Boris Taslitzky, l’art en prise avec son temps

Publié le 19/05/2022

Roubaix – La Piscine

Boris Taslitzky fut à la fois un témoin et un acteur des grands bouleversements de son temps. La guerre d’Espagne, le Front Populaire, la Résistance, la déportation, furent des événements, des moments terribles, qui marquèrent sa génération. Il fut l’un, parmi un grand nombre heureusement, qui assuma et se positionna dans ces moments de l’histoire en choisissant le combat. Boris Taslitzky déclara que sa vie a été marquée par la guerre. Comme homme et artiste, conscient de sa responsabilité, il se réclamait de la tradition des peintres d’histoire, de David à Courbet, en passant par Delacroix et Géricault, Goya et Daumier. Il défendait un « réalisme à contenu social » qui se doit moins de raconter que de témoigner, que de raconter l’histoire qui se déroulait devant lui. Il fut en prise avec son époque, s’inscrivant dans ce « romantisme révolutionnaire », qui n’a jamais cessé de défendre l’utopie de jours meilleurs. Ses peintures nous livrent un récit bouleversant et poignant d’humanité.

L’exposition réunit une cinquantaine de peintures, la plupart monumentales, de Boris Taslitzky. Ses peintures sont accompagnées de dessins et d’une tapisserie, qui permettent d’évoquer l’engagement de l’artiste dans son époque. Ses grandes compositions consacrées aux causes politiques de sa génération, ses autoportraits et portraits, ses paysages et ses natures mortes, indiquent le propos qui était le sien : un propos humain.

Le choix des œuvres se concentre autour des années 1930-1970, et s’articule autour de quelques séquences thématiques et chronologiques fortes : les dessins qu’il réalisa à Buchenwald, en 1944-1945 ; les tableaux inspirés à la Libération par les épreuves de la guerre (La Pesée à Rion ou Le Petit camp) ; les scènes représentant le travail industriel et les luttes syndicales à la fin des années 1940 (Les Délégués) ; les réactions à la guerre du Vietnam, en 1951 ; le reportage qu’il réalisa en Algérie, en 1952 ; ou la série de 63 dessins à l’encre, de 1985 à 1972, fixant l’atmosphère des banlieues du nord-est parisien en pleine mutation.

Boris Taslitzky est né à Paris. Ses parents étaient originaires d’Ukraine. En 1924, il décida de devenir peintre, et il s’inscrivit à l’Académie Moderne, rue Notre-Dame-des Champs. Puis en 1929-1930, il entra à l’École des Beaux-Arts dans l’atelier de Lucien Simon (1861-1945). Il y fit la connaissance de Jean Amblard (1911-1989), et ils feront ensemble de multiples visites au musée du Louvre et y exécuteront des copies des grands maîtres. En 1935, il adhéra à l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires (A.E.A.R.) où il rencontra Louis Aragon, Francis Jourdain, Paul Vaillant-Couturier, Pablo Picasso, Édouard Pignon, André Fougeon, André Derain, François Desnoyer, Jean Lurçat, Marcel Gromaire, André Lhote, Frans Masereel, Fernand Léger et quelques autres. À partir de mai-juin 1935, l’A.E.A.R. disparut peu à peu pour laisser la place à la Maison de la Culture. Cette dernière organisa des expositions telles celles dédiées à Courbet et à Bonnard. Le 14 juillet 1936, la Maison de la Culture organisa, au théâtre de l’Alhambra, une représentation de la pièce de Romain Rolland, 14 juillet, ainsi qu’une exposition de peintures.

À la suite de l’annonce de l’exécution de Federico Garcia Lorca, Boris Taslitzky réalisa Le Télégramme qu’il qualifiera, a posteriori, de « nature morte à contenu social ».

Lors de la débâcle, en 1940, Il fut fait prisonnier sur la Loire et transporté au camp de Melun. C’était la période des moissons, et il fut envoyé à Saint-Saulieu, dans la Somme. Il s’évada à la fin août, rentra à Paris, puis passa en zone libre pour se mettre au service de la Résistance. Il prit alors contact avec Jean Lurçat (1892-1966) et Marcel Gromaire (1892-1971) qui s’étaient retirés à Aubusson. Grâce au certificat de travail et de domicile que lui fournit Lurçat, il fut démobilisé. Boris Taslitzky devint ainsi son assistant pour la réalisation de cartons de tapisserie. Par la suite, il continuera, épisodiquement, jusqu’aux années 1980-1990, à livrer des modèles pour des tapisseries, qui seront exécutées par l’atelier Suzanne Goubely (1909-1997).

Cependant, Lurçat et Taslitzky se séparèrent pour des raisons de sécurité, à la suite d’une enquête de la police de Vichy. Il prit alors contact avec le peintre Fabien Menot (1885-1975), qui résidait près de Saint-Cirq-Lapopie, dans le Lot. Au mois de juillet il rencontra Aragon à Cahors, et avec Fabien Menot, ils constituèrent deux groupes autonomes clandestins. Puis Taslitzky vécut pendant un mois chez Raoul Dufy et il organisa une liaison à Montpellier auprès de Marcel Weil (1901-1944). Le 13 novembre 1941, il fut arrêté à Crégois, sur commission rogatoire de la Creuse. Le 12 novembre 1943, il se retrouva au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe, dans le Tarn. Il y resta huit mois, prenant une part très active à la vie culturelle du camp. Il décora les murs des baraques de grandes fresques peintes avec des pots de peinture à l’eau. Le 31 juillet 1944, les SS envahirent le camp de Saint-Sulpice, et les prisonniers furent déportés. Le 5 août, Boris Taslitzky et avec ses compagnons arrivèrent à Buchenwald.

À Buchenwald, il rencontra Julien Cain et Jorge Semprun, et grâce à la protection de ses camarades, il parvint à réaliser plus de 200 dessins. Le 2 mai 1945, Boris Taslitzky est rapatrié en France. En janvier 1946, Aragon fit publier, aux éditions La Bibliothèque française, avec une préface de Julien Cain et un texte de Marcel Paul, un volume regroupant une grande partie de ses dessins réalisés à Buchenwald.

L’œuvre de Boris Taslitzky forme une parfaite illustration de ce qu’il disait : « Pas d’art valable si chaque trait n’est pas une affirmation de solidarité humaine ». Personnalité attachante, altruiste et humaniste, il préféra toujours mettre en avant le collectif et le combat.

• Musée La Piscine, 23 rue de l’Espérance, 59100 Roubaix

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