Les charges du ménage : vers un droit commun des couples ?
Au regard du droit positif, le couple peut prendre la forme d’un mariage, d’un pacte civil de solidarité ou d’un concubinage. Tous ces couples sont tenus d’assumer un certain nombre de charges inhérentes à la communauté de vie. Se demander s’il existe un droit commun des couples en matière de charges du ménage, c’est se poser la question des conditions mêmes d’existence d’un tel droit commun. Deux éléments s’avèrent indispensables : un élément matériel, la préexistence d’un statut juridique préétabli, et un élément intentionnel, la volonté du législateur. L’identité de situation de fait semble insuffisante pour permettre de fonder un réel droit commun des charges du ménage.
1. Le droit français contemporain reconnaît trois formes d’union conjugale : le mariage, le pacte civil de solidarité et le concubinage. Durant de nombreuses décennies, le mariage était la seule forme juridique de couple. Si cette institution reste la référence en la matière, le législateur consacre, depuis 1999, un titre du Code civil au pacte civil de solidarité et au concubinage. Les couples ont désormais le choix d’organiser leur vie conjugale selon le modèle qui leur convient le mieux. Cependant, les modèles coexistent sans pour autant être similaires. En effet, les devoirs et obligations pesant sur le couple diffèrent selon la forme d’union choisie. Le concubinage demeure « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité entre deux personnes », selon les termes de l’article 515-8 du Code civil, et le pacte civil de solidarité « un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune ». Même s’il n’est pas réellement défini par le code, le mariage conserve son caractère institutionnel et fait figure de modèle en termes de droits et obligations. Le régime de chacune de ces formes d’union interroge régulièrement la doctrine et la jurisprudence1.
2. La vie à deux engendre un certain nombre de dépenses. Ainsi, sont incluses dans les charges du ménage, les dépenses d’entretien quotidien du ménage, les dépenses liées à l’éducation des enfants et les dettes fiscales. Lorsque l’on vit en couple, un certain nombre de ces dépenses sont mutualisées et, idéalement, chacun des membres du couple devrait s’acquitter de sa quote-part au fur et à mesure du paiement de ces dépenses. Mais, le plus souvent, il arrive que la dépense soit payée par l’un ou l’autre. Se pose alors la question de la contribution de chacun à la dette. Celui qui a payé plus que sa part dispose-t-il d’un recours contre son (sa) compagnon (compagne) ? À quel moment doit-il exercer ce recours ? Peut-il contraindre l’autre à supporter une partie de ces charges du ménage ? La réponse à ces questions dépend de la forme juridique du couple.
3. Les charges du ménage sont inhérentes à la vie commune. La situation de fait des couples est identique. En vivant ensemble, un certain nombre de charges doivent être supportées : le loyer, les dépenses alimentaires, l’eau, l’électricité, etc. Finalement, que le couple soit marié, partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou simples concubins, ces dépenses sont identiques. Il faut se demander si cette identité de situation de fait est suffisante pour permettre l’application d’un droit commun à tous les couples. Quelle que soit la forme de conjugalité adoptée, les règles d’obligation et de contribution aux charges du ménage seraient identiques.
4. Force est de constater que tous les couples ne sont pas soumis aux mêmes règles en la matière. L’époux est tenu de contribuer aux charges du mariage en application de l’article 214 du Code civil. Le partenaire est soumis à une règle proche puisque, selon l’article 515-4, alinéa 1er, du même code, « les partenaires (…) s’engagent (…) à une aide matérielle et une assistance réciproque ». Le concubin reste seul tenu des dépenses qu’il a engagées sans pouvoir obtenir une quelconque contribution de la part de son concubin. Ce qui justifie une telle différence, c’est l’existence d’un statut juridique préétabli. Les époux, comme les partenaires, ont formalisé leur union par l’adhésion à un statut légal ou une convention. Rien de tel pour les concubins.
