La vaine contestation de la prépondérance de l’avocat dans les procédures de divorce
Depuis quelques années, le rôle de l’avocat dans les procédures de divorce est attaqué de toutes parts. Pour autant, le juge a confirmé le monopole de l’avocat dans ce domaine en continuant, pour le moment, à rejeter toute forme d’ubérisation du droit. Quant aux professions du droit, leurs tentatives visant à redistribuer les prérogatives sont restées vaines, comme l’atteste la dernière réforme en matière de divorce.
1. Certains auteurs n’hésitent plus à affirmer que l’on s’oriente vers une « ubérisation » du droit dans le cadre de certaines procédures de divorce contractualisées1 quand d’autres soutiennent que le juge doit rester l’indépassable et stabilisante figure tutélaire du divorce2.
C’est à une tout autre thèse que nous souscrivons et que nous allons étayer ici : celle d’un affermissement du rôle de l’avocat.
2. En effet, bien que la prépondérance de l’avocat dans les procédures de divorce ait été attaquée sur différents fronts, sa position a provisoirement été consolidée tant par le juge (I) que par le législateur (II).
I – La mise en échec provisoire par le juge de l’ubérisation des procédures de divorce
3. La cour d’appel d’Aix en Provence3 a récemment eu à connaître un litige opposant le Conseil national des barreaux et l’ordre des avocats de barreaux à une société commerciale dont l’objet social empiétait sur le monopole des avocats. Bien que le commentaire de cette décision attendue ne constitue pas l’objet principal de notre propos, il est intéressant d’en rappeler les points saillants.
En l’espèce, une société dénommée « Divorce Discount » exploitait un site internet à partir duquel elle proposait au public une assistance à bas coût dans la procédure de divorce par consentement mutuel. Le Conseil national des barreaux et l’ordre des avocats de barreaux n’ont pas tardé à assigner ladite société en référé afin de demander la cessation de l’activité de démarchage, de consultation juridique et de rédaction des actes ainsi que toutes offres de services relatives au traitement de procédure de divorce.
En appui de leur argumentation, les demandeurs ont avancé que l’activité de la société contrevenait aux dispositions de l’article 54, alinéa 1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifié ainsi qu’à celles de l’article 16.1.2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance de l’économie numérique relatifs tous deux au monopole des avocats en matière de consultation juridique et de rédaction des actes sous seing privé.
4. Plus largement, cette affaire s’inscrit dans un contexte particulier : celui de la remise en cause de systèmes de monopole ou de licence organisant certaines professions via l’offre de prestations de services sur internet. Ce phénomène plus communément dénommé « ubérisation » n’est pas sans conséquence sur la perception des professions réglementées et tout particulièrement sur celle du conseil juridique4.
À titre d’illustration, le Conseil national des barreaux a pointé du doigt une société qui avait mis en ligne un site proposant un annuaire, un système de notation et la possibilité de commenter les diligences et les honoraires des avocats, voire de les comparer. Dès lors, le conseil formulé par un avocat pourrait s’apparenter à un repas servi dans un restaurant ou à une nuit d’hôtel. Ce type de pratique a été logiquement dénoncé par le Conseil national des barreaux au regard de l’article L. 342-1 du Code de la propriété intellectuelle qui soumet à l’autorisation du producteur de la base de données la réutilisation de tout ou partie de celle-ci. En effet, si un tel site permet d’orienter les futurs clients dans le choix de l’avocat en fonction des commentaires postés, il n’en demeure pas moins qu’il pourrait contribuer à instiller une confusion auprès du public dans l’hypothèse où ce classement comparerait certains cabinets d’avocats avec des sociétés commerciales désireuses de proposer des « services juridiques »5.
Le jugement de la cour d’appel d’Aix-en-Provence était donc attendu en ce que la reconnaissance de ce type d’objet social au profit des appelants ouvrirait probablement de nouvelles perspectives aux sociétés commerciales de prestations de services dans le cadre de certaines procédures relatives au divorce.
5. La cour d’appel d’Aix-en-Provence confirma cependant la décision rendue par les juges de première instance au motif que la société « Divorce Discount » causait un trouble manifestement illicite à l’ordre public et portait atteinte au monopole des avocats en matière de conseil juridique et de rédaction des actes sous seing privé. Par cet arrêt, les juges du fond ont donc affermi leur rôle dans le cadre « des procédures de divorces sans juge ».
