation d’un nouveau-né à l’égard une personne qui s’est engagée seule dans un projet de parentalité par GPA et qui ne partage aucun lien biologique avec l’enfant.

La réponse de la Cour de cassation est édifiante. Elle commence par rappeler que l’ordre public international français comprend les droits reconnus par la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et notamment l’article 8 qui consacre le droit au respect de la vie privée. Il ne s’agit pas là d’une nouveauté. On note en effet depuis quelques années un renouvellement du concept d’ordre public international français confronté à la logique des droits fondamentaux. L’ordre public international français devient ainsi plus universaliste mais également plus individualiste puisqu’il s’agit de garantir des droits à un individu. Un auteur avait pu en conclure un renouvellement du contrôle du respect de l’ordre public qui intègre dans ce cas précis un contrôle de proportionnalité15. La haute juridiction cite ensuite la jurisprudence de la CEDH dans l’affaire Mennesson développée supra, pour retenir « qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du Code civil, ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant, faire obstacle à la reconnaissance en France des liens de filiation établis à l’étranger tant à l’égard du parent biologique qu’à l’égard du parent d’intention ». La Cour de cassation évoque ensuite son arrêt d’assemblée plénière rendu en application de l’avis de la CEDH16 et aurait pu s’arrêter là ; mais elle étoffe son argumentation par des illustrations en droit français de liens de filiation établis sans aucune réalité biologique comme la filiation adoptive ainsi que l’établissement de la filiation de la femme qui n’a pas accouché par le biais d’une reconnaissance conjointe anticipée permise par la loi bioéthique du 2 août 2021, laquelle admet une filiation reposant sur l’engagement personnel de deux femmes qui ont construit un projet parental commun, en dehors de toute vraisemblance biologique.La piqûre de rappel est faite : si le recours à la maternité de substitution est interdit en France, l’établissement d’une filiation à la suite d’une GPA réalisée dans un pays qui l’autorise n’est pas contraire à l’ordre public.Néanmoins, la Cour de cassation réitère les principes énoncés dans l’arrêt du 2 octobre 2024. Elle entend bien consacrer un contrôle soigné de la régularité du processus de recueil des consentements des parties impliquées dans la conception de l’enfant via la vérification de la motivation du jugement étranger dans le cadre du contrôle de l’ordre public de procédure.

Certes, la GPA est interdite en France, mais une situation a été créée à l’étranger et il convient maintenant de savoir à quelles conditions on va la laisser produire des effets en France.

Ces décisions constituent probablement un soulagement pour bon nombre de parents d’intention. On peut supposer que les jugements insuffisamment motivés seront utilement complétés par la production de la convention de gestation dont les stipulations pourraient permettre de s’assurer que le processus ne repose pas sur la contrainte. Au Canada, il n’est pas rare que le jugement soit accompagné d’un affidavit, c’est-à-dire une déclaration sur l’honneur émanant des parties. Il sera judicieux de le procurer au juge de l’exequatur.

Cela découragera les couples de recourir à une mère de substitution dans des États où la GPA n’est pas suffisamment encadrée.

Néanmoins, elle ne résout pas toutes les difficultés. Certes, elle permet de s’affranchir de l’article 47 du Code civil dont les dispositions concernent la force probante des actes d’état civil étrangers et non la régularité d’un jugement étranger mais dans tous les cas où les autorités du pays dans lequel a lieu la GPA ne délivrent qu’un acte de naissance sans aucune intervention judiciaire, les parents sont dans une impasse car, s’ils veulent obtenir la reconnaissance de leur filiation, ils n’ont d’autre voie que de passer par la transcription partielle sur les registres d’état civil français avec la possibilité pour le parent d’intention de procéder à l’adoption de l’enfant du conjoint ou du partenaire. À cet égard, aucune solution ne semble ouverte aux couples homosexuels qui n’auraient aucun lien génétique avec l’enfant… sauf à ce qu’ils disposent d’un jugement d’adoption étranger et qu’ils en sollicitent l’exequatur.

À l’avenir, les conseils seront bien avisés de diriger les couples souhaitant recourir à une maternité de substitution vers des États comme la Californie dans lequel, pendant la grossesse de la mère de substitution, les parents d’intention doivent saisir le juge pour obtenir un jugement prénatal (pre-birth judgment) établissant la filiation légale des parents d’intention et enjoignant aux services hospitaliers de mentionner directement les noms des parents légaux sur l’acte de naissance.

