Cautionnement : la limitation des effets de la compensation par voie principale

Publié le 17/03/2023
Caution
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Il résulte de l’article 1234 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l’article 2288 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, que la compensation opérée entre une créance de dommages-intérêts, résultant du comportement fautif du créancier à l’égard de la caution lors de la souscription de son engagement et tendant à la réparation du préjudice que causerait celle-ci à l’exécution effective de cet engagement, et celle due par la caution, au titre de sa garantie envers ce même créancier, n’éteint pas la dette principale garantie mais, à due concurrence, l’obligation de cette seule caution.

Cass. com., 25 janv. 2023, no 21-12220

1. Bien souvent sévère à l’égard des établissements bancaires, le contexte jurisprudentiel incite les cautions appelées en paiement à rechercher leur responsabilité afin d’échapper à leur obligation. Lorsque la responsabilité du créancier est retenue, la caution devient titulaire d’une créance d’indemnité à son encontre. La situation se dénoue alors par une compensation opposée par voie principale : le créancier bénéficiaire est créancier de la caution et, réciproquement, la caution est créancière du créancier bénéficiaire. Soulevée de longue date par la doctrine, la question qui se pose est celle des effets de l’intervention du mécanisme compensatoire. L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 25 janvier 2023 confirme une position jurisprudentielle désormais classique concernant les effets de la compensation entre l’exécution effective de l’engagement de la caution et le paiement d’une dette de dommages et intérêts par le créancier pour disproportion du cautionnement. Bien que la solution soit connue, l’arrêt – publié au Bulletin, accompagné de l’avis de la première avocate générale et promis aux lettres de chambre – n’en demeure pas moins intéressant puisque l’intervention de la réforme réduit sa portée pratique.

En l’espèce, trois personnes physiques se sont rendues cautions solidaires d’une facilité de caisse consentie à une société par un établissement bancaire. Une décision du 6 avril 2017, devenue irrévocable, a condamné solidairement les cautions à payer à la banque la somme principale de 29 148,64 €. Cette décision a aussi condamné la banque à payer à deux des trois cautions la somme de 23 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la faute de la banque pour avoir accepté le bénéfice de leurs cautionnements manifestement disproportionnés à leurs facultés de remboursement. La cour a alors ordonné une compensation des créances réciproques.

Après compensation, les deux cautions ont payé la somme de 6 887,25 € au titre de leur engagement. Soutenant que la troisième caution non concernée par la compensation lui devait certaines sommes, la banque a fait pratiquer contre elle des mesures d’exécution. Cette dernière et ses deux cofidéjusseurs ont alors demandé la mainlevée des mesures, en faisant valoir que l’intégralité de la créance avait déjà été réglée par deux des cautions, laquelle était par conséquent éteinte lorsque la banque avait engagé ses poursuites à l’encontre de la troisième caution.

Saisie de l’affaire, la cour d’appel de Douai a, dans un arrêt du 17 décembre 2020, rejeté les demandes de mainlevée et de dommages et intérêts contre la banque au motif que la compensation à concurrence de 23 000 € opérée au bénéfice des cautions n’avait pas complètement éteint l’obligation principale si bien qu’il était possible pour le créancier de se retourner contre le dernier garant.

Les cautions ont formé un pourvoi en cassation. Elles soutenaient que si la caution solidaire ne peut opposer la compensation de ce que le créancier doit à son cofidéjusseur, elle peut se prévaloir de l’extinction totale ou partielle, par compensation, de la dette garantie. Dès lors, en jugeant du contraire, la cour d’appel aurait violé l’article 1234 du Code civil.

Par cet arrêt, la chambre commerciale de la Cour de cassation était de nouveau confrontée à la question des effets de la compensation opérée au profit d’une caution dans ses rapports avec le créancier : l’effet extinctif de la compensation des dettes et créances réciproques invoqué par une caution bénéficie-t-il aux cofidéjusseurs tenus de la dette du débiteur principal ou profite-t-il seulement à cette caution en la libérant à due concurrence de son obligation à l’égard du créancier ?

Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation se fonde sur l’article 1234 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l’article 2288 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021.

