La paternité ne peut plus être imposée, question de responsabilité…

Publié le 16/06/2016

La paternité peut-elle être imposée ? La question mérite d’être posée. De nombreuses actions en justice afin de faire établir la filiation paternelle ou d’obtenir des subsides sont intentées par des femmes qui ont décidé de devenir mères et d’imposer la paternité à des pères qui ne le voulaient pas. Cette situation est inéquitable et injuste et conduit à s’interroger sur la possibilité d’engager la responsabilité des mères. La réponse juridique pourrait reposer sur d’autres solutions comme la reconnaissance d’un statut de géniteur sous X et la prise en compte de l’absence de projet parental paternel.

La famille, le couple, les relations « parents-enfants » ont fondamentalement évolué depuis la rédaction du Code civil. Le mariage n’est plus une fin en soi et les couples non mariés ne sont plus stigmatisés. Le législateur a institué le pacte civil de solidarité et prévu un statut légal pour le concubinage. Il a substitué l’autorité parentale à la puissance paternelle. De même, il n’y a plus d’inégalité entre les enfants : légitimes, nés hors mariage, voire pendant le mariage mais d’une relation adultère, tous ont les mêmes droits. On admet désormais que la famille se compose et se décompose au gré des mariages et des divorces1, et les couples de sexes différents ou de même sexe forment les nouvelles familles du XXIe siècle.

Concernant les enfants, chacun affirme son souhait d’en avoir ou non, qu’ils soient conçus naturellement, par procréation médicalement assistée, avec ou sans donneur, ou adoptés… D’une manière générale, dans notre société, les hommes et les femmes ne veulent plus subir un ordre imposé, mais décider de s’engager. Le moment venu, ils choisissent d’avoir un enfant et de s’investir, de l’éduquer, de lui transmettre des valeurs. Ce qui importe, c’est donc la volonté de s’engager, la volonté de devenir parent.

Comment expliquer ce nouveau lien « parent-enfant » ? Nous vivons une période où tout n’est que temporaire, les unions comme le travail. Parfois, c’est un choix assumé, au nom du bien-être, du bonheur ou d’un affect comme l’amour. Nous laissons alors travail et compagnon pour poursuivre une autre vie. Parfois, nous subissons la séparation, le licenciement. En toute hypothèse, nous avons pris conscience que le seul lien stable qui subsiste est avec nos enfants. D’où l’idée que la maternité ou la paternité doit être assumée. On n’est pas parent, on veut devenir parent et on en accepte les conséquences.

À cet égard, l’engagement envers l’enfant ou devrait-on dire pour l’enfant, n’a jamais été aussi fort. Les hommes comme les femmes s’investissent affectivement lors de la grossesse, se battent pour adopter ou pour pouvoir procréer, imaginent moult solutions pour pouvoir devenir parents (GPA, recours à un donneur…). Et lorsque l’enfant est là, on ne peut que constater l’engagement de chacun des parents dans son éducation, sa construction.

Les intentions des parents actuels semblent donc très nobles : ils veulent proposer un lien stable à leur enfant, un lien indéfectible différent du lien conjugal qui peut être rompu. Les parents de l’enfant, qu’ils soient ou non ses géniteurs, ont admis que la famille pouvait se décomposer et se recomposer, mais quoi qu’il arrive, ils assureront une certaine stabilité à leur enfant, en raison de ce lien particulier qui les unit. La paternité et la maternité sont en ce sens parfaitement assumées. On choisit de devenir père ou mère et on le restera, quoi qu’il advienne.

On choisit également de ne pas le devenir. Ainsi, avec la contraception, les femmes d’aujourd’hui sont en mesure de ne pas vouloir de grossesse sans mener une vie d’abstinence et lorsque la grossesse est non désirée, elles peuvent recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Enfin, si elles mènent la grossesse à terme mais qu’elles n’ont aucun projet parental, elles peuvent recourir à l’accouchement sous X, permettant ainsi l’adoption de l’enfant. Pour la majorité des hommes, la paternité est également un choix. Mais certains faits continuent de nous rappeler qu’il y a des différences entre les hommes et les femmes : les femmes portent les enfants et peuvent choisir d’imposer une naissance à un homme.

Faut-il pour autant leur accorder le pouvoir d’imposer une paternité à un homme ? Faut-il leur laisser la possibilité de choisir pour l’homme qu’il sera père alors même qu’il ne le souhaite pas ?

