Passé le délai légal de rétractation, l’opposition à l’adoption du conjoint à l’égard duquel la filiation de l’enfant est établie ne lie pas le juge

Publié le 05/10/2023
Passé le délai légal de rétractation, l’opposition à l’adoption du conjoint à l’égard duquel la filiation de l’enfant est établie ne lie pas le juge
Davids C/peopleimages.com/AdobeStock

La loi n° 2013-404 du 17 mars 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe a parallèlement accordé aux conjoints homosexuels le droit d’accéder à la filiation adoptive. Ainsi, à l’instar du couple hétérosexuel, chaque membre du couple homosexuel peut soit avoir la qualité d’adoptant soit l’un peut demander à adopter l’enfant de l’autre. Cette dernière hypothèse nécessite le consentement du conjoint, qui peut être rétracté pendant deux mois. À l’expiration de ce délai, le consentement donné devient irrévocable.

Cass. 1re civ., 12 juill. 2023, no 21-23242

Parce que l’adoption plénière est irrévocable comme le dispose l’article 359 du Code civil, elle requiert le consentement du représentant légal de l’enfant. Une fois donné, ce consentement n’est définitivement acquis qu’à l’expiration du délai légal de rétractation dont bénéficient les parents. Ainsi, à défaut de rétractation dans le délai, le juge n’est pas tenu de l’opposition à l’adoption du conjoint à l’égard duquel la filiation de l’enfant est établie. Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans cet arrêt du 12 juillet 2023. Dans cette affaire, un couple de même sexe se marie le 10 juin 2017. Le 14 octobre 2018, l’une des épouses donne naissance à un enfant. Le 2 janvier 2020, la mère consent, par acte notarié, à l’adoption plénière de son enfant en faveur de sa conjointe, laquelle sollicite le prononcé de l’adoption le 16 mars 2021. En instance de divorce avec l’adoptante, la mère de l’adopté décide de rétracter son consentement. Mais cette rétractation est inopérante puisqu’un jugement prononce l’adoption plénière de l’enfant.

S’opposant à la décision rendue par la juridiction du premier degré, la représentante légale de l’adopté interjette appel. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 16 septembre 2021, confirme le jugement d’adoption. Ce faisant, la mère forme un pourvoi en cassation. La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation. Elle fait grief à la cour d’appel d’avoir violé les articles 370-3 et 359 du Code civil en prononçant l’adoption plénière de l’enfant. Elle soutient que l’adoption requiert le consentement du représentant légal de l’enfant et ne devient irrévocable que lorsque le jugement qui la prononce est passé en force de chose jugée. Dès lors, le jugement doit d’office être annulé par le juge saisi en appel par le représentant légal lorsque celui-ci ne consent plus à l’adoption.

La question à laquelle était confrontée la Cour de cassation était donc celle de savoir si le juge devait être tenu de l’opposition à l’adoption du conjoint à l’égard duquel la filiation de l’enfant est établie en l’absence de rétractation dans le délai légal. Autrement dit, le consentement à l’adoption du parent légal de l’enfant est-il irrévocable à l’expiration du délai légal de rétractation ?

À cette interrogation, la première chambre civile de la Cour de cassation répond par l’affirmative et rejette le pourvoi. Pour écarter le moyen invoqué, la haute juridiction, sur le fondement des articles 345-1 devenu 370-1-3, 1°, 348-1 et 348-3 du Code civil, rappelle que l’adoption plénière de l’enfant du conjoint, permise lorsque l’enfant n’a de filiation établie qu’à l’égard de ce conjoint, requiert le consentement de celui-ci, lequel peut être rétracté pendant deux mois. Or, dans le cas présent, ce délai légal, prévu par la loi, n’a pas été respecté par la mère de l’enfant, la rétractation étant intervenue plus de deux mois suivant le consentement. Dès lors, la Cour de cassation retient que l’opposition de la mère ne lie pas le juge qui doit seulement vérifier que les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant.

La solution retenue est doublement intéressante : si elle rappelle l’exigence du consentement à l’adoption du conjoint à l’égard duquel la filiation de l’enfant est établie d’une part (I), d’autre part, elle apporte un enseignement important : l’irrévocabilité du consentement de ce dernier à l’expiration du délai légal de rétractation (II), et ce, quand bien même la décision prononçant l’adoption n’aurait pas acquis force de chose jugée.

