Un « contre-salon » de la vieillesse invite les personnes âgées à mieux connaître leurs droits
À Paris, du 17 au 19 novembre prochain, se tiendra le premier « contre-salon » des vieilles et vieux. Une initiative qui entend rendre aux personnes âgées une place active dans la société.
Pour recevoir la première édition de leur « contre-salon » des vieilles et vieux, le Conseil national autoproclamé de la vieillesse (Cnav), qui regroupe environ 2 000 bénévoles dans la France entière, a choisi la halle des Blancs Manteaux (75). Pendant tout un week-end, les têtes chenues vont occuper l’espace et garder le micro pour parler sans tabou de ce qui les concerne le plus : la vieillesse. En tant que médecin, la cofondatrice du Cnav, Véronique Fournier, 69 ans, a une grande expérience dans la prise en charge de la vieillesse (elle a cofondé entre autres le Centre d’éthique clinique de l’APHP). Désormais à la retraite, face à une société productiviste qui a tendance à prendre en charge des personnes qu’elle n’écoute plus, elle se consacre à cet adage : « Rien pour les vieux sans les vieux ».
« Quand on est mis à la retraite, on se sent passer dans une autre catégorie d’âge, mais aussi de citoyens. Le regard de la société sur les inactifs est assez violent. Quand on a 40 ans et qu’on est conseiller ministériel, on ne se rend pas compte de ce que « vieux » veut dire. Le Cnav a été créé en décembre 2021 en réaction au fait qu’il n’y ait toujours pas de loi grand âge et que la politique de la vieillesse est pensée uniquement par des personnes non concernées. Il nous est apparu important de dire : « Rien pour les vieux sans les vieux ». Loin de nous l’envie de décider nous-mêmes, d’avoir un pouvoir ou un « ministre des vieux » mais plutôt de rappeler que 30 % de la population a plus de 65 ans et que l’on ne demande jamais leurs avis. Nous avons eu immédiatement un écho important dans la société, ce qui démontre que cette parole manquait ! », explique-t-elle.
Un contre-salon pour donner de la voix
Le programme de ces trois journées sera intense pour les participants. Conférences sur la vie affective, l’appréhension de la mort ou la mode en Ehpad, café philo, atelier fanzine, atelier dansant, apéro, tables rondes sur l’habitat partagé, la parole politique ou l’accès au droit, le salon entend renverser les préconçus : « la vieillesse n’est pas une maladie, la peur de vieillir n’est pas une fatalité : nous voulons rester jusqu’au bout acteurs de notre vie. Une vie pleine, riche, joyeuse, citoyenne ». Rien de moins que Laure Adler, Noël Mamère, Michel Wieviorka, Noëlle Châtelet, Annie Ernaux ou Michèle Perrot pour animer trois jours inoubliables, pleins de vie.
Rien à voir, donc, avec les différents salons des seniors créés par les entreprises du nouveau secteur florissant du troisième âge (la « silver economy » représente un CA de 150 milliards d’euros) : « cet événement, c’est dire haut et fort que l’on en a assez des salons des seniors faits par et pour les acteurs du secteur ou les aidants. Ces salons où l’on vend des surélévateurs de toilettes, des petits pots super protéinés, des couches, des gadgets. Où les personnes âgées ne sont qu’une cible marketing, un produit dans un nouveau marché florissant », souligne Véronique Fournier pour qui le contre-salon sera un nouvel outil pour faire entendre une voix souvent inaudible, pathologisée, infantilisée. « Avec le Cnav, nous avons tenté sans succès d’être reçus officiellement. Il fallait trouver un moyen de taper plus fort, d’impliquer les gens. L’idée d’un événement marquant s’est imposée à nous et le concept du « contre-salon » nous a semblé idéal pour faire le buzz. « Vieux et vieilles » c’est un mot qui choque, qui passe mal parce que c’est un stigmate. Si nous ne nous affirmons pas, si nous « restons jeunes » à tout prix, avec cheveux colorés et jean à 70 ans, jamais on ne nous entendra ! Francis Carrier (cofondateur du Cnav) visite beaucoup de vieux dans le cadre de son travail pour les Petits frères des pauvres. J’ai travaillé sur une étude financée par la Fondation de France où l’on a suivi pendant 5 ans 100 nonagénaires. On allait les voir régulièrement, ils nous racontaient leurs plaisirs, leurs difficultés, leur relation à l’argent ou leur perception des Ehpad. Cette première édition vient de là : rencontrer d’autres vieilles et vieux pour comprendre nos préoccupations, nos projets, nos interrogations, nos envies et voir quelles réponses apporter, quels concepts élaborer collectivement ».
