Andromaque au Théâtre de l’Europe
Décidément impossible de prendre Stéphane Braunschweig en défaut. Qu’il s’agisse de Martin Crimp, de Pirandello ou de Racine, ses derniers spectacles prouvent une maîtrise et une capacité de renouvellement remarquable. Ainsi Andromaque, qui se joue jusqu’au 22 décembre, fait suite à Britannicus, joué à la Comédie française en 2016 et à Iphigénie, représentée aux Ateliers Berthier en 2020.
Simon Gosselin / Odéon, Théâtre de l’Europe
La confusion des sentiments et des passions amoureuses impossibles selon la suite célèbre : « Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui reste fidèle à la mémoire de son mari Hector » garde toute sa force. Mais l’accent est mis sur une autre confusion : celle, historique, qui régnait à la fin de la guerre de Troie et le traumatisme qui déchire les enfants des héros du célèbre conflit.
Roi de l’Épire, Pyrrhus, fils d’Achille, est prêt à trahir ses alliés grecs pour obtenir Andromaque. Quant à Oreste, fils d’Agamemnon, à la tête d’une ambassade grecque, chargé de ramener Astyanax, le fils d’Andromaque héritier du trône de Troie pour qu’il soit supprimé, il cherche surtout à conquérir Hermione, fille de Ménélas et de la belle Hélène, quitte à trahir sa mission. Paix éphémère fragile, vengeances inassouvies, la résilience est exclue pour ces héritiers traumatisés par des drames sanglants qui ont opposé leurs pères et c’est ce que met en valeur le spectacle. On y verra aussi le contraste entre des hommes au demeurant assez lâches, et des femmes au caractère bien trempé, Andromaque et son devoir de mémoire face à un soupirant sans grandeur et Hermione engagée dans un combat sans merci contre la trahison.
La fureur emporte le spectacle rendu d’autant plus intense par l’épure de la scénographie : murs dénudés, décor en noir et rouge avec un sol couvert d’un liquide sanguinolent, jeu de miroirs et de lumière, rien de plus, sauf dans les deux premiers actes moins sombres avec une table et des chaises renversées, sans grand intérêt. Fureur aussi dans le jeu des acteurs, ce qui donne à Racine un souffle quasi shakespearien qui lui va très bien.
Tous font partie de l’équipe de Stéphane Braunschweig, qu’ils ont connu au théâtre national de Strasbourg et qu’il associe à la plupart de ses spectacles. Alexandre Pallu, à la diction parfaite, est un Pyrrhus frénétique, curieusement accoutré, d’abord comme un guerillero des temps modernes, ce qui ajoute à sa singularité ; Pierric Plathier trouve toute sa mesure lorsqu’il aborde la folie d’Oreste ; la dignité d’Andromaque et son autorité sont bien servies par Bénédicte Cerrutti et la star de la soirée est Chloé Réjon, saisissante de vérité dans la complexité d’Hermione et jouant de l’alexandrin avec une habileté diabolique.
Référence : AJU011p6