De fait, force est de constater que, par rapport à la transcription d’un acte d’état civil, l’exequatur d’un tel jugement offre plus de sécurité aux parents17. La transcription d’un acte d’état civil ne représente que la preuve de cet état tandis qu’en conférant autorité de chose jugée et force exécutoire au jugement étranger, l’ordonnance d’exequatur entraîne la reconnaissance d’un état.

C’est justement sur ce point que la Cour de cassation s’est positionnée dans le second arrêt.

II – Les effets de l’exequatur du jugement de filiation d’un enfant issu de GPA

Dans le deuxième arrêt du 2 octobre 2024, les conditions de l’exequatur n’étaient pas contestées. En effet, deux hommes ayant obtenu un jugement prénatal de la Cour supérieure de l’État de Californie qui les déclarait parents légaux d’un enfant à naître, ont saisi le tribunal judiciaire de Paris afin de voir prononcer l’exequatur de la décision américaine et de faire juger que celui-ci produirait les effets d’une adoption plénière. Manifestement, la régularité du jugement ne posait pas de difficulté.

La cour d’appel de Paris a effectivement accordé l’exequatur mais elle a fait produire au jugement californien les effets d’une adoption plénière. Ce que conteste le procureur général, auteur du pourvoi.

Il convient de noter que, depuis le début de l’année 2023, la cour d’appel de Paris a consacré à plusieurs reprises l’adoption plénière d’enfants issus de GPA par l’effet de l’exequatur de jugements de filiation prénatale18. Or, il semble que la Cour de cassation entende mettre fin à cette jurisprudence comme en témoigne la présente censure de la cour d’appel de Paris et la cassation le même jour de trois autres arrêts analogues rendus par cette même juridiction19.

Dans l’affaire sous commentaire, le procureur général avançait deux moyens.

Il brandissait, d’une part, le spectre de la révision prohibée. Effectivement, s’il est loisible au juge de l’exequatur de traduire une institution étrangère dans les catégories du for pour l’intégrer dans l’ordre juridique du for, il ne peut pas lui faire produire des effets qu’elle ne produit pas dans son État d’origine. Or en l’espèce, il ne s’agit pas de qualifier le jugement californien de jugement d’adoption mais de faire produire à un jugement californien de filiation les effets d’une adoption plénière française alors que le droit californien connaît par ailleurs l’institution de l’adoption, laquelle n’était absolument pas en cause en l’espèce.

D’autre part, dans un deuxième moyen, le demandeur au pourvoi exposait qu’en faisant produire au jugement californien les effets d’une adoption plénière, l’arrêt de la cour d’appel consacrait un contournement du droit français de l’adoption et du droit californien de l’adoption, lesquels prévoient des conditions bien différentes de celles requise pour l’exequatur et, partant, violait le principe de non-discrimination garanti par l’article 14 de la convention EDH. Ce deuxième moyen n’a pas été reproduit dans l’arrêt de la Cour de cassation, qui s’est concentrée sur les seuls effets de l’exequatur20.

Le fait est que le raisonnement adopté par la cour d’appel n’est pas sans rappeler la théorie de l’équivalence qui était appliquée lorsque le juge de l’exequatur devait s’assurer, en plus des conditions actuelles, de la compétence de la loi appliquée par le juge d’origine. Le tempérament de l’équivalence permettait alors de sauver le jugement étranger si l’on pouvait considérer que la loi appliquée à l’étranger conduisait à des résultats similaires à ceux qui auraient découlé de l’application de la loi compétente, selon notre propre système de droit international privé21. Encore qu’une telle analogie soit défectueuse car la loi applicable à la filiation étant celle de la mère, ici américaine, on n’aurait pas pu reprocher au juge californien d’avoir appliqué sa loi du for. Il est bien plus probable que la cour d’appel de Paris ait simplement considéré qu’il était logique de faire produire au jugement les effets d’une adoption car, en droit français, la seule possibilité pour deux hommes d’établir leur filiation envers un enfant est d’emprunter la voie de l’adoption.

Toujours est-il que le contrôle de la régularité de la décision n’était pas en cause, il était donc inutile de s’égarer sur la question de la révision. Un jugement revêtu de l’exequatur acquiert autorité de chose jugée et force exécutoire. S’agissant de l’autorité de chose jugée, le jugement étranger est donc pleinement opposable aux tiers et la question qu’il tranche ne peut plus faire l’objet d’une nouvelle décision judiciaire.