En conséquence, le conseil juridique inhérent aux procédures de divorce ne peut être apparenté aux prestations de service commercial qui inondent la toile. Il conserve en effet des finalités relevant de la préservation de l’ordre public, et ce, malgré la perception que la société civile a désormais des couples en voie de séparation.
À l’opposé du risque d’ubérisation du divorce perçu par certains auteurs6, et qui représente une réalité dans différents secteurs d’activité7, cette décision témoigne au contraire de la confirmation du rôle essentiel de l’avocat dans les procédures sans représentation obligatoire8.
Aussi, davantage qu’un « algorithme prédicatif et corrélatif »9, l’avocat tend à devenir le véritable garant de la réalité du consentement des époux ainsi que de l’équilibre de la convention10 de divorce.
6. Pour autant, les juges du fond reconnaissent que « la fourniture de moyens dématérialisés, d’ordre technique ou documentaire, pour permettre la saisine de juridictions, a fortiori pour réaliser des actes qui ne présentent pas un caractère judiciaire, comme une mise en demeure, échappe au monopole des avocats »11.
À n’en pas douter, la question reviendra devant les tribunaux dans un futur proche et les juges auront à trancher entre ce qui relève du conseil juridique et ce qui a trait à l’assistance administrative.
II – Le rejet par le législateur des solutions de substitution
7. La prépondérance du rôle de l’avocat dans les procédures de divorce ne fait pas l’unanimité, tant du point de vue de la doctrine que de celui des professions du droit. Différentes critiques ont ainsi porté sur le caractère déjudiciarisé de la convention de divorce par consentement mutuel12. Certaines d’entre elles n’ayant d’autre objectif que d’orienter cette déjudiciarisation dans une autre direction13. À cet égard, des propositions ont été formulées afin de renforcer le rôle du notaire et de l’huissier14.
8. S’inscrivant dans la tendance d’une déjudiciarisation des procédures de divorce, Hugues Fulchiron a avancé qu’une fois l’acte conventionnel dressé par le notaire, celui-ci pourrait être transmis à l’officier d’état civil qui se contenterait de le transcrire sur les registres de l’état civil15. Comme le rappelle l’auteur, cette procédure ne serait qu’un juste retour à l’esprit du droit positif du début du XIXe siècle, lorsque le jugement de l’officier d’état civil suffisait pour « décélébrer » le mariage. Le parallélisme entre la formation du mariage par l’échange des consentements et la retranscription du divorce par le même procédé peut en effet paraître logique. D’ailleurs, le Conseil de modernisation des politiques publiques s’inscrivait dès 2007 dans le prolongement de cette proposition en avançant qu’il conviendrait de confier aux notaires l’enregistrement des consentements mutuels16.
La recommandation en faveur d’un renforcement du rôle du notaire dans les procédures de divorce fut cependant rejetée par le rapport Guinchard17. Celui-ci souligna à cet égard que le juge devait rester le garant de la réalité et de la liberté du consentement du divorce18 tout en suggérant de rendre facultative son audience lorsque l’accord des époux est constaté en l’absence d’enfants mineurs19.
9. Bien qu’elles n’aient pas été retenues par le législateur, il convient de souligner que l’introduction de ces différentes propositions dans le droit positif aurait raffermi la cohérence générale des procédures de divorce.
En effet, l’intervention du notaire est obligatoire dans le divorce par consentement mutuel dès lors que les époux sont propriétaires d’immeubles. Cette intervention a d’ailleurs été renforcée par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, puisque dans l’hypothèse où les époux choisissent le divorce par consentement mutuel par acte sous seing privé contresigné par avocats, l’acte prend effet et force exécutoire lors du dépôt au rang des minutes d’un notaire20.
Dans les autres cas de divorce, le notaire peut être désigné par le juge au titre de mesures provisoires pour établir un inventaire estimatif des biens des époux21. Il a également la faculté d’avancer des propositions sur les modalités de règlement des intérêts pécuniaires des époux22 ou d’élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager23. Par ailleurs, le notaire est également compétent pour intervenir en cours d’instance et soumettre au juge des conventions relatives à la liquidation et la publicité foncière24.