5. Suite aux différentes réformes intervenues depuis la création du pacte civil de solidarité en 1999, il est possible de constater un certain rapprochement entre le mariage et le pacs. Certes, les règles ne sont pas strictement identiques mais très proches l’une de l’autre. Le concubinage demeure à l’écart. Le fait de formaliser les règles applicables au moment de la constitution du couple par le consentement au mariage ou la signature de la convention de partenariat confère au couple une certaine sécurité juridique.
6. L’intérêt d’un droit commun réside dans le fait que les règles applicables sont les mêmes indépendamment du statut conjugal. Si un tel corps de règles communes semble envisageable pour le mariage et pour le pacte civil de solidarité, il apparaît difficile de l’appliquer au concubinage. Alors que les concubins font le choix de ne pas formaliser juridiquement parlant leur union, il semble délicat de leur permettre de réclamer ensuite le bénéfice de règles d’obligation ou de contribution aux charges du ménage. Cependant, lorsque le concubinage dure dans le temps, une telle situation peut apparaître comme injuste. En se mariant ou en concluant un pacte civil de solidarité, le couple entend se soumettre à un statut juridique préétabli. C’est l’existence de ce statut juridique qui permet de construire un droit commun applicable indépendamment de la question de savoir si le couple est marié ou simplement « pacsé ». C’est ce même statut juridique préétabli qui fait défaut au concubinage. Est-ce un obstacle insurmontable ? La réponse à cette interrogation nous conduit à envisager les conditions de l’élaboration d’un droit commun (I) avant de constater l’insuffisance de la situation de fait pour fonder un droit commun (II).
I – Les conditions de l’élaboration d’un droit commun
7. Un droit commun des charges du ménage consisterait à appliquer à tous les couples les mêmes règles quant aux charges du ménage, quel que soit le mode de conjugalité choisi. Autrement dit, c’est l’identité des situations qui conduirait à l’application d’une règle identique. Par exemple, celui (ou celle) qui aurait supporté l’intégralité des dépenses courantes pourrait réclamer le paiement de sa quote-part à son époux, partenaire ou concubin.
8. Il est indéniable que les charges du ménage existent en raison des nécessités de la vie ; tous les couples, quels qu’ils soient, y sont confrontés. Cependant, un droit commun des charges du ménage ne peut pas apparaître ex nihilo. Il est impératif qu’il trouve un socle sur lequel il puisse se construire. Peut-on se contenter d’une situation de fait, vivre ensemble, pour justifier l’application de règles identiques à tous les couples ? La réponse nous semble négative. Pour qu’il soit possible d’appliquer un droit commun des couples quant aux charges du ménage, encore faut-il qu’un couple, juridiquement identifiable, existe. C’est le cas des couples mariés et des partenaires liés par un pacte civil de solidarité. Même si le concubinage est défini par le Code civil, il ne nécessite aucun acte fondateur et n’est soumis à aucune formalité préalable. Les concubins ne se soumettent à aucun statut juridique. L’une des premières conditions pour l’élaboration d’un droit commun est l’existence de ce statut juridique préalable, l’acte fondateur du couple, autrement dit un élément matériel sur lequel reposeront les règles communes relatives aux charges du ménage (A).
La préexistence de ce statut juridique n’est cependant pas suffisante pour caractériser l’existence d’un droit commun. Au contraire, il est possible de soutenir que si plusieurs statuts coexistent, c’est pour permettre l’application de règles particulières à chacun d’eux. Un second élément s’avère indispensable : la volonté du législateur de soumettre tous les couples aux mêmes règles, un élément intentionnel en quelque sorte (B).
A – La préexistence d’un statut juridique : l’élément matériel
9. En se mariant, un couple consent à adhérer à un statut matrimonial préétabli, notamment les règles du régime primaire relatives aux devoirs et obligations du mariage. Les partenaires concluent un pacte civil de solidarité afin d’organiser leur vie commune. La célébration du mariage ou l’enregistrement du pacte peuvent être considérés comme les actes fondateurs du couple. C’est à compter de cet acte que le couple entend se soumettre aux règles relatives à leur statut.
