Les droits des parents d’intention sous l’œil du cyclone : une nécessaire réforme à l’échelle mondiale ?

Publié le 15/02/2024
Les droits des parents d’intention sous l’œil du cyclone : une nécessaire réforme à l’échelle mondiale ?
Yakobchuk Olena/AdobeStock

Malgré les avancées législatives ainsi qu’une jurisprudence relativement protectrice de la Cour européenne des droits de l’Homme, les souhaits des parents d’intention se heurtent aux traditions familiales et aux normes juridiques établies et socialement prescrites. L’enregistrement à l’état civil des enfants nés à l’étranger d’une maternité de substitution fait toujours l’objet de vives controverses. Faut-il faire prévaloir les volontés individuelles sur le substrat corporel de la filiation ? La question demeure. Les dysfonctionnements actuels dans certains pays soulignent la nécessité d’une réforme internationale.

Dans son ouvrage publié aux presses universitaires d’Harvard, Martha Field1 a précisé que la solution juridique au problème de la maternité de substitution n’est pas évidente, puisqu’elle repose sur des jugements de valeur. En effet, faut-il privilégier le principe d’affection des parents sociaux sur la vérité biologique ? Faut-il aligner la parenté symbolique sur celle génétique ? Hegel2 soulignait que la famille se détermine tant par son unité sentie que par l’amour. La Cour de Strasbourg adopte-t-elle une approche progressiste, laissant une large marge d’appréciation aux gouvernements ? Ou, au contraire, a-t-elle tendance à substituer son propre jugement à celui des autorités nationales, et à réduire à néant leur latitude dans les affaires relatives aux droits de filiation ? L’enjeu de cet article est double. D’une part, il met exergue les risques pour les enfants de devenir apatrides, en raison de lois contradictoires dans le pays où la maternité de substitution a été réalisée et le pays d’origine des futurs parents. D’autre part, il invite aussi à réfléchir sur le point de savoir si l’ordre public international doit être apprécié de façon casuistique et si l’intérêt de l’enfant3 ne doit pas être perçu comme une de ses composantes. Après avoir analysé les puissantes réticences du droit positif italien quant à la reconnaissance des gestations pour autrui (GPA) extra-frontalières (I), nous nous pencherons sur l’appréhension de cette problématique à travers la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) (II) et proposerons des pistes de réforme (III). Une convention internationale se révèle urgente, car ces pratiques sont encadrées dans certains pays, prohibées et non régulées dans d’autres.

I – Les atermoiements et inadéquations du droit italien : symptômes de dysfonctionnements

Contexte historique. L’évolution des droits des couples de même sexe en Italie a été lente et difficile. Relevons tout d’abord que le mariage a bénéficié d’une protection constitutionnelle sans se voir défini. Depuis l’avènement du Pacte du Latran de 1929, seul le mariage religieux enregistré bénéficie d’une forme de reconnaissance. L’impératif qui postule que les conjoints doivent revêtir des identités de genres distinctes n’est pas exposé de manière explicite au sein du Code civil ou de la Constitution. Cependant, il ressort à la fois de la doctrine et des décisions judiciaires qui s’appuient sur l’article 107 du Code civil, faisant usage des termes « mari » (ou « marito ») et « femme » (« moglie »). La jurisprudence s’est attelée, avec une diligence croissante, à pallier les lacunes du législateur. La Cour constitutionnelle a joué un rôle d’une importance capitale, visant à ajuster les préceptes du droit aux évolutions des valeurs qui prennent leur essor au sein de la société.

Le revirement opéré par la Cour de cassation. En 2013, la haute juridiction4 a jugé que les couples homosexuels, à l’instar des couples mariés, sont titulaires du droit de mener une vie familiale normale. Elle a souligné qu’il n’y a pas de certitudes scientifiques ou d’éléments tirés de l’expérience démontrant qu’il est préjudiciable pour l’équilibre de l’enfant de vivre dans une famille composée d’un couple homosexuel. La haute cour a soutenu que l’idée selon laquelle ces derniers puissent constituer un danger pour l’enfant était un préjugé. Dans cette affaire, le père déclarait que la famille, en tant que société naturelle fondée sur le mariage, devait être comprise comme l’union d’un homme et d’une femme. Il s’était fondé sur l’article 29 de la Constitution italienne de 1947. La Cour de cassation a finalement affirmé le droit d’une mère d’élever son enfant, même si elle avait changé son orientation sexuelle et vivait en concubinage avec une autre femme. Depuis 2015, les parents de même sexe ont fait appel aux tribunaux pour obtenir la reconnaissance de leurs droits. Cette inflexion a été encouragée par la loi du 20 mai 20165 portant réglementation des unions civiles pour les couples de même sexe.

