Tribunal de Nanterre : « Il faut le soigner, le réinsérer, pas le maintenir en détention »
Un prévenu en grande souffrance et sous traitement comparaît pour un vol en récidive. Au vu de son état psychiatrique, la question du bénéfice de la sanction pénale s’est sérieusement posée.
L’avocate se penche vers le box dans lequel un homme vient d’entrer. On vient de lui retirer les menottes et aussitôt ses bras sont pris de soubresauts sans discontinuer. « Vous allez bien ? Vous tremblez beaucoup, vous avez eu votre traitement pour la schizophrénie ? » Le prévenu hoche la tête. « Vous vous rappelez pourquoi on est là ? Vous avez cassé la fenêtre d’une voiture et pris des lunettes de soleil… malheureusement, c’est comme d’habitude. » L’homme a l’air perdu, son conseil tente de le rassurer d’une voix patiente mais ferme. « Si jamais ça ne va pas pendant l’audience, vous le dites ! »
Les bras de Monsieur D. tremblent en permanence comme agités par des fils invisibles, sa bouche est secouée par un spasme qu’il ne contrôle pas. Il est âgé d’une cinquantaine d’années. Alors qu’il purge déjà une peine de douze mois, il comparaît devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre pour un vol avec dégradation en récidive, commis en février 2024 à Levallois-Perret.
« Il se rend compte qu’il a besoin d’accompagnement »
Ce sont des policiers en surveillance dans le Nord-Ouest parisien qui l’ont aperçu et l’ont interpellé alors qu’il venait de passer à hauteur d’un SUV, avait brisé la vitre, fouillé à l’intérieur et était reparti avec un sac. Au juge qui l’interroge pour comprendre les raisons de ce vol, le prévenu répond qu’il est schizophrène :
– « Des voix me disent de faire ça. Elles me disent que je vais trouver de l’argent. C’est mon imagination.
– Vous avez une addiction ? Des stupéfiants, de l’alcool ?
– Oui, beaucoup. »
Monsieur D. est sous curatelle, il suit aussi un traitement antipsychotique. Selon une experte qui l’a examiné, il a une bonne conscience de son trouble. Malgré un risque de rechute et de passage à l’acte, elle n’a pas décelé d’altération ou d’abolition du jugement, ni de dangerosité. Une autre expertise psychiatrique a été menée à la demande de la défense et a indiqué de nombreux troubles rattachés à une schizophrénie paranoïde. L’avocate insiste sur le fait que Monsieur D. n’est que partiellement accessible à une sanction pénale.
Il a cependant neuf mentions à son casier judiciaire. Monsieur D. se balance d’un pied sur l’autre, tandis que son curateur s’avance à la barre : « On a des contacts plutôt agréables avec Monsieur D., il est facile à vivre, je n’ai pas ressenti d’agressivité. Il se rend compte qu’il a besoin d’accompagnement. »
Par le passé, Monsieur D. a un peu travaillé dans le bâtiment, il touche maintenant une allocation adulte handicapé. Le juge s’intéresse particulièrement à ses addictions, aux fortes doses d’alcool qu’il prenait quotidiennement, à sa consommation de crack. En détention, il n’a plus touché à rien. « Ça va beaucoup mieux, Monsieur ? », questionne le juge d’un ton enjoué. Monsieur D. hausse ostensiblement les épaules. « Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Ça va beaucoup mieux », rétorque-t-il sans convaincre personne, encore moins lui-même.
« Ce n’est pas une bonne idée de le faire comparaître dans cet état »
Une détention provisoire concernant des faits de violences sur son ex-conjointe pour lesquels il comparaîtra la semaine suivante, une condamnation à douze mois prononcée en juillet censée être aménagée avec bracelet électronique… La procureure insiste sur le fait que les éléments récents ne jouent pas en la faveur de Monsieur D : « Ce qui est complexe, c’est sa personnalité. Il commet énormément d’infractions », s’inquiète le ministère public, qui tient à prendre en compte son état psychiatrique. Comment faire sans une domiciliation stable ? Un placement extérieur pourrait être la solution selon la procureure, qui requiert huit mois d’emprisonnement.
Pour la défense de Monsieur D., les vols ou les dégradations dont il semble coutumier surviennent justement lors d’une rupture de traitement. « Ça n’excuse pas Monsieur, mais ça explique la cohérence. » Mais ajouter huit mois à la peine en cours, cela a-t-il du sens ? Même avec un aménagement en placement extérieur ? « On le maintient en détention et on refile le bébé au juge d’application des peines qui n’est pas du tout surchargé », ironise-t-elle. « Ce n’est pas une bonne idée de le faire comparaître dans cet état, ni de le placer en détention dans cet état. Il faut le soigner, le réinsérer, pas le maintenir en détention. Ce qu’il faut c’est une hospitalisation. » Les derniers mots de Monsieur D. ne vont pas dans un autre sens : « Ma place est pas en prison, c’est dans un centre médical que je veux être suivi. Ça fait rien de bien la prison. J’en sors, je vais aller vers le crack. Y’a plein de gens derrière moi qui veulent que je m’en sorte. »
Le juge prononce finalement une peine de quatre mois d’emprisonnement sans mandat de dépôt et avec un aménagement à l’appréciation du JAP, compte tenu de l’altération du discernement. « Ça c’est une bonne nouvelle », se réjouit l’avocate qui se tourne vers Monsieur D. pour lui expliquer le verdict.
Référence : AJU015o2