Nous verrons dans une première partie le contentieux soulevé par les paternités imposées, puis nous envisagerons dans une seconde partie ce que peut et pourrait être la réponse juridique des hommes « condamnés » à être pères.

I – Le contentieux de la paternité imposée

Les femmes ont gagné le droit d’avoir ou non des enfants en ayant accès à la contraception, elles peuvent choisir de mener à terme une grossesse ou de recourir à l’avortement, elles peuvent décider d’accoucher sous X. Devenues mères, elles peuvent choisir d’élever l’enfant seules, sans père. Mais elles peuvent faire un tout autre choix et décider d’imposer une paternité à un homme qui ne le souhaitait pas. On parle alors de paternités imposées ou forcées. Elles se manifestent par des actions en justice contre ces pères « piégés » afin de faire établir un lien de filiation (A) ou d’obtenir le versement de subsides (B).

A – L’action en recherche de paternité

Rien n’est à la fois plus aisé et plus difficile à définir que la filiation. La filiation est un lien de droit, comme l’alliance en est un autre. Plus précisément, elle est « un lien de parenté défini par des droits, des devoirs, des attentes et des interdits particuliers »2 qui unit un enfant à sa mère et à son père. Depuis l’ordonnance du 4 juillet 2005, l’égalité des filiations a été consacrée, en ce sens où on ne distingue plus la filiation légitime, naturelle ou adultérine.

Dans l’hypothèse où une femme décide de mener à terme une grossesse et d’imposer au géniteur de l’enfant d’être père, on imagine que l’établissement de la filiation découlera d’une action en recherche de paternité3 (C. civ., art. 340). Cette action, qui permet d’établir un lien de filiation entre un enfant et l’homme qu’il pense être son père, est exercée par l’enfant lui-même ou sa mère s’il est mineur. Concrètement, l’action est introduite devant le tribunal de grande instance du lieu de résidence du prétendu père, par la mère, durant la minorité de l’enfant ou par l’enfant jusqu’à ses 28 ans4. Il convient alors de prouver la paternité et très souvent, le juge ordonne une expertise génétique, un test de paternité. Certes, cette expertise nécessite l’accord du prétendu père, mais s’il refuse de s’y soumettre, la paternité peut être reconnue en fonction d’indices ou de témoignages. Il convient de noter, d’une part, que le seul refus du prétendu père de se soumettre au test ne saurait en principe suffire à prouver sa paternité et, d’autre part, que le fait d’établir la paternité de l’homme alors qu’il a refusé de se soumettre à un test génétique ne contrevient pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale5.

Une fois la filiation établie, le « père » doit en assumer toutes les conséquences, tant sur le plan de l’entretien de l’enfant que de sa succession.

Selon l’article 371-2 du Code civil, « chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant ». Cette dernière disposition consacre un devoir d’entretien à la charge des parents, en raison du lien de filiation, quelle que soit leur situation conjugale. Lorsque les parents sont désunis, l’obligation d’entretien prend souvent la forme d’une pension alimentaire fixée par le juge. Comme il ne s’agit pas d’une pension d’aliments mais d’entretien, la règle « aliments ne s’arréragent pas » ne s’applique pas. Les juges n’ont de cesse de le rappeler6. Il est donc possible de demander à l’un des parents, le versement des arriérés dus au titre de l’entretien de l’enfant. En outre, l’obligation d’entretien de l’enfant étant d’ordre public, la renonciation, expresse ou tacite, d’un parent au versement des arriérés dus au titre de sa contribution à l’entretien de l’enfant, est sans effet7. Il s’ensuit que l’homme devenu père malgré lui peut se voir réclamer rétroactivement le versement d’une somme d’argent au titre de sa contribution à l’entretien et à l’éducation d’un enfant qu’il n’a pas souhaité8.

La mère peut donc choisir d’intenter une action en recherche de paternité au nom de l’enfant et réclamer une pension, mais la pension n’est pas la seule conséquence de l’établissement de la filiation paternelle. L’homme « à la paternité imposée » doit également accepter de transmettre une partie de son patrimoine à cet enfant qu’il n’a pas souhaité9.