Mettre en lumière une vulnérabilité non pas physique, mais sociétale
Comme l’actualité a pu le montrer, avec la pandémie du Covid, la réforme de la Sécurité sociale ou le scandale des Ehpad privés, le troisième âge n’est pas forcément celui du repos tant attendu. Le rapport annuel de l’Observatoire des inégalités montre que les inégalités persistent, voire se renforcent en France, notamment en ce qui concerne la discrimination liée à l’âge. Les seniors sont particulièrement touchés par ces inégalités, qu’il s’agisse d’accès à l’emploi, de traitement au travail ou de perspectives de carrière. Chaque année, ils et elles sont très nombreux à être victimes d’arnaques, d’abus de faiblesse, de mises sous tutelle arbitraires, de placement forcé mais aussi de discriminations liées à leur âge. L’âgisme, à savoir la discrimination sur l’âge que peuvent subir les personnes âgées, est malheureusement l’une des violences les plus banalisées qui soit : placardisation des travailleurs, refus d’accueil dans les services des urgences ou certaines administrations, dénigrement et insultes sur la voie publique ou dans les commerces (« le vieux basching »), publicité mensongère et tromperies commerciales, la liste est longue et les conséquences gravissimes. La Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG), qui a lancé une campagne sur l’âgisme en 2020, a cité une étude selon laquelle les personnes exposées aux comportements négatifs concernant leur vieillissement vivraient 7,5 années de moins que les autres.
En France, les articles 225-1 à 225-4 du Code pénal décrivent avec détails la pénalisation de l’âgisme lorsqu’il s’agit d’une discrimination d’âge liée : à la consommation d’un bien ou service ; à l’exercice d’une activité économique ; ou au marché du travail et du stage. Mais peu de personnes connaissent ce texte, peu de personnes sont au courant des droits qui sont les leurs. C’est pourquoi, le samedi 18 novembre de 14 heure à 15 heure, un atelier sur l’accès aux droits sera ouvert à tous et toutes. Il sera animé par Odile Plan, de l’Association Or Gris qui présentera des exemples de discrimination liés à l’âge repérés et rediffusés sur son blog. Elle détaillera les méfaits sociaux et culturels. Judith Duperoy, avocate à Paris exposera, quant à elle, quelques exemples de discriminations digitales et numériques avec les dommages et préjudices que subissent les personnes âgées, basés sur son expérience pratique.
Diego Pollet, avocat au barreau de Paris, fondateur et président de l’Association pour le droit des aînés et de leurs proches (PDAP) entend lancer à l’occasion du contre-salon une « class action » : « Notre association constate un phénomène discret mais réel de discrimination liée à l’âge dans la vente ou la location de certains produits de consommation, services ou biens. Ce qui est interdit par la loi et permet donc d’être combattu par un moyen juridique, nommé » action de groupe ». Lequel outil juridique est explicitement utilisable selon la loi à la discrimination liée à l’âge. « Je me sens en devoir de m’engager là où il existe des germes de progrès social. C’est l’occasion de faire connaître un outil juridique qui pourra être très efficace : la class action quel que soit le dossier (secteur bancaire, refus de prêts, refus de location de voitures). Ces actions sont intéressantes car elles se font en deux parties : une première, non-agressive qui oblige simplement le grand loueur ou la banque à discuter sur sa pratique discriminatoire pour en changer et une deuxième, où on saisit le tribunal, si la première étape n’a pas fonctionné. De même, cette action collective permet, quand on est petit, de taper sur le tambour médiatique pour être pris plus au sérieux : ce contre-salon est le bon endroit pour cela ! », nous explique l’avocat.
Discriminations, droits des personnes âgées : les avocats au rendez-vous !
