Propos introductifs

Publié le 30/04/2019

« L’information en droit privé ». Voilà une étude juridique transversale qui, à n’en point douter, captivera l’attention des juristes universitaires et praticiens. Elle vient judicieusement compléter une précédente étude plus restreinte consacrée à « L’information en droit de l’entreprise »1.

À cet égard, il est légitime de songer à « L’information dans le cadre d’une procédure juridictionnelle » (première partie) et, a contrario, à « L’information en dehors d’une procédure juridictionnelle » (deuxième partie). C’est autour de ces deux axes que pas moins de 12 auteurs ont concentré leur réflexion dans leurs spécialités respectives. C’est dire la large portée de celle-ci.

1. S’agissant de la première partie, il convient de s’intéresser prioritairement à la procédure civile2 à propos de laquelle les droits de la défense sont envisagés, aussi bien en ce qui concerne la participation aux débats que la préparation de la défense. Quel que soit le caractère prédominant de la procédure civile, accusatoire ou inquisitoire, il est impératif que les parties au litige soient informées des arguments de leur contradicteur ou des démarches du juge à leur encontre.

Toujours est-il que la relation qu’entretient la notion d’information avec les droits de la défense est plus profonde qu’il ne le paraît de prime abord. Le caractère fondamental de ces droits exige que leur effectivité soit préservée. Il s’ensuit que l’information des parties sur leur droit de se défendre doit être garantie. En outre, le fait d’avoir connaissance des éléments essentiels du procès civil, des moyens de droit et de fait, ainsi que des pièces, constitue en tant que tel un droit de la défense qui matérialise le respect du principe du contradictoire. L’information doit donc être omniprésente à tous les stades de la procédure : de l’initiation à l’issue de l’instance civile. En définitive, il existe dans le procès civil un droit à l’information qui se traduit concrètement de façon multiforme.

2. La présente étude ne saurait faire abstraction de la procédure pénale qui constitue certainement un domaine dans lequel les libertés individuelles sont les plus menacées3. Aussi, à l’instar de toute procédure, peut-être plus particulièrement elle, la procédure pénale est complètement orientée vers la recherche de la vérité. Forte de cela, l’information relative aux droits de la défense connaît un traitement particulier. La personne suspectée d’être l’auteur d’une infraction ne bénéficie que d’une information parcellaire sur ses droits durant la phase d’enquête et n’a pas accès au dossier des enquêteurs. Les modalités des sanctions du manquement à l’obligation d’information relative aux droits de la défense confirment le caractère déséquilibré de la phase d’enquête. L’accès au dossier de l’enquête pourrait alors permettre le rétablissement de l’équilibre en vue d’une effectivité plus grande des droits de la défense. L’information sur ces droits revêt également une nouvelle forme, eu égard aux nouvelles exigences de motivation des décisions des juridictions de jugement ou du juge des libertés et de la détention.

3. L’analyse des droits de la défense inhérents à l’information ne peut absolument pas se limiter au droit interne, sous peine de renfermer une lacune incommensurable. Effectivement, le procès international qu’il soit civil ou pénal, plus que le procès interne, soulève l’interrogation de savoir si les droits reconnus à la défense ne contribuent pas à l’information du défendeur. Mais dans quelle mesure, car l’organisation d’une information efficace est indubitablement plus difficile sur le terrain international que sur le terrain interne, étant entendu que les difficultés n’épargnent pas les procès internationaux qui se déroulent en France, et l’exequatur en France des décisions de justice prononcées à l’étranger.

Bien que peu commune dans le procès civil international4, l’information des droits de la défense n’en demeure pas moins préoccupante. En effet, la frontière linguistique et juridique qui sépare les acteurs du procès a conduit les États, isolément ou collectivement, à prendre des dispositions permettant au destinataire de l’information d’être non seulement touché par celle-ci, mais encore de connaître et de comprendre les éléments essentiels de la cause. Toutefois, la protection louable des droits de la défense qui en résulte doit encore être mise en parallèle avec le droit du demandeur d’obtenir une décision sur le fond, ainsi que de voir la décision obtenue exécutée dans un autre État. Cette dernière considération reste prégnante et impose des restrictions jusque dans l’instance directe qui suscite des interrogations relatives à la construction d’une procédure transnationale davantage protectrice.