En effet, les enfants sont les héritiers de leurs parents selon les règles de dévolution successorale légale. Aussi, une fois le lien de filiation établi, l’enfant a, au titre de la dévolution successorale légale, les mêmes droits que les autres enfants éventuels de son père. Et en tant qu’héritiers du premier degré, les enfants « écartent » les autres membres de la famille de la succession. Autre manière de dire les choses : les enfants sont des héritiers incontournables. Ils ont droit à une part qui leur est réservée dans la succession de leur père : la réserve héréditaire. Selon le nombre d’enfants, cette part s’élève de la moitié aux trois quarts du patrimoine. Elle reviendra à parts égales à chacun des enfants. Le restant, soit la quotité disponible, peut être attribué librement. On l’aura compris, une fois la filiation établie, l’enfant devient héritier de son père et recevra au minimum sa part réservataire10.

La paternité imposée est donc lourde de conséquences. Certes, il convient de rappeler aux pères « à la paternité imposée » qu’ils peuvent bénéficier des droits afférents au lien de filiation : droit de voir l’enfant, de l’élever, d’exercer l’autorité parentale11. Mais ces droits restent très « théoriques » lorsque l’action en recherche de paternité est intentée tardivement, par un enfant devenu majeur parfois, ou en tout cas trop grand pour que le père ait une réelle chance d’établir avec lui de vrais liens de parenté.

B – L’action aux fins de subsides

Si la mère ne souhaite pas que soit établi un lien de filiation entre l’enfant et son géniteur, elle peut opter pour l’action à fins de subsides. Les subsides sont une contribution alimentaire versée à un enfant sans filiation paternelle, par un homme qui a eu des relations intimes avec sa mère au moment de sa conception.

Le législateur de 197212 a prévu la possibilité de réclamer des subsides à un homme en raison de la naissance d’un enfant, non pas parce qu’il existe un lien de filiation entre les deux, mais en se fondant sur la responsabilité que l’homme encourt en ayant des relations sexuelles avec la mère pendant la période de conception. Selon la doctrine, ce serait une responsabilité fondée sur le risque13 et non une responsabilité pour faute, car les relations sexuelles hors mariage ne constituent pas une faute en soi. L’homme serait responsable du risque qu’il a pris de faire naître un enfant qui n’aura pas de père légal. Cette explication n’est guère satisfaisante. En pratique, l’action à fins de subsides devait permettre essentiellement aux enfants incestueux et adultérins d’obtenir une aide financière alors qu’il leur était impossible d’intenter une action en recherche de paternité14.

Contrairement à l’action en recherche de paternité, il s’agit d’une action fondée sur la possibilité que l’homme soit le père. Il n’est donc pas besoin d’établir la filiation, mais simplement l’existence de relations intimes entretenues avec la mère pendant la période de conception. Cette preuve peut être rapportée par tous moyens, y compris des attestations15. Il n’existe qu’une seule fin de non-recevoir pour le prétendu père : prouver sa non paternité par une expertise biologique notamment16. Mais s’agissant d’une paternité imposée, ce point semble peu probable : l’homme est le géniteur de l’enfant, mais il n’a jamais voulu être père.

L’action peut être exercée par la mère pendant la minorité de l’enfant et par l’enfant devenu majeur dans les dix ans qui suivent sa majorité. Elle conduira au versement d’une pension alimentaire déterminée d’après les besoins de l’enfant, les ressources et la situation familiale du possible père. Ce dernier ne pourra être condamné à verser des arriérés de pension, car la décision accordant des subsides n’est pas déclarative mais constitutive de droits.

Aucune filiation paternelle n’étant établie, l’enfant n’a aucun droit dans la succession de son possible père, pas plus que ce dernier ne peut demander à être titulaire de l’autorité parentale.

L’action en recherche de paternité et l’action aux fins de subsides ne sont pas sans conséquences, notamment financières ; d’aucuns utilisent même le terme « d’enfants portefeuilles » pour désigner ces bébés. Mais surtout, quelle iniquité pour ces hommes qui ont été trompés par des femmes désireuses de maternité. En effet, « aucune voix raisonnable n’envisagerait de s’élever contre le droit de la femme à renoncer à être mère d’un enfant qu’elle ne pourrait porter ou élever, quel qu’en soit le motif. Chacun s’accorde à reconnaître que l’acte d’avorter est la solution ultime dans une situation de détresse psychique, matérielle ou morale »17. Et l’on peut tenir un raisonnement similaire pour les femmes qui choisissent d’accoucher sous X. Alors, pourquoi en irait-il différemment pour les hommes ? La détresse est-elle réservée aux femmes ? Il nous semble que non. C’est pourquoi, il convient de réfléchir aux réponses juridiques qu’il est possible d’apporter à ces hommes devenus pères malgré eux.