10. Le mariage comme le pacte civil de solidarité sont deux statuts conjugaux distincts obéissant à des régimes qui leur sont propres. Mais si l’on compare les règles applicables en matière de charges du ménage, une certaine similitude se fait jour. Aux termes de l’article 214 du Code civil, les époux « contribuent à proportion de leurs facultés respectives » aux charges du mariage. L’article 515-4 du même code précise que les partenaires sont tenus l’un envers l’autre d’une aide matérielle « proportionnelle à leurs facultés respectives ». Les règles sont formalisées dans des textes distincts mais s’avèrent être très similaires.
11. Il n’existe rien de tel en matière de concubinage. Il suffit de vivre ensemble pour devenir concubin. Il est vrai que, dans la vie quotidienne, la vie commune engendre un certain nombre de dépenses mais juridiquement aucun texte ne prévoit d’obligation pour chacun des concubins de contribuer à ces dépenses. Les concubins ne formalisant pas juridiquement leur union, aucun droit ou obligation spécifique ne peut résulter de cette situation.
12. La liberté de formation et de désunion qui caractérise le concubinage est incompatible avec l’existence d’un statut juridique préétabli. Si l’on imposait aux concubins de déclarer leur vie commune ou de faire constater le début de leur relation, pourrait-on encore parler d’union de fait ? En procédant à cette déclaration ou à ce constat, les concubins formaliseraient juridiquement leur union. En réalité, le concubinage ne peut être mis en évidence qu’a posteriori. Lorsque les concubins se séparent, le juge peut tenir compte de leur relation de couple pour statuer sur les litiges qui les opposent. Mais les règles applicables dans ce cas sont celles du droit commun : le droit civil et non pas un droit commun des charges du ménage.
13. La préexistence d’un statut juridique est un élément indispensable à la construction d’un droit commun des charges du ménage. C’est l’élément matériel qui servira de socle à ce droit commun des charges du ménage quelle que soit la forme d’union conjugale. À l’heure actuelle, seuls les couples mariés et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité adhèrent à un statut juridique préétabli. Même si les concubins sont placés dans une situation de fait semblable aux autres couples, leur union ne répond pas à l’exigence de ce premier critère et ils ne pourraient pas a priori bénéficier d’un droit commun des charges du ménage. Une autre difficulté apparaît puisque chaque forme d’union, mariage ou pacs, est soumise à des règles qui lui sont propres. Afin de parvenir à un véritable droit commun, la volonté du législateur est indispensable.
B – Une volonté législative : l’élément intentionnel
14. L’existence d’un statut juridique pour l’organisation de la vie de couple n’est pas nécessairement synonyme de droit commun. En effet, chacune des formes d’union reconnues par le droit demeure soumise aux règles qui lui sont propres. Les droits et obligations du mariage ne coïncident pas avec ceux issus du pacte civil de solidarité.
15. Il est impératif que le législateur intervienne pour construire un droit commun. La loi doit entendre soumettre les couples aux mêmes règles pour qu’un droit commun puisse apparaître. Cette volonté législative peut évoluer au fil du temps. Ainsi, à sa création, le pacte civil de solidarité était relativement éloigné des règles issues du mariage. Puis, au gré de certaines réformes, un rapprochement a pu être constaté. Par exemple, en matière de droit des successions, l’article 515-6, alinéa 3, dans sa rédaction issue de la loi du 23 juin 2006, précise que « lorsque le pacte civil de solidarité prend fin par le décès d’un des partenaires, le survivant peut se prévaloir des dispositions des deux premiers alinéas de l’article 763 ». Le législateur procède ici par renvoi et accorde au partenaire lié par un pacte un droit temporaire d’un an sur le logement familial au même titre que le conjoint survivant.
