Vendre ou acquérir une entreprise en viager

Publié le 12/01/2023
Business senior
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Comme dans le cadre d’une opération immobilière, il est possible de vendre son entreprise ou de l’acheter en viager. Une possibilité peu connue, qui permet pourtant de réduire pour les vendeurs les possibles écarts de revenus une fois arrivés à la retraite.

Le climat général du monde des affaires n’est pas épargné par le manque de visibilité et les différentes alertes diffusées et assumées par nos gouvernants et illustrées par les statistiques actuelles.

Le domaine de la « transmission d’entreprises » subit, dans ce contexte, un ralentissement ou tout le moins un attentisme croissant de la part des candidats à la reprise et, par voie de conséquence, une certaine inquiétude de la part des dirigeants en passe de céder leur entreprise.

C’est ainsi que, au nombre des résurgences du Premier Empire, le mécanisme du viager refait surface pour venir au secours des entrepreneurs, passés et à venir, tout en essayant de satisfaire les contraintes temporelles des sociétés de notre nouvelle ère.

I – L’objet de la vente viagère

Héritage du Code Napoléon de 1804, le régime des ventes viagères s’inscrit dans le cadre des contrats aléatoires, au nombre desquels sont visés les jeux et les paris.

C’est ainsi que le Code Civil, dans ses articles 1968 et suivants, exige comme condition de validité l’existence d’un aléa, à savoir le décès du vendeur, dont la date demeure une inconnue.

Il est également à noter que ce même article du Code Civil traite des biens meubles et des immeubles.

Rapporté à la définition de l’entreprise, celle-ci est soit considérée comme individuelle, soit exploitée par l’intermédiaire d’une société, que celle-ci soit civile ou commerciale.

Contrairement à un bien immobilier, lequel peut être résumé succinctement à une parcelle voire une construction plus ou moins agrémentée, l’entreprise s’illustre par une variété d’acceptions : s’agit-il d’un fonds de commerce (une brasserie ou un magasin, par exemple), d’une activité exercée à titre individuel ou bien encore d’une société commerciale ?

Le « bien » cédé pourra donc prendre la forme soit d’une cession de fonds, soit d’une cession de titres, autrement appelée « opération de changement de contrôle ».

Dans l’un et l’autre des cas, le candidat se portant acquéreur de l’entreprise va globalement reprendre à son compte les ressources humaines, les aménagements, les stocks, éventuellement les marques ou les brevets, les créances, la trésorerie voire les dettes…

L’ensemble de ces éléments fera donc l’objet d’une valorisation avant le transfert de propriété de l’ensemble de ces actifs corporels et incorporels à une échéance donnée.

Il est à noter que, là encore, contrairement aux biens immobiliers, l’entreprise est une entité qui vit et qui respire à chaque instant, les êtres qui la composent vont et viennent, son carnet de commandes évolue au fil des jours, sa trésorerie, au fil des heures…

Elle s’apparente en cela à une entité non figée dont le vendeur en viager, son propriétaire, un instant de raison avant la vente, a parfaite conscience.

Le mécanisme du viager n’est donc qu’une modalité (exceptionnelle) de règlement du prix de cession, le process habituel de la cession demeurant inchangé.

II – Les acteurs de la vente viagère

Théoriquement, aucune difficulté ne s’oppose à la vente en viager de titres de sociétés pourvu, bien entendu, que son ou ses porteurs (associés et actionnaires) soient des personnes physiques.

Ceci aura donc pour corollaire d’écarter de cette option les détentions de sociétés au sein de groupes, usuellement organisés autour d’une société holding.

Le vendeur devra impérativement être une personne physique, détentrice « en direct » de son fonds ou de ses titres, ses deux alternatives recouvrant habituellement des entités de taille modeste.

En ce qui concerne la personne même du vendeur, nous pouvons imaginer qu’il s’agira d’une personne envisageant un départ à la retraite (65 ans ?) ou susceptible de faire valoir ses droits à la retraite…

L’entrepreneur concerné accepterait donc d’abandonner son outil de travail moyennant une contrepartie financière négociée composée d’un « bouquet » et d’une rente viagère constituant juridiquement une créance.

En ce qui concerne l’acquéreur, ce dernier interviendra, dès le transfert de propriété de l’entreprise, comme son acteur principal, en acquittant une quote-part du prix, avec ou sans le concours d’un établissement financier, et en versant au vendeur une rente constituant juridiquement, pour sa part, une dette.

Vendeur (crédirentier) et acquéreur (débirentier) se seront alors mis d’accord sur un prix de cession dont les modalités de paiement revêtent un caractère original et non usuel du fait de l’organisation d’un paiement échelonné dont le terme est certain (le décès du vendeur) mais indéfini (à quelle date) ?

