Yvelines (78)

Une rentrée sous tension pour les parents de tout-petits

Publié le 20/09/2022
Crèche, enfants
Halfpoint/AdobeStock

Places de crèche gelées par manque de personnel, personnel sous pression, manque de nounous… En Île-de-France, la situation est compliquée pour beaucoup en cette rentrée. Cas pratique dans le département des Yvelines (78).

Selon les données de l’Insee, 15 % de la population francilienne est âgée de moins de 4 ans. Et trouver où placer nos chers enfants qui n’ont pas encore l’âge d’être scolarisés peut être compliqué pour les parents. Alors qu’en 1991, une femme sur trois était mère au foyer, en 2011 on en dénombrait une sur cinq. En 2022, les pères au foyer restent encore une denrée rare. Avant l’âge de la scolarisation, une écrasante majorité d’enfants sont donc confiés à des assistantes maternelles ou à des structures d’accueil publiques ou privées. Mais il y a un hic, et un gros : ces dernières vivent une rentrée des plus compliquées.

Ce n’est pas un faible mot que de dire que la fin de saison 2021-2022 a été dure pour les personnels de crèches, qui ont dû pendant toute la pandémie s’adapter au gré des règles et des fermetures. Les assistantes maternelles, qui ont également eu à adapter leurs cadres de travail pour exercer en sécurité, se sont retrouvées à gérer des parents parfois à bout. Le contrecoup a donc été au rendez-vous : les travailleuses sont « tombées comme des mouches », pour citer une professionnelle interrogée, alors qu’une normalité de façade se réinstalle dans le pays. Peu à peu, les directions des structures d’accueil ont vu leurs effectifs fondre à vue d’œil, ce qui a eu des conséquences sur les conditions et les possibilités d’accueil des enfants. Dans les crèches publiques de Paris, par exemple, des roulements ont été mis en place pour faire tourner les jours de fermeture de crèches en crèches. En conséquence, nombre de parents salariés se sont trouvés dans une situation compliquée.

Des salariées épuisées, des communes sans solution

Face à ce capharnaüm et pour convaincre parents et entreprises, le 6 janvier 2022, lors du congrès de la Fédération des acteurs de la solidarité, Emmanuel Macron promettait d’instaurer un « droit à la garde d’enfant, avec une indemnisation en cas d’absence de solution ». Un discours qui finissait de hérisser le poil des professionnelles de la petite enfance : l’urgence était de trouver une solution pour les parents, non pas pour les dernières des Mohicans (90 % des salariées sont des femmes). Cette promesse est donc tombée comme un cheveu sur la soupe après des années de bataille pour obtenir une plus juste rémunération, la mise en place de nouveaux cadres, de nouvelles conditions d’accueil pour les enfants, en réaction à la réforme lancée par Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la Protection de l’enfance.

Cette ordonnance, dont le décret est paru le 31 août 2021, aura un impact durable sur l’accueil des tout-petits. Elle permet aux structures de confier les enfants à moins de personnel qualifié et de réduire le nombre de mètres carrés par enfant, en résumé. Des règles qui vont bénéficier au modèle de microcrèches, créé pour le monde rural et qui pullule désormais partout. Elle prenait surtout le chemin inverse des préconisations du rapport des 1 000 premiers jours, paru en 2020, pourtant commandé par le même gouvernement. Après qu’un drame, survenu à Lyon dans une crèche privée a ravivé des braises à peine chaudes, nombre de professionnelles ont raccroché les crampons, se sont retrouvées en congés maladie. Nombre d’élèves des centres de formations ont décidé de changer de voie. C’est le cas de Lucile, 22 ans (mais sensation d’en avoir 47), auxiliaire de puériculture à Paris depuis trois ans. Après deux années particulièrement éprouvantes, dans des structures publiques et privées, elle a décidé de tourner les talons : en septembre 2023 elle changera de vie, même si elle n’en doute pas « c’est un très beau métier, que je suis heureuse de compter dans mes expériences. J’ai passé les concours d’auxiliaire de puériculture à Nantes et à Paris. À Nantes, ils ne prennent presque personne, à Paris ils prennent tout le monde : il en manque tellement ! Je suis entrée dans l’école Paul Strauss dans le XVe, une excellente école de puériculture. J’ai fait des stages à l’hôpital, en mater, en pédiatrie, en crèche. Tout s’est très bien passé, j’étais faite pour la crèche, épanouie par une expérience dans une crèche de la ville de Paris, à côté du Louvre, où il y avait des filles en nombre, ça se passait super bien ». Dès que Lucile met le pied à l’étrier, en 2020 (l’année du Covid), elle découvre qu’elle est une denrée rare, elle multiplie les entretiens d’embauche : c’est à elle de choisir son employeur. Elle choisit une structure privée dans le XIVe arrondissement. « Au début tout allait bien mais à la fin du mois de septembre, il y a eu une première démission, puis une deuxième. Nous nous sommes retrouvées à deux avec 15 bébés, j’avais 18 ans et apprenais tout juste à savoir cuire des pâtes : c’était trop de responsabilités d’un coup, ça a été un choc ! ».