16. En matière de charges du ménage, les textes demeurent distincts et la loi ne procède pas par renvoi. Cependant, le contenu des droits et obligations des époux sont très proches. Ainsi, l’article 220, alinéa 1er, du Code civil dispose que « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants ; toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement ». L’alinéa 2 de l’article 515-4 du même code précise que « les partenaires sont tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante ». Les termes ne sont pas exactement similaires : notamment, les charges liées aux enfants sont comprises dans les charges du ménage pour les époux mariés ; en revanche en cas de pacs, les « besoins de la vie » ne couvrent pas les dettes liées à l’entretien des enfants. Dans les rapports avec les tiers, sous cette réserve, les époux comme les partenaires sont tenus solidairement des dettes ménagères. Quant aux exceptions, les alinéas 2 et 3 de l’article 220 du Code civil2 et l’alinéa 2 de l’article 515-43 sont rédigés en termes quasiment identiques. La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 a d’ailleurs complété ces deux textes par les mêmes termes : « (…) et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage ». La comparaison peut être menée également en termes de contribution aux charges du ménage en confrontant les articles 214, alinéa 1er, du Code civil et 515-4, alinéa 1er, du même code4. Là encore, les termes sont quasiment identiques et les obligations pesant sur les époux comme les partenaires sont les mêmes.
17. Un droit commun des charges du ménage pour les époux et pour les partenaires liés par un pacte civil de solidarité voit le jour. Certes, les textes sont distincts mais les obligations résultant de l’union du couple en termes de charges du ménage sont quasiment identiques. Il est alors possible de considérer qu’un droit commun des charges du ménage émerge de manière parcellaire puisqu’il ne concerne pas tous les couples mais uniquement les couples mariés ou ayant conclu un pacte civil de solidarité. Les couples de concubins sont pour le moment exclus de ce droit commun alors qu’ils se trouvent pourtant dans une situation de fait identique.
II – L’insuffisance de la situation de fait pour fonder un droit commun
18. Le statut des couples mariés et celui des partenaires liés par un pacte civil de solidarité sont proches et obéissent à un droit commun des charges du ménage, tout au moins de manière parcellaire. Les concubins sont exclus de ce corps de règles faute de statut juridique préexistant. Pourtant, tous les couples, quels qu’ils soient, sont placés dans une situation de fait identique : ils vivent ensemble, il existe entre eux une communauté de toit et de lit. Il faut alors se demander s’il est possible d’appliquer aux concubins les règles existant en matière de charges du ménage pour les autres couples. Autrement dit, est-il envisageable de se passer de l’élément matériel, en principe nécessaire pour l’élaboration d’un droit commun ?
Il existe un certain nombre de difficultés inhérentes à l’inexistence d’un statut juridique préétabli (A), difficultés auxquelles il est possible de remédier en partie (B).
A – Les difficultés inhérentes à l’inexistence de statut juridique
19. Le concubinage est une union de fait sans aucune formalité de constitution. Quelle importance peut-on accorder à cette situation de fait ? Il existe une divergence entre le droit civil et le droit fiscal. En effet, le droit fiscal fait produire certains effets au concubinage en matière d’impôt de solidarité sur la fortune. L’article 885 E du Code général des impôts précise qu’en cas de « concubinage notoire, l’assiette de l’impôt est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l’année, de l’ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant à l’un et l’autre concubin ». Dans le cas particulier de cette imposition, tous les couples, quels qu’ils soient, sont soumis à la même règle. Tel n’est pas le cas du droit civil pour lequel les concubins demeurent des étrangers l’un pour l’autre.
20. La notion de concubinage notoire fait désormais référence à la définition de l’article 515-8 du Code civil c’est-à-dire une union de fait « caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité ». Le droit civil définit le concubinage mais sans pour autant lui conférer un statut juridique particulier. Plusieurs questions se posent, notamment quant à la preuve du concubinage. Quand la vie commune a-t-elle commencé ? Existe-t-il une durée minimum pour caractériser le concubinage ?