Selon la haute juridiction, « la compensation opérée entre une créance de dommages et intérêts, résultant du comportement fautif du créancier à l’égard de la caution lors de la souscription de son engagement et tendant à la réparation du préjudice que causerait à celle-ci l’exécution effective de cet engagement, et celle due par la caution, au titre de sa garantie envers ce même créancier, n’éteint pas la dette principale garantie mais, à concurrence, l’obligation de cette seule caution ». Dès lors, la compensation à concurrence de 23 000 € opérée au bénéfice de deux des cautions solidaires, montant des dommages-intérêts alloués à ces dernières en réparation du préjudice résultant de la faute de la banque lors de la souscription de leur engagement, n’avait pas affecté l’obligation de paiement de la troisième caution, dont il convient seulement de déduire le paiement partiel effectué par les deux premières cautions à hauteur de 6 887,25 €.

Par cette décision, la chambre commerciale confirme une solution classique qui se révèle opportune car elle préserve l’efficacité du cautionnement (I), mais techniquement discutable et, à ce titre, justifie la réforme du droit des sûretés (II).

I – La réaffirmation d’une solution opportune préservant l’efficacité du cautionnement

2. En limitant les effets de la compensation opérée (A), la solution apparaît justifiée au regard de la nature indemnitaire de la créance de la caution (B).

A – Les effets limités de la compensation réalisée entre le créancier et la caution

3. Conformément à l’article 1234 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, la compensation constitue l’une des causes d’extinction de l’obligation de règlement.

En l’espèce, la caution non concernée par la compensation et ses deux cofidéjusseurs faisaient justement valoir que ces deux derniers avaient déjà réglé l’intégralité de la créance, laquelle était par conséquent éteinte lorsque la banque avait engagé ses poursuites à l’encontre de la troisième caution. Selon elles, « si la caution solidaire ne peut opposer la compensation de ce que le créancier doit à son cofidéjusseur, elle peut se prévaloir de l’extinction totale ou partielle, par compensation, de la dette garantie ».

4. La compensation opérée éteint l’obligation de la caution concernée mais l’extinction de la dette garantie bénéficie-t-elle au débiteur principal et à l’ensemble des cofidéjusseurs ? Sur ce point, la jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation a fait l’objet d’une évolution, laquelle sera brièvement rappelée.

Dans un premier temps, opérant un revirement de jurisprudence1, la chambre commerciale avait, dans une décision du 13 décembre 2005, admis que « si la caution solidaire ne peut opposer la compensation de ce que le créancier doit à son cofidéjusseur, elle peut se prévaloir de l’extinction totale ou partielle, par compensation de la dette garantie »2. Autrement dit, la compensation intervenue entre l’une des cautions et le créancier bénéficie également aux autres cofidéjusseurs. Confirmée à plusieurs reprises3, cette jurisprudence était précisément celle invoquée par les cautions à l’appui de leur raisonnement dans l’arrêt rapporté. Cette solution a également été retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans une décision du 22 février 20124.

Dans un second temps, la chambre commerciale a, dans un arrêt 13 mars 2012, adopté une solution différente. Dans son avis, Mme Batut, l’avocate générale, soutenait que l’effet extinctif de la compensation devait entraîner la libération du débiteur principal et de l’ensemble des cofidéjusseurs. Son avis n’a pas été suivi par la chambre commerciale, laquelle considère qu’« il résulte de la combinaison des articles 1234, 1294, alinéa 2, et 2288 du Code civil que la compensation opérée entre une créance de dommages-intérêts, résultant du comportement fautif du créancier à l’égard de la caution lors de la souscription de son engagement, et celle due par cette dernière, au titre de sa garantie envers ce même créancier, n’éteint pas la dette principale garantie mais, à due concurrence, l’obligation de la caution »5. La portée de la compensation se trouve ainsi limitée : si elle éteint l’obligation accessoire de la caution titulaire de la créance d’indemnité à l’égard du créancier, la compensation opérée n’a cependant pas pour effet d’éteindre l’obligation principale. Seule la caution qui bénéficie de cette compensation voit sa dette éteinte à due concurrence. Il en résulte que le créancier peut exercer un recours en paiement contre le débiteur principal ou encore contre le cofidéjusseur non concerné par la compensation.