I – Le rappel de l’exigence du consentement à l’adoption de l’auteur de l’enfant

Qu’elle soit simple ou plénière, l’adoption est une institution dont l’effet juridique est de créer un lien de filiation entre une personne, l’adoptante, et une autre, l’adoptée, sans que cela soit fondé sur la procréation du second par le premier. Il s’agit donc d’une fiction qui permet d’établir un lien de droit entre des individus.

Lorsque l’adoption en jeu est une adoption plénière, elle revêt, une fois prononcée, un caractère irrévocable, c’est-à-dire qu’elle ne peut plus être remise en question. À cet égard, l’on comprend aisément l’exigence du consentement à l’adoption du représentant légal de l’enfant. En effet, les articles 348 et 348-1 du Code civil disposent que « lorsque la filiation d’un mineur est établie à l’égard de ses deux parents, l’un et l’autre doivent consentir à l’adoption. Si l’un d’eux est décédé, dans l’impossibilité de manifester sa volonté, ou s’il a perdu ses droits d’autorité parentale, le consentement de l’autre suffit » ; « lorsque la filiation d’un enfant n’est établie qu’à l’égard de l’un de ses auteurs, lui seul doit consentir à l’adoption ». L’effet d’irrévocabilité qu’emporte l’adoption plénière justifie que le consentement de l’auteur de l’enfant soit impérativement caractérisé.

En l’espèce, les juges du fond et la Cour de cassation ne méconnaissent pas les dispositions légales énoncées. La seconde, en tant que juge du droit, a pu constater une application de ces textes par la cour d’appel, spécialement de l’article 348-1 du Code civil dans la mesure où l’enfant n’a de filiation établie qu’à l’égard de sa mère biologique. En effet, la Cour de cassation retient qu’il n’est pas contesté que le consentement de cette dernière en tant que représentante légale ait bien été requis en vue de l’adoption de l’enfant par sa conjointe.

Indépendamment des textes, la satisfaction de cette condition constitue un impératif puisque la jurisprudence en a fait un principe essentiel du droit français1. Ainsi, le juge qui statue en matière d’adoption doit s’assurer du consentement du représentant légal, et ce, quelle que soit la loi applicable. Il a été jugé à ce titre que le consentement d’un conseil de famille ad hoc ne peut se substituer à celui des père et mère, lorsque ceux-ci sont les représentants légaux de l’enfant2.

La haute juridiction confère même à cet acte juridique unilatéral fait par le parent légal un caractère d’ordre public. Elle a ainsi considéré qu’un jugement polonais qui se limite à mentionner le nom du père de l’enfant, sans indiquer son consentement à l’adoption en tant que représentant légal de ce dernier, est contraire à l’ordre public3.

S’il est nécessairement requis, le consentement à l’adoption du parent légal ne peut être obtenu par tous les moyens possibles. En effet, aux termes de l’article 348-3, il doit être donné en toute liberté, c’est-à-dire en pleine connaissance de cause sous aucune pression familiale ou sociale. En outre, il doit être obtenu sans aucune contrepartie dans un acte authentique. Dans l’affaire en cause, il n’est fait aucun grief sur la qualité et le formalisme du consentement, la mère ayant consenti librement par acte notarié le 2 janvier 2020. Le grief de la demanderesse est relatif à son droit de rétractation qui selon la Cour de cassation ne peut plus être exercé à l’expiration du délai légal prévu.

II – L’irrévocabilité du consentement à l’adoption de l’auteur de l’enfant à l’expiration du délai légal de rétraction

Il n’est pas exclu que le conjoint, parent de l’enfant, puisse éprouver des regrets à la suite du consentement donné à l’adoption. Face à cette émotion que pourrait ressentir l’auteur biologique, la loi lui offre la possibilité de se rétracter. En effet, à l’instar du consommateur, le parent à l’égard duquel la filiation de l’enfant est établie bénéficie du droit de rétractation. C’est à ce titre que le législateur enjoint à l’article 1165 du Code de procédure civile, aux personnes habilitées à recevoir un consentement à l’adoption, d’en informer celui qui le donne de la possibilité de se rétracter et des modalités de la rétractation. Quelles sont-elles ? Aux termes de l’article 348-5, alinéa 1, du Code civil, la rétractation doit être faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée à la personne ou au service qui a reçu le consentement à l’adoption du représentant légal4. En outre, le consentement peut être rétracté pendant deux mois. Ce délai, imparti depuis l’entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 19965, commence à courir à compter de l’établissement de l’acte authentique constatant le consentement. En application de la règle énoncée, la mère biologique ayant consenti par acte notarié le 2 janvier 2020 pouvait se rétracter jusqu’au 2 mars 2020. Or, à en croire la Cour de cassation, la rétractation de son consentement est intervenue au-delà de cette date. Dès lors, elle en déduit que l’opposition de cette dernière à l’adoption ne lie pas le juge.