21. En tant que fait juridique, le concubinage peut se prouver par tous moyens tels qu’une déclaration sur l’honneur, une quittance de loyer mentionnant les deux noms… En réalité, le concubinage ne peut révéler son existence qu’a posteriori, le plus souvent au moment de la séparation du couple. Il est impossible d’avoir une preuve préconstituée de cette union de fait. En cas de litige, il faudra être en mesure de caractériser la communauté de vie stable et continue.
22. En termes de charges du ménage, les concubins ne sont soumis à aucune règle. Ils ne formalisent en aucune manière leur relation. Lors de leur séparation, les concubins peuvent-ils être autorisés à se prévaloir de cette vie commune et liquider leurs intérêts patrimoniaux en prenant en considération ces charges communes que l’un d’eux a, peut-être, supporté seul ? C’est une question classique. Dans ce cas, il faudrait, le cas échéant, se référer aux règles applicables aux époux ou aux partenaires. L’on sait que la jurisprudence a toujours refusé de se référer aux règles du mariage. Le concubin ne saurait exiger un quelconque partage au fur et à mesure des charges du ménage. L’évolution consisterait à permettre au concubin de s’en prévaloir au moment de la fin du concubinage au titre d’une créance à l’encontre de son ancien concubin.
23. L’absence de statut préétabli empêche les couples de concubins de se prévaloir des règles de contribution aux charges du ménage au même titre que des époux ou des partenaires liés par un pacte civil de solidarité. Cependant, le concubinage n’est pas toujours sans effet juridique. Il est parfois possible de passer outre l’absence de statut juridique préétabli.
B – Les remèdes à l’inexistence de statut juridique
24. Même si le concubinage est une simple union de fait, il arrive que la loi lui fasse produire certains effets et assimile les concubins aux autres formes de couples. Ainsi, à titre d’exemple, le concubin bénéficie de la qualité d’ayant droit pour le bénéfice de l’assurance maladie et de l’assurance maternité5 au même titre que le conjoint ou le partenaire de pacte civil de solidarité. Dans un autre domaine, les concubins peuvent accéder à l’assistance médicale à la procréation en application de l’article 311-20 du Code civil. De même, l’article 515-9 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 assimile les époux, partenaires et concubins pour solliciter du juge aux affaires familiales une ordonnance de protection en raison des violences exercées au sein du couple.
25. Ainsi, dans certaines hypothèses, la loi tire les conséquences de la situation de fait du couple et soumet tous les couples quels qu’ils soient aux mêmes règles. Les époux, partenaires ou concubins sont assimilés les uns aux autres et bénéficient de la même protection. Dans certaines matières, il existe bel et bien un droit commun des couples. Mais, en ce qui concerne les charges du ménage, comment contourner la difficulté liée à l’absence de statut préétabli ? Comment les concubins pourraient-ils bénéficier de règles relatives à la contribution aux charges du ménage alors qu’ils ne formalisent pas juridiquement leur union ?
26. Il apparaît impossible de pallier l’absence de statut préétabli. La seule solution envisageable est de tenter de corriger cette absence. En premier lieu, au début de leur relation, « en amont » en quelque sorte, les concubins peuvent vouloir organiser entre eux la répartition des charges de la vie courante6 par une convention ou un accord tacite. La Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que l’ouverture d’un compte joint par un couple de concubins pouvait traduire « un accord tacite de répartition des charges du ménage »7. Si les concubins formalisent leur accord par écrit, rien ne garantit que les règles qu’ils établissent soient identiques à celles existant pour les autres couples. Il n’est pas certain que beaucoup de concubins recourent à une telle convention écrite. En effet, s’ils décident de formaliser ainsi leur union, pourquoi ne pas souscrire une convention de pacte civil de solidarité ? Les accords tacites semblent plus probables en la matière.