L’officier public détient donc d’ores et déjà des prérogatives importantes dans la procédure de divorce. Aussi, paraissait-il judicieux de lui transférer la rédaction de conventions dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel ; procédure qui relevait hier encore de l’ordre public. En effet, dans cette hypothèse, le notaire y aurait, à l’instar d’une succession, guidé les époux dans la liquidation du régime matrimonial et de leurs intérêts communs.
10. À côté de ces propositions, l’institut des hautes études de justice avait suggéré en mai 2013 un allégement de la procédure judiciaire de divorce par consentement mutuel en reconnaissant la possibilité d’une simple homologation judiciaire devant le greffe. Par la suite, le rapport rendu en 2014 sur « La justice du XXIe siècle et le droit de la famille » a été plus ambitieux en projetant de transférer au greffier juridictionnel le divorce par consentement mutuel, sans « qu’il y ait lieu de distinguer en fonction de la présence d’enfants ou de la consistance du patrimoine »25.
Cette recommandation n’a finalement pas été retenue par le législateur alors qu’elle reprenait à son compte le vœu émis par la conférence des premiers présidents de la cour d’appel qui s’était tenue le 31 mai 2013 et au cours de laquelle il avait été envisagé de recentrer « le juge sur son cœur de métier » en procédant à des transferts de charges vers d’autres professions. Bien que cette dernière proposition revêtait certains avantages tels que la simplicité, l’économie financière pour les époux, l’efficacité et le respect des libertés individuelles, elle fut décriée notamment par les avocats et les magistrats qui lui ont opposé l’importance du contrôle judiciaire dans la protection des époux et des tiers26.
Les juges ont apporté une autre critique à ces différentes mesures, qui tendent à déjuridiciser encore davantage la procédure de divorce par consentement mutuel, en arguant que l’institution du mariage ne pouvait être dissoute sans un minimum de formalisme.
11. En conclusion de cette analyse, il apparaît que l’élan de déjudiciarisation de la procédure de divorce n’est pas encore arrivé à son terme. Pour l’heure, ses conséquences sur les professions du droit s’inscrivent principalement dans une perspective : celle du renforcement des pouvoirs de conseil de l’avocat qui constitue la tendance forte des réformes adoptées par le législateur ces 15 dernières années.
Notes de bas de pages
-
1.
Baillon-Wirtz N., « La déjudiciarisation précipitée du divorce par consentement mutuel », JCP G 2016, 643, n° 23. Cette « ubérisation du droit » est également constatée dans d’autres secteurs ; en ce sens v. nota. en matière de nautisme, Heilikman J., « “Ubérisation” du nautisme : la conavigation dans une houle juridique instable », juris-tourisme 2016, n° 186, p. 17 – en matière d’activité de taxis, v. Déc. Cons. const., 22 sept. 2015, n° 2015-484 QPC : Delebecque P., « L’illégalité du service UberPop confirmée par le Conseil Constitutionnel », Énergie- Env. - Infrastr. 2015, comm. 82 ; en matière immobilière, v. Cornille P., « Les défis de la “smart city” et de l’ubérisation de l’immobilier », Constr.-Urb. 2016, repère 6.
-
2.
Choubrac N., « Opacité et dangers du divorce par consentement mutuel », AJ fam. 2009, p. 387 ; Juston M., « Le divorce par consentement mutuel sans juge : une opération sans chirurgien. Le point de vue du magistrat », Dr. famille 2016, dossier 25.
-
3.
CA Aix-en-Provence, 1re ch. C, 2 avr. 2015, n° 14/00449 : JCP 2015, 403 ; Dr. famille 2015, p. 117 ; RTD civ. 2015, p. 590, note Hauser J. ; AJ fam. 2015, p. 285. Adde, Loiseau G., « Professions réglementées versus acteurs du commerce 2.0 : les Web entrepreneurs perdent une manche », Comm. com. électr. 2015, comm. 50. Sur la décision rendue par les juges de première instance, v. TGI Aix-en-Provence, 24 déc. 2013, n° 13/01542 : D. 2014, p. 288.
-
4.
Dufour O., « Demanderjustice.com, braconnier du droit ou pionnier ? », LPA 11 févr. 2014, p. 4.
-
5.
Sur cet exemple, Girard de Barros F., « “Tripadviser” les avocats et laisser la déontologie dans sa toque ? », La lettre juridique, 19 déc. 2015, n° 633.