Deux années dans cet établissement, avec des hauts mais surtout des bas, ont été un chemin de croix. Lucile a vu ses collègues partir en arrêt ou en burn-out, remplacé par des personnes non qualifiées, « une boulangère, même la femme de ménage a été recrutée pour travailler avec les enfants, sans aucune qualification : le simple fait que les enfants l’aiment bien a suffi pour la recruter ». À l’époque, ces recrutements « sauvages » sont pourtant interdits, mais fréquents selon la professionnelle. Ces mois-là, Lucile a vu des maltraitances sur les enfants à qui aucune activité n’est proposée, faute de temps. « Je plaignais les enfants », dit-elle. Elle avait l’impression de ne pas faire le métier qu’elle a appris, multipliant les heures sup non rémunérées, s’est retrouvée formatrice par défaut de collègues qui ne terminent pas leurs périodes d’essai, elle a connu la sciatique et les crises d’eczéma, elle est tombée dans les pommes. Des accidents du travail non reconnus comme tels. Comme ses collègues. « Tout le monde tombait les unes après les autres, c’était comme une forme de solidarité : une s’arrête car elle en peut plus, elle revient après dix jours et c’est au tour d’une autre : nous sommes toujours en sous-effectif, les arrêts c’est la seule manière de tenir. Le Covid, c’est une bénédiction. Mais c’est un cercle vicieux : car tu fais toujours le double du travail et au final la situation s’aggrave, et tu démissionnes… ».

À Paris, 15 % des places de crèche gelées, dans les Yvelines, la pénurie d’assistantes maternelles guette

Prises entre le marteau et l’enclume, les communes se trouvent souvent dans une situation retorse, pour rassurer leurs administrés. Exemple à Carrières-sous-Poissy (78) : cette commune de 16 000 habitants se retrouve en cette rentrée avec une cinquantaine de familles sans solution de garde pour leurs enfants en bas âge. « Seuls 9 postes sur 24 sont pourvus dans les structures municipales, a expliqué au Parisien le maire écologiste, Eddie Aït. « Nous n’arrivons pas à recruter », constate-t-il. « Habituellement, en cas de manque, nous pouvons nous appuyer sur le secteur libéral. Mais là aussi c’est compliqué : nous sommes passés de 120 à 80 assistantes maternelles en quelques années. Je redoute les prochains mois car ma commune enregistre une naissance par jour… ». L’édile croise les doigts et espère que la hausse des salaires qu’il propose suffira à faire pleuvoir les candidatures sur sa commune (la ville propose des rémunérations comprises entre 2 000 et 2 500 € net) !

Dans les Yvelines, Carrière-sous-Poissy n’est pas la seule concernée. Dans le département près de 1 000 postes d’assistantes maternelles auraient disparu en 5 ans ! Dans la vallée de la Seine, la chute serait de 30 % : la perte de pouvoir d’achat dans une région très chère, le désintérêt pour le métier y est pour beaucoup. Dans ce contexte de pénurie de personnel qualifié, qui aggrave le mal-être au travail des équipes restantes, l’État propose depuis le 31 août 2022 une dérogation pansement. Les crèches peuvent désormais en user pour recruter des personnes non diplômées dans le secteur. Ces nouvelles recrues bénéficient de 120 heures de formation en crèche. Dès 35 heures, elles peuvent être en charge d’un groupe d’enfants, accompagnées par un professionnel diplômé.