Des oppositions marquées. Malgré ces évolutions législativesqui témoignent du rôle croissant de l’autonomie personnelle et des droits individuels, force est de relever une absence de consensus sociétal sur les problématiques liées aux nouveaux modes de conjugalité et à la GPA. Les opposants formulent plusieurs critiques féroces. En premier lieu, la maternité de substitution est une forme de violence contre les femmes, qui exploite des personnes vulnérables déjà soumises aux contraintes économiques. Ensuite, les principes de dignité humaine et d’intégrité des corps font obstacle à la croyance en des droits illimités. Conformément à l’éthique kantienne, un enfant ne peut être considéré comme un objet. Enfin, le fait de grandir au sein d’un foyer composé d’individus de même sexe pourrait troubler le développement cognitif et psychosexuel des mineurs. Pour certains courants féministes, l’interdiction universelle de la maternité de substitution doit être obtenue à travers des déclarations de l’Organisation des Nations unies et de l’Union européenne, comme pour la condamnation internationale de l’esclavage et des mutilations génitales féminines. Pour les réfractaires à la GPA, seul le parent biologique peut être transcrit dans les registres de l’état civil italien, tandis que l’autre conjoint doit utiliser une procédure d’adoption spéciale (adozione in casi particolari) qui implique des évaluations familiales par le tribunal pour enfants (Tribunale per i Minori). En revanche, pour les thuriféraires de la GPA, celle-ci est souhaitable en ce qu’elle favorise la redéfinition des liens de filiations et de la famille. Refuser ce droit repose sur une vision étriquée et paternaliste qui perçoit les femmes comme des personnes incapables de faire des choix éclairés. Plus encore, ils affirment que la maternité ne se caractérise pas forcément par une grossesse et que toute forme de moralisation est à proscrire. Enfin, ils invitent à s’inspirer des pays qui disposent d’un cadre juridique plus permissif.

La jurisprudence italienne fluctuante. Depuis 2014, le tribunal de la famille de Rome a rendu au moins 15 décisions favorables à des demandes de personnes homosexuelles souhaitant adopter les enfants de leur partenaire6. En février 2017, la cour d’appel de Trente7 a énoncé que l’interdiction de la maternité de substitution ne saurait suffire à écarter la reconnaissance du statut parental de deux hommes qui s’étaient engagés dans un projet de procréation impliquant une mère porteuse au Canada. En 2018, la cour d’appel de Naples a affirmé que toute personne qui avait consenti à la procédure de procréation médicalement assistée (PMA) doit être considérée comme un parent, y compris en l’absence de liens génétiques8. Toutefois, un an après, la Cour suprême9 a jugé que l’exécution d’une décision judiciaire étrangère, accordant une filiation légale entre deux enfants et leur père non biologique, ne pouvait être permise en Italie. L’interdiction de la maternité de substitution édictée par la loi est élevée au rang de principe d’ordre public. Elle procède du postulat selon lequel chaque État a le pouvoir d’autoriser ou d’interdire la maternité de substitution et du principe que la volonté parentale n’est pas sans bornes. En 2022, un tribunal de Rome10 a considéré néanmoins que l’exigence du gouvernement selon laquelle les cartes d’identité des enfants doivent mentionner leur « mère » et leur « père » discriminait les parents de même sexe. C’est pourquoi il avait ordonné au gouvernement de délivrer des documents qui identifient correctement les parents.

Laffirmation récente du primat de la vérité biologique. Cependant, en 2023, la situation a évolué dans un sens défavorable. La Première ministre italienne et son ministre de l’Intérieur ont demandé au conseil municipal de plusieurs villes de paralyser l’enregistrement d’actes de naissance d’enfants avec deux parents homosexuels. Une circulaire avait ensuite été transmise à l’ensemble des municipalités pour que la mesure s’applique sur tout le territoire. Ainsi, la ville de Milan a cessé de délivrer des certificats de naissance pour les enfants de couples de même sexe. Dans le même sens, Padoue a commencé à effacer les noms des mères lesbiennes des certificats de naissance de leurs progénitures. À Bergame, en avril 2023, le tribunal a officialisé sa décision d’enlever le nom de la mère sociale de l’acte de naissance d’une fillette de 9 mois11.