-
6.
CA Aix-en-Provence, 1re ch. C, 2 avr. 2015, n° 14/00449 : JCP 2015, 403 ; Dr. famille 2015, p. 117, RTD civ. 2015, p. 590, note Hauser J.
-
7.
Sur les risques d’ubérisation du droit, v. Cerveau B., « L’ubérisation de l’accès au droit », Gaz. Pal. 1er sept. 2015, n° 238k3, p. 3.
-
8.
Cette décision a par la suite été suivie par la cour d’appel de Paris, 12e ch., 29 juin 2015 : Dalloz actualité 30 juin 2015, dans laquelle les juges ont condamné une entreprise qui proposait un service en ligne de saisine de juridictions pour les procédures sans représentation obligatoire. Dans la même veine, v. également, la décision concernant le site « demanderjustice.com » du T. com 13 mars 2014, v. Dufour O., « Demanderjustice.com, braconnier du droit ou pionnier ? », op. cit., p. 4.
-
9.
Augagneur L.-M., « L’ubérisation du droit démystifiée par la philosophie », JCP G 2015, 1016.
-
10.
Thouret S., « Divorce en ligne : condamnation du site divorce-discount.com », AJ fam. 2014, p. 75.
-
11.
CA Paris, 5- 12, 21 mars 2016, n° 14/04307 : Loiseau G., « L’ubérisation du marché du droit », Comm. com. électr. 2016, comm. 52.
-
12.
Supra.
-
13.
Amrani-Mekki S., « La convention de procédure participative », D. 2011, p. 3007.
-
14.
Proposition d’une convention de divorce qui déjuridiciserait la procédure de divorce par consentement mutuel. Projet proposé par Mme Philippe : Philippe C., « Pour une réforme du divorce », op. cit., p. 408 qui permettait de remplacer le jugement de divorce, quasi inattaquable, par une convention attaquable.
-
15.
Fulchiron H., « Vers un divorce sans juge ? (à propos des projets de divorce “notarial”», op. cit., p. 367.
-
16.
Sur cette réforme, v. Binet J.-R., « Divorce sans juge : nouvelle tentative, nouveau débat », Dr. fam. n° 2, févr. 2014, repère 2.
-
17.
Guinchard S., « L’ambition raisonnée d’une justice apaisée », Doc. fr. juill. 2008, p. 87.
-
18.
Leroyer A.-M., « Divorce – Convention d’honoraires – Autorité parentale – Médiation », RTD civ. 2012, p. 159.
-
19.
« Remise du rapport de la commission Guinchard », Dr. fam. n° 7, juill. 2008, alerte 66. Reprise en 2010 dans un projet de loi qui prévoyait la dispense de la comparution des époux devant le juge en cas de divorce par consentement mutuel et en l’absence d’enfants mineurs, cette dernière proposition a été finalement supprimée par la Commission des lois du Sénat, v. Projet de loi n° 344 relatif à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles, Sénat, 2010, art. 13.
-
20.
C. civ., art. 229-1 et s. ; Bonnet G., « Divorce sans juge. Le point de vue du notaire », op. cit.
-
21.
Depondt A., « Réflexions sur le rôle du notaire dans le nouveau divorce », Defrénois 15 déc. 2006, n° 38494, p. 1815.
-
22.
C. civ., art. 255 9 ; Fulchiron H., « Vers un divorce sans juge ? (à propos des projets de divorce “notarial”», D. 2008, p. 365.
-
23.
C. civ., art. 255 10.
-
24.
C. civ., art. 265-2.
-
25.
Delmas-Goyon P., « Le juge du XXIe siècle. Un citoyen acteur, une équipe de justice », rapport à Madame la garde des Sceaux, déc. 2013, proposition n° 49 ; Hayat J.-M., « Le point de vue d’un chef de juridiction. À propos du rapport Delmas-Goyon », Gaz. Pal. 11 mars 2014, n° 169u7, p. 15.
-
26.
Ody M.-J., « Le juge du XXIe siècle : un souffle qui n’évitera pas l’asphyxie. À propos du rapport Delmas-Goyon », Gaz. Pal. 11 mars 2014, n° 169q1 ; Juston M., « L’avis d’un magistrat de terrain sur la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel », Gaz. Pal. 15 mars 2014, n° 171a2, p. 7.