II – Les possibles réponses juridiques des pères « malgré eux »

Actuellement, les pères n’ont pas d’autres possibilités que de saisir les tribunaux afin qu’ils se prononcent sur la responsabilité de la mère (A). Mais il est peut-être temps d’envisager d’autres réponses juridiques (B).

A – Engager la responsabilité de la mère

Les hommes devenus pères malgré eux peuvent engager la responsabilité de la mère. Le père volontairement trompé par la mère concernant une grossesse qui l’implique, fait une demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’il subit sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. Il doit alors prouver la faute de la mère, mais quelle faute ? Et quel est son préjudice ?

La faute de la mère peut tenir tout d’abord aux circonstances de la conception. La jurisprudence a précisé que la survenance d’un enfant dans le contexte de relations entre adultes consentants, ne constitue pas un préjudice dont il peut être demandé réparation18. Sans aborder la question du préjudice, il n’y a donc aucune faute à faire naître un enfant après avoir choisi seule de mener la grossesse à terme. Mais la mère commet-elle une faute lorsqu’elle ment sur les moyens de contraception qu’elle utilise, lorsqu’elle donne à son partenaire des garanties sur « l’infertilité de leurs rapports » ? Un arrêt le laisse entendre19. Il y aurait en quelque sorte non-respect du devoir de bonne foi, de loyauté, qui doit exister entre un homme et une femme qui décident d’avoir des relations consenties, lorsque la mère a menti à propos de la contraception ou sur le fait qu’elle était infertile20. Cependant, rapporter la preuve d’une telle faute est très difficile.

Le comportement déloyal de la mère lors de la conception de l’enfant semble être la seule façon de caractériser une faute. En effet, la méconnaissance de la promesse de ne pas rechercher la paternité de l’enfant ne saurait constituer une faute de la mère, car la mère ne peut valablement renoncer à l’exercice d’un droit qui appartient à l’enfant. Au mieux, le fait de ne pas respecter une telle promesse serait un indice de sa déloyauté envers le père.

La faute peut-elle se situer non pas dans le fait d’exercer l’action en recherche de paternité, ce qui est un droit21, mais dans le fait de l’exercer tardivement, à un âge où il est quasiment impossible au père et à l’enfant d’établir une relation parent-enfant ? L’exercice d’un droit n’est pas constitutif d’une faute sauf abus. Or, en pratique, il n’y a aucun abus à rechercher judiciairement la paternité d’un homme jusqu’aux 18 ans de l’enfant si c’est la mère qui agit et jusqu’aux 28 ans de l’enfant s’il agit lui-même. Par conséquent, le fait de priver le père d’une éventuelle relation parentale tout en lui demandant d’assumer l’entretien de son enfant, le fait de le réduire « à un géniteur-portefeuille », ne semble pas constituer une faute actuellement.

Quant au préjudice du père, il ne saurait être ramené aux conséquences financières et patrimoniales liées à la recherche de paternité ou à l’action à fins de subsides et donc aux frais engagés pour l’entretien de l’enfant. Exercer ces actions étant un droit, le père ne peut pas demander réparation des conséquences financières qu’elles emportent.

Le préjudice du père face à une paternité forcée, c’est la déception causée par les manipulations de la mère, la violence de l’annonce peut-être, l’injustice de la situation au regard du comportement de la mère. Le père a été utilisé, piégé par la mère.

En réalité, il y a peu de jurisprudence relative à la responsabilité des mères en cas de paternité forcée et les juges admettent au mieux l’existence d’un préjudice moral sans le caractériser davantage22.

Quelles autres réponses juridiques pourraient alors être apportées ?

B – Instituer un statut de géniteur sous X ou exiger un projet parental

D’aucuns ont proposé d’instituer un statut de géniteur sous X23, sorte de procédure similaire à celle de l’accouchement sous X pour les femmes. L’homme au moment où il est informé d’une grossesse qu’il ne souhaite pas, pourrait s’opposer à ce qu’elle l’implique. Les femmes auraient alors le choix de mener la grossesse à terme ou non. En toute hypothèse, le père biologique, une fois informé, pourrait faire part de son opposition et échapper, dès lors, à toute action en recherche de paternité ou à fin de subsides. L’idée n’est pas nouvelle mais peut sembler difficile à mettre en œuvre. Peut-on imaginer que le seul refus du père biologique, sans autres justifications, puisse constituer une fin de non-recevoir de l’action en recherche de paternité ?

