PMA et filiation : « On considère qu’un couple de femmes, ce n’est pas complètement des parents comme tout le monde » !

Les questions de filiations ne cessent de défrayer la chronique, après les récents arrêts de la Cour de cassation sur la GPA, la PMA, quant à elle, interroge toujours dans le cadre de couples homosexuels. En effet, dans un arrêt du 23 mai 2024, la Cour de cassation a fait la lumière sur les conditions d’application de l’article 9 de la loi Limon. Une lueur d’espoir pour de nombreuses mères sociales privées de reconnaissance de filiation, comme l’explique l’avocate Me Clélia Richard et Eloïne Fouilloux, vice-présidente de l’association les Enfants d’Arc-en-ciel.
C’est un soulagement pour Madame P., mais c’est aussi une décision de justice qui changera la donne pour de nombreuses familles homoparentales. Le 23 mai dernier, la Cour de cassation a tranché en sa faveur. Son ex-conjointe s’était pourvue en cassation car elle s’opposait à l’adoption plénière qui lui permettait d’être reconnue parent légal de l’enfant qu’elles ont eu ensemble après un parcours de procréation médicalement assistée (PMA). Madame P. a bénéficié de l’article 9 de la loi Limon, un dispositif transitoire de trois ans, en vigueur depuis février 2022, qui permet de forcer l’adoption, c’est-à-dire d’établir la filiation même dans des circonstances de séparation conflictuelle chez les couples de femmes ayant effectué une PMA à l’étranger avant la promulgation de la loi bioéthique d’août 2021.
Un arrêt particulièrement attendu pour les associations de parents LGBTQI+
Retour en arrière. Ce couple marié a donné naissance à un enfant en 2018 après un processus de PMA en Belgique. L’ouverture de la PMA aux couples de femmes et la réforme de la filiation n’ayant pas encore été examinée en France, elles sont contraintes de passer par un processus d’adoption pour être toutes les deux reconnues comme mères. Mais le couple se sépare avant la fin des démarches et la mère biologique de l’enfant se rétracte, fermant ainsi la porte à la reconnaissance de Madame P. sur l’état civil. Après une requête déposée en 2021, le tribunal de Saint-Étienne a estimé que le refus d’adoption était justifié, jugement dont Madame P. a fait appel. En 2022, la cour d’appel de Lyon lui a finalement donné raison, actant ainsi la première application de l’article 9 de la loi Limon. Son ex-conjointe s’est donc pourvue en cassation. L’audience s’est tenue le 26 mars 2024, au cours de laquelle ce n’est pas la question du projet parental commun qui a été examinée : « Le pourvoi pose la question de savoir si le législateur, en prévoyant que « Le tribunal prononce l’adoption s’il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l’intérêt de l’enfant et si la protection de ce dernier l’exige », a entendu subordonner le prononcé de l’adoption à une condition autonome tenant à l’exigence de protection de l’enfant », peut-on lire dans l’arrêt de la Cour de cassation qui s’est rangé à la décision de la cour d’appel de Lyon qui avait prononcé l’adoption. « Le lien de filiation est désormais établi entre la mère non statutaire, qui n’a pas accouché, et son enfant, explique l’avocate de Madame P., Me Clélia Richard. Très concrètement, l’acte de naissance de l’enfant va pouvoir corroborer le nom de ses deux mères, il va pouvoir porter leurs deux noms. Sont établies l’autorité parentale, ainsi que la dévolution successorale. »
Membre de la commission juridique de l’Association des Parents gays et lesbiens (APGL), l’avocate salue une décision qui n’a pas seulement rejeté le pourvoi. « La Cour de cassation nous fait une lecture assistée de l’interprétation de la loi bioéthique et de la loi Limon du 21 février 2022. Elle dit la chose suivante : que la première des protections est le deuxième lien de filiation, et que le législateur a opéré une hiérarchie entre les notions de protection et de sécurité. Et ça c’est très important : c’est comme si on faisait un renversement de la charge de la preuve. Dans ce contexte, ce n’est plus à Madame P. de dire que le deuxième lien de filiation protège et sécurise l’enfant et c’est éventuellement à celle qui s’y oppose de démontrer que ce deuxième lien de filiation compromettrait la sécurité de l’enfant, et c’est à elle d’apporter la charge de la preuve. C’est comme ça que je comprends cet arrêt. Ces explications détaillées étaient attendues, elles donnent un balisage pour les autres affaires en cours. »
Des familles qui tombent hors du cadre du droit
Car du côté des associations homoparentales et des spécialistes du droit qui les épaulent, ces affaires de droit à la filiation sont loin d’être anecdotiques. « On suit pas mal de mamans sociales séparées qui veulent voir leur lien familial reconnu, confirme Eloïne Fouilloux, vice-présidente des Enfants d’Arc-en-ciel. Plusieurs d’entre elles sont dans des procédures de cassation en ce moment. Pour elles, cette décision est un grand espoir. »