Dans l’arrêt commenté, le pourvoi formé par les cofidéjusseurs invitait de nouveau la chambre commerciale à se prononcer sur la question des effets de la compensation. Si l’avis de Mme Guéguen, la première avocate générale, est favorable à la solution dégagée dans l’arrêt de 2005, celui-ci n’emporte toutefois pas la conviction de la chambre commerciale, laquelle confirme sa position jurisprudentielle. Le pourvoi est ainsi rejeté dans des termes identiques à ceux de l’arrêt de 2013. Selon les hauts magistrats, « il résulte de l’article 1234 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 et l’article 2288 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, que la compensation opérée entre une créance de dommages et intérêts, résultant du comportement fautif du créancier à l’égard de la caution lors de la souscription de son engagement et tendant à la réparation du préjudice que causerait à celle-ci l’exécution effective de cet engagement, et celle due par la caution, au titre de sa garantie envers ce même créancier, n’éteint pas la dette principale garantie mais, à concurrence, l’obligation de cette seule caution ». Il convient de relever la disparition de la référence à l’ancien article 1294 du Code civil relatif au jeu de la compensation. Son absence s’explique par le fait que la règle posée par ce texte s’interprète non comme un principe substantiel permettant de préciser la portée de l’effet extinctif de la compensation mais comme un principe processuel qui ne s’intéresse qu’au pouvoir d’opposer, autrement dit, de déclencher la compensation6. Or, en l’espèce, la caution ne cherchait pas à déclencher le mécanisme compensatoire, mais à bénéficier de son effet extinctif. En refusant d’étendre les effets du mécanisme compensatoire à l’ensemble des cautions solidaires, la décision apparaît sévère à l’endroit de la caution non concernée par la compensation puisque, privée du bénéfice de son effet extinctif, celle-ci demeure tenue du paiement de l’intégralité de la dette. Pourtant, il ne peut en aller autrement au regard de la nature indemnitaire de la créance de la caution.

B – Une solution justifiée par la nature indemnitaire de la créance de la caution

5. En raison des conséquences peu satisfaisantes qu’elle entraîne, la solution a fait l’objet de vives discussions. Des auteurs ont ainsi relevé que le créancier, alors qu’il a été condamné au paiement de dommages et intérêts en raison de son comportement fautif, peut – de manière surprenante – obtenir le recouvrement de sa créance à l’encontre du débiteur principal ou d’un cofidéjusseur7. Cela est d’autant plus curieux que sa créance a déjà fait l’objet d’un paiement du fait de la mise en œuvre de la compensation. Il y aurait en quelque sorte double paiement. Malgré cela, en ce qu’elle permet de préserver l’efficacité de la sûreté, la limitation de l’effet extinctif de la compensation doit être approuvée.

6. Il convient de souligner que cette compensation, qui pourrait être qualifiée d’« imparfaite », ne s’applique qu’à des situations particulières. En effet, la chambre commerciale prend le soin de préciser que la compensation a été opérée « entre une créance de dommages et intérêts, résultant du comportement fautif du créancier à l’égard de la caution lors de la souscription de son engagement et tendant à la réparation du préjudice que causerait à celle-ci l’exécution effective de cet engagement, et celle due par la caution, au titre de sa garantie envers ce même créancier ». La limitation de l’effet extinctif du mécanisme compensatoire trouve ainsi une explication dans l’origine de la créance de la caution.

Cette précision impose alors de distinguer deux hypothèses. La première est celle d’une compensation « parfaite ». Cette compensation produit les effets d’un paiement. La caution solvens pourra alors exercer un recours contre le débiteur principal ou contre ses cofidéjusseurs. La seconde est celle d’une compensation « imparfaite », également appelée compensation « disciplinaire »8. Cette compensation, qui ne produit pas des effets complets, ne concernerait que les hypothèses dans lesquelles le créancier, en raison de ses agissements fautifs, engage sa responsabilité envers la caution. Ainsi en est-il, par exemple, en cas de manquement au devoir de mise en garde ou encore, comme en l’espèce, à l’exigence de proportionnalité.

7. L’admission d’une compensation sui generis s’explique eu égard, pour reprendre les mots du professeur Albigès, « aux spécificités de l’opération de cautionnement qui suppose une pluralité de liens juridiques »9. En effet, si les règles normales de la compensation sont appliquées, la caution se trouve pleinement libérée puisqu’elle est censée avoir payé le créancier. Cela a pour conséquence, d’une part, que le créancier ne peut plus rien réclamer au débiteur principal puisqu’il est censé avoir été payé et, d’autre part, que la caution peut exercer un recours contre le débiteur principal ou contre ses cofidéjusseurs puisqu’elle est censée avoir payé. Or cela apparaît surprenant dans la mesure où, économiquement, aucun paiement n’a été effectué : la caution n’a décaissé aucun fonds ; la caution ne s’est pas appauvrie ; le créancier ne s’est pas enrichi. Si le créancier est privé de ses recours contre le débiteur principal ou contre les autres cofidéjusseurs, il se trouve doublement sanctionné et, si la caution est autorisée à recourir contre le débiteur principal ou contre ses cofidéjusseurs, elle va s’enrichir grâce au cautionnement. C’est pourquoi, dans cette hypothèse, l’effet extinctif de la compensation ne peut être que relatif.