Une solution vécue comme une nouvelle agression pour les professionnelles diplômées aux salaires précaires (1 646 € nets mensuels sur 12 mois en moyenne). Des salariées qui pour nombre d’entre elles ont suivi une formation professionnelle très onéreuse (6 000 à 8 000 € pour les formations d’auxiliaires de puériculture). Lucie Robert, co-secrétaire générale du Syndicat de la petite enfance (SNPPE), est ulcérée. « Il y a un décès et la réponse c’est  « on a qu’à embaucher des personnes sans qualifications » on se dit qu’ils sont vraiment à côté de la plaque ! Encore une fois nous ne sommes pas écoutées. Tout le monde entend qu’un garagiste doit avoir des bases de mécanique pour s’occuper de sa voiture, qu’un garage ne devrait pas prendre n’importe qui. Alors pourquoi les enfants, les futurs citoyens, ne méritent pas cette exigence ? Ou peut-être se disent-ils : « ce ne sont qu’une bande de nanas qui chipotent, qui se plaignent pour rien et pour s’occuper des gamins il ne faut pas faire bac +3 ». Lucile, auxiliaire de puériculture, par exemple, a déboursé 6 000 € pour sa formation et se retrouve désormais en structure avec une minorité de diplômées à peine payées plus que le smic, revalorisé cette année. Pour elle, le fait de recruter sans qualification et à grande échelle est « dégradant ».

« Il y a un décès et la réponse c’est « embauchons sans qualifications »» !

Cette dérogation, qui concerne principalement les crèches, a eu un fort retentissement dans la capitale. À Paris, en effet, 2 enfants sur 3 de moins de 3 ans sont accueillis en collectivité. Selon Patrick Bloche, élu en charge de l’Éducation, de la Petite enfance à la mairie, il manque 500 auxiliaires de puériculture en cette rentrée. « Faute de professionnels pour respecter le bien-être et la sécurité des enfants, on gèle 10 à 15 % de nos places en crèche », affirme-t-il. Mais pas question pour lui de recruter des personnes non diplômées. Problème, ce n’est pas la mairie qui fait les recrutements dans les établissements privés (microcrèches, crèches bilingues ou Montessori) qui fleurissent à chaque coin de rue (une vingtaine par an) : pour eux, l’élu affirme que les contrôles seraient renforcés quant aux profils des personnes recrutées. Pour faire face à la pénurie, la ville a créé le poste d’assistant d’éducation petite enfance mais qui selon Patrick Bloche « ont la nécessité d’avoir un CAP Petite enfance et de ce fait, un diplôme ».

Selon Lucie Robert, la situation de l’Île-de-France est particulière à cause de la densité de sa population et de la pluralité des structures et des intervenants d’accueil : pour elle, la promesse de contrôles accrus dans un tel contexte est illusoire. « On a les accueils publics, municipaux et départementaux, les grosses structures privées, les microcrèches, les MAM (Maisons d’assistants maternels), c’est compliqué pour la PMI (Protection maternelle et infantile) de contrôler tout le monde, d’autant plus que les moyens ne suivent pas », juge-t-elle. Selon elle, le plus compliqué à contrôler reste le système de garde à domicile qui n’est pas forcément géré par des assistantes maternelles. « C’est un mode de garde très prisé en Île-de-France en particulier pour les parents qui n’ont pas trouvé de places en crèches, ni de nounou : on partage avec d’autres familles une garde à domicile. Il y a Kangourou Kids qui fait ça et d’autres boîtes de services à la personne, des associations de ville proposent également cela : c’est pratique, mais le souci c’est qu’ils recrutent sans diplôme, les salariés n’ont pas d’agrément comme les assistantes maternelles… »

Et si la solution n’était pas ailleurs que dans le bricolage et la multiplicité des acteurs ? Selon Lucie Robert, il faut lancer un véritable travail de pédagogie pour revaloriser collectivement les métiers de la petite enfance et ainsi recruter à tour de bras, pour les années à venir. Et pour cela, il faudra toucher toute la population et commencer très tôt, dès le collège ou le lycée. En effet, les carrières de la petite enfance sont encore trop souvent considérées par les parents ou les conseillers d’orientation comme des voies de garage pour les jeunes filles désintéressées par les études. Dans la société patriarcale, on considère encore beaucoup qu’une supposée fibre maternelle innée remplace bien des compétences acquises par des cours, des lectures, des stages, des connaissances techniques sur l’évolution des enfants, sur l’éducation. Les jeunes personnes se projetant dans ces carrières doivent souvent faire face à du dénigrement quant à leurs choix de vie. Comme dans d’autres villes du Gers ou de Mayenne, Mantes-la-Jolie a récemment lancé une campagne pour redorer le blason des carrières de la petite enfance. Dans le même temps, la ville a dynamisé son relais d’assistantes maternelles (RAM) pour séduire les candidats et rassurer les parents. Six personnes ont ainsi pu être recrutées.

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