27. En second lieu, lors de la séparation des concubins, « en aval ». Autrement dit, le juge saisi en vue de la liquidation des intérêts patrimoniaux du couple est le même quel que soit le couple. Depuis la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, le juge aux affaires familiales connaît tout le contentieux familial : enfants et couples, que ces derniers soient mariés ou non. Ce magistrat peut recourir à la notion de société créée de fait pour régler les intérêts patrimoniaux des concubins. Cette technique permet de répartir entre les concubins les différentes charges et de leur attribuer leur part de profit8. Il est ainsi possible pour les concubins de bénéficier de certaines des règles applicables aux autres couples, en particulier quand le concubinage a duré de nombreuses années.
28. En définitive, l’absence de statut préétabli n’est pas un obstacle absolument insurmontable. Il arrive que la situation de fait « prenne le dessus », notamment quand le concubinage dure longtemps et que les concubins se voient appliquer les règles normalement réservées aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité voire aux époux. Une espèce de droit commun émerge a posteriori. On constate un décalage entre les époux ou partenaires et les concubins. Les époux comme les partenaires peuvent bénéficier d’un certain nombre de règles communes, tout au moins très semblables, dès le début de leur union alors que les concubins doivent attendre la fin de leur relation pour parfois pouvoir bénéficier de l’application de ces mêmes règles.
29. En conclusion, il est impossible d’affirmer qu’il existe un droit commun des charges du ménage pour tous les couples, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’existence d’un statut juridique préétabli est une condition indispensable à l’élaboration d’un véritable droit commun des charges du ménage. Pour les concubins, un tel statut n’existe pas, ce qui les exclut de tout droit commun des charges du ménage.
Ensuite, un véritable droit commun en matière de charges du ménage doit se comprendre comme un corps de règles uniques applicable à tous les couples. Or, à l’heure actuelle, si un certain nombre de règles du mariage et du pacte civil de solidarité sont très proches, il ne s’agit pas d’un corpus de règles uniques.
30. À l’avenir, un droit commun des charges du ménage pourrait exister pour les époux et les partenaires. Il commence d’ailleurs à émerger puisque les règles applicables sont très semblables. Il reste à les regrouper dans un seul corps de règles. Il n’en demeure pas moins qu’il semble être très délicat d’intégrer réellement le concubinage à ce droit commun. Tout au moins dès le début de l’union puisque celle-ci n’est pas formalisée par un acte quel qu’il soit. Il serait possible d’envisager un droit commun a posteriori lors de la séparation des concubins mais sans doute avec une exigence de durée de l’union.
Notes de bas de pages
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1.
V. par ex., Dossier « Mariage, pacs, concubinage : le guide », AJ fam. 2014, p. 658 et s. ; Dossier « Charges du ménage », AJ fam. 2016, p. 31 et s.
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2.
C. civ., art. 220, al. 2 : « La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant ».
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3.
C. civ., art. 220, al. 3 : « Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage ».
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4.
C. civ., art. 515-4, al. 2 : « Toutefois, cette solidarité n’a pas lieu pour les dépenses manifestement excessives. Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux partenaires, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage ».
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5.
C. civ., art. 214, al. 1er : « Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives ». C. civ., art. 515-4, al. 1er : « Les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à une vie commune, ainsi qu’à une aide matérielle et une assistance réciproques. Si les partenaires n’en disposent autrement, l’aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives ».
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6.
CSS, art. L. 161-1 : « Sauf dispositions contraires, par membre de la famille, on entend au sens du présent code : 1° Le conjoint de l’assuré social, son concubin ou la personne à laquelle il est lié par un pacte civil de solidarité ».
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7.
V. not. sur ce point Guédé X. et Letellier F., in Dossier « Charges du ménage : le domaine des charges du ménage », AJ fam. 2015, p. 317 ; Corpart I., in Dossier « Mariage, pacs, concubinage ; le guide : régimes patrimoniaux et aménagements conventionnels », AJ fam. 2014, p. 666.
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8.
Cass. 1re civ, 17 juin 2009 : RTD civ. 2009, p. 622, obs. Hauser J.
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9.
V. not. Viganotti E., in Dossier « Mariage, pacs, concubinage ; le guide : la séparation du couple », AJ fam. 2014, p. 678.