Revenons au cas de la mère qui accouche sous X. Elle voit le secret de son identité garanti, sans que l’on empêche l’enfant d’intenter, en son nom, s’il le souhaite une action en recherche de maternité24. L’article 325 du Code civil permet en effet désormais aux enfants nés sous X, de procéder à une recherche en maternité, bien que les mères conservent le droit de maintenir le secret de leur accouchement. La fin de non-recevoir tirée de l’accouchement sous X a été supprimée. Mais la possibilité d’exercer une action en recherche de maternité reste « bien théorique », car elle suppose que l’enfant n’a pas fait l’objet d’une adoption au moment où il agit en recherche de maternité (sinon la filiation serait alors établie avec sa famille d’accueil) et qu’il a quelques informations sur sa mère biologique. On imagine que seul le père de l’enfant l’ayant reconnu avant qu’il ait été confié à l’adoption sera susceptible d’exercer cette action contre la mère biologique au nom de l’enfant, mais encore faut-il qu’il ait connu la grossesse et l’accouchement sous X25.

La situation est tout autre pour le père biologique. Il semble impossible de lui accorder le droit à l’anonymat quand il ne souhaite pas devenir père, sauf à préciser que l’enfant ne pourra pas intenter une action en recherche de paternité contre celui qui a été volontairement trompé et une fois informé, s’est opposé à la grossesse. Biologiquement père, mais juridiquement anonyme, sans aucun lien qui puisse rattacher l’homme à l’enfant qui va naître. Ce serait alors placer le père biologique dans une situation juridique proche de celle du donneur de sperme, même si le contexte est totalement différent26.

En réalité, concernant la maternité et la paternité, ce qui importe, c’est l’existence d’un projet parental27. Cette notion de projet parental a été consacrée par le législateur en 1994 lorsqu’il a adopté les premières lois bioéthiques. L’existence d’un projet parental commun est ainsi envisagée à propos de l’assistance médicale à la procréation (AMP). Le législateur a en effet précisé que « l’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la demande parentale d’un couple »28. Le projet parental permet également de se prononcer sur le sort des embryons in vitro surnuméraires non implantés dans l’utérus de la mère. En effet, l’article L. 2141-3 du Code de la santé publique envisage la conservation d’embryons dans l’intention de réaliser ultérieurement le projet parental des parents. Il dispose par ailleurs qu’une information détaillée sera « remise aux membres du couple sur les possibilités de devenir de leurs embryons conservés qui ne feraient plus l’objet d’un projet parental ». L’article suivant rappelle que chaque parent est consulté chaque année sur le point de savoir s’il maintient ou non son projet parental. Concrètement, en l’absence de projet parental, les embryons peuvent être – selon le choix des parents – proposés à d’autres couples, détruits ou encore mis à la disposition de chercheurs29.

La notion de projet parental est relativement ambigüe. Ce serait projeter de devenir parent, envisager d’accueillir un enfant, de l’élever, de l’éduquer. Ou, à défaut d’avoir anticipé sa venue, être heureux d’accueillir un enfant, avoir conscience de son existence et vouloir s’attacher à lui. Le projet parental reposerait sur un engagement, une réalité socio-affective. Le projet parental est davantage que le désir d’enfant. « Le projet parental est le désir tourné en volonté, en prévisions et calcul quant au choix de concevoir, aux conditions idéales de la naissance et aux moyens qui garantiront la réussite dans le temps de ce qu’ont planifié les parents »30.

Le droit français utilise peu cette expression en dehors du contexte de la bioéthique, mais indirectement, comme un sous-entendu, on la retrouve notamment lors des situations de rupture. Ainsi, commet une faute susceptible d’entraîner le prononcé du divorce, une femme mariée qui choisit de tomber enceinte alors que, au vu de la situation de son couple, il n’existe manifestement aucun projet parental partagé31.

