Berthe Morisot, artiste novatrice
En Angleterre (Eugène Manet à l’île de Wight), par Berthe Morisot (1875).
Musée Marmottan Monet, Paris / The Bridgeman Art Library
Il fallait posséder un caractère solide au XIXe siècle lorsque l’on était une femme, et peintre de surcroît. Berthe Morisot, intéressée par la peinture dès ses 15 ans, a su résister aux difficultés et se faire une place dans le groupe impressionniste. Elle a conquis son indépendance personnelle.
L’exposition que lui consacre le musée d’Orsay est une première dans ses murs ; elle met l’accent sur deux thèmes essentiels chez cette artiste : les tableaux de figures et les portraits.
Née dans un milieu bourgeois cultivé et intéressé par les arts mais austère, sans doute s’est-elle sentie un peu à l’étroit ; elle trouvera son indépendance avec la peinture…
Elle suit, notamment, l’enseignement du peintre Joseph-Benoît Guichard, qui a saisi sa personnalité et la respecte ; en 1858, il l’emmène au Louvre découvrir les coloristes. Très vite, Berthe Morisot est attirée par la peinture de plein air ; elle travaille un temps dans l’atelier de Corot, dont elle retiendra la palette claire.
Mais la rencontre décisive est celle de Manet en 1868 ; il l’initie à l’art du portrait, lui-même peindra son amie 14 fois !
En 1874, elle rejoint les impressionnistes car elle refuse l’art académique. C’est également l’année où elle épouse Eugène Manet, le frère du peintre, avec lequel elle a une fille, Julie, qui lui sert souvent de modèle.
L’exposition se décline en six sections révélatrices des divers sujets traités par l’artiste et de son évolution. Les premières œuvres sont comme un bain de fraîcheur. Le Berceau, l’une de ses œuvres les plus connues, dans laquelle transparaît l’émotion d’une mère devant son enfant. Les œuvres sont réalisées en une matière dense sous la lumière. Bientôt, Berthe Morisot inscrit les figures dans la nature en une sorte de communion. La nature, où la forme est délimitée par la couleur, recrée une atmosphère agreste. Elle pose de longues touches dans des compositions construites et déjà libres, impressionnistes.
Thème incontournable, Femme à la toilette : le peintre traduit une chair vivante, dorée, lumineuse. Dans Devant la psyché, le dessin devient plus précis. La facture s’est allégée après qu’elle ait découvert en Angleterre les œuvres de Turner et de Constable. Dans les portraits, on retrouve ce blanc irisé ; elle crée des effets de matières, les visages se fondent dans fleurs et verdures qui les entourent.
Puis, dans les années 1880, elle ressert le cadrage sur les modèles, la touche est nerveuse, vivante. Dans les scènes d’intérieur traitées avec une certaine modernité, intimistes, l’artiste a atteint la maturité ; les tableaux révèlent un équilibre de la composition, une harmonie de couleurs parfois nouvelles… Ce sont des moments de vie captés avec naturel ; le dessin est parfois plus précis, sans détails cependant. Monsieur Manet et sa fille dans un jardin à Bougival exprime la tendresse d’Eugène pour Julie, en des touches fondues et l’esquisse d’un jardin fleuri. Berthe Morisot évoque son temps avec des jeunes femmes cousant dans un jardin ou dans un intérieur, le dessin se dissout dans la couleur… Certaines œuvres réalisées à cette époque semblent presque peintes à la hâte : les longues traces dynamiques laissent peu de place au dessin. On apprécie également les frais portraits d’enfants.
Un sobre autoportrait montre une personnalité plutôt décidée, visible dans son regard. Vers la fin de sa vie, elle revient davantage au dessin, l’élément atmosphérique s’atténue, le tracé revient et la touche s’assouplit.
À travers ses compositions, Berthe Morisot fait revivre l’atmosphère de son époque dans une écriture qui n’a rien de si féminin…