4. Dans le contentieux pénal international5, l’information des droits de la défense, condition sine qua non de l’exercice de ceux-ci, s’avère insuffisante à deux égards en tant que garantie. D’une part, les textes fondateurs des juridictions pénales internationales se révèlent ambigus, car ils imposent expressément la notification des droits de la défense au profit de la personne suspecte, mais non au bénéfice de la personne accusée ; d’où le caractère incomplet de cette garantie. D’autre part, le droit de l’accusé d’être informé des charges retenues à son encontre est parfois mis à mal auprès des juridictions pénales internationales. Effectivement, les imprécisions des actes d’accusation privent quelquefois les accusés de leur droit de se défendre. En instaurant une audience de confirmation des charges, la Cour pénale internationale (CPI) permet aux accusés d’être informés au plus vite des charges retenues contre eux et, en conséquence, de préparer plus efficacement leur défense.

5. En matière de justice, il est souvent dit « qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ». Cet adage tient aux griefs faits à la justice d’être lente, coûteuse, aléatoire et peu discrète. Ce sont des reproches qui s’accommodent mal avec la vie des affaires ; d’où l’intérêt parfois de recourir à des solutions amiables, telles que l’arbitrage. Néanmoins, bien que confidentielle par essence, cette procédure alternative de la justice étatique connaît bon nombre d’obligations notamment celle d’information des parties au litige6, à l’instar de celles qui existent dans l’ordre juridique étatique. Il n’empêche que l’obligation de révélation mise à la charge de l’arbitre se différencie de celle que supporte le juge étatique.

Certes, les événements de la procédure arbitrale doivent être portés à la connaissance des parties, néanmoins, l’incertitude du statut et la variabilité de l’étendue de la confidentialité de cette procédure soulèvent des difficultés. Par ailleurs, le public peut être destinataire d’informations, dans des proportions variables selon différents paramètres.

6. Quittant le domaine traditionnel des procédures, il y a lieu d’aborder des domaines plus récemment touchés par le droit. C’est particulièrement le cas des infractions boursières, plus précisément des délits et manquements boursiers qui occasionnent le prononcé de sanctions pénales et administratives7. En la matière, l’article L. 465-1, I, A du Code monétaire et financier fait défense à certaines personnes informées, de réaliser ou de permettre de réaliser sur le marché, directement ou par personne interposée, des opérations avant que le public ait eu connaissance de ces informations. En visant une personne qui dispose d’une information privilégiée, et qui fait usage de celle-ci en réalisant, pour elle-même ou pour autrui, soit directement, soit indirectement, une ou plusieurs opérations ou en annulant ou en modifiant un ou plusieurs ordres passés par cette même personne avant qu’elle détienne ladite information, sur les instruments financiers émis par cet émetteur ou sur les instruments financiers concernés par ces informations privilégiées, ce texte vise prioritairement le banquier, plus exactement les dirigeants et employés des banques d’affaires8.

L’exploitation d’informations privilégiées caractérisant le comportement prohibé doit être appréciée objectivement en ce qui concerne son contenu. À ce sujet, le législateur n’apporte guère d’indications sur la notion « d’informations privilégiées », de sorte qu’il convient de s’orienter vers le régulateur qui en a déterminé les contours.

7. Si le besoin d’information s’avère indispensable dans le cadre procédural, objet de la première partie de la présente étude collective, il se révèle tout aussi impérieux, mais différemment, en dehors du prétoire, objet de la seconde partie. C’est le cas du droit patrimonial des couples9.

Ce droit n’échappe plus au développement du droit à l’information. La place croissante laissée à la volonté exige de la part de chacun des membres du couple une sincérité minimale à l’égard de l’autre, de sorte que sans information réciproque, la contractualisation du droit en la matière risque de devenir une source d’injustice, un moyen de priver l’autre de ses prérogatives. Toutefois, si l’obligation d’information irrigue les relations de couple tout au long de la vie commune et, même au-delà, elle ne doit pas être omniprésente en matière patrimoniale. Effectivement, cette transparence constituerait une atteinte excessive à la liberté de chacun désormais reconnue, ainsi qu’aux pouvoirs que lui confère son régime patrimonial. C’est la raison pour laquelle son intensité varie selon que le couple est uni ou en crise. Spéciale, donc restreinte durant l’union, elle prend une valeur générale lors de la désunion, en raison d’une exigence supérieure de protection.

