Aux ordres de l’Empereur

Publié le 28/08/2023

Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6 février 1892, au fauteuil de Jean-Charles Adolphe Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta Emmanuel des Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars, et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Nous reprenons cet été la description qu’il fit de Titien et des princes de son temps.

Charles Quint ramassant le pinceau de Titien, par Pierre-Nolasque Bergeret

« À son arrivée à Venise, [Titien] trouva ses affaires en meilleur état qu’il n’espérait, grâce à l’intervention du légat Giovanni della Casa. Le cardinal Alexandre, celui de tous les Farnèse qui semble lui avoir témoigné le plus d’intérêt, pressa, de son côté, l’expédition de la bulle. Quelque temps après, en 1547, après la mort de Sébastien del Piombo, il fit même de nouveau offrir les sceaux à Titien. Cette fois, le peintre n’avait plus aucune raison de refuser ; il accepta. Les désirs des Farnèse, qui voulaient avoir Titien à leurs ordres, comme ils y tenaient déjà Michel-Ange, étaient sur le point de s’accomplir. La nomination de Titien allait être signée lors­qu’il reçut une invitation pressante de l’empereur de se rendre à Augsbourg, où la diète allait se réunir. Les obligations que Titien avait envers Charles-Quint ne lui permettaient pas d’hésiter. Il s’empressa d’adresser une lettre d’excuses au cardinal, avec lequel il resta, d’ailleurs, en correspondance, et se disposa à partir pour l’Alle­magne.

Les faveurs que Titien reçut des cours d’Italie ne sont rien si on les compare à celles dont le combla Charles-Quint. Des documents certains nous le montrent en rela­tions suivies avec le victorieux empereur, lors de la se­conde conférence de Bologne, en 1532. La descente du César à travers la Haute-Italie avait été une promenade triomphale. Tous les principicules de la contrée, trem­blants pour leurs possessions ou avides de les agrandir, dépêchaient au-devant de lui leurs ambassadeurs ou se hâtaient d’aller se prosterner à ses pieds. On savait qu’un des moyens les plus sûrs de flatter ou de gagner la majesté impériale, ainsi que ses officiers, c’était de leur offrir des objets d’art. L’éducation flamande de Charles-Quint lui avait donné de bonne heure pour la peinture un goût très vif et très sûr. Ses lieutenants et ses ministres, soit par besoin de flatterie, soit par esprit d’imitation, soit par curiosité personnelle, affectaient pour les tableaux italiens, dont la valeur vénale gran­dissait rapidement, un enthousiasme qui n’était pas tou­jours exempt d’arrière-pensées profitables.

Les patrons de Titien, les ducs de Mantoue et de Ferrare, se trouvaient bien en passe pour exploiter ces dispositions. L’un des conseillers les plus influents de Charles, Cobos [Francisco de los Cobos y Molina], que nous connaissons déjà, se montrait aussi l’un des plus ardents à se former une galerie. » (À suivre)

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