Il est donc tout à fait justifié de considérer que l’exequatur du jugement californien conduit à reconnaître la double filiation qu’il établit. Les parents pourront en obtenir la transcription complète sur les registres d’état civil français.

La Cour de cassation fait application de cette solution dans son arrêt du 14 novembre 2024. Elle juge que la décision canadienne n’est pas un jugement d’adoption et que le lien de filiation qu’elle établit doit être reconnu comme tel en France, dès lors que cette décision remplit les conditions pour obtenir l’exequatur.

Accessoirement, on peut noter que, ce faisant, la haute juridiction renonce à la biologisation de la filiation dans le cadre d’une GPA qui avait pu être critiquée22 à raison dans la mesure où tous les modes d’établissement de la filiation ne reposent pas sur la génétique. Ainsi, outre l’adoption, la possession d’état n’est pas subordonnée à une réalité biologique23.

Néanmoins, cette biologisation reste de mise dans le cadre de la seule demande directe de transcription d’un acte d’état civil eu égard aux conditions de l’article 47 du Code civil.

Il y a donc ici une différence de traitement que rien ne justifie.

On ne peut que relever l’ironie ou l’absurdité de la situation. La Cour de cassation l’a-t-elle notée dans son arrêt du 14 novembre lorsqu’elle mentionne l’innovation de la loi bioéthique qui, en élargissant l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes, conduit à consacrer des filiations dépourvues de réalité biologique ? De fait, c’est cette même loi bioéthique qui revendique la réalité biologique dans les conditions de reconnaissance d’un acte d’état civil étranger.

D’un autre côté la réalité biologique n’est-elle pas bouleversée par les progrès scientifiques ?

Certes, la transcription de la filiation sur les registres de l’état civil n’est pas indispensable. Elle ne sert que de preuve. L’enfant peut effectivement résider avec ses parents. Toutefois, les rapports avec les administrations françaises peuvent rapidement se révéler fort compliqués en l’absence d’acte d’état civil français.

Certes, la transcription de la filiation sur les registres de l’état civil n’est pas indispensable. Elle ne sert que de preuve. L’enfant peut effectivement résider avec ses parents. Toutefois, les rapports avec les administrations françaises peuvent rapidement se révéler fort compliqués en l’absence d’acte d’état civil français.