8. La relativité de l’effet extinctif du mécanisme compensatoire est d’autant plus justifiée que la créance de la caution est de nature indemnitaire. En effet, la créance de la caution est une créance d’indemnité, celle-ci a une fonction de réparation : elle répare le préjudice qui consiste dans l’aggravation du risque pesant sur la caution résultant de la faute du créancier. Le créancier ayant commis une faute lors de la conclusion du cautionnement, il apparaît normal qu’il ne puisse pas réclamer paiement à la caution. En revanche, il serait anormal qu’il ne puisse plus réclamer au débiteur principal ou aux autres cofidéjusseurs ce qui lui est dû. Le créancier perd le cautionnement mais rien ne justifie qu’il perde sa créance principale. Il s’agit seulement de neutraliser, à l’égard de la caution concernée, les effets de la faute commise par le créancier mais sans aller au-delà. De ce fait, la créance ne peut modifier que la situation de la caution dont l’obligation est éteinte ou réduite par compensation. Tout autre effet serait superflu : la réparation du préjudice subi par la caution n’implique pas l’extinction de l’obligation principale, qu’elle ne garantit plus, et l’ouverture d’un recours au profit de la caution irait bien au-delà de la fonction de réparation puisqu’elle lui procurerait finalement un enrichissement injustifié. Par ailleurs, il serait absurde que la situation du créancier soit aggravée par la prise d’une sûreté. Or tel serait le cas si la compensation produisait tous ses effets.

Justifiée en opportunité, la limitation de l’étendue de la compensation opérée préserve l’efficacité du cautionnement. Cependant, peu orthodoxe du point de vue du droit, la solution justifie l’intervention de la réforme du droit du cautionnement.

II – Une solution techniquement discutable justifiant la réforme du droit du cautionnement

9. Inopportune, la dénaturation du mécanisme de la compensation apparaît contestable (A). Toutefois, en ce qu’elle modifie la sanction de la faute du créancier, la réforme du droit des sûretés redonne au droit du cautionnement une certaine cohérence (B).

A – Une dénaturation inopportune du mécanisme de la compensation

10. En ce qu’elle repose sur la mise en œuvre du mécanisme de la compensation, la solution est source de confusions. Techniquement, l’extinction de l’obligation de la caution est justifiée par le jeu de la compensation. Or, économiquement, la compensation équivaut à un double paiement entraînant l’extinction réciproque de deux dettes. Il s’agit d’une cause d’extinction de l’obligation qui entraîne la satisfaction indirecte du créancier. Pourtant, en refusant de lui faire produire des effets complets, la Cour de cassation bouleverse le mécanisme même de la compensation.

La question qui se pose alors est celle de savoir si les hauts magistrats disposaient d’un autre choix. À dire vrai, dès lors que la sanction de la responsabilité du créancier réside dans l’octroi de dommages et intérêts, la solution ne pouvait être que fondée sur la mise en œuvre de compensation. Pourtant, la technique compensatoire se révèle inappropriée, l’hypothèse n’ayant rien à voir avec la compensation puisque le créancier ne reçoit aucune satisfaction et que la caution ne débourse rien. C’est pourquoi la Cour de cassation, dans cette hypothèse, considère que la compensation « n’éteint pas la dette principale garantie » mais seulement l’obligation de la caution. Le créancier peut donc réclamer paiement au cofidéjusseur non concerné par la compensation.