L’objectif de Diego Pollet est également de rappeler aux personnes âgées combien l’avocat peut être un allié. Car l’âge s’accompagne d’une véritable vulnérabilité juridique : « l’accès au droit est de plus en plus difficile, du fait entre autres de la digitalisation des démarches avec les institutions, l’administration ou les entreprises. Il existe aussi une autre problématique : le droit inaliénable de vivre où l’on veut. Sachant que même les personnes sous tutelle ont ce droit et que la majorité des personnes l’ignore. La liberté d’aller et venir est aussi régulièrement remise en cause du fait des préjugés liés à l’âge. Les « chers enfants » retirent parfois le volant à leurs parents sans tenir compte des données de la sécurité routière qui prouve qu’il vaut mieux croiser une vieille dame qu’un jeune homme fougueux ». L’avocat, qui a publié dans la Gazette du Palais en septembre dernier une tribune sur le rapport de Mme Caron-Déglise, avocate générale à la Cour de cassation, sur la protection juridique des majeurs (Lutter contre la maltraitance en se passant des avocats, ou l’État de droit en échec, GPL 26 sept. 2023, n° GPL453z5) relève que « Ce travail est remarquable à bien des égards mais il confirme aussi implicitement une réalité alarmante : l’absence de reconnaissance du rôle essentiel de l’avocat auprès des personnes dites « vulnérables » en particulier dans la préservation de leurs libertés et droits fondamentaux » ! Diego Pollet travaille en particulier dans les dossiers sur les tutelles ou curatelles. « La personne intéressée me saisit et non ses proches. La plupart du temps, c’est pour se défendre d’un projet de protection de proches ou professionnels qu’elle juge inutile ou trop lourde. Le problème c’est qu’un des signes d’une dégénérescence neurocognitive, c’est de ne pas se rendre compte de l’évolution de son état. C’est pour cela que la matière est intéressante : il existe de nombreuses gradations dans les procédures de protections juridiques ou judiciaires, le rôle de l’avocat est de permettre une meilleure adaptation suivant la nécessité du cas, de la proportionner. Je travaille aussi sur des dossiers où mon client doit choisir la personne qui pourrait la prendre en charge ou sur le droit de rester ou retourner au domicile. Une vulnérabilité juridique de plus en plus fréquente à l’endroit des personnes âgées touche au droit de faire une donation ou un mandat de protection future. Il arrive régulièrement que des personnes âgées veuillent gratifier de leur vivant des personnes extérieures à la famille et que telle ou telle s’y oppose vigoureusement. Il y a soupçon d’abus de faiblesse, sous prétexte que la personne – qui a le droit de disposer de son argent de son vivant – est âgée. Dans ma pratique, je constate que l’empressement à conclure à un abus de faiblesse peut être dévastateur pour la personne car le procureur, la police et la juge des tutelles suivront de toute façon les suspicions des proches, avant le non-lieu », explique l’avocat qui ne se présente pas comme spécialiste des droits des personnes âgées mais comme avocat spécialisé dans la défense des droits et libertés fondamentales des personnes âgées.« Il n’existe pas de droits spécifiques aux personnes âgées, je défends en revanche celles qui sont fragilisées et celles dont on prétend à tort qu’elles le sont. Depuis peu, dans le droit, la lutte contre la discrimination a été étendue à la discrimination par l’âge ! ».
Armés de nombreux outils, galvanisés par les possibilités et une possible « class action », il y a fort à penser que les participants au contre-salon des vieilles et des vieux sortiront plus solides qu’ils ne sont entrés. C’est tout du moins le souhait de Véronique Fournier : « il convient de montrer que même inactifs, nous pouvons apporter des choses à notre société. Pas forcément en s’accrochant à la vie active… mais je pense par exemple que les vieilles et les vieux sont moins violents et peuvent servir de tampons, de médiateurs parfois, en partageant avec les jeunes leur expérience des excès. Je pense qu’il faut rétablir de l’intergénérationnel : la société est jeuniste et c’est bien, car les jeunes sont notre avenir collectif, mais je pense que nous avons notre carte à jouer pour y participer aussi ! » .
Référence : AJU011g3