Il ressort de la décision retenue par la haute juridiction que, après l’écoulement du délai de rétractation, le consentement donné par le conjoint parent biologique de l’enfant est frappé d’irrévocabilité : il ne peut plus se dédire, le consentement étant devenu définitif.

La position adoptée par la Cour de cassation, dans cet arrêt du 12 juillet 2023, est difficilement critiquable puisqu’elle n’opère qu’une application stricte de l’article 348-5 du Code civil. En la matière, le législateur s’est voulu clair : le consentement produit ses effets pleins et entiers à l’expiration du délai légal6. Ainsi, c’est à bon droit que la haute juridiction refuse de prolonger ce délai jusqu’à ce que le jugement d’adoption passe en force de chose jugée. Cela signifie que l’irrévocabilité du consentement ne suppose pas une décision définitive ; elle ne se rattache pas à une instance particulière. Le moyen avancé afin d’obtenir la cassation de l’arrêt des juges du fond et, partant, l’annulation de l’adoption, comme l’a pertinemment soutenue la Cour de cassation, n’étaient donc pas fondés. En effet, la demanderesse semble opérer une confusion entre le droit de rétractation de l’adoptant et celui du parent biologique consentant à l’adoption. Si le premier peut être exercé tant que la décision d’adoption n’est pas passée en force de chose jugée7, le second doit nécessairement être mis en œuvre dans les deux mois suivant le consentement.

Il est intéressant de préciser qu’il en irait autrement si les épouses n’étaient plus unies par les liens du mariage au moment du prononcé du jugement d’adoption. En effet, dans cette hypothèse, le consentement donné par la mère aurait été caduc. Mais tant que le mariage n’est pas effectivement dissous, c’est-à-dire même si le couple est en instance de divorce, le consentement exprimé est irrévocable après l’écoulement du délai imparti et celui-ci ne comporte pas de limite temporelle8.

La solution retenue par la Cour de cassation dans cet arrêt sera sans doute jugée rigoureuse mais elle a le mérite d’être irréprochable.

Notes de bas de pages

  • 1.
    TGI Nanterre, ord. réf., 7 juill. 2015 – CA Rennes, 25 oct. 2021, n° 21/00195.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 22 oct. 2002, n° 00-12360 : Bull. civ. I, n° 236 ; RJPF 2003, n° 19, note M.-C. Le Boursicot.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 18 juill. 2000, n° 99-10848 : JCP N 2002, 1337, n° 1527, note A. Moreno ; D. 2002, IR, p. 253 ; RJPF 2001-1, n° 43, note M.-C. Le Boursicot.
  • 4.
    Néanmoins, « la remise de l’enfant à ce dernier sur demande même verbale (…) vaut rétractation ».
  • 5.
    L. n° 96-604, 5 juill. 1996, relative à l’adoption : JO n° 156, 6 juill. 1996.
  • 6.
    Il convient de préciser que lorsque l’enfant a été remis par les père et mère pour adoption (tel n’est pas le cas en l’espèce), ils peuvent encore demander sa restitution bien que le consentement n’ait pas été rétracté dans le délai légal. La restitution est soumise à la condition que l’enfant n’ait pas été placé en vue de l’adoption. Si la personne qui l’a recueilli refuse de le restituer, les parents peuvent saisir le tribunal qui apprécie, compte tenu de l’intérêt de l’enfant, s’il y a lieu d’en ordonner la restitution. La restitution rend caduc le consentement à l’adoption (C. civ., art. 348-5, al. 2).
  • 7.
    Cass. 1re civ., 7 mars 1989, n° 87-14045 : Bull. civ. I, n° 111.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 11 mai 2023, n° 21-17737 : LEFP juill. 2023, n° DFP201p8, note A. Batteur ; Dalloz actualité, 5 juin 2023, obs. M. Mesnil ; AJ fam. 2023, p. 337, note F. Eudier.
Plan
X