Cette spécificité limite les possibilités d’opposition du droit au secret patrimonial par le débiteur. Pareillement, le dosage de l’obligation d’information en fonction du degré de protection nécessite des sanctions adaptées. En somme, en matière patrimoniale, un équilibre subtil doit être recherché entre l’indépendance de chacun, principe cardinal du droit des couples et la nécessaire protection du plus fragile des deux membres.

8. S’agissant d’un patient, c’est-à-dire d’une personne malade ou en consultation médicale10, il dispose également d’un droit à être informé sur son état de santé et sur le traitement qu’il reçoit. Ce droit fondamental de l’Homme, garant de la démocratie sanitaire conditionne le respect du principe constitutionnel de la dignité de la personne et de l’intégrité du corps humain.

À cet égard, il convient de constater une amélioration de la qualité de l’information médicale, grâce aux progrès de la science, un élargissement des bénéficiaires et des auteurs de l’information, ainsi que la multiplication des informations accessoires d’inspiration consumériste. En revanche, il convient de déplorer une limitation des conséquences du droit à l’information. Cette limitation est tangible en cas d’accidents médicaux, de refus d’information ou de refus de soins par le patient, ce qui se traduit par l’exonération ou l’amoindrissement de la responsabilité des professionnels et des établissements de la santé au détriment du patient victime d’un préjudice. En cas d’atteinte ou de non-respect de son droit à l’information l’intéressé subit une réduction de son indemnisation, le principe de la réparation intégrale n’étant que rarement rempli.

9. Sorti du contexte particulier de maladie, le particulier qui contracte dans la vie quotidienne, bénéficie du droit d’être informé, ceci d’autant plus qu’il a souvent pour cocontractant un professionnel. La méconnaissance du néophyte placé dans une situation d’infériorité, voire de fragilité, implique de le protéger contre l’expérience et même l’habileté de son cocontractant11.

Or l’information des contractants n’est guère aisée, étant donné l’ampleur de la mission qui tient notamment à la diversité des formes d’information (renseignements, conseils, mises en garde…), à sa large portée, tous les contractants profanes et professionnels étant visés, quel que soit le domaine. En toute hypothèse, l’information doit intervenir à tous les stades du contrat (avant sa conclusion et pendant son exécution) et surtout, elle doit être pertinente, afin de permettre à toutes les parties de donner un consentement libre et éclairé pour éviter toute ambiguïté et tout malentendu.

10. En droit de la consommation, autre point important de la présente étude collective, il existe un déséquilibre entre le consommateur et le professionnel qui tient essentiellement à l’asymétrie de l’information12. En la matière, l’information du consommateur par le professionnel revêt une importance inestimable. Elle permet, outre de protéger la santé et la sécurité du premier, de s’engager en connaissance de cause.

Pour autant, contrairement à ce que nous serions enclins à penser, l’information tend à profiter aussi bien au consommateur qu’au professionnel et cela pour deux raisons : d’un côté, elle offre au professionnel les moyens d’être certain que dès l’instant où il a répondu à son obligation d’information, le consommateur ne pourra agir en nullité du contrat pour défaut d’information ; de l’autre, le professionnel a tout à gagner à ce qu’en raison de cette information, le droit de la consommation acquière une certaine transparence et une certaine sécurité, afin de réduire autant que possible les actions en justice. Ces différentes raisons justifient amplement qu’une place particulière soit réservée à « l’information du consommateur » dans la présente étude.

11. Autre contribution incontournable de l’actuelle étude collective, il s’agit de « l’obligation d’information dans l’agence commerciale »13. À l’instar des autres articles, cette étude apporte un éclairage sans égal sur un thème peu ou pas encore traité en doctrine sous cet angle. Après avoir envisagé dans l’introduction le devenir de la profession d’agent commercial au prisme de la jurisprudence récente, la présente « prose juridique » consacre la première partie à l’étude des caractères de l’obligation d’information. L’un des traits majeurs de celle-ci est sa nature bilatérale, même si la loi assigne au mandant plus d’obligations particulières au titre du devoir d’information qu’à l’agent. Cette réciprocité trouve sa justification dans la particularité du contrat d’agent commercial, en raison de la communauté d’intérêts qui y siège et lie les parties.

