21, rue de la Boétie, Paul Rosenberg : l’exposition au musée Maillol

Publié le 05/05/2017

Affiche de l’exposition 21, rue de la Boétie.

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C’est en 1910 que Paul Rosenberg, galeriste et marchand d’art s’installe au 21, rue la Boétie. La rue a depuis bien changé, il faut s’imaginer qu’à l’époque, le quartier comptait plus d’une centaine de galeries. Parmi les clés de sa réussite, Paul Rosenberg comprendra vite l’intérêt de nouer des liens avec les milieux artistiques à Londres et aux États-Unis, le centre de gravité de l’art moderne s’étant déplacé de Paris à New York où il crée une galerie dans la 51e Rue. L’exposition explique par quelles méthodes de gestion et de communication, Paul Rosenberg parvint à faire de sa galerie un lieu incontournable de ce qui se jouait dans le milieu de l’art moderne.

L’écurie Rosenberg. Au début, donc, il y eut Paul Rosenberg, homme élégant, esthète au goût sûr, flairant les futures stars de la peinture. Cet admirateur d’Auguste Renoir et remarquable homme d’affaires signa au 21, des peintres comme Marie Laurencin (en 1952, elle peint le portrait d’une certaine Anne Sinclair, qui n’est autre que la petite-fille de Paul Rosenberg et qui a œuvré à l’organisation de cette exposition réussie), Pablo Picasso (Nature morte à la cruche, 1937, mais aussi de multiples portraits dessinés ou peints de la famille Rosenberg), Georges Braque (Compotier et cartes, 1913), Fernand Léger (Sans titre de 1930 et aussi ou surtout Trois femmes , le Grand déjeuner, 1921, que l’on peut admirer au sous-sol de l’exposition, il y a d’autres Fernand Léger à l’étage), Henri Matisse. N’oublions pas André Masson (Enlèvement, 1932), ni le délicieux Jean Hélion, celui auquel Beaubourg rendit en 2004 un hommage mérité et qui exposa en 1944, à la Paul Rosenberg Gallery de New York. Cubisme, surréalisme déjà, Jean Hélion dans sa période encore abstraite, l’art moderne est là. Art moderne ? D’aucuns et les pires ne l’entendirent pas ainsi…

Confiscations et spoliations. À cause de l’histoire, Paris (mais pas seulement elle) devint le terrain privilégié de pillage des galeries et des musées par le régime nazi. Paul Rosenberg a dû s’enfuir en février 1940, essayant de sauver ce qu’il pouvait. Triste destin, ce même 21, rue la Boétie, pillé, devient, quelques mois plus tard, l’Institut d’étude des questions juives. Au-delà du cas Paul Rosenberg, l’exposition du musée Maillol évoque plus largement les enjeux du pillage systématique des œuvres d’art par le régime nazi, entreprise totale qui allait bien au-delà de la simple main basse sur les œuvres peintes : pour le régime, l’art fait partie de la Weltanshauung, la vision du monde. Réfutant l’« art moderne », le régime exige que l’art porte en lui les valeurs de l’« âme du peuple des maîtres ». L’exposition permet de comprendre comment s’est ainsi organisée cette entreprise d’« art total » et totalitaire jusqu’à imposer les autodafés, les confiscations, les destructions. Une vidéo diffuse les images du voyage d’Adolf Hitler à Paris et la visite des édiles nazies aux grandes expositions officielles. Le commissariat de l’exposition a également eu la bonne et courageuse idée de présenter des œuvres rarement visibles, celles de l’art officiel allemand que le régime nazi fêtait et mettait en scène, comme à la grande exposition d’art allemand à Munich en 1937, pour mieux fustiger l’art prétendu « dégénéré » (par exemple, James Ensor, La mort et les masques). Au passage, convenons que certaines œuvres de cet art officiel ne manquent pas en elles-mêmes d’intérêt, tel ce Retour de la flotte d’Otto Albert Hirth.

Restitutions. L’exposition évoque la question épineuse et complexe des restitutions. Le visiteur pourra mieux comprendre l’itinéraire d’une œuvre volée puis retrouvée, à travers l’exemple du Profil bleu devant la cheminée d’Henri Matisse. Le tableau ne sera rendu aux descendants de Paul Rosenberg qu’en 2014. Alors que certaines galeries, notamment en Suisse, recevaient les toiles confisquées par l’ERR (le service d’Hermann Goering et d’Albert Rosenberg), les figures de Rose Valland, de Jacques Jaujard et René Huyghe traversent l’époque : ils contribuèrent, chacun à leur place, au sauvetage et à la récupération de milliers de tableaux. Certaines œuvres volées à Paul Rosenberg furent retrouvées parfois à coup de procès. D’autres étaient dans le train d’Aulnay-sous-Bois, celui-là même qui inspira le film Le train de John Frankeinheimer. Étonnante coïncidence de l’histoire, c’est Alexandre, le fils de Paul Rosenberg, qui commandait ce jour- là, le 12 août 1944, la 2e division blindée qui arrêta le convoi et découvrit sa cargaison.

LPA 05 Mai. 2017, n° 126a8, p.21

Référence : LPA 05 Mai. 2017, n° 126a8, p.21

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