III – Le prix convenu entre les acteurs de l’objet de la vente viagère

Le caractère aléatoire de ce schéma est, nous l’avons dit, l’élément déterminant de l’accord des parties.

Son inexistence (ou sa disparition prématurée) rendra la vente dépourvue de cause.

En pratique, l’aménagement des modalités de paiement obéit principalement au droit des contrats et la ventilation entre le prix payé comptant (le bouquet) et l’étalement de la rente sera le fruit de la négociation des parties.

À la différence du mécanisme de « crédit-vendeur », aux termes duquel le cédant accepte l’étalement du versement du solde du prix, la vente viagère ne peut porter sur un montant défini puisque le montant de la rente n’est que la résultante théorique de la durée de vie du vendeur…

La définition de cette rente devra logiquement faire l’objet d’un calcul appliqué sur l’espérance de vie du vendeur et l’application alternative du barème Daubry ou toutes autres statistiques publiées.

Si l’espérance de vie est une donnée scientifique, la réalité en est bien loin et l’aléa attaché à la fragilité ou la robustesse de la vie humaine nous semble difficilement compatible avec la rigueur comptable et le pilotage d’une unité de production ou d’une activité commerciale.

IV – L’échelle temps, au sein de l’entreprise et l’activité économique

La vente viagère d’une entreprise s’opérerait, par hypothèse, à l’occasion du retrait de l’entrepreneur.

S’il s’agit, comme indiqué plus haut, d’un départ à la retraite, le calcul de la rente pourrait s’effectuer sur une projection d’un décès du crédirentier à l’âge de 80 ans1, soit sur une durée de 15 ans.

Il est à noter que cette période représente plus du double de la durée usuelle des financements bancaires.

Mais, plus gênant, l’évolution des entreprises dans cet espace-temps est considérable comparée au « secteur de la pierre » qui profite d’une inertie tout autre.

En effet, la notion de garantie demeure fondamentale pour le titulaire de la créance (le vendeur) dans la mesure où son débiteur peut disparaître du jour au lendemain ou, à tout le moins, faisant preuve de la plus grande indélicatesse, refuserait de régler la rente.

Il incomberait, dans ce schéma de vente en viager, de porter une attention particulière et spécifique aux sûretés consenties par l’acquéreur au profit du vendeur.

C’est à notre avis l’écueil majeur et la limitation pratique de la vente d’une entreprise en viager.

Cela étant, les opérations de transmission d’entreprises subissent de plus en plus actuellement de désengagements et autres déconvenues, justifiés par des facteurs multiples liés au financement, aux normes, à la hausse des prix de l’énergie ou autres manques de visibilité sur l’activité à venir.

Dans ce cadre et en complément d’une réflexion actuellement menée par le Parlement, la créativité des praticiens, en ce compris les avocats d’affaires, a encouragé une réflexion sur la faisabilité voire la viabilité de la vente d’entreprise en viager.

Parfois décrié comme un mécanisme de spéculation sur la mort d’un cocontractant, le mécanisme de viager pourrait, malgré les difficultés pratiques exposées ci-avant, s’inscrire dans un schéma de solidarité intergénérationnelle voire d’accompagnement sur un temps long…

La rente viagère, dans la mesure où elle ne correspond qu’à une modalité spécifique de paiement du prix, pourra constituer un « complément de retraite » et n’aura pas lieu d’être fiscalisée spécifiquement en raison de la taxation, à la date de la cession, d’éventuelles plus-values.

L’enjeu majeur réside donc essentiellement dans la viabilité de l’entreprise et les garanties que pourrait offrir l’acquéreur à son crédirentier.

Autre point de vigilance : la rente viagère sera légitimement indexée sur l’indice convenu entre les parties, permettant d’amortir de part et d’autre les fluctuations liées à de possibles inflations significatives…

Enfin, comme tout nouveau modèle et œuvre créatrice des praticiens du droit, la vente de l’entreprise en viager risque fort, si elle devait se développer, de justifier l’intervention du législateur et, sans aucun doute, de l’administration fiscale.

Sans nul doute, une transaction trop peu sécurisée générerait un risque de conflit à l’initiative d’héritiers (conjoint, enfants ou autres) délaissés ou s’estimant lésés.

En réalité, la clé de réussite d’une telle opération pourrait résider dans la commune volonté des parties de s’associer dans la durée… de souhaiter à l’entreprise une aussi belle longévité que celle de l’entrepreneur pour, ensemble, s’inscrire dans un temps long et profitable.

Notes de bas de pages

  • 1.
    INSEE, statistiques, 2019 : Homme = 79,7.
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