Reste que le temps est compté. En effet, le dispositif transitoire de la loi Limon arrive dans quelques mois à échéance et les associations espèrent convaincre le législateur de le pérenniser : « Ce serait souhaitable car ces situations ne vont pas disparaître, explique Eloïne Fouilloux. Trois ans c’est ridicule, il y a eu très peu de communication et beaucoup de femmes ne sont même pas au courant qu’il existe. Elles ont eu des enfants il y a des années et croient n’avoir aucune chance d’avoir des droits parentaux. Malgré nos efforts, elles n’auront pas eu l’information avant la fin des délais. » La vice-présidente des Enfants d’Arc-en-ciel regrette ces dispositifs particuliers aux couples de femmes qui ne couvrent pas toutes les situations, par exemple, la reconnaissance conjointe a posteriori, là encore un dispositif transitoire qui est arrivé à son terme : « C’est trop restrictif, ça ne couvre pas les parents qui ne sont pas passés par des parcours de PMA à l’étranger. »
Un exemple parmi d’autres de la multitude de cas qui tombent hors cadre du droit, déplore Me Clélia Richard : « C’est le résultat du mille-feuille législatif. Si vous ne faites pas rentrer les gens dans le droit commun, il y a forcément des cas particuliers. Rentrer dans le droit commun, ça permet à tout parent, quel qu’il soit, de pouvoir saisir un juge facilement et sans avocat et d’avoir accès aux procédures d’urgence, ce qui n’est pas le cas ici. En cas de conflit parental, on sait que le parent sans droit, la mère non statutaire, est fichue d’avance, les liens sont rompus, tandis que l’autre parent, la mère statutaire, si elle le veut, peut la rayer de la carte. Elle le peut car c’est le droit qui le lui permet, c’est ça qui est gênant. »
Un autre exemple de dispositif a été créé tout spécialement pour les couples de femmes dans le cadre de l’extension de l’accès à la PMA en 2021, c’est la reconnaissance conjointe anticipée (RCA). Il s’agit de la procédure destinée aux couples lesbiens en procédure de PMA, réalisée en amont devant un notaire qui permettra aux deux mères d’être reconnues parents de l’enfant. Eloïne Fouilloux souligne des incohérences et des freins persistants depuis l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, comme si malgré cette avancée, rien n’avait vraiment suivi pour permettre des conditions d’accès optimales : « En France, on n’est pas en capacité de traiter toutes les femmes qui veulent avoir accès à une PMA. Non seulement les délais sont longs, mais en plus des centres de PMA mettent en place des conditions d’accès bien plus restrictives que celles prévues par la loi. C’était prévisible, puisque déjà avant l’extension de l’accès à la PMA en 2021, de nombreux couples hétérosexuels étaient contraints de se tourner vers l’étranger. Il aurait fallu une vraie campagne de sensibilisation et d’incitation au don de gamètes de grande ampleur, mais on l’attend toujours. On savait donc pertinemment dès le départ que de nombreuses femmes ne pourraient pas avoir accès à la PMA en France, malgré la loi. »
En ouvrant un nouveau droit, la France aurait-elle finalement créé de nouvelles cases rigides et restrictives, loin des réalités de toutes les familles ? C’est bien ce que dénonce la vice-présidente des Enfants d’Arc-en-ciel : « Après avoir empêché pendant des décennies les couples de femmes et les femmes célibataires d’avoir accès à la PMA, au moment de l’autoriser on a décrété que ce serait désormais pour les couples de femmes le seul moyen de faire famille. Non seulement les femmes ne sont aujourd’hui pas libres de choisir comment fonder une famille, puisque faire une insémination artisanale ou avoir recours directement à des banques de sperme hors de France, ne leur donnerait pas droit à la reconnaissance conjointe anticipée, mais celles qui ont fait ces choix avant 2021, à l’époque où la PMA n’était pas davantage autorisée, n’ont aujourd’hui droit ni à la reconnaissance conjointe a posteriori, ni à la loi Limon. Et cette inégalité prive de filiation et de droits des centaines de parents et d’enfants. »
Des inégalités persistantes pour les familles homoparentales
Pourquoi autant de difficultés alors même que les associations homoparentales avaient alerté le législateur pendant la réforme sur la filiation : en créant des dispositifs particuliers, des processus à part, cela allait exclure des familles. Elles ont le sentiment de ne pas avoir été écoutées : « On connaît les situations sur le terrain, mais notre expertise n’est pas reconnue, comme si les associations n’avaient pas de légitimité », déplore Eloïne Fouilloux.
Un mépris à l’égard des associations, mais aussi un pays qui peine encore à mettre sur un pied d’égalité toutes les familles, analyse Me Clélia Richard : « Je pense qu’en France, on fait la politique des petits pas parce qu’on considère qu’un couple de femmes, ce n’est pas complètement des parents comme tout le monde. Et c’est pareil pour les parents trans. Et on va nous dire « on fait les choix qu’on fait », mais au final on est des parents à l’égard de nos enfants, peu importe qu’on soit des hommes, des femmes, des personnes trans. Si on n’arrive pas à penser en droit commun, c’est que ab initio, tous les citoyens ne méritent pas qu’on les considère comme pouvant être des parents complètement normaux. Le droit n’est pas inclusif, car il y a des catégories de citoyens que l’on traite différemment. » Près de trois ans après l’ouverture de la PMA, certaines familles ne sont donc toujours pas égales aux autres.
Référence : AJU014c7