Les conséquences sont substantielles. Cela représente une forme de refus de la publicisation des différences et apparaît en filigrane comme le maintien d’un certain « ordre sexuel matrimonial » pour reprendre la formule d’Irène Théry12. Plus encore, déchues de leur qualité de tutrices légales, les mères non biologiques se voient désormais dépourvues du pouvoir de signer certains documents et même de récupérer leurs enfants à l’école sans autorisation. Dans l’éventualité d’un divorce, leur autorité parentale se voit irrémédiablement révoquée ; et, en cas de décès de la mère biologique de l’enfant, le placement de ce dernier devient une option envisageable.

La pénalisation de la GPA. Actuellement, elle demeure illégale en Italie, et peut être punie jusqu’à deux ans de prison et un million d’euros d’amende. Cela a été confirmé par la Cour constitutionnelle italienne13 qui a affirmé que la pratique de la maternité de substitution violait la dignité des femmes et portait gravement atteinte aux relations humaines. C’est pourquoi les couples italiens partent souvent dans des pays étrangers comme la Russie, la Grèce, le Canada ou les États-Unis. Conscientes de ce phénomène, de nombreuses voix se sont élevées pour élargir la portée de la loi n° 40 de 2004, afin que les GPA réalisées en dehors des frontières par des citoyens italiens soient frappées de la même sentence, y compris dans l’hypothèse où elles auraient été réalisées dans un pays l’autorisant. C’est la chambre des députés italienne14 qui a lancé un débat sur l’extension de l’article 12 de la loi n° 40 du 19 février 2004 aux ressortissants italiens recourant à une maternité de substitution à l’étranger. Enfin, une loi visant à qualifier de crime universel la GPA est par ailleurs en discussion au Parlement italien. Le droit positif italien s’inscrit en faux avec la jurisprudence de la CEDH qui témoigne d’un certain ADN égalitariste, mais présente malgré tout quelques imperfections.

II – Forces et faiblesses du droit européen et de la jurisprudence de la CEDH

Droit européen et principe de non-discrimination. Tout d’abord, force est de relever que plusieurs textes protègent le droit à l’égalité de traitement comme la recommandation 1474 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) relative à la « situation des lesbiennes et des gays dans les États membres du Conseil de l’Europe », adoptée le 26 septembre 2000, ou encore l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH) et sa jurisprudence. Il en est de même de la Charte des droits fondamentaux dont l’article 21 dispose qu’« est interdite, toute discrimination fondée notamment sur (…) l’orientation sexuelle »15. Dans le droit fil du Comité pour l’élimination des discriminations à l’égard des Femmes, la Cour européenne a condamné avec vigueur, en grande chambre, les stéréotypes en matière de genre16. Elle s’est attachée à combattre les préjugés et pratiques coutumières qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe. La non-discrimination est désormais considérée comme un droit fondamental et un principe général du droit de l’Union européenne. L’APCE a publié la résolution 2239 (2018) dans laquelle elle invite les États membres du Conseil de l’Europe à « veiller à ce que leurs dispositions et politiques constitutionnelles, législatives et réglementaires régissant les droits des partenaires, des parents et des enfants soient appliquées sans discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, en éliminant toutes les différences de traitement injustifiées fondées sur ces motifs ».

La CEDH17 a mis l’accent sur l’importance de ce principe, dans un litige qui concernait une mère lesbienne qui s’était vu refuser la garde de son plus jeune enfant par les tribunaux étrangers, en raison de son orientation sexuelle. La mère avait fait appel de cette décision ; cependant, celui-ci avait été rejeté. La Cour a jugé que la décision des tribunaux étrangers de refuser la garde de l’enfant à la mère en raison de son orientation sexuelle était discriminatoire, bafouait ses droits et ceux de l’enfant tels que protégés par l’article 14 combiné avec l’article 8 de la CESDH. Elle a ordonné à l’État de lui verser une indemnité et de prendre des mesures pour prévenir de telles violations à l’avenir.