On notera que la conférence de la Haye travaille sur le sujet de la filiation et de la GPA. Un groupe de travail a été mandaté pour réfléchir à la faisabilité d’une coopération internationale en matière de GPA, notamment pour son encadrement. Il en est résulté une absence de consensus. Néanmoins, une piste continue d’être explorée : celle de l’élaboration de règles communes de reconnaissance des jugements étrangers de filiation à la suite d’une GPA. Le groupe d’experts se réunira à nouveau en novembre 202424.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 94-654, 29 juill. 1994, relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal : JORF, 30 juill. 1994.
  • 2.
    CA Paris, 26 févr. 2009, n° 07/18559, William A. et alii : LPA 15 juill. 2009, p. 18, note J. Massip.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 6 avr. 2011, nos 09-66486, 09-17130 et 10-19053 : Gaz. Pal. 26 mai 2011, n° I5894, p. 7, obs. B. Weiss-Gout – Cass. 1re civ., 13 sept. 2013, nos 12-30138 (1re esp/cassation) et 12-18315 (2e esp/rejet) : Defrénois 15 juin 2014, n° DEF116j7, P. Callé ; LPA 1er oct. 2013, p. 7, V. Legrand – Cass. 1re civ., 19 mars 2014, n° 13-50005.
  • 4.
    CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c/ France – CEDH, 26 juin 2014, n° 65941/11, Labassée c/France : D. 2014, p. 1376 et 1773, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; D. 2014, p. 1788, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; Dr. famille 2014, comm. 128, C. Neirinck ; JCP G 2014, p. 1486, note A. Gouttenoire.
  • 5.
    Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, nos 14-21323 et 15-50002 : LPA 17 juill. 2015, p. 9, G. Hilger ; LPA 6 août 2015, p. 6, V. Legrand.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, nos 15-28597, 16-16901et 16-50025, 16-16455 et 16-16495, Defrénois flash 24 juill. 2017, n° DFF141c5 ; LPA 16 août 2017, n° LPA128t4, note V. Legrand.
  • 7.
    C. Berlaud, « Réponse de la CEDH à la demande d’avis concernant la mère d’intention dans le cadre d’une GPA », GPL 23 avr. 2019, n° GPL351d5.
  • 8.
    Cass. ass. plén., 4 oct. 2019, n° 10-19053 : AJ fam. 2019, p. 592, obs. J. Houssier ; D. 2019, p. 1985, note G. Loiseau ; D. 2019, p. 2228, note H. Fulchiron et C. Bidaud ; Dr. famille 2019, comm. 261, note J.-R. Binet ; JCP G 2019, 1184, note A. Gouttenoire et F. Sudre ; LPA 16 déc. 2019, n° LPA149q5, note V. Legrand.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 18 déc. 2019, nos 18-12327 et 18-11815 : DEF 27 févr. 2020, n° DEF157p7, obs. P. Callé ; Dr. famille 2020, comm. 39, note J.-R. Binet ; RTD civ. 2020, p. 81, note A.-M. Leroyer ; D. 2020, p. 426, note S. Paricard ; D. 2020, p. 506, obs. M. Douchy-Oudot – Cass. 1re civ., 4 nov. 2020, n° 19-15739 : LPA 22 déc. 2020, n° LPA157y9, note V. Legrand – Cass. 1re civ., 13 janv. 2021, nos 19-17929 et 19-50046.
  • 10.
    L. Mauger-Vielpeau, « GPA : plus de transcription pour le parent d’intention », LEFP oct. 2021, n° DFP200i6.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 20 févr. 2007, n° 05-14082 : Rev. crit. DIP 2007, p. 420, note B. Ancel et H. Muir-Watt.
  • 12.
    Cass. 1re civ., 6 févr. 1985, n° 83-11241 : Rev. crit. DIP 1985, p. 243, note P. Francescakis ; D. 1985, p. 469, note J. Massip.
  • 13.
    CJCE, 28 mars 2000, n° C-7/98, Krombach. V. L. Boré, « La motivation des décisions de justice et la Convention européenne des droits de l’Homme », JCP G 2002, I, 104. – Pour une application en droit commun, Cass. 1re civ., 19 sept. 2007, n° 06-17096 : JDI 2008, n° 1, comm. 2, C. Chalas.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 15 juin 2017, n° 16-18404 : GPL 3 oct. 2017, n° GPL304a7, obs. M. Meilhac-Perri – Cass. 1re civ., 22 oct. 2008, n° 06-15577, FS-PBI : Dalloz actualité, 28 oct. 2008, note I Gallmeister ; D. 2009, p. 59, D. Motte-Suraniti – Cass. 1re civ., 20 sept. 2006, n° 04-11635 et 04-11636.
  • 15.
    V. Égéa, note ss Cass. 1re civ., 15 janv. 2020, n° 18-24.261 : JDI 2021, comm. n° 11, p. 565.
  • 16.
    Cass. ass. plén., 4 oct. 2019, n° 10-19.053 : AJ fam. 2019, p. 592, obs. J. Houssier ; D. 2019, p. 1985, note G. Loiseau ; D. 2019, p. 2228, notes H. Fulchiron et C. Bidaud ; Dr. famille 2019, comm. 261, note J.-R. Binet ; JCP G 2019, 1184, notes A. Gouttenoire et F. Sudre; LPA 16 déc. 2019, n° LPA149q5, note V. Legrand.
  • 17.
    M. Farge, « Quid de l’exequatur de la filiation établie à l’étranger des enfants issus de GPA ? » AJ fam. 2018, p. 582.
  • 18.
    CA Paris, 17 janv. 2023, n° 21/17455 : Juris-Data n° 2023-002945 ; Dr. famille 2023, n° 4, comm. 58, note V. Égéa – CA Paris, 31 janv. 2023, n° 21/15747 : Juris-Data n° 2023-000871 ; Dr. famille 2023, n° 4, comm. 75, note V. Égéa.
  • 19.
    Cass. 1re civ., 2 oct. 2024, nos 23-50001, 23-50020 et 23-50017, D.
  • 20.
    Le rapport de l’avocat général M. H. Fulchiron publié sur le site de la Cour de cassation, https://lext.so/CL81-r.
  • 21.
    Cass. 1re civ., 14 nov. 2006, n° 05-12353.
  • 22.
    C. Mecary, « Gestation pour autrui, adoption, transcription et GPA », Dr. famille 2018, entretien 3.
  • 23.
    Cass. 1re civ., avis, 23 nov. 2022, n° 22-70013 : GPL 25 avr. 2023, n° GPL448n4, obs. S. Maakouf.
  • 24.
    V. le compte rendu sur le site de la conférence de la Haye, https://lext.so/CwhOVD.
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