Il convient toutefois de relever qu’un autre fondement juridique permettait d’atteindre ce résultat, celui de la théorie des exceptions10. En effet, les exceptions purement personnelles sont celles qui affectent uniquement le lien d’obligation particulier qui unit un codébiteur solidaire au créancier, sans affecter la dette en elle-même11. Seul le débiteur concerné peut l’invoquer, et les obligations des autres ne sont pas diminuées. Si le débiteur concerné se trouve libéré, le créancier peut cependant agir pour le tout contre les autres. Dans l’arrêt commenté, c’est en invoquant une exception qui leur est purement personnelle que les cautions ont pu obtenir l’extinction de leur obligation. Par conséquent, cette extinction ne peut bénéficier à la troisième caution solidaire puisque seule une faute commise dans les rapports entre le créancier et le débiteur principal peut libérer l’ensemble des cofidéjusseurs. En appliquant le mécanisme de la compensation, les hauts magistrats n’ont cependant pas choisi de s’orienter vers cette voie. Dérogeant au droit commun de la compensation, la solution retenue engendre des confusions et justifie la réforme du droit du cautionnement.

B – Une modification de la sanction de la faute du créancier opérée par la réforme du droit des sûretés

11. Rendue sous l’empire des textes antérieurs à l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, la solution n’a pas vocation à s’appliquer aux cautionnements souscrits à compter du 1er janvier 2022. En effet, les nouveaux textes ne sanctionnent plus la faute commise par le créancier à l’égard de la caution lors de la souscription du cautionnement par la mise en œuvre de sa responsabilité civile.

L’un des apports majeurs de la réforme réside dans la nature de la sanction prononcée en cas de cautionnement manifestement disproportionné. Conformément aux souhaits d’une partie de la doctrine12, le nouvel article 2300 du Code civil modifie les effets attachés au manquement à l’exigence de proportionnalité et opte pour une réduction de l’engagement de la caution. Selon ce texte, « si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné au patrimoine de la caution, il est réduit à hauteur duquel elle pouvait s’engager à cette date ». Désormais, en l’absence de condamnation à des dommages et intérêts, le mécanisme de la compensation n’a plus vocation à jouer. En substituant la réduction du montant de l’engagement de la caution à la mise en œuvre de la responsabilité du créancier, la réforme redonne ainsi davantage de cohérence au droit du cautionnement.

Il en va de même s’agissant des hypothèses de manquement au devoir de mise en garde. Sous le droit ancien, la responsabilité civile du créancier était engagée en cas de défaut de mise en garde. Des dommages et intérêts étaient alors alloués à la caution dès lors qu’elle démontrait qu’elle subissait un préjudice du fait de ce manquement, ce préjudice consistant en la perte de chance de ne pas contracter. Par le jeu de la compensation, l’allocation de dommages et intérêts venait alors réduire la dette de la caution. L’ordonnance du 15 septembre 2021 a choisi de modifier la sanction de la faute du créancier. Consacrant le devoir de mise en garde, le nouvel article 2299, alinéa 1er, du Code civil dispose que « le créancier professionnel est tenu de mettre en garde la caution personne physique lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier ». L’alinéa 2 précise que « le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci ». À l’engagement inopportun de la responsabilité civile du créancier est ainsi substituée la déchéance.

N’était-il pas plus judicieux de procéder à une application anticipée de la réforme dans la mesure où celle-ci aurait permis d’évacuer le mécanisme de la compensation ? Une telle anticipation peut aisément être admise puisque le résultat obtenu serait identique et ce, d’autant que, dans un arrêt récent13, la Cour de cassation a retenu une interprétation des règles du Code civil ancien à la lumière du droit nouveau.

Bien que les innovations opérées par la réforme suppriment une partie du contentieux, reste une exception de taille. Il se peut que le créancier commette une faute dans l’octroi du crédit, faute que la caution peut invoquer puisqu’elle n’est pas concernée par l’article L. 650-1 du Code de commerce. En effet, selon l’alinéa 1er de ce texte, « les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci ». Dans ce cas, il ne s’agira pas de déchéance mais d’une créance d’indemnité, laquelle viendra alors se compenser avec la créance due par la caution au titre de son engagement.