Le droit à la vie privée et familiale. Par ailleurs, la CEDH défend le droit à la vie privée dont l’une des facettes réside dans la liberté sexuelle, élément que la Cour considère comme étant intrinsèquement lié au droit à l’épanouissement personnel18. Enfin, si la Cour de Strasbourg n’avait pas accepté de considérer un couple homosexuel comme une famille, elle a depuis modifié son analyse19. Le 21 juillet 2015, dans l’affaire Oliari et autres contre Italie, la quatrième section de la Cour européenne avait donné raison à trois couples de même sexe qui s’étaient vu refuser le droit de se marier en Italie ou de contracter tout type d’union civile. Elle a ainsi considéré que l’Italie avait violé les droits des couples homosexuels protégés par l’article 8 de la CESDH. Elle avait précisé que ce pays n’avait pas réussi à garantir « un cadre juridique spécifique pour assurer la reconnaissance et la protection des unions de même sexe »20 et avait manqué à son obligation positive. En revanche, dans une affaire Paradiso et Campanelli contre Italie21, elle a jugé que, en l’absence de tout lien biologique, l’État n’est pas tenu de reconnaître une filiation légale pour les couples ayant recouru à la GPA. Elle s’est fondée sur l’absence de tout lien de sang entre l’enfant et les parents d’intention, la précarité de leur relation aux yeux de la loi – en dépit de la profondeur de leur affection –, pour conclure que les conditions nécessaires pour établir l’existence d’une vie familiale de fait demeurent insatisfaites. En effet, celle-ci présuppose l’existence de liens personnels étroits22. De façon constante23, la Cour de Strasbourg relève le manque de consensus parmi les États contractants sur les maternités de substitution, laissant ainsi à chacun une marge d’appréciation. Elle estime que le refus de reconnaître juridiquement la parentalité équivaut à une intrusion dans le droit fondamental du parent en devenir à la protection de sa vie privée.

Filiation et intérêt de lenfant. Quelle que soit l’orientation sexuelle des parents, c’est toujours l’intérêt des mineurs qui prime. En effet, en juin 202324, la Cour de Strasbourg a rappelé que ce dernier n’est pas garanti lorsque la reconnaissance d’un enfant ne repose ni sur un lien biologique, ni sur un lien familial. Elle a ainsi soutenu que la reconnaissance d’un enfant issu d’une PMA pouvait être remise en cause dès lors qu’elle avait été réalisée après la fin de la communauté de vie ou après le dépôt d’une demande en divorce. De plus, en 2023, la CEDH a examiné la reconnaissance du lien de filiation entre un parent biologique et un enfant né à l’étranger par GPA25. En l’espèce, un couple hétérosexuel italien avait conclu un contrat de GPA en Ukraine. Un embryon issu d’un ovule d’une donneuse anonyme et du sperme du père avait été implanté dans l’utérus d’une mère porteuse. Ensuite, l’acte de naissance de l’enfant avait été établi en Ukraine. À la suite du refus de transcription en Italie, le couple avait esté en justice devant le tribunal italien pour demander à titre principal la reconnaissance du certificat de naissance étranger et, à titre subsidiaire, la transcription du seul nom du père biologique. Débouté par les juridictions nationales en raison du principe d’incompatibilité de la GPA avec l’ordre public italien, il avait saisi la CEDH. Celle-ci a souligné que sa jurisprudence antérieure26 avait établi la nécessité, en vertu de l’article 8 de la Convention, pour le droit interne de permettre la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une GPA pratiquée à l’étranger et le père d’intention lorsqu’il est le père biologique. Elle ajoute que le droit à la vie privée « exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation », et qu’« un aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation ». De plus, la Cour rappelle que le choix des moyens pour assurer cette reconnaissance relève de la marge d’appréciation des États. Cependant, il est impératif que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité27 de la reconnaissance de la filiation, pour éviter une incertitude prolongée quant à l’identité de l’enfant qui pourrait se trouver apatride. Cette position peut se comprendre à la lumière de l’article 7 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant. En effet, aucun mineur ne devrait être « défavorisé du fait qu’il est né d’une mère porteuse, notamment en termes de citoyenneté ou d’identité »28. Ainsi, le processus de prise de décision doit donner la priorité à l’intérêt de l’enfant, en évitant un formalisme excessif, et être capable de servir ce dernier, même en cas de lacunes procédurales éventuelles. D’autre part, pour la Cour, les instances nationales sont tenues de collaborer avec les parties impliquées en fournissant des orientations sur les solutions choisies. Finalement, la Cour a conclu que l’Italie avait violé l’article 8 sur le droit au respect de la vie privée et familiale de la CESDH. En conséquence, elle a ordonné à ce pays de reconnaître le lien de filiation entre l’enfant et son père biologique et de prendre les mesures nécessaires pour garantir la jouissance effective de ce droit.