En principe, toute naissance doit reposer sur un projet parental32. Le législateur pourrait alors envisager de lui accorder une plus large portée. Ainsi, une présomption de projet parental existerait pour toutes les personnes vivant en couple, qu’elles soient mariées, pacsées ou en concubinage. La présomption serait écartée par la preuve apportée du refus d’enfant. Et elle cesserait en cas de dépôt d’une requête en séparation de corps ou en divorce, en cas de rupture établie du pacs ou en cas de cessation de la vie commune. De même, on pourrait imaginer que toutes les personnes entretenant des relations consenties puissent faire une déclaration afin de manifester l’existence d’un projet parental. Ces déclarations seraient enregistrées, à l’instar de ce qui existe pour les donneurs d’organes. En toute hypothèse, il conviendrait à celui qui prétend qu’un projet parental existe, d’en rapporter la preuve, grâce au jeu de la présomption ou à tout autre moyen tel que des lettres ou une déclaration du parent concerné.

Dès lors, en l’absence d’un tel projet parental paternel, la mère qui déciderait de mener à terme une grossesse, ne pourrait plus l’imposer au géniteur de l’enfant. Question de responsabilité pour la mère au sens où « être responsable, c’est pouvoir et devoir répondre de ses actes. C’est donc assumer le pouvoir qui est le sien et accepter d’en supporter les conséquences »33. Et cette responsabilité s’exerce tant à l’égard de l’homme que de l’enfant, tout lien de filiation avec l’enfant, toute demande tendant à l’obtention de subsides étant impossible34.