L’exécution de l’obligation d’information est abordée dans la seconde partie de l’étude, côté mandant et côté agent, durant les différentes phases de la vie du contrat, ainsi qu’après son extinction. Par transposition des solutions retenues chez les VRP, certaines informations non prévues mais requises légalement, peuvent être appliquées aux agents commerciaux.

12. Parmi les professionnels investis d’une obligation d’information, le banquier occupe une place de choix. Cette obligation concerne particulièrement la caution qui mérite d’être protégée par l’information, en raison de l’importance de son engagement. Aussi, le législateur, inspiré par la jurisprudence, impose au banquier d’informer la caution à différents moments de la vie du contrat de cautionnement14.

À la formation de ce contrat, la caution doit recevoir l’information destinée à lui faire prendre conscience de la portée de son engagement. Effectivement, si la caution peut, en connaissance de cause, valablement s’engager pour un débiteur insolvable, il en va différemment si cette défaillance financière lui a été cachée. Tout comme il est différent pour elle de s’engager au profit d’une société confrontée à une difficulté financière passagère, que pour une société en situation irrémédiablement compromise.

Une information se révèle également nécessaire en cas d’évolution négative de la situation économique et financière du débiteur principal, dans la mesure où la caution peut être exposée à des poursuites.

D’une manière générale, il faut apprécier différemment le caractère profane ou averti de la caution. Néanmoins, il est regrettable étant donné son importance, que l’obligation d’information de la caution par le banquier ne s’accompagne pas toujours d’une sanction suffisamment efficace. Celle-ci se limite bien souvent à une déchéance d’intérêts échus.

Je ne saurais clore ces propos introductifs sans exprimer ma reconnaissance à l’égard de tous les contributeurs à la présente étude collective et formuler le vœu qu’à leur tour ils nous convient prochainement à une pareille aventure doctrinale. Plusieurs d’entre eux l’ont déjà fait ; une collègue et amie s’y est dernièrement essayée avec talent et succès, en nous gratifiant d’une belle étude d’ensemble15 à laquelle j’ai pris part avec grand plaisir16.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Gibirila D. (dir.), Journal des sociétés, déc. 2011, p. 12.
  • 2.
    Tirvaudey C., « L’information des droits de la défense dans le procès civil », LPA 30 avr. 2019, n° 138u2.
  • 3.
    Thierry J.-B., « L’information des droits de la défense dans le procès pénal », LPA 30 avr. 2019, n° 138u3.
  • 4.
    Pailler L., « L’information des droits de la défense dans le procès civil international », LPA 30 avr. 2019, n° 138u4.
  • 5.
    Nicolas-Gréciano M., « L’information des droits de la défense dans le procès pénal international », LPA 30 avr. 2019, n° 138u5.
  • 6.
    Weiller L. « L’information en matière d’arbitrage », LPA 30 avr. 2019, n° 138u6.
  • 7.
    Gibirila D. « L’information privilégiée dans les délits et manquements boursiers », LPA 30 avr. 2019, n° 138u7.
  • 8.
    TGI Paris, 30 juin 1992 : BJB janv. 1993, n° 004, p. 35, note Le Cannu P.
  • 9.
    Yildirim G., « L’information dans les relations patrimoniales de couple : entre transparence et indépendance », LPA 30 avr. 2019, n° 138u8.
  • 10.
    Maury F., « Le droit à l’information du patient, un droit fondamental de l’Homme, aux effets limités », LPA 30 avr. 2019, n° 138u9.
  • 11.
    Rakotovahiny. M., « L’information des contractants », LPA 30 avr. 2019, n° 138v0.
  • 12.
    Zio M., « L’information du consommateur », LPA 30 avr. 2019, n° 138v1.
  • 13.
    Grignon P., « L’obligation d’information dans l’agence commerciale », LPA 30 avr. 2019, n° 138v2.
  • 14.
    Rodriguez K., « L’obligation d’information de la caution par le banquier », LPA 30 avr. 2019, n° 138v3.
  • 15.
    Rakotovahiny M. (dir.), LPA 31 juill. 2018, numéro spécial « Sociétés et entreprises en difficulté ».
  • 16.
    Gibirila D., « La cessation des paiements critère de distinction entre la société in bonis et l’entreprise en difficulté », LPA 31 juill. 2018, n° 135d4., p. 5 à 15.
LPA 30 Avr. 2019, n° 138u1, p.3

Référence : LPA 30 Avr. 2019, n° 138u1, p.3

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