On peut s’interroger néanmoins sur le point de savoir si cette libéralisation de la maternité de substitution à l’étranger n’est pas contestable pour trois raisons : d’une part, parce qu’elle permet de contourner parfois les lois nationales ; d’autre part, en ce qu’elle favorise la commercialisation du processus d’engendrement d’un enfant. Enfin, elle favorise ce faisant les personnes disposant de ressources financières substantielles, créant ainsi une forme de citoyenneté privilégiée. Par ailleurs, s’agissant du lien entre l’enfant et sa mère d’intention, la Cour de Strasbourg a affirmé que si la loi italienne ne permet pas la transcription de l’acte de naissance, elle garantit à celle-ci la possibilité de reconnaître juridiquement l’enfant par le biais de l’adoption. Selon elle, le désir de voir reconnaître un lien avec la mère d’intention ne se heurte pas à une impossibilité générale et absolue. C’est la raison pour laquelle elle a estimé que, sous cet angle, il n’y avait pas eu de violation de l’article 8 de la CESDH.

En dernier lieu, dans une décision du 31 août 202329, la haute cour a réprimandé les juridictions italiennes pour ne pas avoir pris en considération les exigences de célérité et d’efficacité requises, dans une procédure de reconnaissance de filiation d’un enfant né d’une GPA en Ukraine. Elle a constaté que les refus des juridictions n’avaient pas été justifiés, sauf pour des raisons de conflit avec l’ordre public. De plus, la demande de transcription partielle avait été rejetée au seul motif d’un formalisme excessif. Ce qui est critiquable, selon elle, c’est qu’aucune indication n’avait été donnée quant à un éventuel moyen alternatif pour obtenir l’établissement d’un lien de filiation. La Cour a relevé qu’aucune passerelle n’avait été ainsi envisagée par les juges pour transformer la procédure en une autre, plus adaptée, pour répondre à la demande des parents.

III – Bilan contrasté et nécessité d’une unification internationale des droits des parents d’intention

Ainsi, les identités parentales sont en permanente évolution sous l’influence des nouvelles techniques de reproduction. Toutefois, la figure du parent social apparaît problématique pour deux raisons : d’une part, elle se situe en marge du socle traditionnel qui régit le droit de la filiation ; d’autre part, dans certains États, elle heurte les fondations de l’ordre juridique établi depuis de nombreuses années. Le professeur Hasday déclarait que « le canon du droit de la famille est difficile à modifier » puisqu’il se compose « de façons de penser profondément enracinées et largement répandues (…) et de principes directeurs qui gagnent en force grâce à leur invocation répétée »30. Par ailleurs, il est possible d’avoir un regard nuancé sur la jurisprudence de la CEDH pour trois raisons. En premier lieu, la Cour a su s’adapter à la nature dynamique des familles européennes en comprenant la nécessité d’embrasser la pluralité des situations actuelles et des formes de conjugalité. En second lieu, l’intérêt supérieur de l’enfant a toujours représenté une valeur essentielle dans la mise en balance des droits en jeu. En troisième lieu, son action se trouve néanmoins limitée. En effet, la CEDH se voit toujours confrontée à l’incapacité des autorités nationales à combler les failles du droit positif et à conférer un statut juridique au parent non biologique en dehors des limites restreintes de l’adoption.