Par cet arrêt, la chambre commerciale réaffirme une solution désormais classique qui permet de concilier tant les intérêts de la caution que ceux du créancier. Elle met également en lumière les difficultés engendrées par la compensation qui s’opère nécessairement à la suite de la condamnation du créancier à la réparation du préjudice subi par la caution. Ce faisant, la solution témoigne de l’intérêt de la réforme du droit des sûretés : en modifiant la sanction applicable en cas de manquement au devoir de mise en garde ou à l’exigence de proportionnalité, les nouveaux textes issus de l’ordonnance du 15 septembre 2021 permettent de parvenir à des solutions fondées tant juridiquement qu’en opportunité. En ce qu’elle met un terme aux incohérences engendrées par la mise en œuvre du mécanisme compensatoire, la réforme doit être saluée. Espérons qu’elle permettra de résorber une partie du contentieux, lequel est d’autant plus important que les obligations mises à la charge du créancier se sont multipliées ces dernières années.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. la position jurisprudentielle antérieure de la Cour de cassation. La Cour de cassation avait refusé le bénéfice de la libération compensatoire à l’égard des cofidéjusseurs, Cass. com., 8 déc. 1998, n° 96-12481 : JCP G 1999, I 116, obs. P. Simler.
  • 2.
    Cass. com., 13 déc. 2005, n° 04-19234, Cts Kaloustian c/ CRCAM Alpes-Provence, P : Bull. civ. IV, n° 248 ; D. 2006, p. 988, note J. François ; RD bancaire et fin. 2006, comm. 59, obs. D. Legeais ; LPA 14 sept. 2006, p. 8, note S. Harel.
  • 3.
    Cass. com., 21 nov. 2006, n° 05-19605 : JCP G 2007, 158, obs. P. Simler – Cass. com., 3 nov. 2010, n° 09-16173 : RD bancaire et fin. 2011, comm. 9, obs. D. Legeais ; JCP G 2011, 226, obs. P. Simler.
  • 4.
    Dans une situation de fait identique, elle avait retenu que « la caution peut se prévaloir de l’extinction totale ou partielle par compensation de la dette garantie ». Les hauts magistrats avaient alors approuvé les juges du fond d’avoir constaté que l’une des cautions solidaires « offrait de payer la dette cautionnée par compensation avec les dommages-intérêts qui lui étaient dus par la banque » pour en déduire que « la dette de [ses cofidéjusseurs] se trouvait éteinte au titre de leur garantie de caution » (Cass. 2e civ., 22 févr. 2012, n° 10-24409).
  • 5.
    Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-28635 : Gaz. Pal. 29 mars 2012, n° I9252, p. 19, obs. C. Albigès ; Dalloz actualité, 10 avr. 2012, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2012, p. 1043, note A. Dadoun ; D. 2012, p. 1218, chron. J. Lecaroz, H. Guillou et F. Arbellot ; D. 2012, p. 1573, obs. P. Crocq ; D. 2013, p. 1706, obs. P. Crocq ; RTD com. 2012, p. 389, obs. D. Legeais ; JCP E 2012, 1350, note S. Tisseyre ; JCP E 2012, 1275, note J.-J. Barbièri ; LEDC mai 2012, p. 4, obs. G. Pillet.
  • 6.
    J. François, « Compensation et cautionnement », note sous Cass. com., 13 déc. 2005, n° 04-19234 : D. 2006, p. 988.
  • 7.
    En ce sens, v. Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-28635 : Gaz. Pal. 29 mars 2012, n° I9252, p. 19, obs. C. Albigès – Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-28635 : JCP E 2012, 1275, note J.-J. Barbièri.
  • 8.
    J. François, « Compensation et cautionnement », note sous Cass. com., 13 déc. 2005, n° 04-19234 : D. 2006, p. 988, spéc. n° 12.
  • 9.
    Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-28635 : Gaz. Pal. 29 mars 2012, n° I9252, p. 19, obs. C. Albigès.
  • 10.
    Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-28635 : Gaz. Pal. 29 mars 2012, n° I9252, p. 19, obs. C. Albigès.
  • 11.
    C. civ., art. 1315.
  • 12.
    S. Piédelièvre, « Pour une réforme du droit du cautionnement », in Mélanges offerts à Geneviève Pignarre, 2018, LGDJ, p. 648, n° 22, EAN : 9782275060651 ; C. Albigès, « La recodification du droit du cautionnement – Formalisme, proportionnalité et obligations d’information, quelles perspectives ? », in L. Andreu et M. Mignot (dir.), La réforme du droit des sûretés, 2019, Fondation Varenne, Lextenso, Colloques & Essais, p. 87, n° 26.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 20 avr. 2022, n° 20-22866 : GPL 21 juin 2022, n° GPL437n7, note M. Cottet ; GPL 14 juin 2022, n° GPL437c2, note C. Houin-Bressand ; LPA juin 2022, n° LPA201q5, note M.-L. Dinh ; LEDC juin 2022, n° DCO200v9, obs. N. Lebond.
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