On peut ne pas se sentir concerné par la situation des « pères malgré eux », mais on peut comprendre que les hommes condamnés à devenir pères alors qu’ils n’avaient aucun projet parental se sentent piégés injustement. Actuellement, devenir parent se conçoit comme une initiative personnelle rattachée à un projet parental dont l’objectif est de créer un lien durable avec l’enfant. En l’absence d’un tel projet, il est profondément anormal que leur refus de devenir père ne soit pas pris en compte.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Dans la famille traditionnelle, le choix du futur conjoint est effectué par les parents, dans un souci d’assurer non pas le bonheur de leur enfant, mais de permettre la transmission d’un patrimoine principalement. Dans les familles traditionnelles, on ne recherche pas le bonheur au sein du couple, mais en dehors du couple (d’où les maisons closes, les relations amoureuses autres…). Dès lors que l’on a souhaité placer le bonheur au sein de la famille et du couple, il a fallu admettre la désunion.
  • 2.
    Théry I. et Leroyer A.-M., « Filiation, origines, parentalité : le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle », Dr. Famille 2014, dossier n° 2.
  • 3.
    C’est le cas le plus fréquent, mais il se peut que le père tardivement informé, reconnaisse l’enfant. En ce sens, v. not. Cass. 1re civ., 3 déc. 2008, n° 07-12042 : les observations de Hauser J., RTD civ. 2009, p. 105.
  • 4.
    Si l’enfant, lui-même parent, décède avant ses 28 ans, ses héritiers peuvent agir à sa place. De même, si le défunt avait engagé une action de son vivant, ses héritiers peuvent la poursuivre.
  • 5.
    CEDH, 25 juin 2015, n° 22037/13, Canonne c/ France, obs. Vauthier J.-P. : Dr. et santé 2015, n° 67, p. 729 ; Dalloz actualité (http://www.dalloz-actualite.fr).
  • 6.
    V. not. Cass. 1re civ., 3 déc. 2008, loc. cit. – Cass. 1re civ , 28 janv. 2009, n° 07-15243 : les observations de Hauser J., RTD civ. 2009, p. 307.
  • 7.
    V. not. Cass. 1re civ , 15 févr. 2012, n° 11-13883.
  • 8.
    Le juge fixe comme point de départ la date de naissance de l’enfant et calcule la somme due, en prenant en compte la situation du père et de l’enfant à cette période pour évaluer leurs besoins et moyens respectifs.
  • 9.
    Concernant le nom de l’enfant, selon l’article 331 du Code civil, il reviendra au tribunal de statuer, s’il y a lieu, sur l’attribution du nom.
  • 10.
    Si le père fait un testament, il pourra disposer de la quotité disponible.
  • 11.
    C. civ., art. 331 et 372.
  • 12.
    C. civ., art. 342.
  • 13.
    V. not. Carbonnier J., La famille, les incapacités, PUF, 1989, t. II, 3e éd., p. 287, n° 93.
  • 14.
    Mirabail S., « Repenser l’action à fins de subsides » : JCP G 2011, 1063.
  • 15.
    L’existence de relations intimes peut être déduite de présomptions graves, précises et concordantes parmi lesquelles figure le résultat d’une expertise biologique (Cass. 1re civ., 9 mars 1983 : Bull. civ. I, n° 193).
  • 16.
    C. civ., art. 342-4.
  • 17.
    Pylard M., Paternités imposées, Les liens qui libèrent, 2013, p. 202.
  • 18.
    En ce sens, CA Pau, ch. 2, sect. 3, 16 déc. 2013, n° 13/00907 : JCP G 2014, 503, note Etienney-de Sainte Marie A. ; Dr. famille 2014, comm. n° 76, Brus F. – CA Versailles, ch. 1, sect. 1, 15 mai 2014, n° 13/05302.
  • 19.
    V. CA Pau, 16 déc. 2013, préc.
  • 20.
    À propos du manquement au devoir de loyauté qui existe entre un homme et une femme concernant la procréation, voir notamment un arrêt relatif au divorce, CA Nîmes, 21 mars 2007, n° 05/03638 : Dr famille 2007, comm. n° 189, Mauger-Vielpeau L. ; D. 2007, p. 2587, note Lamoureux M.
  • 21.
    « Il sera rappelé que l’action en justice ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d’erreur grossière équipollente au dol ou encore de légèreté blâmable », in. CA Versailles, ch. 1, sect. 1, 15 mai 2014, op. cit.
  • 22.
    V. CA Pau, 16 déc. 2013, préc.
  • 23.
    Elle a déjà fait l’objet d’articles de presse ; v. not. Iacub M., Libération, 25 janvier 2005, « Géniteur sous X », http://www.slate.fr/story/111789/peres-malgre-eux.
  • 24.
    Car telle est la règle depuis la loi du 16 janvier 2009 ratifiant l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation.
  • 25.
    Sur les difficultés posées par une reconnaissance anticipée d’un enfant né ultérieurement d’un accouchement sous X, v. not. : CA Rennes, 25 nov. 2014, nos 14/04384 et 14/04550 : Dr. Famille 2015, comm. n° 8, « Le placement en vue de l’adoption de l’enfant né sous X préalablement reconnu par son père ».
  • 26.
    Le don de sperme est gratuit et anonyme, mais surtout, il est volontaire. S’agissant des pères forcés et de l’utilisation de leurs gamètes, l’altruisme et la générosité font défaut.
  • 27.
    Sur cette notion, v. not. Legras C., « Le projet parental suffit-il ? », Laennec 1/2012 (t. 60), p. 24-37, www.cairn.info/revue-laennec-2012-1-page-24.htm.
  • 28.
    C.  santé publ., art. L. 2141-2.
  • 29.
    Il existe une importante littérature suscitée par le fait de reconnaître de la même façon les embryons qui font l’objet d’un « projet parental » et les autres. V. not. Loiseau G. sous CEDH, gr. ch., 27 août 2015, n° 46470/11, Parrillo c/ Italie : JCP G 2015, 1187, spéc. n° 44 et propos de Dekeuwer-Défossez F., Rapp. Assemblée nationale, n° 2235, http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i2235-t1.pdf.
  • 30.
    Legras C., préc., n° 12.
  • 31.
    Voir CA Nîmes, 21 mars 2007, n° 05/03638 : « La conception d’un enfant par un couple marié doit relever d’un choix conjoint et d’un projet commun. » ; V. égal. CA Paris, 10 janv. 2013, n° 12/09158 ; les juges ont relevé un projet d’enfant de l’épouse partagé par le mari si bien qu’aucune faute ne pouvait être reprochée à l’épouse (a contrario, en l’absence de projet partagé, la conception aurait été fautive…).
  • 32.
    Il y a certes des grossesses et des naissances non désirées (les bébés non désirés, ceux conçus lors d’un viol…), mais ces enfants peuvent être accueillis parfaitement par leur mère ou confiés à l’adoption par le jeu de l’accouchement sous X.
  • 33.
    Selon les propos de Comte-Sponville A., Dictionnaire philosophique, PUF, 2001, p. 508 (Responsabilité).
  • 34.
    L’intérêt de l’enfant est souvent invoqué pour justifier l’impossibilité pour le père biologique de choisir la paternité ou de la refuser. Cette question mérite une profonde réflexion, mais il nous semble qu’elle doit alors nous interroger plus globalement (tant à l’égard de la mère qui peut accoucher sous X, que de l’enfant qui fait l’objet d’une adoption par une seule personne notamment). L’obligation de subvenir aux besoins de sa descendance vaut autant pour l’homme que pour la femme.