Il est impératif d’encadrer le processus des maternités de substitution transfrontalières pour éviter que ne prospèrent des pratiques commerciales contestables. En effet, comme le relève avec pertinence madame Frison Roche, professeure à Science Po Paris : « Les intérêts économiques de la GPA sont si considérables que [la] sagesse du droit dans son lien avec la réalité physique pourrait être submergée par tant de contournements mis en place, afin que les corps deviennent de la matière première, machines à produire de la richesse à l’infini »31. Dans le même sens, madame Fabre-Magnan, relève qu’il est essentiel de « veiller à la justice et à l’équilibre des relations humaines et sociales, de protéger les plus faibles », même si cela implique d’« assumer la tâche ingrate de montrer du doigt les faces négatives et les aspects plus sombres »32. Selon nous, même si la mondialisation n’est pas essentiellement hostile à la règle de droit, elle a tendance parfois à en atténuer la portée. Or, le droit international n’est pas un ensemble de normes décontextualisées : il se forge et évolue au gré de son environnement ; il doit, pour perdurer, se mettre en conformité avec les réalités de son époque. C’est pourquoi une meilleure régulation de la GPA, et du marché planétaire qui en découle, devient cruciale. Les jurisprudences nationales en raison de leur multiplicité comme celles de la CEDH, souvent fluctuantes, ne sauraient remplacer une convention à l’échelle globale.

En effet, une absence de consensus est aujourd’hui patente sur les valeurs publiques ou privées qui doivent prévaloir. De surcroît, des disparités subsistent parmi les nations où la GPA demeure prohibée (Italie, Espagne, Allemagne), celles qui l’autorisent sous l’égide des tribunaux (tel est le cas en Grèce), celles enclines à promouvoir une maternité de substitution altruiste (comme observé au Danemark ou au Canada), ou encore celles qui tolèrent les maternités à des fins lucratives (à l’instar de la Russie et de la Thaïlande). Enfin, de nombreux pays33 sont dépourvus de législations spécifiques à ce sujet, ce qui donne lieu à une pluralité d’interprétations par les juridictions et favorise les dérives marchandes. Aux États-Unis, il n’existe pas de loi fédérale sur la GPA, mais un encadrement différent selon les États34. L’hétérogénéité des réglementations, des régimes juridiques, ainsi que le vide législatif dans certains cas35 sont susceptibles de compromettre les droits des enfants et des futurs parents. En conséquence, plusieurs pistes d’amélioration peuvent être suggérées pour harmoniser les pratiques et produire des résultats plus prévisibles.

Proposition n° 1

La première proposition requiert une intervention à trois niveaux. Tout d’abord, une convention internationale pourrait être envisagée pour favoriser la reconnaissance interjuridictionnelle des actes de naissance étrangers par suite d’une GPA. Il conviendrait d’encourager également une plus grande coordination des divers acteurs à tous les échelons, une mise en commun des bonnes pratiques, ainsi qu’une meilleure information sur les risques encourus sur le plan juridique, médical et psychologique. Enfin, il semble fondamental de mieux vérifier que le consentement des mères porteuses ait été librement obtenu sans erreur, violence ou fraude et que les informations essentielles aient été délivrées dans leurs langues maternelles.

Proposition n° 2

Il serait souhaitable que seule une décision de justice attribuant un lien de parenté à l’étranger soit reconnue dans le pays d’origine, à l’exclusion de tout acte administratif ou document provenant de l’état civil. Cela garantirait à la fois que le consentement des mères porteuses a bien été libre et éclairé, mais aussi la prise en compte de l’intérêt des enfants.

Proposition n° 3

Inclure dans l’ordre public international l’intérêt de l’enfant. En effet, ce dernier se dessine dans une dynamique changeante qui varie en fonction des circonstances et des mutations sociétales. Une redéfinition de ce principe s’impose, loin de toute rigidité juridique qui fragilise les nouvelles constructions sociales.

Proposition n° 4

Mettre en place un système d’autorisation des accords de maternité de substitution avant la conception de l’enfant, sous le contrôle des autorités nationales. Cela permettrait de s’assurer de la protection des droits fondamentaux de toutes les parties prenantes au processus.

Proposition n° 5

Créer une commission spécialisée qui serait en charge des problématiques de GPA extra-frontalières.

Notes de bas de pages

  • 1.
    M. Field, Surrogate Motherhood, The Legal and Human Issues, Expanded Edition, 1990, Harvard Univ. Press.
  • 2.
    F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, 1989, Gallimard, Tel, p. 198, § 158.
  • 3.
    C. Brunetti-Pons, « L’intérêt supérieur de l’enfant : une définition possible ? », in « Le statut de l’enfant depuis la Convention internationale relative aux droits de l’enfant », RLDC 2011 (suppl. au n° 87), p. 27 à 31 ; M. Fabre-Magnan, « Les trois niveaux d’appréciation de l’intérêt de l’enfant », D. 2015, p. 224.
  • 4.
    C. cass. italienne, 11 janv. 2013, n° 601.
  • 5.
    L. 20 mai 2016, n° 76/2016, Regolamentazione delle unioni civili tra persone dello stesso sesso e disciplina delle convivenze (16G00082).
  • 6.
    https://lext.so/esNIQ5.
  • 7.
    CA Trente, 23 févr. 2017, n° 19599/2016.
  • 8.
    CA Naples, 15 juill. 2018, n° 145.
  • 9.
    CA Cassazione, 8 mai 2019, n° 12193/2019.
  • 10.
    https://lext.so/KcvUZD.
  • 11.
    Le Monde, 22 mars 2023.
  • 12.
    I. Théry, Moi aussi. La nouvelle civilité sexuelle, sept. 2022, Seuil.
  • 13.
    Cour const., 18 déc. 2017, n° 272.
  • 14.
    Camera dei deputati, Proposte di legge n° 887, 15 févr. 2023 – Camera dei deputati, Proposte di legge n° 1026, 21 mars 2023.
  • 15.
    C. Kilpatrick, « Article 21 – Non-Discrimination », in S. Peers, T. Hervey, J. Kenner et A. Ward (dir.), The EU Charter of Fundamental Rights : A Commentary, 2014, Oxford, Hart Publishing, p. 579 à 603.
  • 16.
    CEDH, 22 mars 2012, n° 30078/06, Konstantin Markin c/ Russie.
  • 17.
     CEDH, 16 sept. 2021, n° 20741/10, X c/ Pologne.
  • 18.
    V. aussi CEDH, 22 oct. 1981, n° 7525/76, Dudgeon c/ Royaume-Uni.
  • 19.
    CEDH, 24 juin 2010, n° 30141/04, Schalk et Kopf c/ Autriche.
  • 20.
    CEDH, 21 juill. 2015, nos 18766/11 et 36030/11, Oliari et a. c/ Italie, § 185.
  • 21.
    CEDH, 24 janv. 2017, n° 25358/12, Paradiso et Campanelli c/ Italie.
  • 22.
    CEDH, 13 juin 1979, n° 6833/74, Marckx c/ Belgique, § 31.
  • 23.
    CEDH, 24 mars 2022, n° 30254/18, AM c/ Norvège.
  • 24.
    CEDH, 8 juin 2023, n° 12482/21, A et B c/ France.
  • 25.
    CEDH, 31 août 2023, n° 47196/21, C c/ Italie.
  • 26.
    CEDH, 26 juin 2014, n° 65941/11, Labassee c/ France – CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c/ France – CEDH, 21 juill. 2016, nos 9063/14 et 10410/14, Foulon et Bouvet c/ France – v. aussi CEDH, 16 oct. 2020, n° 11288/18, D c/ France.
  • 27.
    CEDH, 16 févr. 2016, n° 72850/14, Soares de Melo c/ Portugal, § 92.
  • 28.
    CEDH, 24 janv. 2017, n° 25358/12, Paradiso et Campanelli c/ Italie.
  • 29.
    CEDH, 31 août 2023, n° 47196/21, C c/ Italie.
  • 30.
    J. Hasday, Family law reimagined, 2014, Harvard Univ. Press, p. 221.
  • 31.
    M.-A. Frison Roche, « La GPA ou comment rendre juridiquement disponibles les corps des êtres humains par l’élimination de la question », in B. Feuillet-Liger et S. Oktay-Ozdemir (dir.), La non-patrimonialité du corps humain : du principe à la réalité. Panorama international, 2017, Bruylant, Droit, Bioéthique et Société, p. 365 à 382, n° 17.
  • 32.
    M. Fabre-Magnan, La gestation pour autrui, fictions et réalité, 2013, Fayard.
  • 33.
    Argentine, Malaisie.
  • 34.
    Le Connecticut et le Delaware sont favorables à la GPA contrairement au Nebraska.
  • 35.
    Mexique.
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